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  • : Le blog de Benyounès Bellagnech
  • : Analyse institutionnelle : Théorie et pratique au sein des institutions politiques, éducatives et de recherche. L'implication des individus et des groupes dans la vie politique et sociale.
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23 janvier 2014 4 23 /01 /janvier /2014 13:45

 

FELICITACIONES A MICHEL LOBROT

 

 

El 22 de enero de 2014, Michel Lobrot, pedagogo, humanista, psicoterapeuta y autor de una treintena de libros (algunos inéditos), cumple 90 años en París, ciudad donde nació en 1924.  Actualmente está en plena actividad, escribiendo y animando talleres y actividades de formación en Francia, Grecia y otros países.

 

 

Gracias a Juan Ricardo Nervi, quien fue un profesor muy apreciado en la   Universidad Pedagógica Nacional (Ajusco, 1980-1984), pude conocer la importancia de la obra de Lobrot.  


Nervi, pedagogo multifacético, originario de la provincia de La Pampa, Argentina, conoció a Michel Lobrot en un congreso de pedagogía que se realizó en Buenos Aires en 1970, y allí descubrió la importancia de la autogestión para la realización de nuevas prácticas educativas.

 

 

Lobrot escribió el primer libro sobre la 'pedagogía institucional', corriente crítica de la educación.  El libro se llamó 'Pedagogía Institucional' y lleva por subtítulo, 'la escuela hacia la autogestión'. Fue publicado originalmente en francés en 1966 y traducido al español (Buenos Aires, Humanitas 1974 y 1994).

 


Ricardo Nervi no dudó de la importancia de esta corriente innovadora que analiza y critica a la institución educativa, proponiendo espacios de autogestión y libertad para los estudiantes. Creó el programa de Pedagogía Institucional e impartió el primer curso en la carrera de Pedagogía de la UPN en 1982.  Luego el profesor Manuel Aguilar impartió un curso.  Ricardo Nervi pensó que por mi formación sería importante que me haga cargo de esa materia.  Impartí cursos de Pedagogía Institucional durante doce años, desde 1983 hasta 1994.

 

Lobrot, quien siempre estuvo interesado en los procesos psicológicos que puedan favorecer la implicación y la autonomía del sujeto, funda el concepto de «no directividad interviniente» que significa centrarse en el deseo del otro para ayudarlo en su desarrollo humano.  Una nueva relación educativa y terapéutica emerge a partir de este concepto.  La 'no directividad interviniente' dio lugar a encuentros internacionales que se realizan todos los años desde 1993 hasta la actualidad.


Es uno de los aportes que he tomado en cuenta para la construcción y creación del enfoque y método 'Contacto para la Creatividad' para el desarrollo humano y social.

 

 

Lobrot otorga una gran importancia a la vida afectiva como motor fundamental del comportamiento.  Cuando aún no se hablaba de inteligencia emocional, sostenía que la inteligencia está intimamente vinculada con la afectividad y que ésta podría considerarse como una forma de la inteligencia.  (L'intelligence et ses formes. Esquisse d'un modèle explicatif.  Dunod, Paris-Bruxelles-Montréal, 1973. La inteligencia y sus formas. Bosquejo de un modelo explicativo. Libro no traducido).


 

Traduje del francés al español, con la colaboración de Lucila Soriano, dos libros de Michel Lobrot que fueron publicados con los siguientes títulos:

-De la pedagogía a la psicoterapia grupal.

-La experiencia grupal. Diario íntimo de un psicoterapeuta (1976-1978).

Ambos libros fueron publicados por Lumen-Humanitas, Buenos Aires, 1998.

 

 

Uno de los libros de Lobrot muestra sus extraordinarias experiencias de vida: Ma vie, un kaléidoscope. Essai de réflexion personnalisée. (Mi vida, un caleidoscopio. Ensayo de reflexión personal, Publibook, Paris, 2011).  No traducido.

 

Investiga permanentemente y escribe artículos, algunos de los cuales se pueden encontrar en el blog (escrito en francés) de Benyounès Bellagnech, (http://lesanalyseurs.over-blog.org)

newsletter@over-blog.com

 

 

Es un placer recordar a Michel Lobrot en el día de su cumpleaños.

 

 

Rubén Bag

 

México DF, 22 de enero de 2014

 

 

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20 janvier 2014 1 20 /01 /janvier /2014 11:58

 

 

Quand se réunit le groupe, dont fait partie Georges Lapassade et dont je fais aussi partie dans les années 60 du 20ème siècle, pour concocter une nouvelle pédagogie, d’où sortira l’ « analyse institutionnelle », il y a longtemps qu’existe un mouvement centré sur la pratique sociale aux Etats-Unis, qui s’appelle « psychologie sociale ». Ce mouvement est aux antipodes de la problématique institutionnelle. Il cherche en effet soit à appréhender les forces qui dans l’individu permettent l’accès au groupe, comme le font Kurt Lewin (né en 1890), Gordon Allport (né en 1897), Salomon Asch (né en 1907), David McClelland ( né en 1917), Léon Festinger (né en 1919), soit  à analyser les relations interindividuelles qui sont les premières ébauches du groupe, comme le font  Philippe Zimbardo (né en 1933) et Erving Goffman (né en 1922), soit enfin à étudier les premières formes de groupe comme le fait Kurt Lewin à travers le groupe de sensitivity training ou Eliott Aronson (né en 1932), à travers ses recherches sur les groupes d’adolescents, ou William Schutz (né en 1925).

 

L’ensemble de ces travaux, très avancés dans les années 60, constitue un corpus très impressionnant dont il faut à tout prix tenir compte.

 

C’est dans ce courant que j’inscris d’emblée ma pratique, centrée sur l’autogestion pédagogique, la non-directivité, le rogérisme. De cette pratique sortiront des textes théoriques, comme par exemple Les forces profondes du moi (1982).

 

Georges Lapassade, par contre, suit une voie plus traditionnelle, celle qui étudie les sociétés existantes, dans une perspective dans laquelle le marxisme joue un rôle important et qui débouche sur une action visant à transformer ces sociétés. Il est intéressé par le mouvement des groupes et y participe quelque peu, mais davantage par ce qu’on appelle le « potentiel humain » qui débouche sur des actions corporelles plus ou moins violentes.

