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  • : Le blog de Benyounès Bellagnech
  • : Analyse institutionnelle : Théorie et pratique au sein des institutions politiques, éducatives et de recherche. L'implication des individus et des groupes dans la vie politique et sociale.
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14 mars 2019 4 14 /03 /mars /2019 16:20

L’Algérie est au bord de l’éclosion

 

Publié le 12 mars 2019

 

Le surgissement populaire du 22 février constitue une rupture majeure dans notre histoire comme dans celle du Maghreb. Il s’agit de la consolider et d’élargir le champ des possibles. Aujourd’hui, les Algériens ont remporté une première victoire.

Notre tâche prioritaire est de tirer la leçon du soulèvement d’octobre 1988 et d’éviter à nouveau le « détournement du fleuve », à savoir la confiscation de la souveraineté populaire qui est à l’origine de l’autoritarisme sous sa forme actuelle.

Nous sommes devant une nouvelle crise du régime mais le peuple algérien a déjà tranché. Le FLN a vécu, le cinquième mandant aussi. L’annonce du président, ce 11 mars 2019, ne fait qu’entériner cet état de fait.

Ici et là, des alternatives politiciennes sont proposées par les démocrates au nom du changement. Mais les intérêts des classes populaires sont rarement pris en considération. Or, ce sont elles qui vivent le plus intensément l’humiliation, les abus du pouvoir et la hogra.

Ces maux caractérisent tout le Maghreb. C’est pourquoi, après la révolution tunisienne et le mouvement du 20 février 2011 au Maroc, la situation algérienne résonne avec autant de force chez tous ceux qui aspirent à la dignité.

Sans céder à l’esprit de revanche, il nous faut prendre garde à ce que les anciens partisans du statu quo ne se rachètent pas une virginité au nom d’une transition qui renouerait insidieusement avec l’ancien régime et ses pratiques (corruption, clientélisme, prédation, etc.).

La démocratie, que chacun revendique désormais à voix haute, est tout le contraire du consensus dont nous subissons les conséquences. Souvenons-nous qu’il a toujours constitué le cri de ralliement pour les classes dirigeantes.

Le souci d’établir des rapports égalitaires est à la base de la fraternité dont rêve le peuple. Mais pour lui donner de la consistance, il faut sortir de l’unanimisme de façade qui constitue un frein à la décantation et au regroupement des forces populaires.

La république est à refonder, en rupture avec les tentations despotiques assimilées à la monarchie par les acteurs du surgissement populaire.

Les aspirations des classes laborieuses, dont les femmes et la jeunesse constituent les moteurs, doivent être affirmées dès à présent. Il faudra donc respecter leur autonomie d’organisation et d’action. Dans cette perspective, l’égalité des sexes est indiscutable.

Contrairement à l’idée selon laquelle les Algériennes et les Algériens se seraient réveillés le 22 février, les événements en cours sont en réalité le fruit d’un long processus nourri du combat des forces les plus déterminées et payé par elles au prix fort.

De nombreuses luttes sectorielles, qui ne se sont guère aventurées sur le terrain politique, ont été menées au cours de la dernière période, dans toutes les régions du pays.

Les concessions matérielles, faites par un gouvernement désireux d’acheter la paix sociale, ont été rattrapées par l’inflation et la cherté de la vie, ce qui souligne l’importance du mot d’ordre de grève générale pour dépasser la segmentation et se constituer en force indépendante.

La main tendue des oligarques aux travailleurs est un marché de dupes et ne fait que perpétuer leur subordination à l’agenda néolibéral. Car ce sont les hommes d’affaires qui ont besoin des masses populaires pour faire pression sur le pouvoir afin de défendre leurs privilèges. En revanche, les chômeurs, les pauvres et les salariés n’ont pas besoin de s’appuyer sur les milliardaires pour affirmer leurs propres objectifs.

Depuis 2012 au moins, s’est constituée dans l’ombre une clique comprenant les représentants de la politique en uniforme, le président et sa famille, ainsi que les affairistes. C’est ce groupe qui a soutenu l’appel à un quatrième mandat puis à un cinquième. Son arrogance est à l’origine du sursaut populaire.

Soyons vigilants : l’épouvantail d’une ingérence de forces extérieures n’est pas crédible. Arrêtons de chercher le diable en dehors de nous. La crise oppose des forces sociales et politiques internes à l’Algérie.

L’aspiration à un changement radical s’est exprimée massivement et avec force dans les rues, faisant vaciller les tenants du régime. Pour la grande majorité de notre peuple, la quête de la liberté n’est pas séparable de celle de l’égalité.

Nous sommes aux côtés des classes populaires dans leur volonté de gérer elles-mêmes leurs propres affaires. Car il ne peut y avoir de démocratie réelle sans prise en compte de leurs aspirations spécifiques.

Nous sommes partisans de l’auto-organisation des travailleurs, à travers la mise en place d’assemblées dans les quartiers, les villages et les villes, où les individus délibèreront de la prise en charge de tous les aspects de la vie quotidienne, sans la médiation de l’Etat ou des professionnels de la représentation.

Il s’agit d’aller le plus loin possible dans la remise en cause de l’ordre capitaliste, sécuritaire, patriarcal et religieux.

Notre pays a hérité de l’esprit de la hisba, la surveillance de tous par tous. Opposons-lui le respect de l’autonomie individuelle, la liberté de conscience, celle de disposer de son propre corps, de le mettre en mouvement et de se réapproprier tous ensemble l’espace public, comme l’ont fait, dans la joie, les Algériennes et les Algériens.

Le chemin qui mène à l’émancipation sociale est long mais il n’est pas d’autre voie pour réaliser l’épanouissement de chacun et de tous.

 

Mohammed Harbi et Nedjib Sidi Moussa

Le 11 mars 2019

 

https://entreleslignesentrelesmots.blog/2019/03/12/lalgerie-est-au-bord-de-leclosion/

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13 mars 2019 3 13 /03 /mars /2019 15:43

Etienne est venu questionner le mouvement des gilets jaunes (suite)  

 

L’information
 

Les fakes news : elles sont dangereuses car on se rend compte que quelque qu’en soit l’auteur, elles circulent rapidement.
Les médias ont contribué à faire le mouvement et peuvent ainsi chercher à le tuer en le rendant invisible.
L’usage des réseaux sociaux tels que facebook et des nouvelles technologies de l’information (smartphone etc) pose également un problème : il semble qu’il n’y a pas de véritable réflexion critique sur les dangers qu’il comporte.

Dans les entreprises

Entre la compromission des syndicats, l’ubérisation de la société et l’aversion générale, il est nécessaire de trouver d’autres techniques de résistance au sein de la machine à produire. Il faut tirer les leçons de la situation actuelle : la dérive autoritaire de l’Etat fait écho au totalitarisme qui s’exprime dans les boîtes = il n’y a plus de démocratie, de plus en plus de luttes (dures) et de violence. Que peut apporter un mouvement comme celui des gilets jaunes?

 

Solutions et suggestions

– Attaquer Macron pas seulement sur ce qu’il est (Monarque républicain sans envergure) ou ce qu’il dit (provocations à répétition) mais sur ce qu’il fait : privatisation des aéroports de Paris, positionnement diplomatique, réformes, etc.

– Dans le contexte de la politique institutionnelle (par ex les européennes) : cibler le couple LaREM/FN qui se nourrissent mutuellement et qui ne respectent pas le pacte républicain défendu par les GJ.

– Développer et soutenir les expressions artistiques, notamment dans les manifestations.

– Faire un bilan sur ce qui fait la force du mouvement : le nombre, les ronds-points, les émeutes, les médias???
Pour ma part : ce sont les ronds-points : convivialité, boisson, repas, activités de construction, inscription territoriale.

– Face à la confusion ambiante, afin de résoudre les conflits qui ne peuvent qu’émerger avec le temps et pour construire un commun intellectuel et idéologique : l’educpop.

– Il faut avoir de l’ambition : viser le renversement intégral du système et orienter les actions vers l’international (Europe et monde via l’institutionnel et la solidarité politique entre les peuples)

– Développer des buts politiques précis et réalisables, fixer un calendrier commun (Commercy peut le faire).

Comment gripper la machine : le constat étant d’une radicalisation de l’oppression managériale et des contraintes imposées aux travailleurs, il est nécessaire que ces derniers s’organisent en conséquence. Le modèle du syndicat s’appuyant sur le respect du pacte républicain ne semble plus être adapté. Il faut plutôt s’inspirer d’une forme de syndicalisme de résistance tel que celui développé par les populations assujetties à un pouvoir autoritaire. Je pense notamment au marronnage des esclaves, qui s’organisaient en secret dans des espaces libérés du joug esclavagiste et qui revenaient travailler sur la plantation conspirer en silence contre le maître et ses sbires. Le mouvement peut devenir un marronnage à même de, à terme, de développer une véritable conspiration à large échelle contre le capitalisme, et d’envisager, un jour un passage à l’action.

