Algérie : un éveil politique et social
Causes économiques sous-jacentes
La crise économique, qui est au cœur de la révolte actuelle, dure depuis longtemps, en particulier au cours des trois dernières décennies. Au milieu des années 80, le programme de développement nationaliste algérien des années 60 et 70 était considéré comme un « échec » et sa tentative de se dissocier du système capitaliste mondial a été interrompue et remplacée par une économie de marché. Comme ailleurs dans la région, cette nouvelle orientation impliquait la désindustrialisation de l’économie, le démantèlement et la privatisation des entreprises publiques, la déréglementation et d’autres formes de restructuration néolibérale. Parallèlement, un lien entre les militaires et la bourgeoisie privée a pris le dessus sur les affaires de l’État, aidé par un contexte mondial caractérisé par une doctrine néolibérale ascendante.
Le désengagement de l’État vis-à-vis de la fourniture de biens et services publics et l’incapacité du nationalisme « laïc » à assurer la prospérité et l’indépendance promises ont propulsé le mouvement islamiste algérien sur la scène politique. Séduit par la révolution islamique en Iran, le mouvement islamiste a pris de l’importance dans les années 1980 et s’est fortement développé au sein du prolétariat, du lumpenprolétariat et des classes paupérisées. L’orientation économique libérale du régime associé aux demandes existantes de libéralisation politique a mené à l’abandon du système de parti unique à la suite de l’Intifada d’octobre 1988. Le coup militaire qui a annulé les élections de 1992 et que le parti islamiste (Front islamique du salut) allait remporter massivement a ouvert les portes de l’enfer aux Algériens. La violence déclenchée contre la population civile rappelait l’époque coloniale et avait provoqué une crise aiguë de légitimité du régime. Pour compenser, ce dernier cherchait à obtenir l’acceptation et le consentement externes, en particulier en Occident, en fournissant un accès au marché local. Les intérêts géostratégiques occidentaux de l’époque (années 1990), y compris la crainte d’un autre Iran en Afrique du Nord, ont assuré un soutien tacite à l’Algérie, même au cours des années les plus sanglantes.
Dans les années 90, l’expérience algérienne était non seulement une guerre civile épouvantable, mais aussi une libéralisation économique forcée dictée par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale. C’était le tour de l’Algérie d’expérimenter la « doctrine du choc » en introduisant des politiques douloureuses et extrêmement controversées. Un itinéraire qui impliquait la dissolution d’entreprises de l’État, l’emprunt du FMI, le début de l’économie de bazar et de l’import-import, sans parler de l’asservissement du peuple algérien à des mesures d’austérité sévères et à un abandon supplémentaire de la souveraineté nationale.
L’Algérie était ainsi (ré) ouverte aux marchés mondiaux, facilitant une course au pétrole, au gaz et à l’influence. Face à la déréglementation croissante du secteur de l’énergie, un secteur de la plus haute importance, les entreprises et les gouvernements occidentaux ont signé une série de contrats lucratifs pour garantir une mainmise sur les précieuses ressources du pays. Ce processus de reconstitution des liens entre l’économie nationale et le capital international a abouti à la compradorisation des élites dirigeantes en alignant leurs intérêts et en subordonnant les intérêts nationaux à ceux du capital international. Pourtant, à la fin des années 90, les excès de l’Algérie ont conduit à son isolement diplomatique.
La déclaration de l’administration Bush d’une « guerre globale contre le terrorisme » à la suite des attentats du 11 septembre 2001 contre le World Trade Center a été l’occasion idéale pour les classes dirigeantes algériennes d’obtenir un soutien renouvelé (surtout américain). Dans une lettre du 25 novembre 2002 intitulée « Un ami en Algérie » écrite par le président algérien Abdelaziz Bouteflika pour le Washington Times, il s’est engagé à assurer une coopération totale en matière de renseignement et de sécurité énergétique aux États-Unis. Ce soutien a aidé à acheter le consentement des États-Unis. En échange de leur soutien, les gouvernements occidentaux et les multinationales recevraient des concessions sans précédent. En deux mots, au cours des deux décennies qui ont suivi le coup d’État de 1992, la dépendance du régime algérien sur le soutien extérieur plutôt que sur la légitimité populaire est devenue son mode opératoire.
Nous ne pouvons pas pleinement saisir la situation politique en Algérie sans examiner de près les influences et les interférences étrangères et d’appréhender la question économique sous l’angle de l’accaparement des ressources naturelles et du (néo) colonialisme énergétique. Cela inclut les énormes concessions faites aux multinationales et les pressions extérieures pour appliquer une libéralisation plus poussée afin d’éliminer toutes les restrictions au capital international et d’intégrer pleinement l’Algérie dans l’économie mondiale dans une position totalement subordonnée.
Un examen attentif de l’économie algérienne au cours des trois dernières décennies (et particulièrement sous le gouvernement de Bouteflika depuis 1999) révélera qu’une bourgeoisie privée antinationale, stérile et improductive prend le dessus dans les affaires de l’État et dans l’orientation de ses choix économiques. Cette élite comprador / oligarchique a bradé l’économie aux capitaux étrangers et à des multinationales de manière systématique. Cette bourgeoisie est subordonnée au système international de domination économique, politique et militaire et représente donc le véritable agent de l’impérialisme et son accessoire utile. Un exemple de cette tendance est l’opposition farouche aux restrictions à l’importation imposées par l’ancien Premier ministre Abdelmadjid Tebboune en 2017, qui en a payé le prix en étant limogé quatre mois seulement après avoir pris son poste. Les tentatives de finalisation en 2019 d’une nouvelle loi sur les hydrocarbures, plus favorable aux multinationales et plus incitative (voir plus de concessions), incarnent cette tendance et ouvrent la voie à des projets destructeurs tels que l’exploitation du gaz de schiste au Sahara et des ressources offshore en Méditerranée.
Si l’Algérie continue sur la voie de la libéralisation et de la privatisation, nous verrons certainement plus d’explosions sociales et de mécontentement, car un consensus social ne peut être atteint tant que la paupérisation, le chômage et les inégalités qui en résultent continuent. Si elles sont maintenues, les politiques néolibérales vont bloquer le processus de démocratisation en Algérie et finiront par renforcer un régime autoritaire à façade démocratique.
La démocratie signifie la souveraineté populaire et ne peut être réduite à un simple électoralisme. Cela ne peut être réalisé que par une vision qui a une dimension sociale et nationale. Une véritable démocratie ne peut être construite que par opposition à l’impérialisme et à ses laquais locaux dans la bourgeoisie comprador, ainsi qu’au capitalisme néolibéral et à sa politique de dépossession. Pour parvenir à une véritable indépendance nationale, à la justice sociale et à une démocratie véritable, nous ne pouvons pas séparer les luttes démocratiques, sociales et anti-impérialistes.
Par la suite, il devient évident que toute transition qui ne traitera pas des questions de justice sociale et économique ainsi que de la souveraineté nationale et populaire sur les ressources naturelles sera vaine et portera les germes de révoltes et de soulèvements futurs. Nous pouvons certainement faire mieux que de continuer à mettre en œuvre davantage de politiques économiques désastreuses qui ont amené la population à se soulever et à se révolter en premier lieu.
Hamza Hamouchene
Avec l’aimable autorisation de l’auteur.
Lien vers l’article en arabe ici.
http://www.cadtm.org/Algerie-un-eveil-politique-et-social
Publié le 16 avril 2019
https://entreleslignesentrelesmots.blog/2019/04/16/algerie-un-eveil-politique-et-social/