APPROFONDIR LES FACETTES DE GEORGES LAPASSADE
Texte écrit par Rubén Bag, ami et collègue
Nous sommes réunis au Collège Coopératif de Paris, ce 13 décembre 2008, pour partager différents aspects et dimensions de la vie et de l’oeuvre de Georges Lapassade.
Il était un observateur toujours très présent, qui savait bien choisir le moment pour participer. Et quelquefois sa participation provoquait de forts dérangements qui montraient comment la vie sociale fonctionne dans l’ici et le maintenant. C’était sa façon d’être dans la vie et c’était aussi son outil de recherche pour la connaissance et l’intervention institutionnelle.
Même s’il a toujours été modeste, il n’a pas pu échapper à la célébrité.
Il a été surpris quand je lui ai montré sa biographie dans le Dictionnaire des intellectuels français (Jacques Julliard et Michel Winock, Seuil, Paris, 2002).
Il a été surpris quand nous lui avons montré qu’il figurait dans Wikipedia. Après avoir regardé le contenu, il a déclaré que c’était incomplet et inexact. Malgré plusieurs efforts nous n’avons rien pu modifier.
Il était aussi étonné de la grande quantité de pages consacrées à lui sur internet. Il pensait plutôt à l’utilité que ses oeuvres pourraient avoir pour les étudiants qui consultaient la bibliothèque de l’université de Paris 8 plutôt qu’à cultiver son curriculum.
Chez lui, dans sa maison, il n’y avait presque pas de livres, seulement quelques uns apportés par des gens qui voulaient qu’il les lisent.
Dans la présentation que Gérard Gromer fait de lui lors de la série de 5 émissions de radio, 2 au 6 novembre 1998, il ne se trompe pas quand il nous dit que Georges ‘est quelqu’un d’assez inclassable’.
Et nous disposons aussi du témoignage d’un ami d’enfance, Joseph Hondet, -qui fût un ancien maire d’Arbus, son village natal-, lequel a participé à la cérémonie d’adieux à Arbus le vendredi 29 août 2008, à l’église du village, organisée par Renée Lapassade-Grandin, la soeur cadette de Georges.
Joseph Hondet, avant ma participation dans cet hommage, nous a raconté des aspects de sa personnalité que l’on ne connaît pas assez. Il a dit :
Tu étais pour nous l’animateur au cours de nos rencontres, le musicien pour les fêtes du Carnaval et également le compositeur et l’organisateur de nos mini séances théâtrales préparées dans la grange Lapassade ».
« Puis-je rappeler ici, tous nos ébats d’adolescent dont tu étais l’ instigateur…»
Nous sommes ainsi en contact avec un témoin qui nous apporte les identités plus lointaines de Georges.
Donc, retenons aussi de sa riche personnalité ses qualités d’animateur, de musicien, de compositeur, d’organisateur et d’instigateur évoquées par un ami, témoin des années d’enfance et de jeunesse, parlant ‘ du souvenir d’un enfant et d’une jeunesse passée à Arbus’.
Cet ami nous a rappelé aussi comment on t’appelait là-bas :‘ Oui Jojo, comme on avait coutume de t’appeler, le village qui t’a vu naître garde de toi l’image d’un garçon aimable et jovial’.
Georges a dit aussi lors de l’émission de radio : « Ma première carrière, c’était l’analyse institutionnelle et la seconde, c’est l’ethnologie. Je me suis occupé de plus de la possession, des transes et, finalement, de la dissociation. Cette seconde carrière intellectuelle l’emporte sur la première . »
Il savait que la réalité est complexe et ne craignait pas d’aborder le sujet des états modifiés de conscience à travers la transe et les rites de possession. Il savait bien que l’homme pouvait vivre des expériences de dissociation. Il a fait des recherches et publié sur le thème des états de dissociation et sur les états modifiés de conscience.
