Benyounès Bellagnech
Echos du débat sur le journal
Bonjour Nathalie, Houria, Elodie, Manon, Maude, Amélie, Annie et à celles et ceux qui veulent intervenir dans ce forum.
Une tentative de me souvenir de ce que j'ai écrit vendredi et qui est perdu.
Vos interventions confirment que vous êtes bien avancés dans la pratique du journal, ce qui permet un débat ouvert et diversifié sur les questions de la pratique du journal et de sa théorisation. Notre discussion est à ses débuts et l'expérience démontre que tout commencement est difficile et parfois source d'angoisse, reste à trouver comment franchir les premiers pas.
Etant donné que le journal est assimilé, j'ose dire que vous avez des notions sur la pédagogie institutionnelle. Par delà la connaissance livresque de cette tendance pédagogique, je vais vous raconter une histoire vécue dans le cadre des mardi de l'analyse institutionnelle avec René Lourau. Le cours de René, est institutionnellement destiné aux étudiants de DEA (équivalent de Master) mais ouvert à tous même à ceux qui ne sont pas inscrits à la fac, débute à 14 h. Nous arrivons dans la salle A428, nous nous installons. René peut être là avant ou à l'heure ou en retard, tout dépend de ce qu'il a à faire entre midi et 14h. Il arrive, s'installe à nos côté, sort son cahier et se met à lire son journal(Libération) pendant ce temps, nous les étudiants nous nous regardons les uns les autres ou nous regardons René. L'attente s'allonge et l'angoisse gagne les visages avec je suppose des questions silencieuses et à l'intérieur de chacun sur ce qui va se passer. On a l'impression d'être dans l'éternité d'attente, jusqu'au moment où René lui-même balance une information d'actualité ou quelqu'un d'entre nous balance une idée ou une question, c'est à cet instant que le séminaire démarre jusqu'à 17h . Par la suite nous nous dirigeons ensemble vers Le Khédive, bar situé en face de la Basilique de Saint-Denis où nous poursuivons le séminaire jusqu'à 19 ou 20h. Lorsque nous nous séparons le soir, nous n'avons qu'une envie, c'est celle de revenir mardi suivant pour faire la fête.
C'est un exemple concret de la pédagogie institutionnelle et de son efficacité, à la fois pour répondre aux situations de blocage, source d'angoisse, et pour donner envie de progresser dans la joie de vivre et la bonne humeur. Il faut ajouter que la validation se fait uniquement sur la présence et qu'il n'y a pas d'examen à la fin de la session. Je vous laisse faire la comparaison entre la pédagogie institutionnelle et la pédagogie classique dominante.
L'analyse institutionnelle est à l'origine de l'institutionnalisation de la pratique du journal qui appartenait depuis longtemps au domaine publique, car elle relevait de l'écriture en général et parfois du domaine privé comme le journal intime. Avec l'analyse institutionnelle le journal est rentré dans le domaine de la recherche et il est devenu une partie intégrante de la recherche. J'en ai fait l'expérience dans ma recherche que l'on peut consulter sur Internet (Dialectique et pédagogie de possible,.. )
Je suis rassuré que l'étape du début de l'écriture du journal est franchie pour la majorité d'entre les participants à ce forum. Je constate également l'envie ou le désir d'écrire chez vous, toutefois je n'ai pas relevé le non désir d'écrire le journal. Pour rester un peu dans la dialectique du désir et du non désir, je rappelle une petite histoire. Samedi 14 avril, au réveil on me dit que La Syrie vient d'être bombardée par trois grandes puissances, l'information est bouleversante car il y a une crainte d'une guerre totale si la Russie venait à riposter. Je vais sur les réseaux sociaux et je tombe sur une autre information provenant du Maroc où des centaines de détenus politiques auraient été torturés et violés dans les prisons. Je vous laisse imaginer quel effet peut avoir ce genre d'informations sur vous dès le réveil. Je me retrouve dans un état où je ne peux même pas écrire le journal. Je devais aussi intervenir dans le forum dimanche dernier, mais je ne me sentais pas capable de le faire. Je considère donc que le non désir est un moment qui nous guette pour des raisons diverses et dieu sait que la vie quotidienne ne manque pas de problèmes qui parfois paralysent certaines activités comme la lecture ou l'écriture du journal. Notre pratique diaire doit tenir compte du non désir en tant que moment et l'intégrer dans notre manière de réfléchir et d'agir.
Par ailleurs, la France connaît en ce moment un grand mouvement social y compris à l'université investie par la police sur différents campus. Est-ce que cela n'interroge pas l'étudiant en ligne inscrit à l'université. Le journal qui reflète le mieux la réalité de chacun peut-il faire l'impasse sur ce qui se passe autour de soi ?
Elodie et Maude évoque la question du journal et les réseaux sociaux. Je partage le questionnement tout en rappelant que j'ai tenté une expérience malheureuse en la matière. Il y a quelques années je décide d'écrire le journal directement et le diffuser sur un blog intitulé le journal commun. Je ne prends aucune précaution, j'écris tout et le diffuse sur le champs sans aucun retour réflexif. Je commence à lire un journal d'un écrivain et je le commente directement sur le blog. Quelques jours plus tard, je me renseigne sur l'auteur et je découvre qu'il est un théoricien de l'extrême droite. J'arrête tout. J'arrête d'écrire le journal, le blog et je prends du retrait. Je me contente de lire et de réfléchir, mais je n'écris pas.
