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  • : Le blog de Benyounès Bellagnech
  • : Analyse institutionnelle : Théorie et pratique au sein des institutions politiques, éducatives et de recherche. L'implication des individus et des groupes dans la vie politique et sociale.
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10 mai 2013 5 10 /05 /mai /2013 10:21

Epilogue

 

 

Lorsque j’ai commencé à parler autour de moi du fait que j’entamais cette recherche, on m’a posée la question de savoir s’il y a un lien entre Baeumler et la pédagogie de l'expérience (Erlebnispädagogik). Je ne pouvais, et je ne voulais surtout pas répondre rapidement, mais comme l’Erlebnspädagogik fait partie du temps de Baeumler, la réponse historique est très simple : ils ont été contemporains. Afin d’y voir plus clair, j'ai poussé plus loin l'analyse et la réflexion ; interrogation qui est à l’arrière-plan du texte présent.

 


Donc, brièvement, on peut constater que Baeumler fait appel à l'expérience. Mais avant que cet appel puisse être entendu, l'homme doit se soumettre à une transformation qui le dépasse, car il inclut son environnement familial, sociétal, géographique, langagier, représentationnel ; ou bien, pour parler la langue du Troisième Reich, qui l'absorbe totalement, ce qui signifie pour notre question que l'on doit, en la travaillant, garder en mémoire une équivocité périlleuse de ce concept d'expérience.[1]

 

 

 

Références

 

1. Bibliographie de base

 

Faye, Jean Pierre (1994), Le piège, Paris:Balland, 190p.

Lefebvre, Henri (2001), L'existentialisme (1946), Paris:Anthropos, XLVIII.252p.

Lourau, René (1997), La clé des champs, Paris:Anthropos 1997, 112p.

- (1981), Le lapsus des intellectuels, Toulouse:privat, 293p.

Meschonnic, Henri (2009), Pour sortir du postmoderne, Paris:Klincksieck, 175p.

 

 

2. Les autres ouvrages cités

 

Adelung, Johann Christoph (1793), Grammatisch-kritisches Wörterbuch der Hochdeutschen Mundart mit beständiger Vergleichung der übrigen Mundarten, besonders aber des Oberdeutschen, vols. I-V, Leipzig [facsimile Hildesheim/New Yorck : Olms, 1970].

Alain (2003), Préliminaires à la mythologie (1932-33), édition électronique.

Baeumler, Alfred (1974), Das Irrationalismusproblem in der Ästhetik und der Logik des 18. Jahrhunderts bis zur Kritik der Urteilskraft (1923; nouvelle impression 1967; tr. frç. Strasbourg 1999), Darmstadt:Wiss. Buchges., X.355p.

- (1943), Bildung und Gemeinschaft (1941), 279p.

- (1999), Le problème de l'irrationalité dans l'esthétique et la logique du XVIIIe siècle (1923), Strasbourg:P.U. de Strasbourg, 330p.

- (1920), Politischer Intellektualismus, dans : Baeumler, Marianne/Brunträger, Hubert/Kurzke, Hermann (1989), 96-103.

Baeumler, Marianne/Brunträger, Hubert/Kurzke, Hermann (1989), Thomas Mann und Alfred Baeumler. Eine Dokumentation, Würzburg:Köngshausen & Neumann, 96-103.

Bazinek, Leonore (2010), Introduction à la philosophie de l'éducation de Schleiermacher, Munich:Grin, 72p.

- (2004), Fraction d'histoire de vie à l'occasion d'une lecture ... , dans : L'école et l'université en question, Saint Denis (Les IrrAIductibles no. 5), 429-460.

- (1988), Sein und Zeit. Die Paragraphen 45-66, Bamberg:Université de Bamberg, 15p. (http://docfx.free.fr/leonore/)

Blumenberg, Hans (1987), Das Lachen der Thrakerin, Francfort s/M:suhrkamp, 164p.

Daim, Wilfried (1958), Der Mann, der Hitler die Ideen gab,  Munich:Isar, 286p.[2]

Faye, Emmanuel (2005), Heidegger, l'introduction du nazisme dans la philosophie, Paris:A. Michel, 573p.

Faye, Jean Pierre (2004), Les langages totalitaires (1972), Paris:Hermann, 771p.