 

Quelques questions

Comment concilier des personnes qui ont des références révolutionnaires différentes ? Les GJ sont très 1789 quand les militants sont plus 1793 et 1871. Pour l’instant, la convergence ne se fait que via l’émeute et la detestation de Macron.

Comment rallier les intellectuels, les artistes, les étrangers (métèques), les célébrités ?
Comment envisager une grève générale quand l’écrasante majorité des travailleurs ont oublié ce qu’était la grève?
Que faire de la police et de la gendarmerie?
Comment inclure et articuler les très nombreuses thématiques et luttes qui conditionnent ce que sera le monde de demain?

Pour résumer : à partir de l’état actuel du mouvement, comment dépasser la simple colère et construire quelque chose de positif, solide et durable?

 

Source : site Debout Education Populaire

https://educpopdebout.org/2019/03/10/etienne-est-venu-questionner-le-mouvements-des-gilets-jaunes/

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12 mars 2019 2 12 /03 /mars /2019 14:48

Etienne est venu questionner le mouvement des gilets jaunes (suite)

 

Au final

On constate d’un côté une dérive autoritaire de l’Etat à partir de 2014 que Macron n’a fait qu’amplifier par son fonctionnement vertical et l’appui de son parti unique LREM. Cette dérive porte en elle le signe d’une très dangereuse banalisation des idées d’extrême droite (goût pour l’autoritarisme, xénophobie, racisme…), signe que les efforts initiés par l’extrême droite théorique depuis les années 1970 porte ses fruits et que les graines semées par Soral, Dieudonné et cie portent leurs fruits.
En face, on constate une mort des syndicats et des partis de la gauche classique qui ne se renouvelle que dans une France Insoumise tout aussi habile que fragile, un phénomène naissant lors du CPE, puis devenu un fait acquis en 2016. Désormais, même la France Insoumise est incapable d’exercer la moindre hégémonie sur le mouvement des GJ et se contente d’adopter une attitude passive (bien que beaucoup de ses militants soient partie prenante).

Au final, on constate que les pratiques qui sont apparues sur la place publique en 2016 (manifs sauvages, occupations, zadisme, automédias, réseaux sociaux) ont acquis une forme de légitimité au sein d’une large partie de la population et se retrouvent dans le mouvement des Gilets Jaunes – même si ces derniers n’y font que très rarement référence.

 

Dès lors, quelques réflexions :

Les obstacles et dangers

Classiques/politiques
Tout d’abord, il y a les élections européennes : comment résister à l’occupation médiatico-politique de la campagne dans les médias et ailleurs? Est-ce que les militants FI, UPR et autres impliqués dans les GJ ne risquent pas de saborder le navire en cherchant à orienter le mouvement? Il faut noter que sur ce point-là, il n’est pas question de pouvoir (le parlement européen n’en a pas vraiment) mais de gagne-pain pour les partis politiques.

Comment lutter contre l’entre-soi qui peut se développer entre personnes qui bougent ensemble depuis plusieurs mois? Le fait de rompre son isolement et de construire de nouveaux liens (on entend parler de « nouvelle famille ») ne risque-t-il pas de répondre à une partie du mal-être qui a motivé la mise en mouvement des individus, et donc, en conséquence, enrayer celui-ci?

Comment éviter que, du fait du développement d’outils d’organisations, des micro-pouvoirs émergent localement et entraînent des conflits internes? Je pense notamment à l’expérience de Nuit Debout.

La répression policière a pour principal objectif d’éloigner des cortèges et des ronds-points les plus craintifs et/ou fragiles. À terme, la peur fait qu’on se retrouve qu’avec de faibles nombres et l’absence de masse critique à même de construire un rapport de force réel dans la rue et, par ricochet, dans les entreprises.Comment enrayer cela? L’interdiction du LBD pourrait-elle suffire?

Et puis, dans certaines villes, il y a la peur des milices d’extrême droite qui peuvent s’attaquer à des personnes identifiées comme « gauchistes », homosexuelles, ou « étrangères ». Couplée à la répression policière et judiciaire, il peut paraître dangereux de participer aux manifestations.

Les gilets jaunes, du moins les plus médiatisés, demandent au pouvoir de les entendre, d’agir. Donc au final, ils n’aspirent pas au renversement des institutions ou à accéder au pouvoir, mais seulement à l’« assainissement » des structures en place, des pratiques des élus, à ce qu’on les écoute, que le gouvernement agisse. C’est notamment le RIC, placé en tant que revendication principale, qui incarne cela.

 

L’extrême droite

Le mouvement a été lancé sur une base dite « apolitique ». Et il est rapidement apparu, dès les semaines qui ont précédé le 17 novembre, que de nombreux militants d’extrême droite étaient partie prenante d’un mouvement que certains pouvaient qualifier de « poujadiste ». Ce n’est pas pour rien que l’imagerie nationaliste qui a inondée les différents groupes facebook, ainsi que certains discours relayés étaient clairs : l’extrême droite infusait le mouvement. Au fil du temps, ils se sont faits bien plus discrets, notamment suite aux accusations du pouvoir et à l’implication des collectifs antifascistes dans les manifestations. Désormais, l’extrême droite parait fort discrète, voire absente de certains cortèges.

Il n’empêche, on constate que les GJ se distinguent par un fourretout idéologique où se mêlent citoyennisme, communisme, nationalisme, anarchisme, poujadisme, complotisme, populisme et confusionnisme, le tout au nom du « peuple » et de « l’humanisme ».

En réalité, il semble que tout soit permis de penser tant qu’on est contre Macron et le système « oligarchique » qu’il incarne.

C’est ainsi que tous les extrêmes et ennemis du système politique en classe peuvent porter le gilet jaune : cela va de certaines organisations royalistes à des mouvances autonomes, des fans de Dieudonné l’antisémite à certains collectifs antifascistes qui se côtoient dans les mêmes manifestations. Et nombreux sont les gilets jaunes qui n’y voient aucune forme de contradiction : ils sont tous le peuple en lutte contre le tyran Macron.

Pour pas mal de personnes (souvent des militants et/ou intellectuels), le jaune semble plutôt résulter d’un mélange rouge brun, ce qui explique le retrait de nombreuses personnes dont la participation pourrait s’avérer fort précieuse au mouvement : militants, intellectuels, artistes, femmes, personnes racisées etc.

Le danger c’est que tant que cette acceptation de l’extrême droite au sein des GJ perdurera, les accusations d’antisémitisme, de xénophobie, de sexisme et autres portés contre les gilets jaunes feront mouche. Quoi qu’en disent la majorité des gilets jaunes.

Et puis il y a la police : si celle-ci venait à faire défection au pouvoir, ça pourrait être la composante d’extrême droite/rouge brune du mouvement qui en tirerait le plus profit.

(...)

 

Source : site Debout Education Populaire

https://educpopdebout.org/2019/03/10/etienne-est-venu-questionner-le-mouvements-des-gilets-jaunes/

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11 mars 2019 1 11 /03 /mars /2019 21:57

Etienne est venu questionner le mouvement des gilets jaunes

 

Dimanche 3 mars 2019 à 15h

Je vais développer mon argumentation autour de quatre thèmes:
– la montée de l’autoritarisme : interdictions de manifester, violences policières et intransigeance du pouvoir

– les champs de l’impuissance : violence, médias, syndicats et partis politiques
– les dangers confusion rouge brune et ses citoyennistes

– les solutions : occupations, educpop, horizontalité, patience et l’international

 

Généalogie

Lorsqu’il est question d’analyser le mouvement actuel dit des « gilets jaunes », on peut soit revenir aux premières révoltes médiévales contre l’impôt ou se concentrer sur le cas Macron et la levée de l’écran de fumée sur son « nouveau monde » inauguré en 2017 et fait de suppression de l’ISF, de taxe sur le gasoil, de vaisselle et de barbouzeries en tout genre.

2014
Je compte pour ma part remonter un peu plus et débuter mon analyse en 2014. En mars de cette année, le gouvernement de Jean Marc Ayrault, alors Premier ministre de Hollande, est contraint de démissionner suite à la terrible défaite des socialistes aux municipales. Cette défaite signe un désaveu terrible des électeurs suite aux deux années de pouvoir mou de Hollande. Il impose une remise en cause du parti et de son orientation. La question se pose : prendre un virage à gauche ou vers la droite (qui a pris de très nombreuses villes)? La réponse de Hollande est claire : il place Manuel Valls à Matignon puis, quelques mois plus tard, le jeune Emmanuel Macron à Bercy. Après avoir mise en avant la politique de l’offre en janvier (première version du ruissellement), au Mali, il transforme l’opération de sauvetage Serval en occupation permanente du territoire par l’armée française Barkhane ; à Paris, il interdit les manifestations de protestations qui font suite au bombardement de Gaza par l’armée israélienne – n’hésitant pas à collaborer avec des organisations d’extrêmes droites telles que la LDJ et à assimiler toute critique de la politique du gouvernement Netanyahou avec l’antisémitisme le plus crasse. Fin 2014, on aura droit à tout un cirque autour de Dieudonné, Valls se chargeant de faire la promotion du clown antisémite et de ses quenelles. J’y reviendrai.