 

Il n’y a rien à redire à cela. L’action révolutionnaire fait partie des forces qui veulent changer la société, comme le veut par ailleurs le groupe non-directif. Le malheur est que cette action révolutionnaire est adossée à une psychologie héritée du 19ème siècle, psychologie rigide et d’une seule pièce, de caractère durkheimien, qui voit dans le social un « fait » indépendant du psychologique et fonctionnant pour lui-même. Comme je l’ai déjà dit, cette idée est une erreur. Invoquer, comme le fait Lapassade, une « conscience collective » qui n’aurait rien à voir avec la conscience individuelle et qui fabriquerait ses objets à elle est insoutenable. La conscience, d’après les plus récents travaux sur ce sujet, est avant tout fabricatrice et fabrique en particulier les rapports humains qui sont le ciment des sociétés. On a abandonné l’idée d’une conscience surplombante qui, comme l’œil de Caïn, surveillerait l’action. Cette conscience ne peut pas être collective, au sens où l’entend le marxisme, pour la bonne raison que le moindre changement dans la moindre des sociétés, même parmi les plus collectivistes, est vécu par l’individu et rejeté ou accepté par lui, avec des raisons qui lui sont propres. Il suffit de lire les journaux écrits en camp de concentration pour s’apercevoir que le sujet humain ne perd jamais ses caractéristiques d’être humain, même dans la pire des servitudes. Des millions d’individus qui adhèrent à une croyance collective, cela fait des millions de raisons différentes d’adhérer à cette croyance, qui n’est donc pas si collective.

 

Je me sépare donc dans les années 80 du 20ème siècle, de Lapassade qui continue à critiquer mon action dans ses livres, sous prétexte que les groupes que je mène se font dans un cadre traditionnel. Mais s’il faut à tout prix échapper au cadre traditionnel pour être efficace, alors c’est à la société dans son ensemble qu’il faut échapper. Cela fait penser au sophisme antique qui consistait à dire qu’il est impossible à un abdérien de dire que tous les abdériens sont des menteurs, sous peine d’être obligé de dire qu’ils ne sont pas des menteurs, puisque cette affirmation serait un mensonge, venant d’un abdérien. Les disciples de Lénine qui ont retrouvé dans la société soi-disant nouvelle créée par eux les problèmes de l’ancienne société, en s’en tirant plutôt plus mal pour les résoudre, devrait méditer ce sophisme antique.

 

 

Heureusement Lapassade, avec son génie, ne tarde pas à s’intéresser et même à se passionner pour des choses qui sont exactement le contraire de l’analyse institutionnelle : la transe des rites africains et sud-américains, l’ethnométhodologie, etc. Nous pouvions nous retrouver.   

 

 


Michel Lobrot

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19 janvier 2014 7 19 /01 /janvier /2014 11:03

 

La vision moderne de la société, centrée sur la marge de liberté des individus, sur l’origine réel du pouvoir, sur les centres de décision, sur l’influence des individus fait voler en éclat l’idée d’une société qui ne serait qu’institution et rien d’autre et qui ne pourrait être comprise qu’à partir de ses institutions.


Les institutions sont si fortes et si impressionnantes qu’elles font peur aux individus, qui donc se démarquent d’elles et, selon la loi de Brehm, s’en protègent en affirmant leur indépendance. Cette affirmation d’indépendance ne se traduit pas généralement par une révolte ouverte, encore que celle-ci soit possible, mais plutôt par un désintérêt marqué aussi bien vis-à-vis de l’institution que vis-à-vis des choses qui en font partie. L’institution se banalise, selon l’analyse qu’a fait Jerphagnon du concept de « banalité ». Les individus vivent en elle mais en dehors d’elle, indifférents à elle, et l’échangent facilement contre une autre qui ne les concerne pas plus. Les chrétiens du Moyen-Orient, au 8ème siècle, confrontés aux armées de l’islam qui ne leur demandent pas de se convertir, le font cependant en masses, pour se conformer aux vainqueurs. Les Gaulois avaient fait de même face aux Romains, adoptant leur langue et leur religion. Les Indiens d’Amérique feront de même au 16ème siècle face aux espagnols, restant cependant païens dans le fond d’eux-mêmes et dans leurs cérémonies. Je vais examiner plus en détail trois exemples  caractéristiques.


Le premier est celui du Droit de grève, instauré en France par la loi Ollivier en 1864, loi qui sera suivie par celle de Waldeck-Rousseau en 1884. Ce droit est inscrit dans la Constitution française (alinéa 7 du préambule) et a été inscrit à l’article 28 de la charte des droits fondamentaux de l’union européenne. Cependant une grève, pour être licite, doit être « collective » et « concertée ». Cela veut dire qu’elle doit concerner un nombre suffisant de travailleurs et être acceptée par ceux qui la font. Il est clair que cela est loin d’être le cas, si l’on considère le nombre important de « grèves perlées », d’arrêts spontanés du travail, de pressions diverses pour arriver à un nombre suffisant de grévistes, etc. Il faudrait dire la même chose sur le point du respect du droit du travail, des salaires à verser en cas de grève, etc. Il est clair que la grève est une pratique sociale avant d’être une réglementation et que celle-ci a surtout pour objet de renforcer des positions, quand la pratique a été décidée.


Le deuxième exemple est celui de l’école, réalité institutionnelle s’il en est. L’école actuelle repose, comme l’a très bien vu Sorokin, sur un ensemble de pressions institutionnelles pour faire travailler les élèves, parmi lesquelles l’attrait du diplôme joue un rôle central. L’institution « contraint », comme c’est son rôle de le faire, par des moyens psychologiques subtils, de caractère institutionnel. Le résultat, constatable sur une grande échelle et qui est quasiment un phénomène de société est le désintérêt massif, général des élèves pour les contenus qu’on veut leur faire ingurgiter, que des enquêtes sérieuses n’arrêtent pas de constater. Il en découle une déculturation profonde de notre société que certains assimilent à un retour à la barbarie. Le cas de l’Allemagne hitlérienne est significatif, c'est-à-dire du pays d’Europe le plus scolarisé à l’époque, à tous les niveaux d’enseignement, qui bascule dans une barbarie sans précédent, sous la direction de chefs qui étaient loin d’être des ignorants. Le même phénomène s’est passé au Rwanda, pays le plus scolarisé d’Afrique.