Herbart, Johann Friedrich (sw), Sämtliche Werke in chronologische Reihenfolge, éd. Karl Kehrbach et Otto Flügel (1912), repr. Aalen:Scientia 1989, 19 vols.

Hess, Remi/Weigand, Gabriele (2008), Analyse institutionnelle et pédagogie, Ain M'Lila:Dar el Houda, 239p.

Klemperer, Viktor (2010), LTI. Notizbuch eines Philologen (1946), Stuttgart:Reclam, 416p.

- (1995), Ich will Zeugnis ablegen bis zum Letzten : Tagebücher 1933-1945, 2t., Berlin : Aufbau-Verlag.[3]

Lefebvre, Henri (1985), Qu'est-ce que penser ?, Paris:publisud, 170p.

Löwith, Karl (1986), Mein Leben in Deutschland vor und nach 1933 (1940), Stuttgart:Metzler, 160p.

Mann, Thomas (1968), Politische Schriften und Reden 2, Francfort s/M:Fischer, 367p.

Nowak, Kurt (2002), Schleiermacher. Leben, Werk, Wirkung, Göttingen:V&R, 632p.

Politzer, Georges (1947), Révolution et contre-révolution au XXe siècle. Réponse à « Or et Sang » de M. Rosenberg (1941), Paris:Ed. Sociales, 99p.

Rosenberg , Alfred (1935), Blut und Ehre. Ein Kampf für die deutsche Wiedergeburt. Reden und Aufsätze von 1919-1933, Munich:Zentralverlag der nsdap, 381p.

Schischkoff, Georgi (1978), Philosophisches Wörterbuch, Stuttgart:Kröner, 765p.

Tilitzki, Christian (2002), Die deutsche Universitätsphilosophie in der Weimarer Republik und im Dritten Reich, Berlin:AkademieVerlag, 1475p.

Wiener Library (The), (1960), Persecution and resistance under the Nazis (1949, 1953), London:Vallentine, Mitchell &Co, 208p.[4]

Vermeil, Edmond-Joachim (1953),  L’Allemagne contemporaine sociale, politique et culturelle 1890-1950, t. II : La République de Weimar et le Troisième Reich (1918-1950), Paris :Aubier, 443p.

Voegelin, Eric (2007), Race et État (1933), Paris : Vrin, 344p.

 Weill, Nicolas (éd.) (2007), L'esprit des Lumières est-il perdu ? 18é forum «Le Monde Le Mans» 17-19 novembre 2006, Rennes:PUR, 293p.

Winkler, Jean Marie/Bessone, Claude (2005), L'euthanasie national-socialiste. Hartheim-Mauthausen (1940-1944), Paris: Tiresias, 122.LVIp.

 

 

Leonore Bazinek (Laboratoire ERIAC, Université de Rouen; contact : leonore.bazinek@laposte.net)



 

[1]  Je renvoie pour une très bonne introduction du passage de la pédagogie de l’expérience comme elle a marquée la majorité des mouvements de jeunesse allemandes dans les années 1900-1930, vers la pédagogie national-socialiste, à l’ouvrage classique et toujours incontournable de Hanns Jochen Gamm (1925-2011 ; cf. Gamm:1964). 

 

[2] Ce livre a été depuis augmenté et réédité.

 

[3]  Les deux ouvrages sont disponibles en traduction française.

 

[4] Je cite ce volume, Catalogue series No. 1, à titre d'exemple. Les travaux de l'institut Wiener continuent (voir sur Google).

 

 

 

Leonore Bazinek

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9 mai 2013 4 09 /05 /mai /2013 10:22

 

5 Récapitulation des six dimensions pédagogiques

 

 

Regardons, pour terminer, les apports de notre parcours pour les dimensions pédagogiques explicitement visées. En ce qui concerne la première dimension qui porte sur l'exposé de la recherche, j'attends l'évaluation des lecteurs. Venons-en donc tout de suite aux deux dimensions pédagogiques qui concernent le camp de formation de Hartheim. Certes, les conditions sous le régime hitlérien ont été extrêmes, mais la mise au pas rapide du personnel soignant laisse songer qu’il y avait des dispositions de l’accueillir. Ainsi donc, la réussite si rapide de la mise au pas ne peut être que la conséquence d’une certaine éducation, ou formation, au préalable. Pendant ces années qui précèdent 1933, il est peu probable que la population s’en soit rendue compte ‒ on a, bien au contraire, des témoignages que les gens ont été eux-mêmes surpris par la transformation qu’ils ont vécues.[1] Ce fait nous incite à la méfiance vis-à-vis de nous-mêmes, et à l'exercice de l'esprit critique pour éviter ce lapsus diagnostiqué par Lourau (cf. Lourau:1981). Toute formation que nous recevons est à soumettre  à une analyse de ses principes et de ses buts. Et en ce qui nous concerne plus immédiatement, on fait bien de se rappeler l'impératif de Schleiermacher : s'autoéduquer  au sein même de l’éducation.