2015
L’année commence avec un drame : les attentats de Charlie Hebdo. Sous couvert de défense de la laïcité, les vannes de l’islamophobie sont alors ouvertes. L’Etat se construit un ennemi intérieur : les musulmans, sommés de se désolidariser des djihadistes, de rejeter le port du voile et de se garder de critiquer la politique française en Afrique comme au Proche Orient.
Pendant qu’on apeure les gens avec l’Etat Islamique et ses rejetons, Macron tisse sa toile, le CICE continue d’alimenter les grosses boîtes ; à la télé, les derniers auteurs des Guignols de l’Info sont virés par Bolloré, qui condamne l’émission à une mort lente. Les attentats de novembre initient une séquence de radicalisation de l’État : mise en place de l’état d’urgence, interdiction de manifester durant la COP 21 et projet de déchéance de nationalité. Début 2016, la question sociale parait totalement étouffée et ce sont les thématiques d’extrême droite qui alimentent les médias.

2016
Le réveil vient de la jeunesse et des réseaux sociaux. En février, un projet de réforme du Code du travail fuite et, bien naturellement, une mobilisation s’engage. Ce sont les lycéens qui, sans attendre, engagent un mouvement de grève avec blocage des lycées et manifs plus ou moins spontanées. La réponse de l’état est violente et choque. Sur internet, une pétition lancée par un militante de gauche recueille plus d’un million de signatures = on peut y voir le signe que désormais, les français sont massivement connectés et considèrent internet comme un espace de mobilisation politique légitime.

Cette incursion d’internet dans les mobilisations est manifeste lors du mouvement de la loi travail qui, en quelques semaines, va s’accompagner du développement de nouvelles pratiques:

– Nuit Debout : l’inscription de la démocratie des places sur l’ensemble du territoire : horizontalisme, autonomie, refus de représentants, rejet des grands médias, manifestations spontanées et non déclarées.
– le cortège de tête : son rejet des centrales syndicales et des partis classiques, son aspiration au débordement, la construction d’une esthétique insurrectionnelle, notamment via le riot porn.

– le recours aux nouvelles technologies pour les discussions, la production et la diffusion d’images et de sons (notamment des violences policières) qui ont permis l’apparition d’automédias et de figures telles que Rémy Cuisine ou Nnoman.

– la popularisation d’écrits et de médias marqués très à gauche.
– la construction de solidarités et de collectifs qui, non tenus par le cadre associatif, ont été à la manoeuvre sur les places et les manifestations durant tout le printemps.

L’autre fait de 2016, c’est la mise en lumière des violences de l’État, incarnées par Valls et l’impunité accordée aux policiers durant le mouvement social (notamment dans les nombreuses attaques contre Nuit Debout place de la République) et surtout à l’occasion du meurtre d’Adama Traoré en juillet. On remarque que, contrairement aux précédents crimes policiers, la mort d’Adam Traoré a été suivie d’une mobilisation aussi bien en banlieue qu’à Paris et du soutien des forces qui s’étaient constituées/renforcées au printemps : signe d’une convergence à l’oeuvre. Un phénomène qui s’est confirmé à la suite de l’agression subie par Théo quelques mois plus tard.

2017
Il est difficile de dire à quel point Macron a fait mouche dans sa stratégie de campagne, basée sur l’organisation horizontale de groupes de discussion que certains pourraient voir comme inspirés du besoin exprimé dans les Nuit Debout. Le soutien de Bayrou, ainsi que les péripéties du PS et des LR ont largement contribué à sa prise de pouvoir. Ce qu’il faut retenir de 2017, ce sont les chiffres de l’abstention, notamment lors des législatives. Toute une partie de la population a clairement déserté le champ de la politique institutionnelle, pour des raisons très diverses.
Il reste un « monarque républicain » qui croit pouvoir bénéficier de la faiblesse des corps intermédiaires (partis, associations, élus, syndicats), de la solidité et de la loyauté des forces de l’ordre et de l’idiocratie ambiante infusée chaque jour par les mêmes médias qui ont porté sa candidature.

Les restes de 2016 sont pourtant bien vivants. La place de la République ne rassemble plus plusieurs milliers de personnes chaque jour depuis bien longtemps, mais elle continue d’accueillir chaque week-end quelques irréductibles de boutistes. Qu’il s’agisse du Front Social ou de Génération ingouvernable, les acteurs du printemps 2016 sont déterminés à maintenir la pression sur le pouvoir aussi bien sur le plan local que national. Ainsi, dès les premiers et seconds tours de l’élection présidentielle, le Front Social organise des manifestations sur des bases clairement politiques tout en marquant une volonté de développer une autonomie d’action vis-à-vis des centrales syndicales.

Et puis il y a aussi la ZAD de NDDL qui a permis de montrer que seul un engagement au long court sur un territoire bien identifié pouvait accoucher d’une victoire, aussi amère soit-elle.

(...)

Source : site Debout Education Populaire

https://educpopdebout.org/2019/03/10/etienne-est-venu-questionner-le-mouvements-des-gilets-jaunes/

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18 février 2011 5 18 /02 /février /2011 14:28

La Fortune de Moubarak

Et à quand les révélations sur les fortunes des autres dirigeants arabes

 

 

Message du 16/02/11 13:15

De : "Ben Wikler - Avaaz.org"

Objet : La fortune de Moubarak

 

 

Bonjour
 Nous sommes heureux de vous envoyer à nouveau des informations sur cette campagne et les autres actions impressionnantes du mouvement Avaaz, suite à la résolution d’un problème technique. Assurez-vous à présent que nos alertes atteignent votre boîte de réception en cliquant "Ajoutez à mes contacts" pour ajouter l'adresse 
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Avaaz.org - The World in Action 

Chers amis,

 

Moubarak est parti, mais il pourrait emporter avec lui une fortune colossale. Les estimations des sommes qu'il aurait détournées montent jusqu'à 70 milliards de dollars, plus d'un tiers de l'économie égyptienne.

 

Le temps presse pour s'engager au niveau mondial à geler les actifs de Moubarak avant qu'ils ne disparaissent dans un dédale de comptes bancaires secrets -- comme tant d'autres fortunes volées par des dictateurs. La Suisse a déjà gelé ses comptes et certains ministres européens ont proposé de coopérer. Mais sans un tollé mondial immédiat poussant tous les gouvernements à agir rapidement, les milliards de Moubarak risquent de disparaître. 

 

Appelons les dirigeants de toutes les nations à faire en sorte que l'argent de l'Égypte soit restitué à son peuple. Si nous atteignons 500 000 signatures, notre pétition sera remise aux ministres des finances du G20 qui se réunissent ce vendredi à Paris. Ensemble, unissons nos voix et diffusons le message!

 

http://www.avaaz.org/fr/mubaraks_fortune_fr/?vl

 

Des millions d'Égyptiens vivent avec moins de 2 dollars par jour, et les experts estiment que la corruption coûte à l'Égypte plus de 6 milliards de dollars d'argent public par an. La famille Moubarak elle-même a largement bénéficié de multiples contrats, plans de privatisation liés au népotisme, et autres investissements garantis par l'Etat tout au long des 30 années de la présidence de Moubarak. L'estimation de cette fortune varie de "seulement" 2 ou 3 milliards de dollars au chiffre étourdissant de 70 milliards de dollars, ce qui ferait de Hosni Moubarak l'homme le plus riche du monde.25 membres du gouvernement font d'ores et déjà l'objet d'une enquête pour avoir amassé des fortunes supérieures à 1 milliard de dollars alors qu'ils servaient sous ses ordres. 

 

Mais l'impunité ayant permis aux maîtres de la corruption de s'échapper avec leurs fortunes intactes est peut-être en train de prendre fin. La récente Convention des Nations Unies contre la Corruption demande explicitement la restitution des biens acquis via la corruption à leur pays d'origine, et le gouvernement militaire d'Égypte a déjà demandé à l'Union Européenne de geler la fortune de Moubarak. La question clé reste à présent de savoir si cette action prendra effet assez vite : toutes les lois du monde seront insuffisantes si les milliards de Moubarak s'envolent et deviennent hors d'atteinte avant que les autorités ne décident de les saisir

 

Nos voix, en tant que citoyens, peuvent aider le peuple égyptien à concrétiser les promesses de sa révolution. Rejoignez l'appel pour la restitution des richesses égyptiennes au peuple égyptien: 

 

http://www.avaaz.org/fr/mubaraks_fortune_fr/?vl

 

Tandis que des millions d'Egyptiens risquaient - et même donnaient - leurs vies pour la démocratie, nous ne pouvions pas faire beaucoup plus que d'offrir notre espoir et notre solidarité. Mais nous avons aujourd'hui un rôle particulier à jouer : tout faire pour restituer les biens de la nation volés par une dictature que nos propres gouvernements ont tolérée beaucoup trop longtemps. 