 

Le troisième exemple se réfère à l’histoire de la France prérévolutionnaire au 18ème siècle. Durant les cinquante ou soixante ans qui précèdent 1789, le nombre d’écrivains célèbres qui naissent chaque année en France s’élève d’une manière spectaculaire, passant de quelques éléments à la fin du 17ème siècle à une dizaine ou à une vingtaine au milieu du siècle. J’ai essayé d’en faire le compte à partir des dictionnaires biographiques qui existent aujourd’hui. Cela est dû, à mon sens, à une décompression institutionnelle qui se produit au 18ème siècle, qu’on peut observer à travers les oeuvres de de Daimville sur les collèges de jésuites : multiplication des pensions privées et rejet des jésuites en 1760, bibliothèques populaires, l’ « Encyclopédie », etc. Le résultat est que la plupart des révolutionnaires qui vont jouer un rôle central pendant la révolution naissent et sont élevés dans ce climat détendue qui s’installe après la Régence et qui n’est rien d’autre qu’une révolte contre des cadres institutionnels qui n’arrivent plus à se faire respecter. Les ouvrages de Robert Darnton, comme  Le diable dans un bénitier (2010) nous renseignent sur les formes les plus extrêmes qu’a prises cette révolte.

 

(...)

 

Michel Lobrot

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18 janvier 2014 6 18 /01 /janvier /2014 10:14

 

Avant d’apparaitre comme faible, c'est-à-dire comme elle est fondamentalement, l’institution apparaît comme toute-puissante. C’est l’apparence qu’elle présente et le savoir humain fonctionne d’abord à partir des apparences.


Quand les sciences, au sens moderne du mot, apparaissent au 19ème siècle et qu’elles se penchent sur l’humain après s’être penché sur la nature, elles rencontrent aussi les sociétés. Celles-ci présentent d’emblée leur face institutionnelle, qui semble tellement évidente qu’elle sert à les désigner. On va donc, après avoir inventé la sociologie, désigner les sociétés à partir de leurs  moyens institutionnels. On aura la société religieuse, la plus étudiée, qui se définit par la Religion, la société politique qui se définit par le Pouvoir, la société juridique qui se définit par le Droit, etc. On ne se préoccupe pas de savoir quel est le rapport entre l’individu concret, vivant, agissant avec ces entités. Il faudra attendre la psychologie sociale, an 20ème siècle, pour se poser ce genre de question.


Ceux qu’on peut considérer comme les premiers sociologues, nés au milieu du 19ème siècle (Emile Durkheim, 1858 ;  Ferdinand Tönies,1855 ; Max Weber, 1864 ; Vilfredo Pareto, 1848) sont surtout préoccupés de mettre en lumière les articulations de l’institution et spécialement la cassure, au sein de l’institution, entre une zone rationnelle, construite, organisée et une zone affective, « inconsciente », instinctive. C’est l’opposition entre la gemeinschaft et la geselschaft, de Tonnies, entre les formes logiques et non logiques chez Pareto, entre  le pouvoir organisé et le pouvoir charismatique chez Weber. Et certes l’opposition entre ces formes institutionnelles, par exemple entre la famille et l’Etat, est capitale, du point de vue du fonctionnement institutionnel. Cependant, elle ne permet pas de distinguer l’institution de ce qui est non-institutionnel, ce que fera, par contre, une distinction qui a pris le premier plan aujourd’hui entre l’autonome et le non-autonome ou entre l’auto-déterminé et l’hétéro-déterminé (Voir l’idée d’autodétermination de R.Rayan et E.Dulci,  2002).


 

La vision des auteurs précédents peut servir à comprendre l’institution. Par contre la vision de Durkheim de sociétés coupées radicalement des individus, à cause d’une conscience collective et d’un fonctionnement collectif indépendants d’eux ne le permet plus. L’idée que les individus, dans une société, restent extérieurs aux institutions, sous prétexte que le tout est supérieur aux parties et ne se ramène pas à elles, est simplement une erreur. Le «  tout » auquel pense alors Durkheim possède des parties qui ne l’engendrent pas, qui sont passives et inertes par rapport à lui, qui se contentent donc de « supporter » le tout, comme sont les parties d’une image dans une vision gestaltiste. Tel n’est pas le cas des individus dans une société. Ce sont eux qui fabriquent et conçoivent la société, qui la maintiennent dans l’existence et la transforment, même dans une société esclavagiste. Ils sont donc en position de surplomb vis à vie de la société. Ils sont non seulement des parties de la société mais aussi des fondateurs, des « origines », tous quels qu’ils soient.

 

(...) 

 

Michel Lobrot

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17 janvier 2014 5 17 /01 /janvier /2014 15:13

 

Le groupe face à l'institution

                                    


Un problème important pour celui qui essaie de comprendre la vie sociale est de savoir pourquoi les noms qui désignent les différents types de groupements existant dans la société -assemblée, réunion, équipe, comité, groupe, association, rassemblement, bande, etc. - ne suffisent pas à évoquer toutes les formes existantes, pourquoi il a fallu leur ajouter des termes différents, issus d'un autre registre et construits différemment, tels que celui d'institution.


S'il faut croire René Lourau, dans son livre sur l'institution  (L’analyse institutionnelle, 1970,  ch.1, 6), il n'y a rien là qui pose problème, car nous sommes confrontés à un pur phénomène de redondance. D'après lui, l'institution désigne tous les phénomènes existant dans la vie sociale, tous quels qu'ils soient, et ne fait donc qu'exprimer le fait que ces phénomènes sont "sociaux", c'est à dire connotent la réunion d'un certain nombre de personnes autour de quelque chose.


Pourtant, si nous interrogeons notre expérience, nous constatons qu'il existe un véritable fossé entre, disons, une réunion d'amis ou un rassemblement dans la rue ou la convergence des opinions d'un certain nombre de personnes créant ce qu'on appelle un "courant" ou le lien qui me relie avec des gens qui réagissent comme moi, d'un côté, et, de l'autre une famille, une profession, une église, une armée, etc. La différence réside au niveau de ce qu'on appelle l'imposition.