Venons-en au mémorial. Ces mémoriaux ne sont pas, par leur simple existence, déjà formateurs. Un accompagnement scientifique est indispensable pour leur élaboration et pour l’accompagnement des visiteurs. Le mémorial de Hartheim est un bon exemple pour le premier point. Winkler et Bessone expliquent son élaboration relativement soignée. Mais, au fil des années, en rajoutant des parkings, des automates de rafraîchissements, etc., il se rapproche aujourd’hui d’un parc d’attraction plutôt que d’un endroit sobre de recueillement et de prise de conscience.


Ensuite, j’ai indiqué une quatrième dimension pédagogique qui provient des précautions à prendre lors de l'analyse d'une œuvre comme celle de Baeumler. J'ai évoqué que Baeumler a attentivement observé, comment ses idées se sont développées. Néanmoins, cette lucidité ne l’a pas empêché d'adopter une doctrine criminelle et, qui plus est, de se mettre au service de celle-ci. Au risque d’adopter un air ringard, on ne peut alors que répéter l’invitation à la méfiance vis-à-vis de nous-mêmes. Les pièges sont multiples et souvent, il suffit de traîner un bout de ressentiment pour acquiescer à un propos qu’autrement on aurait réfuté. Qui plus est, Baeumler est très cultivé. Il maîtrise plusieurs langues, il maîtrise ses auteurs. Il ne développe aucune manie stylistique. Tomber alors dans son piège n’est pas très difficile, comme nous l’avons vu à l’exemple de Nancy, Barth et Cossé (cf. supra). Sa reprise stratégique de la pédagogie de Herbart, bien qu’après 1933, peut assez facilement passer, si on se dispense du travail de la lire à partir de la vision du monde national-socialiste, restant alors sur une compréhension traditionnelle des termes qu’il utilise. Dans un deuxième temps, on peut creuser le potentiel de la pensée herbartienne, d'autant plus que Herbart se réfère de toute apparence à Fichte et à Hegel dont une certaine influence sur la construction de la vision national-socialiste du monde semble avérée.




 

[1] Je renvoie ici de façon sommaire à Klemperer:2010 et 1995.

 

 

Leonore Bazinek

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8 mai 2013 3 08 /05 /mai /2013 10:30

4.2 L'article de Baeumler sur Herbart

 

 

Venons-en enfin à cet article de Baeumler sur Herbart. Il a été publié pour la première fois en 1941 dans l'Internationale Zeitschrift für Erziehung (Revue Internationale de l'éducation, repris dans Baeumler:1943, 204-252). Il présente une version douçâtre, mais pas moins conséquente, de la vision du monde national-socialiste. En quoi alors Herbart est-il intéressant pour Baeumler ?