 

Les Égyptiens sont maintenant prêts à construire une nouvelle nation. Assurons-nous qu'ils récupèrent les ressources qui leur ont été volées, pour préparer un avenir que peu de gens avaient osé espérer. 

 

Avec espoir,

 

Ben, Alex, Ricken, Mia, Rewan, David, et toute l'équipe d'Avaaz

 

 

SOURCES

 

Avoirs de Moubarak : appel à une «action internationale», Le Figaro, 12 février: 
 http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2011/02/12/04016-20110212ARTFIG00364-la-suisse-gele-les-avoirs-de-la-famille-moubarak.php

 

L'Egypte demande le gel d'avoirs d'anciens responsables du régime Moubarak, Le Monde, 15 février: 

 http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2011/02/15/l-egypte-demande-le-gel-d-avoirs-d-anciens-responsables-du-regime-moubarak_1480192_3218.html

La traque de la fortune de Moubarak est lancée, Cyberpresse.ca, 15 février: 
 http://lapresseaffaires.cyberpresse.ca/economie/international/201102/15/01-4370563-la-traque-de-la-fortune-de-moubarak-est-lancee.php

 

Les Européens sous pression pour geler les avoirs de responsables égyptiens, AFP, 15 février:

 http://www.google.com/hostednews/afp/article/ALeqM5iubJizJzabuBhwo4cMDIS3uvCRqw?docId=CNG.9c4e83d9deee75dc95a2a63e1c3bfc33.3a1

 

Comment restituer l’argent détourné par les dictateurs? Le rôle de la Convention des Nations-Unies, La Croix, 14 février:


 http://www.la-croix.com/Comment-restituer-l-argent-detourne-par-les-dictateurs-/article/2455455/55351 

 

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16 février 2011 3 16 /02 /février /2011 10:26

LETTRE D’UN PROFESSEUR DES ÉCOLES

Diffusée par le Mouvement politique d’éducation populaire (M’PEP)

Le 15 février 2011.

 

Le M’PEP vous invite à lire ce poème d’un professeur des écoles et à le faire largement circuler.

 

Monsieur Le Président, merci de lire ce message :

Un p’tit bonheur sur une page,
Une douceur... pour l’Éducation Nationale.

Je le confie à la toile,
La grande toile du progrès,
Afin qu’il tisse les voiles...
De la solidarité,
Et qu’il rayonne aux ondes…
De l’humanité.

Je suis Professeur des Écoles
Dans un petit village de l’Eure,
Trois cents âmes y demeurent,
Et vingt-six élèves à l’école…
Une classe, dite « unique »,
Mais cinq cours, dits multiples...

Dans cette école une chance,
Un p’tit morceau de bonheur,
Qui s’écrit avec ces trois lettres :
Employée de la Vie Scolaire…

Pour l’Éducation Nationale,
Un p’tit bonheur, c’est pas banal,
Un léger baume sur le cœur
De cette Grande Dame
Un peu... bancale !

Notre bonheur, c’est Géraldine,
En silence elle participe
A la guérison d’la Grande Dame...
Elle est... une Valeur Ajoutée
HUMAINE rentabilité,
Et c’est du bonheur... assuré !

Dès le matin, elle s’active,
C’est sur le net qu’elle s’incline
Les courriers, les notes de service,
Toutes les infos de l’inspectrice,
Et celles de l’Académie....

Mes mots notés au brouillon,
Les compte-rendus de réunion,
Tapés, imprimés, photocopiés,
Enveloppés, adressés, timbrés,
Prêts à être distribués...

Encadrés, les derniers dessins des CP,
Affichés, sinon... à quoi bon dessiner ?
Un CM vient montrer son texte sur le musée,
Elle l’aide à le recopier, à taper sur le clavier…
Afin de ne pas gêner, le travail commencé,
Un autre enfant vient finir avec elle l’exercice,
Elle explique et décortique, redonne de l’énergie...

Rangée la bibliothèque,
Notés les livres prêtés,
Elle prépare la maquette,
La une du journal scolaire...
Ah ! Notre petit journal
« Magique », ils l’ont appelé
Quel travail de fourmi,
J’y passerai... des nuits ?

Sonne la récréation, une mi-temps pour souffler,
Elle me rejoint, souriante, à la main nos deux cafés,
Quelques chaudes gorgées, entre... deux conflits à régler,
Des solutions à trouver, des mots à reformuler,
Une écorchure à soigner, une blessure à consoler...
Et puis... c’est reparti !
Sur les chemins de la connaissance,
Vaincre ainsi sans cesse l’ignorance,
Avec labeur, effort, sérieux,
S’ouvrir l’esprit, être curieux.
Ne pas oublier l’insouciance,
De tous ces êtres en enfance,
La bonne blague !... On la mettra dans le journal,
Les bons gags, et les rires, c’est vital !

Dans les pots
Les peintures sont bien préparées,
Quatre enfants sur un chevalet,
Deux à l’ordi pour recopier,
Les autres en dessin sur papier,
... Sans elle, jamais...
Ce ne serait si bien géré.

Le soir, coup de fil...
C’est Géraldine,
A sa voix, je perçois,
Une blessure qui abîme...
Écoute, me dit-elle... c’est à pleurer !
Du « Pôle Emploi » j’ai reçu... un imprimé,
Dans quelques semaines, c’est marqué,
Votre contrat est terminé...
Ils me demandent ce que j’ai fait,
Pour trouver un futur emploi…

Sa voix se fêle... "J’ai… un emploi ! »
Ils me demandent ce que j’ai fait,
pour me former, pour m’insérer,
Sa voix se gèle… puis accélère : « Je... suis formée,
depuis trois ans, j’me sens utile, insérée et c’est varié,
pas bien payé, mais... j’veux rester ! »
Sa voix s’étrangle... c’est à pleurer...
Ils me demandent mes compétences
C’que j’ai acquis, que vais-je répondre ?
Il y a l’espace... d’UNE LIGNE
UNE LIGNE... mais tu te rends compte !

J’ai honte, honte... il aurait fallu UNE PAGE
Au moins UNE PAGE pour répondre,
J’ai honte, honte... pour notre Grande Dame
Pour ceux qui l’ont créée, l’ont fait évoluer,
Qui a tant appris aux enfants,
Qui a tant encore à leur apprendre…

Et Géraldine ???
On n’lui dira même pas MERCI
Bien sûr, pas de parachute doré,
Et même pas d’indemnité
Ils lui précisent... Oh !... comme ils disent
D’étudier ses droits... pour... le R.M.I.
Elle a raison... c’est à pleurer...
Alors qu’on demande chaque jour,
A nos élèves de dire « Bonjour »
De dire « Au revoir » et... « Merci »
De s’respecter, d’être poli
Comme vous dites, Monsieur Sarkozy...
Que vais-je dire, à la p’tite fille,
Qui l’autre jour, près de moi, s’est assise,
Et, tout fièrement, m’a dit :
« Tu sais, Maîtresse, moi, quand j’serai grande,
J’irai au collège, comme mon grand frère,
J’irai au lycée, j’passerai mon bac,
Et je ferai... comme Géraldine ! »
Je sursaute... Mon cœur se serre... C’est à pleurer.

C.Picavet
Professeur des écoles à l’école des Livres Magiques Saint-Grégoire du Vièvre (Eure)

 

En hommage à toutes les Géraldine, Florence, Sabrina, Laurence, Elodie, à tous les Philippe, Sébastien, et bien d’autres qui ont valorisé mon travail, et participé à la guérison d’la Grande Dame... qui est encore bien malade...

Je ne crois pas à la peur, je crois à la force et à la magie des mots,
Et pour garder notre bonheur, il suffirait de quelque Euros...
Quel patron, quelle entreprise, après trois ans de formation, Jetterait son salarié, pour prendre un autre, recommencer ?
Quel jardinier, quel paysan, brûlerait sa récolte 
mûre, après avoir semé, soigné ?
Je n’ai pas fumé la moquette
Je veux seulement que l’on arrête, De prendre les gens pour des pions,
Qu’on arrête de tourner en rond !
Torpillé le « Chagrin d’école »En mille miettes de BONHEUR !

