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  • : Le blog de Benyounès Bellagnech
  • : Analyse institutionnelle : Théorie et pratique au sein des institutions politiques, éducatives et de recherche. L'implication des individus et des groupes dans la vie politique et sociale.
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31 août 2018 5 31 /08 /août /2018 16:23

Le moment révolutionnaire

 

 

 

L’histoire universelle nous apprend que la révolution peut se déclencher dans tel ou tel pays à un moment ou un autre. Le sens universel de la révolution reste le même, c'est-à-dire que le peuple, dans son ensemble ou en partie, se soulève contre l’ordre établit et le remplace par mieux souvent ou pire rarement. Si l’universalité de la révolution se confirme à chaque fois, ce n’est pas le cas du moment révolutionnaire. La caractéristique principale du moment est sa particularité. Le moment de la révolution tunisienne est différent de la révolution française, iranienne, russe, chinoise ou cubaine, etc…

 

Mon propos sur la révolution tunisienne ne vient pas seulement s’ajouter à ce que l’on peut lire ou entendre ici ou là sur ce qui se passe en Tunisie, bien que cela me semble intéressant, étant donnée que toute révolution produit aussi son propre discours politique, idéologique, organisationnel et poétique ; mais je vais tenter une approche du moment révolutionnaire à partir de la théorie des moments initiée par Henri Lefebvre et développée dans le cadre du courrant institutionnaliste. Ainsi le moment ne se réduit pas uniquement à une référence au temps ou à l’espace ou à l’histoire, à l’individu ou encore à la société, d’une manière isolée, mais le concept englobe tous ces éléments en même temps dans une unité permettant un regard – la théorie ne serait pas qu’un regard un peu sophistiqué par les mots jetés sur ou collés au réel – voire une nouvelle interprétation des événements.

 

Dans un reportage télévisé, un journaliste tentait de décrire ce qu’il observait et fini par lâcher le mot : C’est le chaos ! Eh bien c’est ce mot chaos qui me sert de guide pour décrire le moment révolutionnaire en Tunisie. Depuis quatre semaines le pays est entré en transe, entendu comme état de conscience modifié. La vie quotidienne des citoyens et du pays est modifiée, le temps n’est plus le même, l’occupation de l’espace change. La rue est occupée en permanence par des manifestants qui se déplacent librement vers des cibles précises de l’ennemi désigné. Des symboles s’écroulent et des tabous tombent, Internet jusque là interdit sert de lien et d’information sur le déroulement des événements. La peur change de camp et la crainte de mourir aussi. On fait ce que l’on ne fait pas d’habitude dans la rue, c’est-à-dire marcher en scandant des slogans, en chantant des chansons ou en récitant des vers célèbres de poésie ou en dansant. On ne peut pas imaginer ce qui se passe dans chaque foyer ou chaque rue, les discussions, la nouvelle organisation, les lendemains, la pénurie des denrées alimentaires ou de carburant.

 

Qui peut prétendre décrire tout ce qui se passe tellement cela bouge dans tous les sens et dans tous les domaines de la vie quotidienne des tunisiens et pas seulement en Tunisie mais aussi ailleurs d’une manière différente bien évidemment. C’est tout cela qui désigne le moment révolutionnaire qui est certes limité dans la durée en tant que moment mais qui a cette particularité d’être autre chose que le temps et la vie habituelle dans sa continuité. C’est une sorte de rupture ou de suspension de ce que l’on appelle la vie normale d’un pays.

 

La part subjective du moment révolutionnaire est traduite ici par ces propos qui tentent de se limiter au moment révolutionnaire. Ceci ne prétend pas négliger le débat qui se veut rationnel sur les événements et leurs conséquences politiques, économiques ou idéologiques. Toutefois, il m’a semblé utile d’amorcer un débat sur le moment révolutionnaire en tant que tel, car en l’approfondissant on peut mieux comprendre les aspects souvent négligés dans le temps dit normal : l’individu, ses aspirations, ses sentiments, son rapport à l’éducation, à la technique, à la politique et son rôle en tant que sujet ou acteur.

 

Chaque révolution donne lieu à son moment révolutionnaire qui fait sa particularité et les tunisiens ont vécu leur moment révolutionnaire.

 

Benyounès Bellagnech

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19 août 2018 7 19 /08 /août /2018 11:25

 

Révolté

 

Dans la nuit du 12 au 13 juillet j'ai été appelé par l'hôpital pour une greffe de rein. Depuis cette date mon absence sur les réseaux sociaux et sur mon blog a probablement été remarquée et je pense à mes posts quotidiens sur les prisonniers politiques au Maroc. Une semaine après l'opération et les soins intensifs, j'ai été en capacité de reprendre mon suivi quotidien de la situation au Maroc . Je tente de me connecter pour avoir des nouvelles notamment des manifestations du 12 du 21 et 29 juillet me disant que l'hospitalisation ne va pas m'empêcher de rester en contact avec le monde extérieur.

 

J'ouvre la page sur Facebook et lis les messages provenant du Maroc, Que des mauvaises nouvelles. Les arrestations et les condamnations des militants se poursuivent, les drames humains se multiplient sur tout le territoire. Au moment où je tombe sur l'information de la condamnation de deux médecins connus pour leur professionnalisme et leur dévouement au service des malades, mes yeux commencent à m'alerter. Dois-je verser des larmes pour me soulager et poursuivre la quête de ce type d'informations ou me déconnecter pour tenter de comprendr'unee ce qui m'arrive. Finalement, devant la confusion d'une telle situation, je décide de me déconnecter complètement et me donner le temps de réfléchir en me promettant d'écrire après ma sortie de l'hôpital.

 

La condamnation des deux médecins est le déclencheur de cette réflexion. Me trouvant à l’hôpital, après une opération importante attendue depuis des années, après 12 ans d'insuffisance rénale chronique et trois années de dialyse trois fois par semaine, je rentre dans la phase après greffe que je découvre au jour le jour. On ne s'habitue pas à ce type de longue maladie chronique mais on apprend à vivre avec, c'est une lutte à mort quotidienne contre un ennemi qui vous habite ou qui cohabite avec vous. J'ai trouvé une expression pour répondre à ceux qui me demandent ce que je fais en ce moment, je réponds que je suis malade à plein temps. En tant que dialecticien convaincu, on vit la maladie comme une forme de vie avec des souffrances parfois mais aussi avec des satisfactions lorsque l'une des batailles est gagnée.