De prime abord pour son concept d'individualité (cf. supra). La première découverte que Baeumler attribue à Herbart et qui l'intéresse dans le cadre de ce nouvel amour pour l'individuel est sa notion de «Nous inséparé» (« das ungeschiedene Wir », cf. ibid.:213) qui se prête bien évidemment à merveille pour la conception a-individuelle de l'individualité existentiale. Deuxièmement, Baeumler remarque que les réflexions de Herbart ne partent pas de son activité d’éducateur qu'il chercherait alors à comprendre. Herbart essaie plutôt d'expliquer ses expériences en appliquant des concepts a priori. Pour cela, il redéploye les apports de Friedrich Schiller (1759-1805)[1], de Johann Gottlieb Fichte (1762-1814) et de Georg Friedrich Wilhelm Hegel (1770-1832). En conséquence, il présenterait le but de l'éducation ainsi : trouver un point de repos, placer les motivations totalement inchangeables en avant (cf. ibid.:219sq). Une autre grande découverte de Herbart qui intéresse Baeumler est la notion d'éducabilité (Bildsamkeit, cf. ibid.:233). C'est ici que nous retrouvons cette individualité entendue comme historicité. Car, bien que Baeumler explique que l'éducabilité trouve sa limite dans le Gemüt (l'âme, le centre de la volonté), il dit que la conception de ce Gemüt détermine l'individualité.  Et il souligne que le Gemüt est autre « chez les Français, les Anglais, les Turcs et les Samojades » (ibid.:224sq).[2] C'est alors bien le caractère national qui détermine l'individu. Baeumler avance réellement très doucement car, ce qu'il entend vraiment par caractère national, c'est le caractère de la race[3] qui correspond au territoire national.[4] Il répète Herbart, disant que ce dernier déracine le concept de la force pour arriver à l'éducabilité : « L'éducation de Herbart intervient à l'intériorité la plus intime du germe en vaccinant l'homme avec des pensées, émotions, pulsions qu'il n'aurait jamais eu sans éducation » (ibid.:226). La pédagogie nationale-socialiste travaille exactement ainsi. Pourquoi Baeumler n'est-il pas parfaitement content ? « La déracination du concept de force, » écrit-il, « amène nécessairement aux hypothèses fausses, lourdes de conséquences. A l'égard de la compétence d'acquérir des représentations et des masses de représentations, Herbart accorde à l'homme une compétence d'accepter des représentations qu'il ne possède pas réellement, car déjà l'acception des représentations est conditionnée par ce qui est inné. » (Ibid.)

 

 

Donc, Herbart est  intellectualiste (ce qui égale, dans le langage baeumlérien, à humaniste), car « partout où on essaie de déduire une force par le manquement de force, nous devons parler d'intellectualisme » (ibid.:277; cf. aussi Baeumler:1920). Il aborde ensuite le concept de l'unité de l'âme et revient encore une fois à l'intellectualisme avant de tirer un bilan intermédiaire : « Sa pédagogie est alors issue d'une représentation tout à fait adéquate de l'homme dans la communauté. » (Ibid.:231) N'oublions pourtant pas que cette communauté est maintenant la communauté historique du peuple (sc. selon le modèle allemand), tandis que, pour Herbart, et c'est ici où la critique de Baeumler frappe, c'est une communauté quelconque, donc un concept sans force. Cependant, c'est justement cette indétermination qui, elle aussi, permet à Baeumler de s'en servir, ce qu'il ne va bien évidemment pas admettre. Un peu plus loin, il développe un concept de Je pour le moins schizoïde avant de constater que le Je n'est pas un point de  départ, mais un résultat. Dans ce contexte, il vient à l’importance extraordinaire de l’éducation : « Ce n'est pas un fait intelligible, mais une création incessante ayant lieu sous les influences du hasard et des circonstances [...] D'où l'importance extraordinaire de l'éducation. » (Ibid.:233) De même, « la volonté correcte n'est pas au départ, mais à la fin. Elle est le résultat d'une éducation correcte. Eduquer, c'est transporter des représentations dans l'homme, de sorte que la volonté correcte en surgit » (ibid.) ; ou bien « transporter un cercle de pensées dans l'âme juvénile, c'est ça, l'effort de l'enseignement » (ibid.:235).


Baeumler se demande aussi comment Herbart est arrivé à cette conception. Herbart discernerait le côté objectif et le côté subjectif de l'apprentissage. Le côté objectif apprend par expérience avec et par connaissance des choses, tandis que le côté subjectif accède à l'apprentissage par la fréquentation des choses, se laissant affecter par eux dans l'âme, la volonté (Gemüt). Mais Herbart aurait compris que cela ne suffit pas. Il propose alors de pénétrer plus profondément dans l'intériorité, et c'est par cela qu’il définit l'enseignement. Mais il n'y a pas de magie : l'éducateur doit seulement, en obéissant aux lois de l'esprit, agir en conséquence de ces lois, car le chemin vers la volonté (Wille) de l'éduquant se fait exclusivement à travers le mécanisme des représentations (cf. ibid.:236). Donc, « si l'éducateur connaît les besoins de l'esprit en croissance et s'il connaît les moyens pour les satisfaire, il peut s'adonner à de plus hautes attentes» (ibid.). Baeumler se moque de Herbart qui veut arriver à une amélioration de l'humanité par la simple voie de l'éducation. Et pourtant, parlant des idées herbartiennes, il reconnaît « qu'ici, il s'agit d'une fondation des processus de formation grâce à une analyse claire des conditions de l'âme en développement » (ibid). Mais pour Baeumler, il ne s'agit pas de l'esprit humain comme c’est le cas pour Herbart, mais de l'esprit du peuple allemand qui rend apte aux exigences de « notre genre (unserer Gattung) ». Le côté objectif de l‘éducation se construit selon le même modèle, à savoir  la pénétration du Gemüt par un contenu qui vient de l’extérieur : « Eduquer, à travers l'enseignement, signifie que l'influence sur l'âme en croissance s'exerce par une matière, par l'objet de l'enseignement » (ibid.:237). Baeumler souligne que, pour Herbart, l'enseignant et l'élève sont occupés avec un tiers, et, donc, à échelle égale, tandis que partout ailleurs dans l'éducation, l'éduquant est passif et doit suivre l'éducateur.