En l’honneur de tous ces p’tits bonheurs…
INONDONS LE NET
les amis, les décideurs,
les chômeurs, les travailleurs,
les directeurs, les inspecteurs,
employés et professeurs,
députés, ministres,
rmistes ou artistes,
chanteurs, compositeurs, rappeurs, slameurs,
radios, journaux, télés,
et à tous ceux qui sont... parents... d’un enfant...
enfin à chaque être humain de ce pays
qui j’espère un jour dans sa vie,
a bénéficié d’un peu de bonheur,
de cette Valeur Ajoutée
HUMAINE rentabilité,
dans le giron de la Grande Dame.

P.S. : Ironie... A la rentrée, c’est presque sûr
Notre petite école rurale
Sera dotée d’une Valeur Matérielle Ajoutée,
Des fonds ont été débloqués,
Huit ordinateurs et un tableau interactif
Nous serons à la pointe du progrès ! Et pour cela, je serai formée !
Mais, qui m’aidera à installer, et à gérer, sans Valeur Humaine
Ajoutée ?

A LIRE, PUIS A TRANSMETTRE merci

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15 février 2011 2 15 /02 /février /2011 10:15

SAMIR AMIN SUR LA RÉVOLUTION ÉGYPTIENNE

Diffusé par le Mouvement politique d’éducation populaire (M’PEP).

Le 12 février 2011.

Économiste franco-égyptien, membre du Conseil international du Forum social mondial et président du Forum mondial des alternatives, Samir Amin analyse les enjeux politiques et économiques de la crise que traverse l’Égypte. L’entretien a été réalisé depuis Dakar au Forum social mondial par Rosa Moussaoui, journaliste envoyée spéciale de L’Humanité.

Question - Les événements qui secouent la Tunisie et l’Égypte relèvent-ils de simples « révoltes populaires » ou signent-ils l’entrée de ces pays dans des processus révolutionnaires ? 

Samir Amin - Il s’agit de révoltes sociales potentiellement porteuses de la cristallisation d’alternatives, qui peuvent à long terme s’inscrire dans une perspective socialiste. C’est la raison pour laquelle le système capitaliste, le capital des monopoles dominants à l’échelle mondiale, ne peut tolérer le développement de ces mouvements. Il mobilisera tous les moyens de déstabilisation possibles, des pressions économiques et financières jusqu’à la menace militaire. Il soutiendra, selon les circonstances, soit les fausses alternatives fascistes ou fascisantes, soit la mise en place de dictatures militaires. Il ne faut pas croire un mot de ce que dit Obama. Obama, c’est Bush, mais avec un autre langage. Il y a là une duplicité permanente. En fait, dans le cas de l’Égypte, les États-Unis soutiennent le régime. Ils peuvent finir par juger plus utile le sacrifice de la personne de Moubarak. Mais ils ne renonceront pas à sauvegarder l’essentiel : le système militaire et policier. Ils peuvent envisager le renforcement de ce système militaire et policier grâce à une alliance avec les Frères musulmans. En fait, les dirigeants des États-Unis ont en tête le modèle pakistanais, qui n’est pas un modèle démocratique mais une combinaison entre un pouvoir dit islamique et une dictature militaire. Toutefois, dans le cas de l’Égypte, une bonne partie des forces populaires qui se sont mobilisées sont parfaitement conscientes de ces visées. Le peuple égyptien est très politisé. L’histoire de l’Égypte est celle d’un pays qui tente d’émerger depuis le début du XIXe siècle, qui a été battu par ses propres insuffisances, mais surtout par des agressions extérieures répétées.

Question - Ces soulèvements sont surtout le fait de jeunes précarisés, de diplômés chômeurs. Comment les expliquez-vous ? 

Samir Amin - L’Égypte de Nasser disposait d’un système économique et social critiquable, mais cohérent. Nasser a fait le pari de l’industrialisation pour sortir de la spécialisation internationale coloniale qui cantonnait le pays à l’exportation de coton. Ce système a su assurer une bonne distribution des revenus en faveur des classes moyennes, mais sans appauvrissement des classes populaires. Cette page s’est tournée à la suite des agressions militaires de 1956 et de 1967 qui mobilisèrent Israël. Sadate et plus encore Moubarak ont œuvré au démantèlement du système productif égyptien, auquel ils ont substitué un système totalement incohérent, exclusivement fondé sur la recherche de rentabilité. Les taux de croissance égyptiens prétendument élevés, qu’exalte depuis trente ans la Banque mondiale, n’ont aucune signification. C’est de la poudre aux yeux. La croissance égyptienne est très vulnérable, dépendante du marché extérieur et du flux de capitaux pétroliers venus des pays rentiers du Golfe. Avec la crise du système mondial, cette vulnérabilité s’est manifestée par un brutal essoufflement. Cette croissance s’est accompagnée d’une incroyable montée des inégalités et du chômage, qui frappe une majorité de jeunes. Cette situation était explosive, elle a explosé. Ce qui est désormais engagé, au-delà des revendications initiales de départ du régime et d’instauration des libertés démocratiques, c’est une bataille politique.

Question - Pourquoi les Frères musulmans tentent-ils désormais de se présenter comme des « modérés » ? 

Samir Amin - Parce qu’on leur demande de jouer ce jeu. Les Frères musulmans n’ont jamais été des modérés. Il ne s’agit pas d’un mouvement religieux, mais d’un mouvement politique qui utilise la religion. Dès sa fondation en 1920 par les Britanniques et la monarchie, ce mouvement a joué un rôle actif d’agent anticommuniste, anti-progressiste, antidémocratique. C’est la raison d’être des Frères musulmans et ils la revendiquent. Ils l’affirment ouvertement : s’ils gagnent une élection, ce sera la dernière, parce que le régime électoral serait un régime occidental importé contraire à la nature islamique. Ils n’ont absolument rien changé sur ce plan. En réalité, l’islam politique a toujours été soutenu par les États-Unis. Ils ont présenté les talibans dans la guerre contre l’Union soviétique comme des héros de la liberté. Lorsque les talibans ont fermé les écoles de filles créées par les communistes, il s’est trouvé des mouvements féministes aux États-Unis pour expliquer qu’il fallait respecter les « traditions » de ce pays. Ceci relève d’un double jeu. D’un côté, le soutien. De l’autre, l’instrumentalisation des excès naturels des fondamentalistes pour alimenter le rejet des immigrés et justifier les agressions militaires. Conformément à cette stratégie, le régime de Moubarak n’a jamais lutté contre l’islam politique. Au contraire, il l’a intégré dans son système.

Question - Moubarak a-t-il sous-traité la société égyptienne aux Frères musulmans ? 

Samir Amin - Absolument. Il leur a confié trois institutions fondamentales : la justice, l’éducation et la télévision. Mais le régime militaire veut conserver pour lui la direction, revendiquée par les Frères musulmans. Les États-Unis utilisent ce conflit mineur au sein de l’alliance entre militaires et islamistes pour s’assurer de la docilité des uns comme des autres. L’essentiel est que tous acceptent le capitalisme tel qu’il est. Les Frères musulmans n’ont jamais envisagé de changer les choses de manière sérieuse. D’ailleurs lors des grandes grèves ouvrières de 2007-2008, leurs parlementaires ont voté avec le gouvernement contre les grévistes. Face aux luttes des paysans expulsés de leur terre par les grands propriétaires fonciers, les Frères musulmans prennent partie contre le mouvement paysan. Pour eux la propriété privée, la libre entreprise et le profit sont sacrés.

Question - Quelles sont leurs visées à l’échelle du Proche-Orient ? 

Samir Amin - Tous sont très dociles. Les militaires comme les Frères musulmans acceptent l’hégémonie des États-Unis dans la région et la paix avec Israël telle qu’elle est. Les uns comme les autres continueront à faire preuve de cette complaisance qui permet à Israël de poursuivre la colonisation de ce qui reste de la Palestine.

Mis en ligne sur le site : http://www.m-pep.org/

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14 février 2011 1 14 /02 /février /2011 14:02

La révolution en Tunisie

 

 

La révolution en Tunisie a été le facteur déclenchant du soulèvement qui touche aujourd’hui l’Algérie et l’Égypte, mais elle se présente comme une combinaison originale de mobilisations.

D’une jeunesse diplômée sans emploi, culturellement très avancée. Trois tunisiens sur cent sont étudiants (4 sur 100 en France) et plus de la moitié des étudiants sont des étudiantes. L’école d’informatique est reconnue mondialement. Et pourtant le taux de chômage de 14% pour l’ensemble de la population est de 30% pour les diplômés de l’enseignement supérieur, faute d’investissements dans des activités susceptibles de recourir à leurs compétences. L’utilisation d’internet a été développée dès le début des années 1990, et différentes techniques d’anonymisation ont permis d’oser la critique du régime, surtout sur le problème du contrôle de l’information. Les blogs et les réseaux sociaux ont été les chevilles ouvrières de la mobilisation. Le nouveau ministre de la Jeunesse Slim Amamou a été emprisonné et torturé pendant les évènements pour son usage de Facebook et pour son blog. Ces jeunes tunisiens ressemblent comme deux gouttes d’eau aux jeunes précaires et intermittents européens (1) qui luttent au sein du nouveau capitalisme avec des formes de résistances inédites, permises par les technologies de communication.