D'un côté, les autres imposent certes leur présence, leurs vues, leurs sentiments, leurs colères et leurs désirs mais toutes ces choses sont évitables et transformables. Il existe ce qu'on appelle des interactions, qui sont possibles partout mais qui sont ici relativement libres, relativement spontanées, relativement imprévisibles. L'ensemble constitué par les gens qui se réunissent est mouvant, en transformation, avec des objectifs non prévus à l'avance. S'il y a une foule dans la rue, je peux m'y agréger mais je peux aussi la fuir; je peux me dégager d'un groupe qui affirme des valeurs différentes des miennes ou, au contraire, m'opposer, discuter, résister. La marge de liberté existant dans ce que nous appellerons simplement un "groupe" est infiniment plus grande que celle qui existe dans une « institution », qui prévoit nécessairement des secteurs où les choses sont intangibles, les comportements clairement définis, les  attitudes ritualisées.


L'opposition entre les deux phénomènes est si grande qu'elle a donné lieu à une découverte typique de notre époque, qu'on appelle les "foules" (Le Bon, Moscovici, etc.) ou que Canetti (Masse et Puissance, 1960 ) appelle les" masses", qui sont censées déstabiliser totalement les sociétés traditionnelles et engendrer un nouveau type de mal social, qu'il est difficile de nommer car il peut présenter une face révolutionnaire ou, au contraire, une face conservatrice, qu'on ne sait comment appeler, qui provoque une espèce de panique.


Pour essayer de comprendre ce nouveau phénomène - qui n'est pas si nouveau que cela -, il faut tout d'abord analyser celui auquel il s'oppose et qui aussi le dénonce, à savoir l'institution.


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Avant l'institution, il y a l'idée de l'institution. Une institution ne naît pas "ex nihilo". On institue quelque chose dans ce qui existe déjà, qui se transforme en autre chose, ce qui confère à l’objet initial un certain nombre de caractères nouveaux. Par exemple un groupe de jeunes qui jouent au foot-ball le dimanche décide de se constituer en association (loi de 1901) c'est à dire de fonctionner d'une manière nouvelle, qui suppose des comportements nouveaux et des moyens  nouveaux. Le groupe n'est pas nouveau, mais le fonctionnement l'est. De quoi s'agit-il ?

 

A mon avis, l'idée de l'institution est venue aux hommes en constatant, dans les rassemblements qu'ils formaient, un nombre assez important de facteurs de perturbation et de dysfonctionnement. Il y a par exemple le rapport au temps. Certains arrivent à l'heure mais d'autres sont toujours en retard. On décide alors que tout le monde devra arriver à telle heure pour participer aux activités. Dans beaucoup de groupes existent des leaders qui proposent et suscitent les activités. On décide qu'on doit obéir à ces leaders, qui deviennent désormais des chefs. Dans beaucoup de groupes les activités, assez libres, sont peu ou mal définies et varient avec les initiatives de chacun. On donne une définition claire des activités avec des programmes pour les assembler. On pourrait multiplier les exemples.

 

L'institutionnalisation aboutit à renforcer, pérenniser et matérialiser les activités et la vie d'une collectivité.

 

Tout d'abord on renforce, on solidifie, on durcit ce qui apparait comme trop léger et qui risque de ne pas avoir assez de puissance. Le phénomène d'accumulation en lequel Marx voyait une des sources du capitalisme est un phénomène institutionnel. Du fait qu'on n'achète pas aussi facilement un objet (par exemple une usine) dix fois plus grand qu'un autre, ce qui exige au moins dix fois plus de capitaux, cette modification quantitative a un impact sur l'économie (il faut emprunter). Une efficacité accrue en résulte, qui possède toutefois l'inconvénient d'exiger des procédés de fabrication beaucoup plus lourds et contraignants.

 

Du fait de l'agrandissement, les structures mises en place sont beaucoup plus durables. L'ensemble dont elles font partie se trouve pérennisé, voire immortalisé. Telle entreprise ou institut, créés à telle époque se trouvent encore en place cent ans après, ce qui contribue à leur succès. Les générations de directeurs et responsables s'y succèdent, qui eux-mêmes se trouvent plus ou moins sacralisés. Des traditions s'établissent, qui paraissent indéracinables et intangibles, qui sont inscrites dans des livres honorés par tous.

 

Enfin, contre l'idée véhiculée par le mouvement institutionnaliste que les institutions plongent dans l'inconscient des acteurs, ce qui contribue à les sublimer (Lapassade, 1971), elles permettent une implantation dans le réel et le matériel, qui ne peut exister autrement. Les supports financiers, les bâtiments, les outils, les entrepôts, les équipements de toute sorte contribuent à l'ancrer dans le terroir, ce qui accroît encore sa force et sa présence. L'aspect de domination du capitalisme résulte beaucoup de ce phénomène qui a des allures de conquête de territoire. Les usines Ford de Saint Louis aux Etats-Unis ressemblent à une forteresse. Et d'ailleurs les forteresses du Moyen-âge qui défendaient des territoires environnants considérables étaient elles-mêmes des institutions.

 

De tous ces caractères il résulte un phénomène capital, qui appartient en propre à l'institution : son côté contraignant. C’est un carcan social, le carcan par excellence, que l’homme a inventé pour se protéger contre les aléas de la vie.  S'il est vrai, comme le disait Pascal, que l'homme n'est grand qu'avec Dieu, qui est lui-même grand, on peut dire que l'institution se présente comme une montagne qui écrase, de son poids, tout ce qui l'entoure, comme Dieu.

 

Ainsi rentre-t-on, avec l'institution dans une des problématiques les plus intéressantes de l'humain, celle de la puissance et de la liberté. D'un côté, la puissance de l'institution la rend invincible, du fait de son caractère terrifiant. Mais d'un autre côté, il y a la loi de Brehm, qui pose qu'une contrainte suscite un accroissement du désir de liberté et que cet accroissement est d'autant plus fort que la contrainte est plus forte. C'est ce que Brehm appelle «  la réactance » qu'il a  analysée et décrite dans un livre fascinant intitulé : the Psychological Reactance ( 1966).