 

Mon propos ne concerne pas seulement ma maladie, car j'ai de la chance, j'écris un journal au jour le jour et j'envisage d'en publier bientôt quelques extraits. Dans la lutte contre la maladie il y a un élément déterminant dans le dispositif qui permet à ceux qui ont la chance de vivre dans un pays comme la France de combattre la maladie et de mieux vivre pendant et après la guérison. Avec un camarade et ami de longue date - la maladie nous a rapproché, lui depuis 1995 et moi depuis 2006-, à chaque rencontre notamment en dialyse, nous parlons des souffrances de nos compatriotes au Maroc et nous disons que nous avons la chance de vivre en France. En effet, les dispositifs mis en place par La République n'ont qu'un seul objectif, le bien être et le bien vivre du citoyen. Tout est mis en œuvre pour garantir la prise en charge de la maladie sur tous les plans, matériel, psychologique, familial, etc. Des établissements publiques et privés sont mis à contribution pour garantir les soins nécessaires. Pour l'anecdote, je fais référence à la photo diffusée par M6 après son opération en début d'année à la clinique Ambroise Parée à Neuilly ; bien que cette clinique soit privée elle est accessible en cas de nécessité pour tout citoyen, J'ai été opéré quatre fois dans cette clinique. Il s'agissait d'opérations ambulatoires pour la dilatation des veines de la fistule. Le roi M6, le premier voleur de l'argent des marocains ne peut pas envisager de construire des hôpitaux et des cliniques dignes de ce nom, pour prodiguer des soins aux millions de gens qui souffrent au Maroc. Sa politique criminelle consiste à faire souffrir davantage les citoyens qui souffrent de maladies diverses. Nous avons assisté récemment au traitement réservé aux Rifains qui ont réclamé un hôpital pour soigner les cancers très répandus au Rif : enlèvements, tortures, viols et enfin condamnations à de lourdes peines pour des centaines de jeunes, des enfants et violence contre les femmes. La répression ne suffisant pas, la monarchie criminelle ajoute des souffrances aux familles des détenus en éloignant les prisonniers de leur ville, ainsi des parents souffrant de cancer et d'autres maladies, pas soignées, trouvent la mort suite aux arrestations de leurs enfants. Pour d'autres, les déplacements pour rendre visite aux prisonniers les fatiguent davantage et aggravent leur maladie, c'est le cas de la mère de Nasser Zafzafi entre autres.

 

D'où me vient cette confusion des sentiments lors de la connexion citée ci-dessus ? Je suis d'abord impressionné par le traitement du personnel hospitalier. Ils sont des dizaines mobilisés 24 sur 24 pour répondre à toute demande ou attente, des médecins de spécialité différentes, des médecins internes, des infirmiers et infirmières, des aides soignantes, travaillent en équipe et veillent sur le patient en prodiguant des soins, faire des prélèvements, des échographies, expliquer ce qu'ils font et pourquoi, donner les traitements nécessaires ou la dialyse dans mon cas à 3 heures du matin, le médecin est disponible tout le temps, à n'importe quelle alerte l'infirmier l'appelle, cela m'est arrivé une fois tard le soir, j'avais des douleurs le médecin est venu m'a prescrit un traitement et le lendemain matin la douleur a disparu.

 

Mis à part la première semaine après l'opération pendant laquelle ma conscience a été altérée et concentrée sur le corps et les transformations survenues, les trois semaines suivantes de mon hospitalisation se sont très bien passées. Je n'ai qu'une chose à faire me reposer et pourtant en dehors des heures des repas, des prélèvements et des visites des médecins, je passe la majorité du temps à lire. J'ai lu plusieurs ouvrages et j'ai même entamé un journal malgré le tremblement dû aux effets secondaires de certains médicaments. Bref, j'en arrive à la conclusion suivante : dans cet Hôpital, ce n'est pas le client qui est roi mais c'est le patient qui est roi. On peut résumer le système de santé en France dans les termes suivants : moyens, compétences, personnels bien formé, écoute, sympathie, gentillesse, prise en charge globale du malade avec la mise à disposition de tout ce qui peut permettre la guérison et une vie meilleure après l'épreuve de la maladie. Toutefois, en tant qu'institutionnaliste, je ne cherche pas à idéaliser ce système de santé. Mes observations dépassent un peu ce stade, mais l'instituant de l'intérieur de l'institution hospitalière est à l’œuvre pour critiquer ce qui doit être critiqué et proposer des solutions pour améliorer et corriger ce qui ne va pas.

 

Pourquoi les larmes refusent de sortir ? Probablement parce que je me sens bien à l'hôpital ou parce qu'elles se heurtent aux larmes de tristesse au moment où ma pensée s'est orientée vers le Maroc. Qui peut prétendre qu'il est à même d'effacer les images et les vidéos filmées dans certains hôpitaux marocains ? Qui peut oublier ces gens dans la rue rongés par des vers de terre ou souffrant des maladies graves. Qui peut oublier ces femmes qui accouchent dans la rue à proximité de l'hôpital. Qui peut oublier cette jeune fille collégienne diabétique qui succombe à sa première crise. Qui peut oublier le jeune Abdelmoula écrasé à Jerada par un véhicule des forces auxiliaires, à la manière des terroristes, hospitalisé à Oujda où il a subit deux opérations qui ont échoué et se trouve actuellement à Casablanca, paralysé sans espoir de guérison, diagnostic confirmé par les médecins, sauf s'il part à l'étranger. Ce père de famille qui transporte sa fille à l'hôpital vivante et on la lui rend sans vie, il cherche à comprendre ce qui s'est passé et résultat il est condamné à de la prison ferme. Cette jeune maman d'une vingtaine d'années qui accouche à l'hôpital, rentre chez elle, 24 heures plus tard elle meurt. Ce ne sont là que des cas médiatisés par les réseaux sociaux. Je suppose que des millions de marocains doivent vivre ce type de tragédies au jour le jour compte tenu de l'état lamentable du système de santé.

