Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Présentation

  • : Le blog de Benyounès Bellagnech
  • : Analyse institutionnelle : Théorie et pratique au sein des institutions politiques, éducatives et de recherche. L'implication des individus et des groupes dans la vie politique et sociale.
  • Contact

Recherche

23 mai 2019 4 23 /05 /mai /2019 14:08

La crise hégémonique et son avenir (5)

 

Le gros marronnier de l’« hégémonisme chinois » qui cache la forêt de la formation hégémonique réelle

 

Le paralogisme (le sophisme) qui revient constamment dans la rhétorique qui dénonce l’hégémonisme chinois est le suivant : la montée en puissance chinoise est visible dans tous les domaines, donc la Chine aspire à se rendre « maître(sse) du monde. Ou bien encore (mais cela est plus difficile à énoncer, vu la propriété de l’hégémonie réelle qui est de se rendre indétectable), la Chine des nouveaux empereurs, l’Empire du Milieu restauré et saisie par une frénésie de puissance expansionniste, veut prendre la place des Etats-Unis. Mais ce n’est pas le moindre des défauts de cette manière de présenter l’affrontement en cours que d’être totalement ahistorique, indifférente à la genèse des puissances étatiques aux prises dans cette rivalité.

En effet, l’hégémonie américaine, telle qu’elle s’est progressivement établie dans le prolongement des deux guerres mondiales est indissociable de la genèse même de l’Etat américain (Les Etats-Unis), de ce qui le définit en propre : le fait même que cet Etat, des origines à nos jours, s’est formé comme une machine de guerre portée par une dynamique d’expansion, constamment en quête de nouveaux espaces, de nouveaux territoires, de nouvelles frontières. Bien avant de se déployer à l’échelle mondiale, ce processus s’est mis en place dans l’espace nord-américain, avec la conquête de l’Ouest, la mise au pas du Sud esclavagiste, la spoliation du Mexique auquel d’immenses territoires ont été arrachés à la suite de campagnes de brigandage. Ce processus s’est projeté au tournant du XIX° siècle à l’extérieur du continent, avec la guerre contre l’Espagne dont résulte la mainmise sur Cuba et les Philippines. La forme ouvertement « impériale » de l’hégémonie américaine qui se met en place après la Seconde Guerre mondiale est indissociable de cette matrice guerrière et conquérante. Le principe de base de la poursuite de l’expansion états-unienne, c’est celui de la frontière ouverte – sur quelque front qu’elle se situe, une frontière demeure toujours ouverte, propice à une nouvelle poussée expansionniste. En d’autres termes, que les Etats-Unis soient engagés dans la conquête des marchés, dans la confrontation avec une autre superpuissance (l’Union soviétique pendant la Guerre froide), dans des expéditions néo-coloniales et impérialistes (la guerre du Vietnam), dans des campagnes contre-insurrectionnelles, dans la promotion conquérante de la démocratie de marché et de l’idéologie des droits de l’homme, dans la mise en œuvre de la stratégie du chaos – ils sont toujours en guerre, sous une forme ou sous une autre, au point que l’on peut dire, inversement, que le moteur du perpétuel « rajeunissement » de leur hégémonie, c’est la guerre. En ce sens même, soit dit en passant, l’Etat d’Israël est un pur et simple clone des Etats-Unis et pas seulement un allié sûr – une copie en modèle réduit, une « reprise » de l’histoire de la « frontière ouverte », dans les conditions du Proche-Orient11. La seule chose qui change, si l’on peut dire, c’est la localisation de la frontière ouverte – à l’Ouest dans un cas, à l’Est dans l’autre…

 

La constitution impériale (indéniable) de l’Etat chinois est d’une espèce toute différente. Dans leurs rêves de grandeur les plus fous, les dirigeants chinois contemporains ne conçoivent d’aucune manière une Pax sinica imposant ses conditions au monde, sur le modèle de la Pax Americana aujourd’hui en crise. Les relais qu’ils installent un peu partout dans le monde aujourd’hui, de Djibouti à Trieste en passant par la Malaisie et Dubrovnik ou le port du Pirée, dans le cadre du grand dessein Belt and Road, sont avant tout destinés à servir de points d’appui à l’essor de leurs échanges commerciaux et de l’expansion de leur économie. Ils ne sont pas portés à projeter leur puissance militaire à l’échelle du monde, à installer des bases ou déployer des flottes destinées à quadriller une région entière, sur des continents situés à des milliers de kilomètres du territoire chinois. La restauration de la grandeur chinoise dont ils se targuent d’être les artisans ne passe aucunement par l’adoption des mêmes dispositifs, elle ne s’inspire pas du tout des mêmes dispositions que ceux qui ont présidé à la formation de l’empire américain qui est quand même, avant toute chose, un empire militaire. Le Japon n’est pas seulement l’allié solide des Etats-Unis en Asie de l’Est, il est aussi pour eux un point d’appui militaire, une base où, y compris, transitent et d’où sont susceptibles d’être mis en oeuvre des armements nucléaires – ceci en dépit de tous les accords et traités existants12.

 

C’est une musique toute différente que fait entendre le Make China great again des dirigeants de Pékin. Je n’irais pas jusqu’à dire que celle-ci est forcément avenante, le supercapitalisme et l’idéologie de la croissance dont ils se font les promoteurs enthousiastes vont à contresens de tous les avertissements que nous lancent le réchauffement climatique et les maux innombrables dont le néo-libéralisme en vogue accable les sociétés occidentales – en Europe et tout particulièrement aux Etats-Unis… Je ne dis pas que cette musique est avenante, je dis simplement qu’elle pourrait difficilement être pire que celle qui, depuis maintenant un siècle a accompagné la formation de l’empire américain et la suite ininterrompue des désastres et des crimes qui l’ont accompagnée comme son ombre.

 

(....)

 

Alain Brossat

 

Publié le 17 avril 2019

https://entreleslignesentrelesmots.blog/2019/04/17/la-crise-hegemonique-et-son-avenir/

Partager cet article
Repost0

commentaires