 

En somme cela voudrait dire que la liberté n'existe que là où il y a des bastilles à prendre. La bastille, quand on l'expérimente, manifeste sa faiblesse profonde, fondamentale, qui tient à sa taille et, de ce fait, qu'elle n'entre pas en combinaison avec l'individu, qui l'occupe et qui ne retrouve pas chez elle ses propres dimensions. Elle le domine de tous les côtés, ce qui veut dire qu'elle le heurte et le déçoit, lui reste extérieur donc hostile et qu'il n'a qu'une envie qui est de la détruire. De l'envie  à la réalisation, il n'y a qu'un pas. L'histoire est pavée des restes des empires détruits.

 

Il reste à vérifier ce que je viens de dire, qui peut paraitre un pur paradoxe, à savoir la faiblesse de l'institution, qui permet l'émergence de la liberté.

(...)

 

Michel Lobrot

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17 juillet 2012 2 17 /07 /juillet /2012 11:45

LE CHANGEMENT DE L’INSTITUTION

 

Si on ne peut pas dire que les institutions changent les hommes, peut-on dire inversement que les hommes sont capables de changer les institutions ? En admettant que les institutions ont un impact déterminant, que pouvons-nous faire pour nous en libérer ?

 

La réponse à cette question, que les institutionnalistes résolvent a priori en disant que l’«analyse institutionnelle» est capable de transformer les institutions, exige une observation attentive de ce qui se passe dans la vie sociale.

 

Une telle observation a été effectuée, ces dernières années, par un groupe de recherche sur les systèmes de valeur (ARVAL) représenté par Pierre Bréchon et Olivier Galland. Cela a donné lieu à deux livres importants : Les valeurs des français (2000) et La nouvelle société française (2001).

 

La méthode originale utilisée est l’analyse intergénérationnelle. Elle consiste non pas à interroger les mêmes personnes à des moments différents de leur vie, comme on le fait généralement, mais à interroger des personnes différentes, ayant toutes un certain âge (par exemple 20 ans, 30 ans 50 ans, etc.) à certaines dates précises (1981, 1990, 1999). Ainsi, on peut arriver à comprendre ce qui différencie par exemple des jeunes ayant eu leurs vingt dernières années entre 1961 et 1981 de ceux qui ont eu leurs vingt dernières années entre 1970 et 1990. On peut ainsi repérer l’influence qu’a eue, sur des jeunes ou des moins jeunes,  le contexte social durant les « trente glorieuses » de celle qu’a eue le contexte social depuis 1970.

 

Il se trouve que les valeurs qui sont mises en avant à  une certaine époque ont un impact direct sur les institutions, déterminent la manière dont elles sont vécues.

 

On trouve en effet en gros que les gens ont évolué, entre 1981 et 1999, en affirmant de plus en plus leur individualisme, c'est-à-dire en refusant de plus en plus qu’on les oblige à faire des choix, tout en valorisant de plus en plus les grandes institutions et les systèmes hiérarchiques traditionnelles, liées à l’autorité. Autrement dit, ils sont prêts à adhérer de plus en plus aux valeurs traditionnelles, à condition qu’on les laisse libres de faire cette démarche eux-mêmes. Ils veulent être les artisans de leur propre aliénation.

 

Or, l’étude constate parallèlement que les institutions n’ont guère changé entre 1981, 1990 et 1999. « Le changement, disent les auteurs, l’emporte nettement dans les mœurs gagnées par la montée irrépressible de l’individualisme, c’est-à-dire du souci de plus en plus affirmé des personnes d’être totalement libres de leur choix ; mais les institutions qui encadrent les français ont vu finalement leur organisation assez faiblement modifiée au regard de la profonde transformation des attitudes individuelles ». Ceci veut dire que les attitudes vis-à-vis des institutions changent profondément, alors que les institutions elles-mêmes ne changent pas. L’école par exemple ne varie pas, mais les attitudes envers elle se modifient.

 

On ne peut mieux affirmer à quel point les institutions sont dépendantes de l’esprit général, des événements historiques, de la vie sociale et humaine dans son ensemble. Il est donc vain, dans ces conditions, d’essayer de faire évoluer les institutions en se centrant essentiellement sur elles, ce que propose justement l’ «analyse institutionnelle».

 

Il est bien préférable de se centrer sur les individus et de leur apprendre à vivre autrement les circonstances qui leur arrivent. C’est le but d’autres méthodes que les méthodes institutionnelles, par exemple les «groupes de développement».

 

LA PLACE DE L’INSTITUTION

 

Etant donné cette dépendance de l’institution à l’égard de la vie sociale, on peut revenir au point de départ et se demander quel rôle joue exactement cette entité dans la vie sociale en général.

 

La tentation serait, à mon avis, de croire qu’elle lie les hommes les uns aux autres et qu’elle est responsable de leurs mouvements collectifs, des événements historiques.

 

C’est prendre l’effet pour la cause et risquer de considérer qu’il existe des unités séparées, nations, familles, entreprises, etc., ce qui est une forme de racisme. Ce n’est pas l’institution qui lie mais elle suppose que le lien existe antérieurement. Elle vient seulement confirmer ce lien et permettre qu’il soit vécu quotidiennement. 

 

Ce lien est parfois difficile à apercevoir, car il résulte de forces profondes. C’est le problème posé dans ce livre extraordinaire qu’est le traité de La servitude volontaire(1550) de La Boétie. « C’est le peuple, dit-il qui s’asservit, qui se coupe la gorge, qui, ayant le choix d’être assujetti ou d’être libre, lâche sa franchise et prend le joug ; qui consent son mal ou plutôt court après ». En effet, les gens s’assujettissent à Napoléon ou Hitler parce qu’ils espèrent être protégés, sauvés par ces héros tutélaires, ce qui est évidemment l’illusion par excellence. Mais cette illusion est la chose du monde la plus répandue. La Boétie remarque qu’elle affecte des millions d’hommes.


Le lien est donc bien plus large qu’on ne le croit et dépasse le morcellement du aux institutions. C’est lui qu’il faut renforcer ou dénoncer, adorer ou combattre.C’est le lieu par excellence du travail social.

 

Et pourtant, il y a un moment où on rencontre l’institution particulière dans laquelle on se trouve. Ce sont ces gens-là, ces pratiques-là, souvent des amis, des proches qu’il faut affronter, parce qu’ils sont là, près de vous, autour de vous. C’est à travers eux qu’on peut toucher le phénomène structural. Le risque est grand de croire qu’on peut en rester là et de désigner comme adversaire essentiel cet adversaire particulier. On se trompe alors d’adversaire.