Et Baeumler conclut sur une note plutôt anecdotique. Comme Herbart a dû se battre contre les théories qui attribuent à l'âme des compétences, il n'avait pas le temps de devenir « le théoricien de la formation harmonieuse de toutes les forces » (ibid.:238sq). Mais il lui accorde : « Devenir homme (Mann), est son problème le plus intime : à travers ce problème, il est devenu l'éducateur de façon existentielle. » (Ibid.:236).



 

[1] Baeumler s'attaque bien évidemment aussi au poète d'une manière spécialement pernicieuse. J'invite les lecteurs de bien vouloir prendre note de ses explicitations de deux drames de Schiller, Iphigenie auf Tauris (1940, repris dans Baeumler: 1943, 252-262) et Wallenstein (1941, repris ibid.:263-275). Imaginons qu'une réhabilitation du philosophe et du pédagogue Baeumler réussisse et qu'ainsi, ces textes seront insérés dans les livres scolaires ... pour la joie des uns, pour l'horreur des autres, en tout cas au détriment des jeunes lecteurs qui ont, déjà du fait des manques d'expériences, peu de résistances. ‒ Soulignons que je ne plaide pas forcément pour l'élimination des écrits baeumleriens du patrimoine de l'humanité, d'autant plus que le concept du patrimoine d'inhumanité existe déjà (cf. les travaux de l'urbaniste Alain Sinou, Paris 8). Cependant, je m'oppose radicalement à tout discours voulant exténuer les risques émanant de ces textes à la fois pour la pensée humaine et pour la construction politique. En conséquence, chaque édition de ces écrits, voire chaque citation, est obligatoirement à accompagner d'une indication permettant de la situer. En ce qui concerne Baeumler, ces indications doivent porter, outre  sur la notion que je traite ici, à savoir le «nouvel amour pour l'individuel», aussi sur les notions de «Weltwende (tournant mondial)», et, bien évidemment, de «Nouvelle vision du monde».


[2] René Descartes (1596-1650) a apparemment déjà explicitement dit que sa philosophie concerne autant les Turcs que les Européens (propos retenus lors d'un colloque dont je ne me souviens plus des circonstances exactes) et Schleiermacher souligne à plusieurs reprises que les distinctions ethniques n'entravent pas l'humanité, mais qu'elles en font partie; cf. par exemple Monologen iii (kga I.12). Il explique que la souffrance  des noirs qui doivent consommer leur vie au service des autres se situe au même niveau que toute autre soumission de l'individu aux forces circonstancielles (cf. ibid.:361).


[3] Et c'est bien cette trame qu'il développe dans son ouvrage sur le Problème de l'irrationalité.