Si je suis d'accord avec l'idée de considérer les réseaux sociaux comme un journal collectif, du fait de sa richesse au point même de remplacer la réalité parfois, un recul réflexif me semble nécessaire pour appréhender ce phénomène qui commence à coloniser notre espace-temps. Je crois qu'il faut encore creuser la question pour trouver un usage intelligent de ce nouvel outil de vie et communication.
Avant de conclure cette intervention, je jette un œil sur mon cahier et relis les notes de vos interventions qui représentent une référence pour la pratique du journal et J'y adhère. Je remercie Amélie pour le partage de sa lecture de Montaigne. Je ne cite pas dans l'ordre : Nathalie et comment dépasser l'angoisse du début. Houria et le partage d'expérience. Elodie et son interrogation sur le futur du journal dans ce monde du numérique et des réseaux sociaux. Manon avec l'expérimentation des journaux de voyage. Maude et son questionnement sur le réseaux sociaux en tant que journal collectif. Annie et le cheminement avec le journal et Marina évoquant l'angoisse qui a inspiré mon début d'intervention ainsi que ses qualificatifs du journal : réflexivité, spontaneité, implication et découverte de soi.
Vvos interventions sont une source de connaissances et de réflexion pour le lecteur que je suis.
Lorsqu'on comprend tout ce que chacun de nous apporte au groupe, nous mesurons bien l'intérêt de la pédagogie institutionnelle que nous faisons notre dans ce forum.
Bon courage et à très bientôt
Introduction au forum des diaristes -2018
Le philosophe ne cherche pas la vérité mais la métamorphose du monde dans les hommes : il lutte pour la compréhension du monde avec la conscience de soi. Il lutte en vue d'une assimilation : il est satisfait quand il a réussi à poser quelque chose d'anthropomorphique. De même que l'astrologue voit l'univers au service des individus particuliers, de même le philosophe voit le monde comme étant un être humain.
Nietzsche, Le livre du philosophe
J'introduis cette présentation du forum par cette citation de Nietzsche, non pas pour impressionner celles et ceux qui vont participer aux discussions que nous allons ouvrir, mais tout simplement parce qu'au moment de réfléchir à me présenter, j'étais en train de lire l'ouvrage sus-cité. Ce forum des diaristes existe depuis dix ans, des générations d'étudiants sont passés par là, peut-on se contenter de reproduire les mêmes propos chaque année ? Je ne suis pas de cet avis et je me situe également en opposition par rapport à ceux qui croient encore au cours magistral y compris en ligne.
Les mots clefs de ce texte sont la conscience de soi pour comprendre le monde et la vision du monde comme un être humain. Cette thèse nous plonge dans le journal qui serait un des moyens dont le sujet dispose pour aboutir à cette conscience de soi et par conséquent à la compréhension du monde.
De formation philosophique avant de rejoindre l'analyse institutionnelle à Paris 8, où, non seulement je découvre la pratique du journal, mais aussi le début de sa théorisation par René Lourau dans « Le journal de recherche » et Remi Hess plus tard dans « La pratique du journal ». Au contact avec les parrains du diarisme, je fais du journal mon code de conduite, pas seulement au niveau de la recherche mais dans toutes mes activités intellectuelles y compris en philosophie.
Augustin Mutuale, rencontré dans ce contexte et avec qui je partage la formation et la sensibilité philosophique, m'invite à intervenir dans ce forum en tant qu'animateur de débat et non pas en tant que professeur qui donne des cours, cela me convient très bien.
Que de chemin parcouru depuis une vingtaine d'années, en 2008, je propose dans ma thèse que l'on fasse du journal une discipline, ce n'était pas nouveau à Paris 8, mais c'était minoritaire. Petit à petit l'idée fait son chemin et la pratique du journal se répand à Paris 8 et ailleurs. Toutefois, ce que l'on entend par discipline ne signifie pas qu'il suffit d'enfermer la pratique du journal dans un cours limité à quelques références, bien au contraire, et là où intervient notre sensibilité philosophique, c'est une ouverture sur l'universel, sur le monde ; le journal est une question universelle.
Nous sommes passés par ce que l'on appelle le journal « intime » au journal pédagogique, journal de recherche, journal de route, journal de lecture, on peut continuer à l'infini à créer des journaux avec des titres nouveaux. Pourquoi donc ? A quoi cela sert-il ?
Ma pratique du journal se résume dans l'écriture du journal, dans la lecture des journaux et surtout dans le questionnement de tout cela du point de vue cité ci-dessus, c'est-à-dire du point de vue philosophique. Des lectures récentes de journaux d'artistes, de philosophes, de romanciers, d'avocat, policier, urgentiste, banquier, voyageur etc, m'ont permis à aboutir à cette conclusion qui se résume dans l'ouverture sur le monde réel décrit par ceux qui vivent dans ce monde. Là où l'institution universitaire tend à enfermer la connaissance dans un congélateur, la vie continue, le journal et là pour la décrire et la comprendre voire la changer.
En ce moment j'essaie de réfléchir sur la question des médias, notamment des réseaux sociaux et leur impact sur la pratique du journal. La place de cette pratique millénaire dans un monde où la technique ou les nouvelles technologies de communication prennent davantage de place dans l'espace-temps et dans la vie de tous.
Ce forum est donc largement ouvert sur les questions que chacun peut se poser sur la théorie et la pratique du journal, c'est notre agora, on y vient pour poser des questions, répondre à son camarade, partager des connaissances avec les autres, résoudre des problèmes lorsque l'on pense que ce type de socialisation le permet. Ma disponibilité physique étant limitée, mais je tâcherai quand même à vous lire et à participer à votre débat.