 

C’est, à mon avis, ce qui est arrivé à Georges Lapassade. Dans sa rage de combattre, qui était énorme et qui le caractérisait, il a cru qu’on devait s’attaquer aux proches, aux structures locales. Comme c’est elles qu’on rencontre dans un premier temps, on croit faussement que c’est à elles qu’il faut continuer à s’attaquer. Les révolutionnaires à la manière de Robespierre qui ont eu à couper des têtes et à prendre la Bastille dans une phase initiale, s’imaginent qu’il suffit d’accroître et de généraliser ce type d’action pour établir une nouvelle société. La terreur qu’ils installent ne fait que compromettre leur cause, non la faire avancer.    

 

Comme l’action qu’ils entreprennent est opaque, puisqu’elle ne s’attaque pas au bon objectif, ils développent  toute une théorie des «analyseurs», qui a pour but de débusquer l’opposant, en repérant les traces qu’il laisse derrière lui. Dans cette chasse à l’opposant, au méchant, on se perd, on s’embrouille, croyant voir partout des « retours du refoulé », là où il n’y a que des suites d’options claires et manifestes. Le mal en réalité est ailleurs et il est très visible. Il n’est pas nécessaire de le chercher là où il n’est pas.

 

On débouche malheureusement encore sur une théorisation, dont René Lourau fut le grand artisan. C’est la théorie de « l’implication ». Cette notion, empruntée au domaine du droit (« je suis impliqué dans cette affaire ») est prise dans son acception stricte et signifie cet ensemble de donnés du contexte qui m’enserrent, m’assiègent et m’étouffent, contre lesquels je ne peux rien et qui sont censés me définir. René Lourau en a fait une méthodologie : un chercheur, un acteur social quelconque se comprend, en observant ses «implications».

 

Cette conception mécaniste fait fi d’une autre formed’implication, active celle-ci, qui permet de dire «je m’implique». C’est l’engagement de l’être dans une action qu’il choisit et qui lui permet précisément de s’attaquer aux options régnantes, répandues partout et devenues des « lieux communs », dont les institutions ne sont que des reflets.

 

Cette forme d’implication est certainement la meilleure réponse qu’on puisse donner aux problèmes de notre société.  

 

Michel Lobrot

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16 juillet 2012 1 16 /07 /juillet /2012 11:29

LA FUSION INSTITUTIONNELLE

 

Passons tout de suite à la conséquence principale qui résulte de ce système, qui va déterminer les caractères essentiels du phénomène institutionnel.

 

Etant donné la coagulation, dans un même ensemble, de gens différents et souvent opposés, il va se produire ce que j'appelle un effet de creuset. Les éléments plus ou moins artificiellement réunis vont se mettre à jouer les uns sur les autres, ce qui veut dire, dans la pratique, que les individus englobés là-dedans et qui se trouvent dans des positions et des configurations différentes vont s'influencer, se nuire ou s'entraider, évoluer les uns par rapport aux autres, se construire en référence les uns aux autres. Du magma constitué par l'institution va sortir un humain particulier, marqué profondément par celle-ci.

 

Si l’institution a, par elle-même, un tel effet sur le groupe qui est à l’origine de sa fondation et sur les gens qui en font partie, s’ensuit-il qu’elle ne fasse plus qu’un avec ce groupe et avec ces individus? N’est-il pas possible de les distinguer, voire de les opposer ? Une personne donnée, insérée dans une institution est-elle totalement identifiée à son rôle institutionnel ? Et même si elle s’en distingue, est-il possible, au moment où elle assume une fonction institutionnelle, de séparer ce qui revient à l’activité institutionnelle et ce qui revient à la personne ?

 

Questions capitales, qui ne peuvent être résolues que par une distinction entre 1-les opérations effectuées par la personne dans l’institution, et 2- ses conduites, dans cette même institution.

 

Les premières, les opérations, résultent de l’option prise par la personne vis-à-vis de l’institution et sont conditionnées par cette option. Si celle-ci consiste à accepter complètement les exigences de l’institution, les opérations que cette personne effectuera obéiront à une logique implacable, découlant des programmes, des techniques et des objectifs de l’institution. On peut prévoir ces opérations, comme par exemple les actions effectuées par les ouvriers dans une usine, les déplacements d’un voyageur de commerce, les études d’un étudiant, etc. Il y a là quelque chose de mécanique

 

Par contre, les conduites de cette personne, même insérées dans l’institution, ne dépendent pas de celle-ci, car elles ont pour premier effet de déterminer précisément le niveau d’acceptation du cadre institutionnel et du travail institutionnel. La personne peut les refuser même si elle continue à y travailler. Elle peut donner son corps, sans donner son esprit. Elle peut s’enfuir, protester, etc.

 

D’autre part, elle n’arrête pas de faire des choix par rapport aux manières de faire, à l’attention apportée, aux problèmes collatéraux, à la conception des buts, dans le vécu de l’institution. Elle peut par exemple apporter à son travail un très grand soin et mettre à son service un savoir approfondi comme elle peut l’effectuer avec détachement et indifférence. Cela ne dépend pas uniquement des contraintes qu’elle subit et même ces contraintes, elle peut y réagir de différentes façons.   

 

Enfin et surtout, la personne a une vie hors de l’institution, qui réagit forcément sur la vie institutionnelle, qui influe sur sa personnalité. Elle a des loisirs, des aspirations, etc.

 

Malgré cette séparation évidente entre la vie institutionnelle en tant que système opératoire et les options institutionnelles qui découlent des choix généraux des individus, certains qu’on appelle institutionnalistes, pensent que tout changement social passe nécessairement par le changement institutionnel.

 

Leur position présuppose que 1- les institutions modèlent les individus, qui ne peuvent évoluer que si on change radicalement les institutions  et 2- qu’elles ne peuvent être changées elles-mêmes que si on se centre sur elles, en tant qu’elles ont une certaine structure et un certain esprit, en faisant ce que Georges Lapassade appelle une « analyse institutionnelle ».

 

Ce sont, à mon avis, deux erreurs que je vais essayer de comprendre.