 

En effet, je fais partie de ces marocains touchés dans leur chair par cette tragédie. Originaire du Rif, mes parents ont émigré de leur village natal Ibaquouien vers Boubeker où mon père trouve du travail dans les mines de Zellija. Par la suite en 69 nous avons émigré vers Meknès. Mes parents sont morts l'un du cancer et l'autre du diabète. Lorsque j'ai quitté le Maroc en 1983, la famille avait l'air d'être en bonne santé. Quelques années plus tard, je suis informé de la mort de ma sœur à l’âge de 60 ans. Elle habitait dans la région de Casablanca. J'ai tenté de savoir de quoi elle est morte, j'ai eu beaucoup de mal à avoir l'information. Finalement on me dit qu'elle sentait l'envie de dormir et c'est comme cela qu'elle est partie. La réalité est qu'elle est tombée dans un coma diabétique. J'ai connu cela en 2009 ; j'ai eu un coma diabétique, transporté en urgence à l'hôpital, j'ai passé 5 jours en réanimation et deux semaines d'hospitalisation dans le service de diabétologie. Le diabète est une pathologie silencieuse qui peut tuer dès son apparition. Selon mon expérience, au moment où je rentrais dans le coma, je ne sentais rien du tout, pas de douleur, je n'avais que l'envie de dormir et je ne me levais que pour boire. Je me sentais très apaisé avec un sentiment de vide autour de moi. Je me souviens, c'était un dimanche. Je suis resté au lit toute la journée et j'ai continué à dormir la nuit. Le lendemain matin, mon épouse a eu le réflexe de me prendre la tension qui était très basse et a appelé les secours. Arrivé à l'hôpital, j'ai perdu conscience et je ne me souviens de rien jusqu'au réveil dans la salle de réanimation où je suis resté 5 jours avant d'être hospitalisé pendant 15 jours où j'ai appris que je suis diabétique. La mort de ma sœur aînée est donc due d'une part au manque d'information de son entourage, mais aussi à la non prise en charge sérieuse par les services de santé de ce type de maladie. Une perte d'un être cher, L’aînée d'une famille nombreuse et je vous laisse deviner le rôle important qu'elle a joué dans ma vie et celle de toute la famille. Elle est partie, victime de l'état de la santé au Maroc.

 

En ce début d'année 2018, mon frère plus jeune que moi, diabétique, mal suivi, est atteint d'une insuffisance rénale aiguë. Transporté pour une dialyse, il fait sa première dialyse, rentre chez lui plus souffrant qu'avant la dialyse et décède dans les heures qui suivent. J'ai eu beaucoup de mal à accepter ce destin tragique qui touche notre famille et notre entourage originaire du Rif. Cette région ne connaît pas seulement le taux le plus élevé des cancers mais aussi d'autres maladies qui sont aussi mortelles que le cancer, notamment s'ils ne sont pas pris en charge par des services spécialisés dotés de moyens pour les traiter.

 

Le hirak du Rif a le mérite de lever le voile sur la réalité de la santé dans cette région, notamment en mettant l'accent sur la guerre chimique menée contre la révolution rifaine dirigée par Abdelkrim Al Khattabi 1921-1927. Des générations et des générations risquent de subir les conséquences de ce crime contre l'humanité.

 

Mes larmes retenues ou transformées en un ruisseau de mots témoignant à la fois des bons côtés d'une situation vécue et annonçant ma colère et ma révolte contre le premier responsable de la situation de la santé au Maroc. Étant chef suprême de tout selon la constitution, je tiens M6 pour responsable de ces crimes quotidiens perpétrés contre les populations de différentes régions du Maroc et j'appelle toutes les consciences humaines à se mobiliser pour soutenir le peuple marocain dans sa lutte contre ce gang alaouite qui est en train de transformer l'un des beaux pays au monde en enfer, en souffrances que l'humain ne peut pas supporter. On comprend maintenant pourquoi 80 % des marocains souhaitent quitter ce pays. 

 

Benyounès Bellagnech

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17 juin 2018 7 17 /06 /juin /2018 11:21

Le boycott de la parodie de justice

 

Ceux qui suivent les événements au Maroc peuvent constater que le pays connaît un mouvement social sans précédent et ce depuis octobre 2016, avec le début du Hirak du Rif au lendemain de l'assassinat de Mohsine Fikri, écrasé dans une benne à ordures, en passant par 7 mois de contestations et des manifestations dans toute la région du Rif. Ce mouvement est durement réprimé par les forces du Makhzen, des centaines d'activistes sont arrêtés, torturés et violés dans les locaux des autorités de l’État makhzenien, avant d'être traduits devant les tribunaux et écoper de un à 20 ans de prison. La majorité de ces détenus est transféré dans différents prisons du Maroc loin de leur lieux de résidence et de leurs familles. Une cinquantaine de détenus sont transférés dans la prison de Oukacha à Casablanca et présentés à la justice dans cette même ville. Le procès de Casablanca et ses suites est le sujet de mon propos.

A l'heure où la répression du Hirak du Rif se poursuit toujours, un autre mouvement est parti de Jerada, c'est le hirak de Jerada. Au bout de quatre mois de manifestations pacifiques, le Makhzen fait intervenir ses forces de répression et procède à l'arrestation et au jugement d'une centaine d'entre eux.

D'autres mouvements de contestations signalés à Zagoura, Imider, Rachidia, Taroudent...Bref, presque tout le pays est en ébullition. La réponse des autorités makhzeniennes à ces mouvements de contestations, qui ont les mêmes revendications basiques de la vie dans la dignité, travail, logement, santé et éducation, est la répression : enlèvement, arrestation, torture, et pour certains ils sont traduits devant la justice et condamnés à des peines lourdes.

Face à cette répression massive et systématique, le peuple marocain ne manque pas d'imagination pour poursuivre la lutte contre le pouvoir makhzenien, il invente une autre méthode dans la lutte qui se traduit par un appel au boycott des produits de certains symboles du capitalisme sauvage qui dominent le marché de production, de distribution et de consommation. Boycott de la centarle laitière, Afriquia, et Sidi Ali, successivement Les sociétés qui monopolisent le marché des produits laitiers, des hydrocarbures et de l'eau minérale. Récemment, la campagne du boycott est lancée contre le festival Magazine, très coûteux et organisé sous l'autorité du roi M6. Face à cette campagne populaire pacifique, le pouvoir makhzenien est dos au mur. La répression ne marche pas et les autres méthodes des appareils idéologiques de l’État makhzenien (médias, parlement, religion et enfin le foot) ne marchent pas non plus et le pouvoir est en crise sans issue et les institutions élues ou non perdent leur crédibilité aux yeux de la population.

En ce qui me concerne, j'essaie de loin de suivre l'évolution de la situation, en consacrant beaucoup de temps à l'information et en écrivant un journal au jour le jour. Je participe peu aux discussions sur les réseaux sociaux. Dès le début du hirak du Rif, J'ai décelé une nouveauté dans le fond et la forme du mouvement populaire montant, contrairement à beaucoup de commentateurs qui ne voyaient dans ce mouvement qu'un dossier social parmi d'autres qui peut être résolu facilement.

