La crise hégémonique et son avenir (9)
Le gros marronnier de l’« hégémonisme chinois » qui cache la forêt de la formation hégémonique réelle
1 Dans son Abécédaire, avec Claire Parnet.
2 Conférence prononcée sous ce titre à National Chiao Tung University, Taiwan, disponible sur Internet.
3 Hugo Grotius : De la liberté des mers (1609)
5 Jules César : Commentaires sur la guerre des Gaules (58-50 av. JC)
6 The Birth of a Nation, film de D. W. Griffith, 1915
7 Jud Süss, film de Veit Harlan, 1940
8 On voit s’activer dans la presse enrégimentée, à Taïwan, toute une marée de lobbyistes professionnels, de pseudo-chercheurs, de mercenaires intellectuels, de retraités de l’administration, des services secrets et l’armée états-uniennes dont c’est le job de faire prospérer cette rhétorique de guerre froide anti-chinoise. Une rhétorique qui, quand elle tend à s’emballer, inclut les exhortations impatientes à administrer une « leçon » préventive à la marine de guerre chinoise, en mer de Chine. Quelques titres d’articles évocateurs, glanés dans cette littérature belliciste : « US could go to war to fix China », « Time is running out to stop China », « Year of the decision for US and China »…
9 Voir l’article de Nizar Manek (Bloomberg Markets) : « US, France worry over Chinese money in Djibouti », Taipei Times, 9/04/2019
10 Parmi les récentes « prises de guerre » de Pékin : la République dominicaine, le Panama…
11 Davantage qu’un « grand dessein », l’expansion perpétuelle est, pour les Etats-Unis, un mécanisme, un automatisme, une fuite en avant perpétuelle, une fabrique de chaos et de destruction. Sur ce motif de la frontière sans cesse repoussée, voir l’un des premiers films de SF, Forbidden Planet de Fred Mc Leod Wilkox (1956). La « conquête de l’espace » à l’américaine est l’effet de la pulsion expansionniste, la poursuite de l’engouffrement dans la brèche de la frontière ouverte, ceci par contraste avec la « conquête de l’espace » à la soviétique laquelle joue, distinctement un rôle de « consolation » substitutiste ou d’utopie de remplacement dans le monde d’après l’extinction du mythe de la « révolution mondiale » – sur ce point, voir Solaris d’Andrei Tarkovski.
12 En 1969, un traité secret conclu par Nixon et le gouvernement japonais de l’époque prévoyait que des armes nucléaires américaines puissent transiter par le territoire japonais et y être stockées.
13 Dr Folamour, film de Stanley Kubrick, 1964.
14 Récemment, la présidente taïwanaise, Tsai Ing-wen, parlait de « subversion critique » à propos de ceux/celles qui ne partagent pas ses options en faveur d’un alignement de l’Etat taïwanais sur la stratégie agressive de Trump face à la Chine. Dans le même temps, un sondage surgi du néant était censé indiquer que « 70% des Taïwanais pensent que la sécurité nationale est plus importante que la liberté de la presse ». En clair, il s’agit de museler et criminaliser toute opinion allant à l’encontre du nouveau discours de guerre froide anti-Chine, sur fond de promotion incessante du motif de « l’indépendance » de l’île.
15 Le discours pro-indépendance à Taïwan se nourrit de tout un bric-à-brac culturaliste, historico-anthrolologique destiné à établir que Taïwan est, à tous égard, un espace humain substantiellement différent de la Chine continentale – le plus souvent au mépris des évidences les plus élémentaires. Curieusement, le seul argument substantiel qui pourrait ici être pris en considération, n’est jamais mis en avant : le fait même que Taïwan n’ait pas en partage avec la Chine continentale l’expérience historique de la révolution qui porte les communistes au pouvoir en 1949. Or, c’est précisément cette absence, au fondement de la conscience historique et de l’expérience collective à Taïwan, de toute part à un événement révolutionnaire de portée historique qui doit être prise en compte en premier lieu lorsque l’on envisage tous les travers dont souffre l’institution et la vie politiques de ce pays ainsi que l’absence malheureuse, dans cette société de cette passion pour l’égalité que Tocqueville réfère à l’expérience historique d’une révolution. L’ampleur des mouvements plébéiens, ouvriers, locaux de mécontentement dirigés contre les formes d’exploitation, les abus d’autorité, les injustices flagrantes démontre suffisamment qu’en dépite de tous les aléas de l’histoire chinoise post-révolutionnaire, la passion de l’égalité n’a pas été extirpée de cette société. Ce n’est donc pas la chance de Taïwan (de son peuple, de ceux d’en-bas, tout particulièrement) d’avoir « échappé » à la Révolution chinoise, mais plutôt son infortune – malheur au peuple qui n’a pas, dans ses « gènes » le souvenir et la marque d’un événement révolutionnaire ! Mais naturellement, comme le dit Deleuze, ceux à qui manque quelque chose de cet ordre-là ne sauraient avoir l’intuition de ce qui leur manque. Aussi sont-ils portés à considérer comme un bien ce déficit et ce manque…
16 Hans Blumenberg : Naufrage avec spectateur, 1996.
17 Jürgen Habermas : The Postnational Constellation, 1996.
Alain Brossat
Publié le 17 avril 2019
https://entreleslignesentrelesmots.blog/2019/04/17/la-crise-hegemonique-et-son-avenir/