[4] Cette idée est la plus nocive de toute cette entreprise. Elle est aussi partagé par Rosenberg, cf. « Krisis und Neugeburt Europas. (Crise et nouvelle naissance de l'Europe), Volta-Kongress Italien, 14.-20. 11. 1932 »  (repris dans Rosenberg:1935, 296-311) et par Heidegger. Au mois de mai 1933, rapporte Löwith, Heidegger a publié deux appels à l'élection dans la Freiburger Studentenzeitung (Journal des étudiants de Fribourg), le 3 et le 10 mai. « Après avoir parlé pour la première fois de la "dernière grandeur" du Dasein dans son discours inaugural à Fribourg (Qu'est-ce que la métapysique), déterminé comme une dépense "hardie" de lui-même, il utilise maintenant amplement la grandeur héroïque. Cette grandeur ne vaut pas moins pour la mort de Schlageter que pour la résolution d’Hitler d'un coup de surprise et d'une solution hardie qui néglige tout contrat et ses bases de droit. Et ceci n'est pas un abandon de la communauté des peuples européennes, mais "au contraire, cela rend possible une vraie communauté, pour laquelle chaque peuple (selon le modèle allemand) se pose sur lui-même, afin de se poser l'un pour l'autre" » (Löwith:1986,39, citation de Heidegger  de l'appel du 3 mai).

 

 

Leonore Bazinek

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7 mai 2013 2 07 /05 /mai /2013 10:24

4 Herbart revu par Baeumler

 

 

 

4.1 Le point de départ historique de l'exemple de Herbart en opposition à Schleiermacher

 

 

 

Dans leur livre sur le camp de Mauthausen, Winkler et Bessone affirment :

 

 

 

« L'arrière-plan idéologique et scientifique de la logique d'extermination ne se limite pas, de loin, à la propagande nazie, encore moins au délire d'un individu isolé dénommé Adolf Hitler rédigeant, au fin fond de sa cellule, un brûlot pompeusement intitulé Mon combat. Qu'on le veuille ou non, le national-socialisme est un produit de la pensée occidentale (avec certes des déviances et des perversités) qui se nourrit des débats idéologiques, philosophiques et scientifiques de la fin du xixe siècle. » (Winkler/Bessone:2005, 52).

 

 

 

Avec toutes les réserves nécessaires, ce constat est loin d'être faux. En remontant jusqu'au début de ce siècle évoqué par Winkler et Bessone, on trouve, parmi d'autres, Herbart. Sa vision de l'homme contient des failles dans lesquelles ce funeste projet a pu se loger. Toute autre est l'évaluation que l'œuvre de Schleiermacher subit sous le national-socialisme. Si Nowak indique quelques essais de récupération (cf. Nowak : 2002), l'exposé de Tilitzki permet de cerner que ni l'esthétique ni la dialectique de Schleiermacher ne conviendraient aux exigences de la vision du monde national-socialiste (cf. Tilitzki : 2002). A travers le destin de Rudolf Odebrecht (1889-1945), Tilitzki ne laisse aucun doute sur le potentiel de danger pour le national-socialisme qui émane des personnes ayant acceptées l'enseignement de Schleiermacher.

 


Herbart ‒ précurseur du national-socialisme ? Si je réponds tout de suite catégoriquement avec « non », force est pourtant d’admettre que son enseignement peut être utilisé pour envelopper des idées national-socialistes. Pour cela, il est important de comprendre que cette mythologie trouve dans la pensée humaine son ennemi le plus intime (cf. aussi Lefebvre:1986). La transmission de sa vision du monde dépend alors du succès de ses stratégies qui  visent à l'éradiquer. Autrement dit, l'emprise d’un individu par la mythologie national-socialiste n'est possible que si, au préalable, ses compétences intellectuelles sont écartées et substituées par cette vision du monde.[1] Mais d’après Schleiermacher, cela n'est pas possible si l'individu ne consent pas. Par conséquent, il insiste sur la préservation de l'intériorité face à l'éducation, ce qu'il résume par l'impératif que chacun doit s'éduquer lui-même au sein de l'éducation (cf. Schleiermacher:2008, 78).[2] Car s'il y a pression, et si l'individu cède à cette pression, une pénétration vers son intériorité est possible, au prix de la perte du Je. C'est cette discussion qui porte les Monologeus et qui explique son potentiel critique. Pour Herbart, cependant il en va tout autrement. Outre que quelques points en détail que je discute tout à l’heure, c’est ici que l’on a l’attache principale qui rend Herbart peu dangereux pour Baeumler. Il peut alors le discuter impunément, tout en faisant passer par lui son propre message. Herbart ne partage effectivement pas cette assurance, cette confiance en l’homme. Pour lui, les pressions de l’extérieur  affectent l’intériorité. Je conclus ici sur deux passages significatifs de sa correspondance. [3] Épuisé par les contraintes, il écrit à son ami Johann Diederich Gries (175-1842) : « Plusieurs années de ma vie se sont écoulées, plein de travail et de douleur. […] J’ai été tenu en haleine  par toute sorte d’événements, et basculé par-ci, par-là presque jusqu’à l’anéantissement […] » (lettre du 21 décembre 1804, cf. Herbart : sw 16, 265-267, cit. 266). Il continue en expliquant que, outre le service qu’il pouvait quand même rendre, une certaine apathie  surtout lui a permis de tenir le coup jusqu’à ce qu’il puisse s’ouvrir de nouveau à la pensée. Mais quelques années plus tard, il s’exprime de façon bien plus radicale. Il écrit à son ami paternel Gerhard Anton von Halem (1752-1818), que « la perte de la vie en ces temps est moins regrettable que normalement ». Cette relativisation de la vie n’est pas simplement le produit des circonstances historiques difficiles. Elle est aussi fondée sur un sentiment de base qu’il exprime dans cette même lettre : «Je connais, d’une expérience intérieure, une force qui reste toujours la même, malgré toutes les adversités. Mais elle peut être freinée, et si elle rencontre trop de résistances venant de l’extérieur, elle se jette sur l’intérieur et détruit la santé, et toute trace de sentiment de bien-être dans la vie. » (Lettre du 11 juillet 1808, cf. Herbart:sw 17, 10sq ; cit. 10).