Ce qui me conduit aujourd'hui à intervenir à chaud dans l'événement c'est le tournant que connaît le hirak par la décision des prisonniers politiques incarcérés à la prison Oukacha à Casablanca de boycotter les séances du procès qui dure depuis des mois au tribunal de Casablanca.

Face au silence des médias et au brouillage de certains discours à propos de ce procès de Casablanca, les familles des détenus politiques et des activistes qui soutiennent les prisonniers politiques tentent, au fur et à mesure du déroulement de ce procès, de nous informer au jour le jour du déroulement du procès. La séance, au cours de la quelle Nasser Zafzafi lit le communiqué rédigé collectivement et signé par 49 détenus, nous est rapporté dans les détails par les activistes casaouis dans une vidéo diffusée sur Facebook. Les témoignages de ces militants qui ont assisté à la séance ne laissent pas indifférents. Beaucoup d'émotion ressentie après avoir vu cette vidéo et le comble est venu après avoir écouté la voix de Nasser Zafzafi lisant le communiqué des détenus sur un enregistrement diffusé le lendemain. Le texte du communiqué marque un tournant pas seulement dans la suite du hirak du Rif mais aussi dans le contexte rappelé ci-dessus. La position, tant attendue et que personnellement me paraissaient juste dès le début de la vague de répression, est en fin prise : Le boycott de la justice qui rejoint les autres formes du boycott des autres institutions économiques politiques et idéologiques de l’État Makhzenien. C'est un nouveau pas qui vient d'être franchi dans le processus de la révolution marocaine.  

 

 

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6 juin 2018 3 06 /06 /juin /2018 09:48

De la démocratisation de l’État et la société à leur makhzenisation

 

Au sortir d'une des crises les plus importantes qu'a connu la monarchie au Maroc au milieu des années soixante dix, après deux coups d’État et une révolution armée au moyen atlas, le roi Hassan 2 a recours à ses deux méthodes habituelles pour sortir de la crise :

Tout d'abord, la méthode répressive, forte qui se solde par des assassinats des militaires et des civils -la mise en place du bagne de Tazmamart et la réactivation du bagne de kalaât magouna-, des arrestations massives dans les milieux de la jeunesse, l'interdiction de L'UNEM (Union nationale des étudiants du Maroc) et l'arrestation de sa direction, des procès expéditifs et la distribution de milliers d'années d'emprisonnement à l'encontre des opposants de tous bords, sans parler d'interdiction des organes et des journaux de l'opposition. De 1970 à 1974, ce sont les années sombres du règne du despote qui s'ajoutent à une histoire meurtrière déjà chargée par les massacres de 1958-59 au Rif, le début des années années soixante et la boucherie du 23 mars à Casablanca en 1965.

 

La deuxième méthode dans laquelle il excelle aussi bien, consiste à tendre la carotte aux opposants sans pour autant les laisser croquer dedans. En effet, cette fois-ci la manœuvre est d'une grande envergure. Il joue sur la fibre nationaliste, pose la question du Sahara et de l'unité territoriale sur la table et promet des réformes avec des élections. La question du Sahara va devenir aux yeux de tous une affaire sacrée pour tout le monde, aucune voix, même qui ose s'interroger sur la manière de récupérer cette terre sous occupation espagnole, n'est tolérée. C'est une affaire dirigée par le roi et personne n'a le droit de dire quoique ce soit. Le roi impose sa méthode à travers une propagande accrue pour la marche verte présentée comme une marche de libération, mais à laquelle les marocains sont très souvent engagés de force par les services de l’État makhzenien.(Ces services sont venus chercher mon père et lui ont imposé de venir avec son camion pour transporter les manifestants aux portes du Sahara. Se méfiant du Makhzen, il n'avait aucune envie de participer à la manœuvre, mais ils l'ont forcé à le faire en menaçant de lui réquisitionner son véhicule. Mon père n'a jamais cru à la marocainité du Sahara et il a toujours soutenu le Polisario). Malheureusement l'histoire ne gardera que ce que la propagande a laissé passer en termes d'images et de discours télévisés. L'orchestration atteint ses limites lorsqu'il est demandé aux pauvres participants de s'arrêter aux portes du Sahara pour montrer au monde que la marche verte est pacifique et qu'elle a atteint son objectif en « obligeant » l'occupant espagnole à négocier. Pendant ce temps les forces armées royales étaient déjà positionnées sur le territoire sahraoui et s'étaient d'ores et déjà livrées aux massacres des populations sensées soutenir le Front Polisario qui menait une guerria contre l'Espagne et qui commençait à gagner du terrain.

 

Question à deux balles : Qui a libéré le Sahara ? Réponse: C'est le roi Hassan2 et comment par la marche verte ! Pendant quarante ans, cette affaire du Sahara a connu bien des rebondissements à commencer par le partage du territoire avec le voisin du sud La Mauritanie, laquelle s'est retirée par la suite du territoire sous les coups du Polisario et sous la pression internationale. Le Maroc récupère cette partie rétrocédée à la Mauritanie et érige un mur sur les deux tiers du territoire. Toutefois, le Front Polisario annonce la création de la République sahraoui et mène une offensive militaire et diplomatique qui met en échec la monarchie marocaine notamment sur le plan diplomatique. Les instances internationales conformément au droit international ne parlent que d'une affaire de décolonisation et du droit du peuple sahraoui à l'autodétermination. Bref, quarante ans de manœuvres, de propagande et des budgets colossaux de guerre (ayant fait des milliers de morts parmi les soldats et les civils) pour en arriver à ce résultat, c'est-à-dire au point de départ. On a l'impression que c'est une cause crée de toutes pièces pour d'une part occuper la scène politique intérieure et d'autre part imposer la domination absolue sur les affaires du pays et sur ses ressources.

Par ailleurs, tout en maintenant la méthode répressive, le monarque ouvre une marge démocratique à l’opposition au nom de l'unité nationale afin de libérer le Sahara et d'achever l'intégrité territoriale. Pendant ce temps, l'opposition très affaiblie par les coups encaissés revoie ses positions politiques et idéologiques en abandonnant la ligne d'affrontement avec le Makhzen et en adoptant l'option du changement par la voie démocratique. L'UNFP (Union nationale des forces populaires) étant la force la plus importante de l’opposition, change de nom et devient L'union socialiste des forces populaires (USFP). Au congrès extraordinaire de 1975, L'USFP annonce sa nouvelle ligne idéologique et politique. Le Parti rejoint officiellement le consensus imposé par la monarchie sur le Sahara et sur l'ouverture d'une marge démocratique dans le cadre de la monarchie absolue. Le Parti communiste, qui avait déjà, après l'indépendance, changé de nom pour devenir Le Parti de Libération et du Socialisme PLS, change encore une fois de nom et devient Le parti du progrès et du socialisme, saute sur l'occasion pour rejoindre le dit consensus national.