Georges nous raconte : « En Tunisie, en 1965, j’ai découvert un rite de possession local, le stambali, et je me suis engagé dans l’étude des rituels analogues. »
Après son retour de Tunisie, il a enseigné la sociologie à l’université de Tours en 1967.
Il avait participé activement au mouvement de mai 68. On peut voir des images de lui dans le film Grands Soirs et Petits Matins de William Klein.
En 1970, il est invité à l’Université de Québec à Montréal pour faire une recherche sur la participation, ce qui donnera lieu à son livre L’arpenteur.
En 1970-71, il travaille au département des sciences politiques à Vincennes.
Il adorait l’université, et resta jusqu’à la fin de sa vie à Paris 8 à Saint Denis, participant quotidiennement à des activités. Il n’a jamais perdu le contact avec les étudiants.
Je préfère le laisser parler de son identité : « …je n’insisterai pas assez sur le fait que je ne sens pas mon identité, c’est peut-être pour ça que je me suis tellement intéressé à la dissociation. Je ne me sens pas unifié. Quand je réfléchis là-dessus, je pense toujours à Max Pagés parce que j’ai l’impression que lui, bien que l’on ait des points communs assez nombreux, il s’est senti toujours psychologue.
Moi, je ne me sens rien du tout. Je ne peux pas me donner d’identité, c’est pour ça que j’aimerais être aidé à exprimer cela et à formuler les différentes facettes de ma nonidentité. » ( séance du laboratoire de changement social de Paris 7 sur le thème « Histoires de vie et choix théoriques » centrée sur Georges Lapassade, 2004?)
Un homme multidimensionnel et génial, donc difficile à cerner. On a essayé de le classer comme psychosociologue, ethnologue, pédagogue, philosophe, écrivain, universitaire, sociologue, ethnomusicologue, intellectuel. Mais choisir une identité professionnelle, ou même plusieurs, ne donne pas l’ampleur de la richesse de sa personnalité.
En réalité, beaucoup de gens le considèrent, avec son collègue René Lourau comme le créateur de l’analyse institutionnelle.
Il admirait les gens qui avaient une identité professionnelle consistante. Il a pourtant aidé les autres à découvrir leur identité.
Un jour, je lui ai demandé : « quel est ton livre préféré parmi ceux que tu as écrits ? »
Il m’a répondu tout de suite : L’entrée dans la vie.
Il entrait continuellement dans la vie en essayant d’en vivre l’ici et maintenant.
Jusqu’à ses derniers jours, il continuait à avoir des projets.
Il avait développé la pratique de l’observation participante, une méthode très utilisée en ethnologie, et cette méthode lui permettait d’observer et de participer.
Il avait publié un article clé sur ce sujet dans un ouvrage de référence important Vocabulaire de la psychosociologie.
Il a trouvé que le fil conducteur de son existence était la dissociation, ce qui veut dire que les êtres humains partagent plusieurs réalités autant en pensée qu’en actions quotidiennes.
Georges a eu la chance de connaître beaucoup de gens de différentes cultures et pays.
En nombreuses occasions, on a échangé nos points de vue et je trouvais qu’il était un homme ouvert et très sensible - il avait une très bonne écoute- aux projets des autres, qu’il savait encourager.
L’écriture fut très importante pour lui. Ainsi après avoir publié beaucoup, il continuait à s’y intéresser.
Dans les dernières périodes, il donnait plus d’importance à l’écriture des autres qu’à la sienne. Il encourageait ceux qui l’entouraient à écrire. C’est la raison pour laquelle il participait en permanence à la revue Les IrrAIductibles de laquelle il était le coeur depuis le début. Tous les vendredis, il assistait à la réunion hebdomadaire au cours de laquelle on lisait et discutait les textes à publier. Il était toujours présent dès le début de la réunion et stimulait des processus d’autogestion. Tout le monde se sentait à l’aise : on discutait, on lisait des textes, on proposait. Il y avait une ambiance de convivialité, d’écoute et de respect de l’autre.
Ruben Bag
http://lesanalyseurs.over-blog.org