 

 

[1] Ce concept de vision du monde n'a rien à voir avec le concept élaboré par Schleiermacher  (cf. Bazinek:2010).

 

 

[2] Une caractéristique des mythologues national-socialistes est de procéder par des contrefaçons (stratégie différente de cette stratégie de détournement qu'entreprend Baeumler avec Herbart). Ainsi donc, on retrouve une allusion à cette thèse schleiermacherienne dans les Lois de vie national-socialiste des étudiants : « On naît national-socialiste, plus encore on est éduqué pour le devenir et surtout on s'en éduque soi-même. » (§ 6, cité par Löwith 1986, 101). A la base de cette auto-éducation se trouve le concept du principe völkisch que Baeumler développe de façon succincte dans « Mannschaft und Leistung (Equipe et effort »; 1937, repris dans Baeumler: 1943, 154-172), tandis que Schleiermacher part de la liberté que le Je découvre dans la distinction entre lui-même et la vie sociale.

 

 

[3] Comme je n’ai pas la place d’élaborer ici cette problématique, j’invite les lecteurs à comparer ces propos avec les Monologues de Schleiermacher (cf. supra), dont une traduction française est disponible sur gallica.bnf.

 

 

 

Leonore Bazinek

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6 mai 2013 1 06 /05 /mai /2013 09:50

 

3. Le château Hartheim à Mauthausen

 

 

Changeons de scénario et venons-en enfin au lieu des faits. A Mauthausen, en Autriche, est un très beau château de Renaissance. Il a été utilisé comme maison de soins pour les handicapés par des sœurs catholiques. En 1940, ces sœurs ont été congédiées et remplacées par des agents du régime hitlérien. Le château de Hartheim est alors devenu le premier camp d'extermination;[1] victimes ont été les handicapés du Reich, sur l'ordre personnel du Führer :

 

 

« La logique propre de l'euthanasie national-socialiste n'est pas [...] sans poser problème, tant les implications éthiques sont considérables. L'ordre d'exterminer les handicapés et les malades émane de la personne même d'Hitler, sur papier à entête privé, daté (sans doute antédaté) du 1er septembre 1939. A la différence de la Shoah, résultat de la conférence de Wannsee et, à ce titre, décision collective des chefs nazis, l'euthanasie repose sur un document écrit du seul Führer dont la responsabilité personnelle, voire sa culpabilité, découlent directement (si tant est que ce débat importe aujourd'hui). La date choisie est significative, car emblématique d'une autre déclaration de guerre, intérieure cette fois, contre les éléments de la prétendue race aryenne qui ne correspondraient pas aux normes et qu'il fallait combattre, puis éliminer, par analogie à la guerre contre les ennemis de l'extérieur. »

 

 

Et les auteurs continuent avec ce propos qui a retenu mon attention et qui est concrètement  l’origine de l’article présent :

 

 