 

La gauche marxiste léniniste, qui a vu le jour en 1970, Très présente dans le milieu étudiant et intellectuel, travaille dans la clandestinité et ne réussit pas à rassembler ses rangs dans une seule organisation. Ce mouvement a eu la part la plus importante des coups du Makhzen, qui s'est traduit dès le début par des arrestations massives dans ses rangs Jusqu'à la fin des années soixante dix. Les arrestations atteignent autant la direction de ce mouvement que les militants de base ainsi que les sympathisants. Le fait d'avoir un seul tract ou livre faisant référence au marxisme suffit pour être arrêté, torturé et jugé dans des procès expéditifs. Les directions des deux tendances de cette gauche radicale dont une partie se trouve en prison et une autre se trouvant en exil, tentent une seconde fois un dialogue pour unir leurs rangs, mais la question du Sahara les oppose. Ainsi la branche Ila lamam (En avant) reste attaché au principe d'autodétermination du peuple sahraoui tandis que le 23 mars adopte la thèse de l'intégrité territoriale, bref la position sur laquelle il y a une sorte de consensus entre les forces de l'opposition et le Makhzen.

 

A l'instar de l'USFP, le 23 mars se livre à une sorte de révision idéologique et politique et adopte la voie démocratique pour le changement sous la surveillance du Makhzen qui garde toutes les cartes en main, la carte de la répression, de la détention des militants en prison et des marges démocratiques qui se traduisent par des élections dirigées et surveillées de très près afin d'avoir un paysage politique qui convient au Makhzen qui est le maître du jeu. Les marges démocratiques permettent une « respiration » intellectuelle qui se traduit par la publication de revues diverses et du Journal Anoual entre autres. La monarchie makhzenienne réussit à maîtriser la marge dite démocratique, sans permettre aucune contestation partisane ou populaire. La répression de 1981 et de 1984 sont la démonstration par les faits que le maître des rapports de forces dans la politique marocaine est bel et bien la monarchie makhzenienne absolue. A travers cette répression massive, le pouvoir renvoie pour la énième fois un message clair, consistant à réaffirmer qu'il y a des lignes rouges à cette marge démocratique, sous surveillance, qu'il ne faut pas essayer de franchir. L'arrestation de Abderrahim Boubid et de Noubir Al Amaoui, successivement le secrétaire général de L'USFP et le secrétaire général de la CDT (confédération démocratique du travail) est le message par les faits que le roi ne tolère aucune contestation ni aucune critique de sa politique, y compris de ses proches et encore moins venant des rangs de l’opposition. En réprimant durement toutes les contestations, le Makhzen donne l'impression qu'il ferme toutes les portes au dialogue et à la réconciliation. Ce n'est évidemment pas le cas, car cette fois-ci pour son image notamment à l'étranger, il n'interdit pas les journaux ni les Partis politiques, il use de ses manœuvres pour montrer qu'il ne renonce pas au « processus démocratique »et que le pays sera gouverné par le ou les Partis politiques majoritaires dans le pays à l'issue des élections, les élections dont les résultats sont connus d'avance, avant même le scrutin, dans les bureaux du ministère de l'intérieur.

 

C'est dans ce contexte que le 23 mars sort de la clandestinité, change de nom et devient l'OADP (Organisation d'action démocratique populaire), organise son premier congrès qui entérine son programme avec le slogan pour la démocratisation de l’État et de la société. Il est à noter que ce slogan-programme ne diffère pas beaucoup de ceux du reste de l’opposition, je parle de L'USFP, du PPS et même du Parti de l'Istiklal. Ces quatre Partis qui vont constituer La Koutla une sorte de rassemblement national pour peser dans les négociations avec le Makhzen.

Les échéances électorales se suivent et se ressemblent, la carte et les résultats des élections se décident dans les bureaux du Makhzen qui mène le jeu politique à sa guise tout en donnant la pression que le Maroc est entré dans l'ère démocratique sous l'égide de la monarchie. Toutefois le pays enregistre un retard flagrant sur le plan économique et social, à tel point que Hassan 2 avant sa mort déclare que le Maroc est sur le point d'avoir une crise cardiaque. Il tente encore un coup en faisant appel à Abderrahmane El Youssfi, en tant que chef de l’opposition, afin de garantir le pérennité de la monarchie, tout en donnant des gages sur la possibilité d'avoir des gouvernements d'alternance issue des élections transparentes. L'opposition qui n'attendait que l'occasion pour se placer dans l'échiquier politique et profiter des mannes du Makhzen pour des postes ministériels ou des sièges dans le parlement ou encore des postes dans différentes administrations.

 

Abderrahmane El Youssfi est désigné Premier ministre dans un gouvernement dit d'alternance et le processus du Makhzenisation s’accélère pour montrer une nouvelle image de la monarchie, rajeunie par l'arrivée de Mohamed 6, appelé le roi des pauvres. Le nouveau slogan est vite trouvé, il faut tourner la page des années de plomb en ouvrant la porte à la réconciliation entre les bourreaux et les victimes, en reconnaissant les associations des droits de l'homme et en créant des instances officielles telles que l'instance du conseil consultatif des droits de l'homme, le ministère chargé des droits de l'homme, l'indemnisation de certaines victimes des années de plomb. Beaucoup parmi les anciens opposants trouvent leur compte en acceptant d'une part les postes et les indemnisations octroyés à juste titre et mérités. Une minorité, notamment les prisonniers du bagne de Tazmamart et les familles des disparus, demandent d'aller plus loin dans le procès des années de plomb en jugeant les responsables sur les exactions commises tout au long de cette période.