 

De luttes considérables intervenues en 1978 (la première grande grève générale ouvrière du monde arabe) et en 1981. Ces luttes, renouvelées en 2008 dans les bassins miniers de Redeyef ou de Gafsa, ont formé des cadres syndicalistes de très haut niveau, capables de développer un projet pour le pays. En témoigne le programme économique de l’Union Générale des Travailleurs Tunisiens qui montrait les tensions croissantes auxquelles est soumis un État qui pour rester rentier doit devenir prédateur. L’UGTT a joué un rôle essentiel dans l’aboutissement du mouvement du dernier mois avec l’organisation d’une grève générale par vagues régionales successives dont le point de départ à Sfax le mercredi 13 janvier a pesé lourd avec 40 000 manifestants et toutes les entreprises fermées tandis que les camions militaires étaient applaudis par les manifestants. Dès lors la grève générale de la région de Tunis  (2) annoncée pour le samedi s’annonçait décisive et elle l’a été puisque Ben Ali est parti le vendredi à 16 heures. Le courant de soumission et d’intégration au pouvoir est devenu minoritaire et la démission des trois ministres de l’UGTT du premier gouvernement de transition a appelé à une accélération de la transition.

 

D’avocats, de chercheurs, de professionnels de la santé et de journalistes toujours très mobilisés sur les droits de l’homme, sur la santé, sur l’égalité hommes/femmes, sur la formation. Ils ont formé de solides réseaux actifs et solidaires. Ils ont fait vivre et survivre des associations des Droits de l’Homme, des associations féministes comme l’Association des femmes démocrates (3).

 

Parmi les nouveaux ministres nommés aujourd’hui, que les partis politiques de l’émigration ne connaissent pas, il y a des hommes et des femmes très insérés dans les politiques alternatives qu’ils ont essayé de promouvoir chacun dans leur secteur, et qui pouvaient sembler autant de confettis tant la coordination sous la dictature était impossible.

Un socle constitutionnel (très modifié par Ben Ali dans un sens dictatorial) hérité du bourguibisme qui offre un code du statut personnel beaucoup plus avancé qu’ailleurs et donne la possibilité de vivre la religion musulmane dans une certaine laïcité de l’espace public. La révolution tunisienne fera mentir tous ceux qui pensent que le destin d’un pays arabe est de se battre contre l’islamisme.

 

L’aveuglement de tous (gauche comme droite) sur le supposé miracle économique tunisien a vite été démasqué par le mouvement. La fascination pour l’économie et ses indicateurs (croissance, PIB, taux national du chômage) n’a pas permis de voir la crise réelle qui est une crise sociale globale (4). Alors qu’aujourd’hui on fait état d’une rente de 30% de l’économie aux mains du clan Ben Ali et d’une prédation de plusieurs milliards par an envoyées à l’étranger, les observateurs internationaux indiquaient déjà que la corruption et les acquisitions illégales se montaient à 10% du PIB, soit 4 milliards de dollars par an. Ce système fonctionnait de plus en plus comme une bulle à travers le prêt et l’endettement.

 

Tous ces éléments donnent à la population, aux jeunes, aux femmes, aux ouvriers, la capacité et la volonté d’une pratique non violente, car ils se sentent sûrs de leur droit et de leurs avancées. La fraternisation des policiers (qui ont manifesté pour créer un syndicat) et des militaires qui ont refusé d’utiliser la force, l’auto organisation des quartiers et des immeubles pendant des jours et des jours pour résister et chasser les milices de Ben Ali sont des phénomènes propres à la société tunisienne et découlant de son niveau politique et culturel global (5). Chaque jour le mouvement populaire a été plus loin que les échéances que se donnaient les partis politiques ou la majorité du syndicat. Les révoltés, protagonistes réels de cette révolution, ne veulent pas être écartés et élargissent leur espace potentiel en permanence.

 

L’œuvre réalisée est inégalée dans l’histoire récente, les initiatives se multiplient. Comment faire pour que l’euphorie ne laisse pas la place à la perplexité devant l’immensité du changement à accomplir ?

 

La France et l’Europe se sont discréditées par les positions de son ministre des Armées et de son Parlement européen. Dès lors notre aide aux Tunisiens pour approfondir leur révolution est aussi un acte de lutte contre Sarzoky pour changer nous-mêmes (6).

 

D’ores et déjà nous pouvons contribuer à créer des faits irréversibles :

 développer rapidement une forme originale et très avancée d’association à l’Europe (ne pas rater à nouveau ce que nous avons raté avec la Yougoslavie. La Tunisie pourrait être le premier État à majorité musulmane à entrer dans l’Europe, avant la Turquie) ;

 mettre en place des plateformes de co-développement en France dans les régions ;

 mobiliser tous les projets possibles pour appuyer la naissance de réseaux d’association, d’entreprise de presse, de médias indépendants, de revues ;

 encourager l’immigration à tourner tout son savoir-faire appris en France vers la Tunisie : cela peut changer fortement l’image que l’immigration a intériorisé d’elle même depuis des années et donner un sens à leur parcours et leur histoire d’exil. Ce changement d’esprit de l’immigration sera aussi très utile pour saper certaines bases du populisme anti-immigré.

Aujourd’hui grâce à la révolution tunisienne tous les Tunisiens sont félicités, admirés, écoutés, considérés en citoyens. Tous sont devenus un petit morceau du héros collectif de Tunisie.

 

 

(1) Les jeunes qui travaillent dans les centres d’appel étaient 12 000 en 2009 dans 190 centres. Compte-tenu de la précarité et de dureté de ce travail on peut compter près de 50 000 jeunes y ayant travaillé à un moment ou un autre.

(2) L’union régionale de Tunis (3 millions d’habitants sur 10 millions) est la principale structure de l’UGTT. Elle a basculé dans la critique dès le début des événements et appelé à une manifestation le 17 décembre devant le siège de l’UGTT.

(3) L’association des femmes démocrates a organisé une importante manifestation à Tunis le 29 janvier.

(4) Le rapport du PNUD de 2010 fait état d’un miracle tunisien en matière de développement humain (Francisco R. Rodríguez et Emma Samman). Illusion des indicateurs utilisés qui manifeste cet aveuglement des observateurs ou réalité partielle qui signifie que l’amélioration encourage l’élargissement des libertés et des choix intégraux des peuples ? Difficile de s’y retrouver pour ceux qui opposent l’indicateur d’Amartaya Sen à celui de Strauss Kahn.

(5) Quelques commentateurs spécialiste de l’islam comme Jean-François Bayart dans Médiapart tiennent le discours symétrique de celui de Sarkozy sur le mépris des peuples : « La Tunis de janvier 2011 est plus proche de Bucarest 1989, la chute a été trop rapide pour être honnête »

(6) Un exemple de l’affinité Sarkozy Ben Ali est le projet de réforme des retraites en Tunisie calquée sur celui de Woerth. Présenté en août 2010 il propose de la passer de 60 à 62 ans. Le cycle de renouvellement des 51 conventions collectives prévu entre septembre et décembre 2010 a donné lieu à une grogne tellement forte que Business News écrivait le 8 sept 2010 : « il ne sera pas surprenant de voir l’UTICA (syndicat du patronat) se rallier à l’UGTT pour un même combat. A notre avis, l’urgence, ce ne sont pas les retraités de 2016 ou de 2020, ce sont les chômeurs d’aujourd’hui ».

 

Frédéric Brun

Mise en ligne le lundi 7 février 2011sur le site http://multitudes.samizdat.net

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13 février 2011 7 13 /02 /février /2011 16:49

Pour que d’autres Bouazizi soient épargnés

 

Dans le formidable élan d’espoir que nous traversons depuis le 14 janvier, nos yeux voient défiler chaque jour des images incroyables, des scènes du réel non vues depuis que nous avons accédé à une vie adulte, depuis que la Tunisie dispose d’une infrastructure médiatique. Des témoignages de tous bords courent sur les vidéos, des reportages tous azimuts sont conduits par mille et un témoins, des caricatures drôles défilent sur nos écrans de télé et d’ordinateur, des sketchs décapants nous font rire de milliers d’émissions et de discours subis dans la colère puis enfouis dans un coin de nos cerveaux indifférents. Nos oreilles saturées de langue de bois entendent des mots inventés par les jeunes, découvrent des slogans nés dans la rue, des paroles politiques émanant de citoyens, écoutent des chansons revendicatrices et des refrains recomposés sur des airs familiers. Nos radios sorties du formol nous donnent à interpréter des essais d’analyse d’interviewés innombrables, improvisent des débats entre intellectuels et membres de la société civile qui ne bénéficiaient que des micros de rares médias étrangers. Nos courriels abondent de messages de sympathie et d’admiration des amis du Maghreb, du Machreq, de France et d’Europe habitués à la prudence pour nous « protéger », d’abord incrédules puis qui se sont mis à croire à ce miracle que nous vivons enfin. Nous recevons des textes, nous envoyons des documents jusque là interdits, nous rédigeons des commentaires qui étaient impossibles à échanger sans peur et sans risque. Nous nous écrivons enfin nos impressions, nous commençons à exprimer notre joie et notre deuil mêlés, nous relatons nos espoirs et nos angoisses, nous racontons nos attentes et nos craintes.