 

LE POUVOIR DE L’INSTITUTION

 

Le postulat des institutionnalistes est que l’institution exerce sur ses membres un pouvoir considérable, tellement grand qu’un individu ne peut jamais prétendre en être libéré tant que l’institution n’est pas abolie. Autrement dit, pour eux, le travail qu’on fait pour changer les individus ne sert à rien tant qu’on n’a pas mis en place une machine destinée à dénoncer et supprimer l’institution elle-même, machine qu’on appelle « analyse institutionnelle ».

 

La thèse est importante car elle aboutit, si on la prend au sérieux, à enlever toute légitimité à tous les organismes de formation et de soins qui prétendent changer les individus.

 

La pensée de Georges Lapassade, inventeur de cette théorie, est claire et sans ambiguïté. « Les institutions, dit-il, ne sont pas seulement des objets et des règles visibles à la surface des rapports sociaux. Elles présentent une face cachée (sic). Celle-ci que l’analyse institutionnelle se propose de mettre à jour, se révèle dans le non-dit. Cette occultation est le produit d’un refoulement. On peut parler ici de refoulement social, qui produit l’inconscient social (……..) La mise en lumière du non-dit, du censuré a été l’œuvre de ces deux « perceurs de masque » que furent Marx et Freud » Ce texte de Socianalyse et potentiel humain, de 1975, s’ajoute à beaucoup d’autres où Lapassade dénoncel’illusion de la non-directivité et de toutes les méthodes du même genre, dans lesquelles les moniteurs continuent à avoir un pouvoir, à mettre en place des dispositifs qui viennent d’eux. L’institution, quelle que soit ses intentions, est donc condamnée d’avance.

 

Une théorie aussi radicale n’est pas acceptable. On peut se demander par quel miracle une réalité comme l’institution qui est clairement mise en place pour remplir certains objectifs précis, comme je l’ai montré, est capable de se muer brusquement en une sorte demonstre insidieux et malveillant, qu’il faut repérer et dénoncer et qui doit être à tout prix neutralisé.

 

Cela fait penser immédiatement à Freud qui, pour jeter la suspicion sur les actes mêmes que nous effectuons et dont nous croyons disposer nous-mêmes, imagine que ces actes sont en réalité fabriqués par une machinerie cachée -l’Inconscient-, qui transforme à notre insu des désirs refoulés en quelque chose qui les réintroduirait, sans qu’ils soient reconnaissables.

 

Nous sommes dans l’univers du soupçon et surtout du pouvoir, car les analystes, aussi bien freudiens qu’institutionnels, sont les seuls à pouvoir pénétrer ces forces dissimulées dans des supposés appareils.

 

Les gens qui ont cette position négligent simplement le fait que les actes que nous effectuons dans et pour l’institution ne sont que très partiellement des produits de l’institution même. Ils ne le sont, comme je l’ai montré, que sous leur aspect opératoire, non en tant que décisions raisonnées, qu’actes humains motivés et finalisés.

 

Nous avons toujours besoin pour poser un acte, institutionnel ou non, de nous référer à des considérations particulières ou générales, qui appartiennent à tous les domaines de la vie sociale. Et même l’adhésion à l’institution fait partie de ces choses. Par exemple, si nous sommes en guerre, le problème se pose de savoir si nous allons accepter de nous laisser enrôler. Ceci est antérieur à la participation même à la vie de l’armée. Si nous sommes des jeunes non insérés dans la vie, le problème se pose de savoir si nous allons fonder une famille. Nous n’arrêtons pas de poser des actes qui nous situent dans les institutions et qui modifient celles-ci de l’extérieur.   

 

Il résulte de cela que l’influence de l’institution est très limitée. Ce n’est pas tellement aux institutions que nous nous heurtons qu’à la société dans son ensemble, à ses traditions et surtout aux humains proches et lointains. Ce sont eux qui nous influencent et nous forment. Nous sommes face à des personnes, non face à une machinerie institutionnelle.

 

Quand nous croyons avoir à faire avec l’institution, nous avons à faire avec des humains. Ils sont toujours là, derrière les institutions, les utilisant à leur profit et selon leurs caprices. Que ce soit dans l’armée, l’église, l’école, l’hôpital, la prison, il faut voir, derrière chaque pratique apparemment froide et abstraite, l’action d’une loi votée par des hommes, d’une stratégie mise en place par eux, d’une intention plus ou moins claire.

 

Contrairement à ce que pense Georges Lapassade, nous pouvons facilement nous dissocier de l’institution dans laquelle nous sommes et même l’ignorer presque complètement. Ceci est d’expérience courante. Combien d’ouvriers ne travaillent que pour gagner leur pain et se désintéressent de l’entreprise, combien de patrons ne cherchent que le pouvoir social. L’esprit des armées dépend en grande partie d’idéaux inculqués de l’extérieur, comme par exemple : « L’obéissance fait la force des armées ». Les Soldats de l’an II qui nommaient leurs officiers, les maquisards, les combattants vietnamiens, les terroristes n’ont pas les mêmes valeurs que les soldats d’armée régulière et ces valeurs précèdent l’institution militaire, la justifient, bien qu’elles aient une autre origine. Les prisonniers dans les prisons n’apprennent rien dans ce lieu sinon à vouloir recommencer comme avant.

 

Michel Lobrot

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15 juillet 2012 7 15 /07 /juillet /2012 10:28

L’institution

 

Le mouvement institutionnel en psychothérapie, pédagogie et politique est apparu après la dernière guerre en Amérique et en Europe et s'est caractérisé, dès sa naissance, dans les années 1950, comme une pratique sociale plus que comme une théorie. Son idée de base était qu'il fallait changer les institutions, leur manière de fonctionner, leur esprit. Ce faisant, il rompait avec la tradition révolutionnaire du 19ème siècle et du 20ème siècle qui prétendait changer d'en haut la société, au niveau de son régime politique et de son organisation globale. Au lieu de donner la première place aux structures sociales, dans une vision de type durkeimienne, il donnait la première place aux rapports sociaux, aux acteurs humains. Une telle modification avait un caractère radical. Elle impliquait en effet une autre vision de la société, donc une nouvelle théorie.

 

Cette théorie, les praticiens du mouvement institutionnel ne l'avaient pas toujours en tête. Elle était cependant là et assurait la validité de leur démarche.