 

Vu de loin, le Maroc donne l'impression qu'il rentre, en ce début de millénaire, dans une ère nouvelle de liberté garantie, des droits de l'homme respectés, et d'une marche vers le développement assurée. La révolte du 20 février 2011 intervient comme un analyseur d'une situation autre assez complexe sur le plan économique et social et même en matière des droits sociaux et humains. Coup de théâtre qui ne diffère guerre des méthodes de l'air Hassan2, davantage de makhzenisation de la monarchie absolue et ouverture des marges politiques sur des forces de réserves nées dans le giron du Makhzen. L'opposition de la gauche est dominée et affaiblie par l'usure au sein du gouvernement et des instances dites de société civiles loin des masses populaires qu'elle est censée défendre. La monarchie prend les devants, impose une nouvelle constitution, par le biais de laquelle elle garde tous les pouvoirs, et reprend les choses en main après avoir donné l'impression qu'elle laisse la démocratie suivre sa voie. Ce nouveau-ancien processus démocratique accouche deux partis majoritaires nés du ventre du Makhzen Le PJD, Parti de la justice et de développement, islamiste modéré, fabriqué et encouragé par le Makhzen depuis les années 70, et le PAM, Parti de l'authenticité et de la modernité fabriqué par des proches de palais et qui a recruté dans les rangs de la droite et de la gauche. Les affaires reviennent au PJD, il est au gouvernement et le PAM lui occupe la place de l'opposition en attendant son tour pour le prochain épisode. Les partis traditionnels de la gauche sont à la traîne et suivent le « gagnant » du jeu démocratique c'est-à-dire le Makhzen. La gauche radicale qui accepte de jouer le jeu reste minoritaire et sans influence.

 

La makhzanisation que j'évoque dans ce propos est une stratégie longue et complexe, elle concerne aussi bien les Partis politiques, que les syndicats, que les associations, que les secteurs stratégiques de l'économie, de l'administration et de la société. En face, le projet ou le rêve de la démocratisation de l’État et de la société, auquel nous avons cru, s'est vu absorbé par le Makhzen qu'il l'a bien utilisé pour imposer sa domination sur l’État et la société. Le mouvement social populaire que connaît le Maroc depuis octobre 2016 et a sa tête Le hirak du Rif, est l'analyseur d'une situation qui échappe au processus décrit ci-dessus et pose sur la table les vraies questions de L’État et la société qui avaient échappé à notre analyse tout au long de la période qui remonte au début de l'indépendance jusqu'à aujourd'hui.

 

Pour conclure ce propos, je cite un cas de la gauche radicale que je connaisse le mieux et au sein duquel j'ai milité depuis les années 70, il s'agit du 23 Mars, qui est devenu L'OADP, Parti usé de l'intérieur (des membres de sa direction participent au gouvernement, d'autres se font décorés par Hassan2 ou par Mohamed6, d'autres encore sautent sur des postes offerts par le Makhzen) afin d'intégrer totalement les thèses du Makhzen et qui s'est scindé en deux à la fin des années 90, le Parti socialiste démocratique qui rejoint par la suite l'USFP et une autre partie qui a moins bénéficié des mannes du Makhzen et qui a fondé Le Parti socialiste unifié qui tente depuis sa création de fonder une gauche unifié de l'opposition, enfermée dans la stratégie illusoire d'une monarchie parlementaire.

Benyounès Bellagnech 

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14 mai 2018 1 14 /05 /mai /2018 19:09

L'analyseur Al-Hoceima

 

La région tend alors à jouer le rôle du révélateur-analyseur de ce qui se passe dans les centres et dans l'espace entier Du mode de production étatique. Elle peut avoir un double effet : a) désintégrateur de l'ensemble étatique, de l'action politique – passé et présente -- des centres ; b) nationalitaire, c'est-à-dire suscitant une sensibilité et une idéologie « indépendantiste » à l'échelle régionale, ce qui ne peut manquer d'avoir des conséquences politiques ».

Henri Lefebvre, De L’État, 4. Les contradictions de L’État moderne.

 

 

Al-Hoceima, petite ville de 40 000 habitants, située dans le Rif au nord du Maroc, peu connue par le public et marginalisée, comme la majeure partie du Maroc oublié. Interrogé sur la ville, l'ex premier ministre marocain, Abdelilah Benkiran déclare qu'il n'a jamais entendu parler de cette ville et qu'il ne sait même pas où elle se trouve ! Le 28 octobre 2016, le monde entier apprend, grâce aux réseaux sociaux, qu'un marchand de poisson, Mohcine Fikri, vient d'être broyé dans une benne à ordures par les autorités locales devant leurs locaux et sous l'oeil de plusieurs personnes présentes sur le lieu. La scène est filmée par des personnes présentes et diffusée sur Internet. C'est le point de départ de la contestation qui va se transformer en ce que l'on appelle aujourd'hui le hirak du Rif.

Les écrits sur ce mouvement populaire sont unanimes sur cette date comme étant le début du hirak, mais rares sont ceux qui interrogent ce crime inqualifiable et se demandent pourquoi et comment est-il possible de broyer un citoyen dans une benne à ordures par les autorités locales en présence de plusieurs personnes. Le discours dominant au Maroc va se contenter d'évoquer un accident malheureux dont les responsables seront arrêtés et jugés. Cette version des faits est reprise par tous les médias même ici en France. La version des faits du mouvement social des habitants d'Al- Hoceima et de toute la région du Rif, né à partir de cette date, est autre. Il ne s'agit pas d'un accident malheureux, mais bel et bien d'un comportement systématique, sous d'autres formes, vis-à-vis des populations de cette région ; et pas seulement, car toutes les régions marginalisées du Maroc sont la proie du Makhzen, c'est-à-dire de l'arbitraire, de l'humiliation, de la corruption, bref de tout ce qui fait sentir à l'homme qu'il n'est pas citoyen et parfois même pas un être humain. Ce crime abjecte n'est que la goûte d'eau qui fait déborder le vase déjà plein de souffrances endurées par ces populations depuis des décennies.

Le mouvement social né suite à cette tragédie est nouveau et original comme nous allons le voir par la suite. En effet, pendant soixante ans, depuis l'indépendance, Le Maroc a connu des épisodes de contestations, menées soit par des partis politiques, par des syndicats, par des dirigeants de la résistance au colonialisme, ou par des groupes politiques minoritaires ou encore par des miltaires. Chaque fois ces mouvements sont réprimés dans le sang et anéantis par le pouvoir. Des récits diffusés ou publiés ces dernières années nous apprennent beaucoup sur ces mouvements de contestation.