 

Chaque jour, la peur recule, l’inquiétude s’atténue, la méfiance s’émousse tandis que des idées encore floues se mettent en place, des opinions s’ordonnent et des avis se croisent, engendrant des questionnements sur notre présent, des retours sur les événements depuis l’immolation de Mohamed Bouazizi jusqu’à la folle journée du 14 janvier. Entre l’information immédiate qui se bouscule et nos discussions passionnées, notre passé immédiat apparaît jalonné de trous noirs comme notre histoire récente et lointaine pleine de faits connus apparaît comme incomprise dans sa longue durée et coupée du réel qui nous envahit. Dans la houle de faits et d’événements qui nous submerge, nos consciences sont ébahies par notre jeunesse et son potentiel de vie, éblouies par le courage des hommes et des femmes, touchées par le bon sens contestataire des enfants. Notre existence publique bâtie sur des habitudes professionnelles perfusées de léthargie et des pratiques administratives que le temps a fini par enkyster dans notre cortex individuel et collectif était consolée par des satisfactions personnelles limitées, une créativité artistique contenue, des textes timides et pas discutés, des rencontres surveillées, une production culturelle vaillante mais non épanouie. Cette vie ressemble aujourd’hui à une hibernation qui nous a conservés vivants, dans quelques niches, mais nous laisse lents à nous décongeler, indolents et mous, assommés et engourdis, inaptes à nous mêler encore à cette onde qui enfle et grossit.

 

Il nous faut du temps pour accéder à la chaleur qui nous irradie, pour nous pénétrer des énergies du soleil que nous arrivons à percevoir, pour secouer une léthargie aujourd’hui métabolisée, pour comprendre les raisons du long silence que l’on a vécu et entretenu, pour déchiffrer les étapes qui nous ont conduits à accepter ce qui nous semble tout d’un coup inacceptable. Nous avons beaucoup à faire pour démêler toutes les accumulations nocives, pour assainir nos réflexes, pour guérir les plaies de nos institutions, pour assimiler les nouvelles graines que nous voulons semer, pour habiter la maison qui subsiste sous les décombres de l’ancienne, démolie par ce tremblement de terre béni mais dont nous devons récupérer le bon et le sain, extirper ce qui est avarié, abimé, détérioré. Toutes les morts qui ont suivi celle de Bouazizi ont détruit la maison Tunisie mais dans le ciment qui entretenait un semblant de vie collective, dans l’enduit où se dessinait un simulacre de citoyenneté, dans la peinture d’un faux-semblant de démocratie, dans un fac-similé de prospérité, dans le décor d’une richesse de façade.

 

En attendant de nous remettre de notre émotion, de nous dégeler, de nous défaire de nos mutismes, de prendre la mesure de notre absence aujourd’hui, de participer pleinement à cette vague salvatrice, d’exercer chacun de sa place et à sa place le rôle qui lui incombe à l’avenir, des Tunisiens ont pris les rênes de l’urgence, se sont mis au travail sur les décombres, apportent leur contribution à cette première phase d’une reconstruction qui promet d’être longue et difficile, d’un rétablissement lent et progressif.

 

Donnons à ces « urgentistes » le temps de travailler pour nous donner le temps de réaliser ce qui nous arrive. Donnons leur le temps d’agir pour réinvestir un lien social que l’on a eu le bonheur de découvrir pas mort, de réagir au jour le jour aux dysfonctionnements d’une communication encore trébuchante devant la liberté retrouvée, de pointer les injustices criantes qui empoisonnent notre vie sociale, de rebâtir les lieux du quotidien où va se communiquer le calme nécessaire à la reprise. Laissons-nous le temps de retrouver en nous et entre nous la confiance nécessaire pour reprendre l’activité économique qui nous lie au monde, pour réanimer la vie scolaire et universitaire qui tranquilliserait nos foyers demandeurs de savoir, pour commencer à vivre dans nos familles, nos bureaux, nos transports la diversité, la fluidité et la consistance qui font toute vie collective. Donnons le temps à ces « pompiers » valeureux qui se sont jetés dans l’incendie d’extraire les dernières braises, de nettoyer ce qui risquerait de s’embraser, pour que d’autres Bouazizi soient épargnés et pour que l’on commence à jouir de la beauté de ce qui nous arrive afin de le réinvestir dans une sérénité partagée.

 

Kmar Bendana

Hammam-Lif, le 25 janvier 2011

Mise en ligne le lundi 7 février 2011 sur le site http://multitudes.samizdat.net

 

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11 février 2011 5 11 /02 /février /2011 12:40

Pour éclairer les événements surprenants en Égypte et dans le monde arabe une analyse anthropologique du geste de Bouazizi.

 

Anthropologie du geste de Mohamed Bouazizi

 

Nous vivons des moments exceptionnels. Le monde arabe, surtout africain, connaît un véritable tsunami révolutionnaire qu’on aurait à peine osé imaginer il y a quelques mois. L’étincelle est venue de ce héros tunisien Mohamed Bouazizi, qui pour défendre ses droits face à  la cleptocratie tunisienne, s’est immolé par le feu publiquement.

 

On a compris son geste comme un geste économique et politique de révolte contre les autorités. Ce geste a fait mouche puis a fait  école. Il a été suivi par des gestes comparables un peu partout dans  le monde arabe où la révolte contre les autorités a besoin d’instruments pour s’exprimer. Telle serait au fond la compréhension  politique qu’on pourrait donner à ce geste.

 

On a pourtant le sentiment que cette interprétation n’épuise pas la valeur du geste. Ne serait-ce que parce qu’il est purement socio- économique. Il est rare que dans le monde arabe un geste d’une telle envergure n’ait pas une dimension religieuse, anti-impérialiste ou anti-israélienne. On a l’impression qu’il s’agit d’un geste épuré qui a été vidé de toute la complexité habituellement annexée à de tels  gestes. On pourrait même dire que pour la première fois dans  l’histoire du monde arabe, un geste d’une telle pureté socio-économique a réussi à provoquer un tel raz-de-marée. Deux grandes premières donc : la pureté du geste et l’ampleur de son impact. On pourrait parler d’un changement majeur dans la conscience des Arabes  tant à un niveau individuel qu’à un niveau collectif.

 

Il faut faire appel à l’anthropologie pour vraiment saisir, sans méconnaître leur richesse, la valeur de ces évènements qui se succèdent dans un rapport de cause à effet. La vision politique  retient la cause qui produit l’effet, mais ne peut saisir l’originalité de la cause aussi bien que l’originalité de l’effet dans  leurs rapports au paradigme précédent.

 

L’anthropologie c’est l’étude des fondements de notre humanité, des rapports que nous entretenons avec les deux bouts de notre vie : la naissance et la mort. Il s’agira ici de comprendre un certain rapport avec la mort que nous a offert Bouazizi en s’immolant, rapport qui se démarque de celui qui nous a occupé durant les vingt dernières années : celui de la ceinture explosive des Islamistes.

 

La ceinture explosive a ceci de particulier qu’elle ne respecte pas l’intégrité du corps. Elle le disperse en morceaux sur une grande  étendue. Sans compter que celui qui se fait exploser ne consent à  mourir que s’il emporte avec lui un certain nombre d’ennemis. Sinon  l’islam ne l’autoriserait pas à s’enlever la vie. La récompense du  suicidé est ailleurs, dans l’autre monde. L’attentat a donc un caractère sacré. Il est offert à la divinité dans la perspective d’une  rétribution dans l’au-delà. En mettant tous ces éléments bout à bout, on peut dire qu’il s’agit d’un rapport à la vie, à l’espace, à la  mort, qui a toutes les caractéristiques du nomadisme.

 

L’idée de corps en dispersion est une métaphore de la dispersion de la tribu nomade dans de vastes espaces. L’importance du religieux comme ciment de la vie nomade est apparente aussi dans les motivations du suicidé. Il ne peut disposer librement de sa vie et doit justifier sa mort, aussi désespérée fut-elle, par le meurtre de l’ennemi. Le  caractère nomadique transparaît aussi du fait que les militants  islamistes trouvent leur soutien auprès des nomades du Sahara, du  Sinaï ou des zones tribales du Pakistan.  La conséquence de ce  caractère nomadique a été que la nébuleuse islamiste n’a jamais réussi  à prendre le pouvoir en zone urbaine. Les seules exceptions étant  Ghazza et l’Iran.