 

En quoi consistait cette théorie ? Quels étaient ses inspirateurs ? Quels étaient ses postulats ?

 

A vrai dire, cette théorie n'a jamais été vraiment définie et élaborée systématiquement. Elle est toujours restée plus ou moins sous-entendue. Les institutionnalistes, comme on les appelait, se réclamaient tantôt du marxisme, sous sa forme gauchiste, tantôt du freudisme, sous sa forme lacanienne. Ils avaient du mal à rester eux-mêmes, indépendants.

 

C'est pourquoi, je vais essayer, dans ces quelques pages, de présenter la  théorie sous-jacente au mouvement institutionnel.

 

QU'EST CE QUE L'INSTITUTION ?

 

La notion d'institution est ancienne, par exemple celle d'"institution chrétienne "(Calvin). Cependant, elle n'a jamais été au premier plan dans la pensée sociologique ou anthropologique. C'est qu'en effet, elle est loin de pouvoir recouvrir la totalité de la réalité sociale. C'est précisément ce qui en fait l'intérêt, comme nous allons le voir.

 

René Lourau, qui est le seul théoricien valable de l'idée institutionnelle et qui voulait, dans son ouvrage de 1970,L'analyse institutionnelle, la définir précisément, tombe dans un piège et cherche à l'étendre à l'ensemble des phénomènes sociaux. " Une norme universelle, dit-il, ou considérée comme telle, qu'il s'agisse du mariage, de l'éducation, de la médecine, du salariat, du profit, du crédit, porte le nom d'institution " (p.9).

 

Bien au contraire, je pense qu'il est important de poser que l'institution n'est pas co-extensive à la réalité sociale et ne peut se ramener à l'idée générale de norme, par quoi Durkheim définissait celle-ci. Une telle réduction n'est possible que si on regarde la vie sociale de loin et qu'on y voit seulement un ensemble de cadres, qu'on peut considérer alors comme contraignants. Ils  le sont au sens où une catégorie générale, celle d'"oiseau" par exemple, s'impose à tous les oiseaux. L'imposition ne concerne pas alors un processus formateur, mais une abstraction généralisante.

 

L'institution apparaît à un certain moment dans l'évolution sociale et à ce moment seulement. Cela se produit quand un groupe humain, existant précédemment sur un mode informel ou spontané, cherche à acquérir une permanence, une stabilité et une pérennité.

 

Pourquoi le fait-il ? Les raisons peuvent être multiples. Une, parmi d'autres, est l'importance qu'on attache au groupe, le fait qu'on veut en profiter au maximum, la volonté de s'en nourrir, d'en vivre. On décide alors de se constituer en organisation, de faire une "constitution" qui va régir par la suite l'ensemble des activités.

 

Il serait tentant de limiter l'espace occupé par l'institution aux seules activités utilitaires et sécuritaires, qui ont en effet un caractère vital. D'une part, il est impossible de couper complètement ces activités de celles que j'ai appelées hédoniques (fondées sur le plaisir) dansL'aventure humaine (1999). D'autre part les activités hédoniques elles-mêmes, d'ordre mental ou somatique, ont besoin de permanence et de fixité. On peut fonder une institution pour la recherche philosophique ou le développement humain ou la défense de la culture.

 

Il est probable que le processus institutionnel a pris de plus en plus d'importance au fur et à mesure que l'urbanisation s'accroissait dans le monde moderne. Le phénomène de la ville, étudié par de nombreux auteurs contemporains comme Georges Simmel ou les chercheurs de l'école de Chicago, entraîne en effet l'existence d'un très grand nombre de groupes, qui se chevauchent, se menacent et se concurrencent. Il est important que chacun trouve son territoire à lui, se protège et affermisse ses bases. Cela se fait à travers l'institutionnalisation.

 

Il en résulte, très probablement, cette conséquence très grave que j'analyserai et qui affecte le mouvement institutionnaliste, à savoir l'inflation institutionnelle, la tendance à l'enflure monstrueuse de l'institution.

 

LES MOYENS DE L'INSTITUTION

 

Comment une institution réalise-t-elle son but, qui est de stabiliser et pour ainsi dire de cristalliser le groupe, quel que soit celui-ci, quelle que soit son importance ?

 

J'aperçois trois processus qui permettent de réaliser cela, à savoir : 1- la création d'une base matérielle et financière plus ou moins importante, 2- la définition d'idéaux,  de normes et d'objectifs d'une manière solennelle et intemporelle, fondée sur une constitution et un contrat, 3- la mise en place de cadres et de pratiques bien définis et rigoureux, qui deviennent rapidement des rites et s'inscrivent dans des traditions. Talcott Parsons, dans un livre de 1956 (Economy and Society) distingue, pour sa part, cinq processus du même genre, qu'il obtient en décomposant le moyen que j'ai placé en 2 et celui que j'ai placé en 3. Il ne parle pas de la base matérielle.

 

Tous les processus précédents nécessitent, pour exister, une fondationqui est la fondation de l’institution. Celle-ci est généralement l’œuvre d’un individu ou d’un groupe qui possède certaines aptitudes particulières et qui marque l’institution de leur empreinte. Ils lui communiquent un certain esprit et sont, pour cette raison, admirés et respectés. Ce sont les pères fondateurs, qui dépassent sans cesse l’institution et qui ne peuvent se confondre avec elle, puisqu’ils l’engendrent.

 

On aperçoit là que l’humain précède sans cesse l’institution et la contrôle en permanence. On n’arrête pas, dans une institution, de revenir aux origines et les dirigeants se valorisent par leur rattachement à ces origines. Bien loin d’être les serviteurs de l’institution, ils la dominent, comme les fondateurs eux-mêmes, affirmant leur gloire personnelle et le respect qu’on leur doit.      

 

La nécessité d’une fondation pour créer l’institution prouve, si cela était nécessaire, que l’institution ne se confond pas avec la vie sociale. S’il en était ainsi, si l’institution, comme le pensait Lourau était l’essence de la vie sociale, le groupe ne pourrait pas exister antérieurement à l’institution. Il coexisterait avec lui, ne pourrait en être distingué. L’institution n’est qu’un moment de la vie sociale, un moyen nécessaire. 

 

Michel Lobrot

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