Le hirak est un mouvement populaire qui n'a pas de tête pensante, pas de dirigeant, pas d'organisation politique, syndicale ou associative, c'est un mouvement spontané, dirigé par la base démocratiquement. Les décisions, le programme d'action, les slogans sont décidés par la base dans les assemblées générales. Ainsi, sur le terrain, le Hirak affine ses revendications sur le plan économique, social, culturel avec la levée de la militarisation de la région imposée par un décret datant de 1958. Les manifestations pacifiques rassemblent de plus en plus de participants. Parti d'Alhoceima, il s'étend à d'autres villes et villages du reste de la région du Rif. La lutte du mouvement dure sept mois , d'octobre 2016 à mai 2017, pas d'incident signalé, pas de débordement , bien au contraire la population adhère au mouvement convaincue par sa légitimité, ses revendications , par son caractère pacifique et civilisé. L'une des nouveautés , après le mouvement du 20 février de 2011, est le recours aux réseaux sociaux avec succès, qui a permis au mouvement de s'étendre rapidement au niveau de la région, avec la participation du plus grand nombre aux actions et aux manifestations régulières, sans oublier le soutien populaire national et international. Ces nouveaux outils médiatiques et communicationnels ont participé par ailleurs à l'apparition de certaines figures comme étant des leaders du hirak, en témoigne la popularité dont bénéficie Nasser Zafzafi.

En quoi ce Hirak, parti d'Al-Hhoceima est-il l'analyseur ou de quoi est-il le révélateur ?

 

1. Il est l'analyseur de l’État marocain, issu de l'Etat dérivé du capitalisme Espagnol et Français. Il faut rappeler que le Maroc a été sous le protectorat Français et Espagnol pendant une cinquantaine d'années, ce qui a permis à ces colons de mettre en place un Etat colonial garantissant, en premier lieu leurs intérêts économiques. A l'indépendance, le Maroc hérite du même Etat, des mêmes institutions avec à leur tête le sultan de retour de son exil doré à Madagaskar. L'indépendance négociée permet aux colons de garder leurs intérêts en transférant leur gestion au roi et à ses serviteurs qui servaient auparavant et continuent à servir l’État colonial. D'ailleurs au Maroc, lorsque l'on évoque l'indépendance on parle de l'indépendance formelle. En effet, L’État colonial divise le pays en deux, d'un côté le Maroc utile riche dans les domaines de la matière première, d'agriculture et de pêche, de l'autre le Maroc inutile sans intérêt économique. Le Maroc utile bénéficie donc de l'infra-structure moderne nécessaire à son exploitation, tandis que l'autre Maroc inutile est privé presque de tout à l'exception de la présence de l'autorité militaire pour contrer les révoltes des habitants de ces régions. Cette situation va perdurer avec l'indépendance formelle.

Alhoceima située au nord, dans la région du Rif, était sous domination espagnol , fait partie de ce Maroc inutile et donc ne bénéficiant que de peu d'apport des colons espagnols en matière d'infra structure et de développement économique.

Le hirak du Rif Lève le voile sur une situation désastreuse, en matière économique, pas d'industrie, même le peu d'infrastructure laissé par les espagnols a tendance à disparaître. Sur le plan social, dislocation du tissu social suite aux vagues successives d'émigration soit vers Le Maroc utile, soit vers l'Europe. Ceux qui sont restés sur place vivent avec les aides des immigrés, transformés en vache à lait nourrissant la corruption des notables et des serviteurs de L’État.

 

2. Il est l'analyseur du Makhzen. Qu'est ce que cela signifie ? Le Makhzen est une forme d’État archaïque installée au Maroc depuis trois siècles dirigé par les sultans successifs qui détiennent le pouvoir politique et religieux car ils prétendent être des descendants du prophète Mohammad. Ils ne parviennent à régner que sur une partie du Maroc, sur l'axe Rabat, Meknès, Fès, Marrakech, ce que l'on appelle en marocain dar elmakhzen et le reste du pays est appelé siba, autrement dit des régions entières qui n'étaient pas sous le contrôle des sultans alaouites. Ce sont ces sultans alaouites qui vont signer le protectorat avec La France et L'Espagne. Avec les forces et les moyens modernes dont disposent ces deux pays colonisateurs, Ils sont venus à bout de tous les mouvements jusque là insoumis au pouvoir central-le Makhzen. Il est à noter que la résistance aux colons a duré une quarantaine d'années.

Avec l'indépendance, le Makhzen hérite de l'Etat colonial le pouvoir absolu économique et militaire sur tout le territoire marocain. Si l'on veut aujourd'hui définir le Makhzen on va dire que c'est un magma des magmas C'est un pouvoir archaïque et moderne, religieux et laïque, il détient le pouvoir politique et économique, c'est un mélange de dictature et de démocratie. C'est une institution complexe et pyramidale avec au sommet le roi et à la base le mokadem. Rien ne lui échappe dans la vie quotidienne de tous les marocains, ce qui explique en grande partie les échecs de la révolution marocaine.

La monarchie makhzenienne, sentant venir la vague du printemps arabe en 2011, tente un coup de Poker qui lui réussit, une nouvelle constitution lui octroyant tous les pouvoirs avec des élections aux quelles participent la majorité des Partis politiques et des marges démocratiques inscrites dans cette constitution. Des élections vont permettre à un Parti dit islamiste, fabriqué par le Mekhzen, d'arriver au pouvoir et de mettre en œuvre le programme décidé par le Makhzen. L'image du Moroc maquillé en Etat démocratique se vend bien notamment à l'étranger, mais pour combien de temps. C'est cette image d'un Maroc moderne,démocratique, respectant le pluralisme et les droits de l'homme, que le hirak du Rif va mettre en branle. Le vrai visage du Maroc va se révéler comme un pays sous la domination absolue de la monarchie makhzenienne.

Le but de cette distinction méthodologique entre le concept de l’État et la monarchie makhzenienne est de répondre à ceux qui veulent nous vendre l'image d'un Etat marocain moderne dirigé par une monarchie constitutionnelle moderne. Le hirak du Rif en tant qu'analyseur va révéler le vrai visage de la monarchie makhzenienne.

 

3. Le Hirak, avec son caractère pacifique, dure et s'étend sur tout les territoires du Rif. Les participants au mouvement ont le sentiment d'être dans la légalité et qu'ils ont le droit de manifester avec des revendications économiques, sociales et culturelles. La constitution de 2011 leur donne ce droit. Cinq mois du Hirak et cinq mois après les élections législatives, le gouvernement n'est toujours pas en place. Il y a un blocage. Le palais ne digère pas le fait que le chef du Parti qui est en tête du scrutin soit nommé premier ministre pour la seconde législature, bien que Benkirane jure qu'il est plus royaliste que le roi, se dernier ne le supporte pas. Il faut trouver quelqu'un d'autre qui soit soumis complètement à la volonté du palais dans la constitution du gouvernement. Benkirane, qui reste à son poste pendant cette période du blocage déclare que le gouvernement travaille et que les ministres gèrent les affaires courantes y compris ce qu'il appelle le dossier du Rif – ce terme dossier du rif est repris par les médias et les commentateurs afin d éviter de parler d'un mouvement social – Le déplacement de quelques ministres à Al-Hoceima a été un échec, car les contestataires rifains refusent de discuter avec ceux considérés comme des responsables de la situation du Rif. Il a fallu attendre la visite du Président Français, Emmanuel Macron pour entendre, lors d'une conférence de presse, que le roi aime bien Alhoceima, qu'il y passe ses vacances et qu'il va s'occuper de la question du Rif. En effet, le roi s'est bien occupé du Rif en donnant l'ordre aux forces de l'ordre de commettre des crimes abominables qui rappellent aux rifains les massacres de 1958-1959 commises par Hassan2 en personne qui fût à l'époque à la tête de l'armée qui a sévit au Rif.