 

L’Iran appartient à la mouvance islamiste chiite. Et, contrairement à  la mouvance sunnite, l’Iran a toujours eu une philosophie dialectique implicite depuis les temps préislamiques. Les Perses ont été  Zoroastriens avant d’être Musulmans et ont conservé, dans leur pensée,  l’idée d’une dialectique implicite entre l’ombre et la lumière, le  bien et le mal.

 

Cette opposition dialectique se traduit aussi entre le corps et  l’esprit. Les Chiites ont une façon tout à fait exceptionnelle de  traiter leur corps qu’on peut observer dans les cérémonies de la  Achoura. Ils traitent alors leur corps en le flagellant et en le  frappant avec des épées de façon tout à fait comparable aux parcours des chemins de croix qu’on pratique à Pâques en Amérique du Sud ou aux Philippines. Ici la surface corporelle est mise en valeur par les  blessures qu’on lui inflige, mais elle reste cohérente jusqu’au bout.  Jamais elle n’est soumise à l’éclatement et à la dispersion.

 

L’Islam sunnite au contraire est un Islam unitaire pour lequel le  corps et l’esprit ne font qu’une seule et même entité. Il n’est pas question pour lui de maltraiter le corps après l’avoir distingué de  l’esprit comme le font les Chiites et les Chrétiens. Il est pris entre  l’un et le multiple et ne connaît pas la dualité.  En cas de  difficulté, lorsque l’Un ne fait plus l’affaire, il n’a d’autre  alternative que le multiple.  Dans ce cas l’explosion.

 

Le deuxième contre-exemple à la difficulté des Islamistes à prendre le pouvoir est celui de Ghazza. On pourrait facilement considérer Ghazza comme une zone nomade à la périphérie d’Israël. D’ailleurs, le blocus extrêmement rigide auquel Ghazza a été soumise est sans doute la  preuve que la crainte d’un éclatement ou d’une dispersion était à la  base de ce comportement très peu logique et contre-productif des  Israéliens. On peut penser que la réaction des pays occidentaux était  fondée sur le même fantasme d’une crainte de l’éclatement. La prise de  pouvoir du Hamas à Ghazza, c’est-à-dire sa capacité d’être responsable  de ses frontières n’est pensable que parce que ces mêmes frontières  sont définies par la pression israélienne.

 

L’islamisme sunnite se définit par le nomadisme, l’éclatement et la dispersion du corps. Mais il se définit aussi par son refus de jouer le jeu hégélien de l’Occident. Ce jeu philosophique consiste à se  soumettre à la force par crainte d’être tué comme Hegel le décrit dans  son mythe du maître et de l’esclave.

 

L’islamiste sunnite refuse la crainte de mourir parce qu’il sait que cette crainte reviendrait à reconnaître le maître qu’est l’Occident.  Il refuse à l’Occident cette reconnaissance dont il a besoin. Le corps  de la femme qui s’offre au regard est aussi une soumission au regard  du maître et une reconnaissance de celui-ci. Point n’est besoin pour la femme de mourir pour refuser de jouer le jeu. Il lui suffit de se  voiler totalement en se refusant ainsi aux regards du maître  occidental, lui refusant du même coup toute reconnaissance.

 

L’islamisme sunnite est une sortie du jeu hégélien occidental. Il a réussi à repérer ce qui pouvait stimuler l’exaspération occidentale.  Il se présente comme islamique, ce qui est de bonne guerre mais, en  réalité, il est simplement anti-occidental. Il a simplement entrepris  d’assurer sa présence face à l’Occident en stimulant chez lui la peur,  la rage et l’exaspération. Il n’a d’islamique que le nom.

 

Le geste de Bouazizi a été compris sur l’arrière-plan islamiste dont il diffère complètement. Contrairement au paradigme précédent qui institue le modèle de l’éclatement, il stimule l’enveloppe corporelle  en l’enflammant. Il désigne de ce fait une différence radicale entre  intérieur et extérieur. Différence qui a un caractère instituant comme  nous allons le voir.

 

Les mythes fondateurs urbains pointent habituellement cette différence entre l’intérieur et l’extérieur. Les exemples les plus connus étant  les mythes liés à la fondation de Carthage, de Thèbes et de Rome.

 

Les murailles de Carthage devaient avoir la surface d’une peau de  bœuf. On a découpé cette peau en fines lanières qui ont pu ainsi  tracer un périmètre suffisamment substantiel.

 

La fondation de Thèbes désigne aussi les murailles de la ville,  puisque les deux frères ennemis Étéocle et Polynice gisent de part et  d’autre de cette muraille. L’un ayant droit à une sépulture et l’autre  pas.

 

La fondation de Rome désigne aussi la muraille de la cité. Romulus et Remus sont de part et d’autre du sillon qui définit les contours de la cité, l’un mort l’autre pas.

 

Définir une frontière étanche et la désigner avec insistance sous  forme mythique a un caractère instituant. Un certain pouvoir devient  possible au sein de cette enceinte, alors qu’au delà de l’enceinte,  c’est la barbarie qui règne, l’absence de lois.

 

Bouazizi désigne son enceinte corporelle en y mettant le feu. La dispersion nomadique du corps islamiste subit une soudaine condensation à l’intérieur d’un corps enflammé. Pas besoin ici du subterfuge des frères ennemis qui gisent de part et d’autre de la  muraille pour la désigner. La frontière corporelle est désignée par son inflammation.

 

Elle implique la responsabilité et le pouvoir dans les strictes limites de cette enveloppe corporelle. Ce corps qui jusqu’à présent  était la propriété de Dieu et qu’on ne pouvait détruire qu’en prenant  le prétexte de tuer un ennemi, Bouazizi en prend possession et s’autorise de l’immoler sous sa propre responsabilité.

 

En immolant son corps, il n’est plus ni musulman, ni chrétien, ni anti-israélien, ni anti-occidental. Il est juste un citoyen qui vient  d’entrer à l’intérieur des limites de son corps et d’y prendre le  pouvoir.

 

Tout le monde a compris que toute la Tunisie pouvait se réinstituer à travers le corps de Bouazizi. La Tunisie laïque pouvait ainsi trouver les sources de son inspiration à travers le corps enflammé d’un  vendeur de légumes dans sa révolte socio-économique. La Tunisie s’est  ainsi refondée par la peau lacérée de Bouazizi comme Carthage au même  endroit il y a plus de 2800 ans s’était fondée sur la peau lacérée d’un bœuf.

 

Le paradigme islamiste fonctionnait en opposition à l’Occident. Depuis  le geste de Bouazizi, l’Occident n’a plus sa place dans la formule.  L’«hainamoration» de l’Occident a pris fin.  Le corps de Bouazizi  s’est trouvé identifié à celui de la Tunisie. Et son immolation s’est  traduite par une révolution qui a pris le contrôle du pays.  La  contagion se poursuit et pourrait atteindre une étendue insoupçonnée.

 

Il y a six siècles vivait en Tunisie un auteur remarquable nommé Ibn Khakdoun, fondateur de la sociologie. Sa théorie principale est d’expliquer l’histoire des cités en disant que les dynasties royales qui y règnent épuisent leur suc après quatre générations.  De façon  spontanée les tribus qui nomadisent autour de la cité sentent  l’épuisement dynastique et ont alors tendance à envahir la cité pour  instaurer une nouvelle dynastie royale qui aura alors la latitude de  quatre générations pour gouverner la cité et s’épuiser à cette tâche.

 

Le paradigme islamiste est essentiellement nomade alors que le paradigme Bouazizi est manifestement citadin puisqu’il désigne la muraille. Il est donc sédentaire. Tout se passe comme si la  nébuleuse islamiste anti-occidentale s’était cristallisée dans une  boule de feu sédentaire et citadine, et avait, de ce fait,  complètement changé de nature. Le nomade en entrant dans la cité  change de vocation pour devenir sédentaire.

 

Il va toujours rester des nomades autour de la cité mais aujourd’hui  et, sans doute pour un certain temps, c’est le raz de marée qui va rénover toutes les dynasties régnantes dans le monde arabe qui va  retenir notre attention.

 

Quatre générations de présidents se sont succédées en Égypte : Nasser, Sadate, Moubarak et un quatrième impossible à enfanter. Un vice  président qui n’a jamais été nommé, un fils qui ne s’occupe que de ses sous, bref une quatrième génération tellement nulle qu’il a fallu que la troisième génération règne à sa place. Il est temps que les nomades reviennent fonder une nouvelle dynastie sur les cendres de la  précédente. Il leur faudra, depuis leur banlieue, converger vers  Midan El Tahrir, la place de la libération.

 

Karim Jbeili

Psychanalyste

Publié sur www.calame.ca

 

Publié sur http://multitudes.samizdat.net

http://lesanalyseurs.over-blog.org

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