Mon propos ne se limite pas à la partie visible de l'iceberg, qui rentre dans un discours dominant, qui fait croire à l'opinion nationale et internationale que le Maroc est dotée des institutions, parlement, gouvernement issue des élections, régions, villages et villes dirigées par des élus et qu'il est un Etat démocratique doté d'institutions et d'une société civile, à même de gérer et de résoudre les problèmes de la société. D'ailleurs ce discours a été utilisé pendant les sept mois du Hirak pour le discréditer et considérer qu'il ne respecte pas les institutions et du coup il sort du jeu démocratique.

Ce tableau tend à nous faire croire que le Makhzen qui est le vrai Etat au Maroc n'existe pas. En réalité, le Hirak du Rif a levé le voile sur ce pouvoir. En effet le Makhzen , tout au long des mois du Hirak, est présent avec ses différents services de renseignement , de propagande, de répression y compris les institutions élues ; il est à l'oeuvre d'abord pour casser le hirak de l'intérieur et lorsqu'il échoue, il passe à la répression massive du mouvement. Le discours dit démocratique respectant les institutions et les droits de l'homme tombe à l'eau et le Makhzen qui ne dort jamais, a recours à ce qu'il sait le mieux et bien faire c'est -à- dire la répression.

 

4. Le Hirak est un analyseur des partis politiques et de la société civile : Les partis politiques et la société civile, sensés représenter le peuple et être les médiateurs et les acteurs de la société, sont dépassés par ce mouvement pourquoi ? Il y a plusieurs réponses à cette question dont la principale est qu'il n'ont aucune légitimité même aux yeux de ceux qui les élisent, car en dehors des périodes électorales le peuple ignore tout sur eux. Les partis dotés d'une légitimité historique, l'ont perdu au fil du temps grâce au génie du Makhzen qui les a mis sous ses ordres. Aucune réaction de la part des partis aux cris des jeunes rifains pendant plusieurs mois. Il a fallu attendre une réunion avec le ministre de l'intérieur et du Makhzen afin que les dirigeants de ces partis publient un communiqué accusant le hirak d'indépendantiste portant atteinte à la sûreté de l’État. La riposte du mouvement rifain a été immédiate. Une grande manifestation est organisé à Alhoceima pour dénoncer ce communiqué ainsi le hirak montre concrètement que ces partis politiques ne sont que des officines politiques au service du Makhzen. Le spectacle dramatique présenté au centre, par médias aux ordres et commentateurs qui font croire au peuple que les partis politiques traitent les questions importantes du pays, a ses limites et le hirak du Rif comme périphérie dévoile la véritable nature de ces partis politiques, c'est-à-dire qu'ils ne sont que des serviteurs du Makhzen et en partie d'eux mêmes. Vis-à-vis du Hirak du Rif, ces partis ne se sont pas contentés de leur absence sur le terrain mais ils ont fait pire en prenant position contre le mouvement social, populaire et en appuyant l'approche répressive du Makhzen. Pour nuancer un peu mes propos, les partis de la gauche dite radicale, bien qu'ils soient restés à l'écart du mouvement rifain, ce qui est curieux, n'ont pas soutenus les autres partis qui se sont apposés au Hirak et ont adopté une position par la suite considérant la légitimité du Hiraq et de ses revendications.

Une autre explication à ces positions des partis politiques et à leur longue absence du terrain rifain se trouve ailleurs. Le fait que le Rif soit une région militarisé par décret datant de 1958, laisse la main libre au Makhzen d'agir dans la région comme il le souhaite et donc la présence des partis doit être sous son contrôle total. Il est à noter que la démilitarisation du Rif fait partie des revndications du Hirak.

La notion de la société civile est relativement récente au Maroc, elle est importée comme la plupart des concepts du lexique politique du champs politique français. Auparavant les marocains avaient recours à des méthodes issues notamment de la religion (Zakate ou sadaqua) comme forme de solidarité afin d'apaiser les douleurs dues à la division sociale et à l'injustice. Avec le capitalisme périphérique installé par le colonialisme dont l'implantation s'est poursuivie après l'indépendance, le mode de production étatique makhzenien a eu comme conséquence une division sociale et une division de travail accrue. La société de classes voit le jour avec des écarts importants entre une infime minorité dominante et une majorité partagée entre la grande pauvreté et la survie. Le rôle de la société civile « dépolitisée » remplaceraient dans l'esprit des acteurs les formes classiques de solidarité et de médiation. Le pouvoir makhzenien va favoriser la création d'associations diverses et variés depuis le début des années 2000, pour faire croire qu'il y a une véritable ouverture du pouvoir politique sur la société. Le Hirak du Rif va dévoiler une autre réalité cachée de ce que l'on appelle les associations de la société civile, discréditées par le mouvement social rifain. La grande majorité de ces associations est absente du mouvement sociale tandis que d'autres, affiliées directement au Makhzen, jouent le rôle d'auxiliaires à l’État makhzenien. Les défenseurs des droits de l'homme, des droites de la femme et des droits de l'enfant n'en disent mot sur les atteintes graves à ces droits au Rif. L’État makhzenien considère le Rif comme une chasse bien gardée et donc pas de place pour la société civile marocaine ou internationale.

En conclusion, je tente dans ce propos de brosser un tableau général du Rif depuis le début du hirak en octobre 2016 jusqu'à fin mai 2017 et le début de la répression généralisée sur toute la région du Rif. Dans cette approche j'essaie d'utiliser les concepts d'analyse institutionnelle pour éluder une situation crée par un mouvement sociale et populaire novateur sur la scène de la lutte des classes au Maroc. Il s'agit tout simplement d'une première approche de la situation, je compte bien développer l'analyse dans d'autres articles à venir.  

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