 « L'Histoire retiendra que, le jour même où Hitler entraîne l'Allemagne nazie dans la Seconde Guerre Mondiale, il élabore aussi les bases d'une gigantesque machinerie d'extermination qui, quelques années plus tard, sera mise au service de la Shoah. Or, cet ordre d'extermination n'est pas encore dirigé contre les Juifs, mais contre des Allemands du Reich, dont le seul tort (est-ce vraiment le mot ?) est de ne pas correspondre aux normes de force et de vitalité véhiculées par l'idéologie nazie. L'unicité de la date montre aussi comment est à l'œuvre, dès le début, le système nazi, dans sa cohérence et sa logique implacable, dont sortira trois ans plus tard, la nébuleuse des camps d'extermination à l'Est. » (Winkler/Bessone:2005, 34)

 

 

Winkler et Bessone soulignent que les futurs dirigeants des camps d'extermination ont été formés à Hartheim. Aussi, il est important de souligner que les national-socialistes n'ont pas remplacé tout le personnel de Hartheim, ce qui pose déjà un premier problème. Le deuxième problème est du même ordre : tout le personnel nouvellement  affecté ne pouvait pas avoir été formé par le régime hitlérien, au pouvoir seulement depuis sept ans (et l'Anschluss de l’Autriche a été seulement le 12 mars 1938). Cependant, le projet Hartheim a été un succès. Les national-socialistes réussissaient à former en quelques mois suffisamment de personnel pour mettre en place et pour encadrer les camps d'extermination. La question qui s’est imposée alors avec force à moi est la suivante : comment a-t-il été possible de disposer en si peu de temps de tout ce personnel dont la tâche a été de tuer ?[2]



 

[1] Le château est maintenant un mémorial ayant une visée pédagogique se superposant, ou se surajoutant, à l’établissement de formation  qu’il était sous le national-socialisme (cf. les planches ibid.:i-lvi).

 

[2]Rappelons seulement que les premiers appels au boycott du régime hitlérien datent de 1933 (cf. The Wiener Library:1960).

 

 

Leonore Bazinek

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5 mai 2013 7 05 /05 /mai /2013 10:53

 

2.4 Le seul véritable «crime» - la Belle au bois dormant ?

 

 

J’ai annoncé que mes propos concernent aussi un déplacement de notre façon de percevoir l’histoire. Pour cela, je reviens à Lourau qui soutient, à la suite de Jean Pierre Faye (cf. Faye:2004), que notre époque aurait commencé avec l'affaire Dreyfus. Ils soutiennent effectivement que le seul véritable «crime», pour lequel le capitaine Alfred Dreyfus (1859-1935) a été mise en cause, a été son appartenance au peuple juif. Lourau va jusqu’à proposer que l'affaire est loin d'être terminée; il pense qu'une nouvelle affaire puisse éclater à tout moment. Il discerne une des raisons de ce risque dans la retraite des intellectuels qui ne s'attaquent pas à l'élucidation des bases de la doctrine racialiste; analyse déjà avancée par Georges Politzer (1903-1942 ; cf. Politzer : 1941) et étayée par Emmanuel Faye (cf. Faye:2005). Un mot alors sur la situation de la recherche scientifique actuelle. Personne n'est obligé de prendre au sérieux les deux conférences prononcées par Hans Ulrich Gumbrecht au Collège de France en printemps 2010. Cependant, si nous le traitons de pantin,[1] nous devons aussi avouer que l’organisateur, Michel Zink, n'est pas non plus à prendre au sérieux et, par conséquent, devrait quitter cette vénérable institution. Personne, étonnement, n'entreprend des démarches dans cette direction. Bien au contraire, l'évolution du paysage intellectuel en France continue d'aller dans le sens des propos de Gumbrecht. [2] Peut-on s'imaginer que les sciences de l'éducation échappent à ce projet ? C'est une discipline composée d'autres disciplines (cf. Hess/Weigand:2008), ce qui peut être une chance, si elles n’acceptent aucune donnée sans critique préalable. Mais dans le cas contraire, c’est un piège, car elles importeraient alors des données de sciences déjà mises au pas. Compléter la boîte à outils par de solides apports conceptuels, forgés à travers les siècles, est indispensable. D’où l’intitulé de mon propos, car le développement de la méfiance à titre de vertu peut aider à déjouer ce projet. Le développement de cette méfiance est pourtant impossible si, comme le préconise d'une certaine manière Herbart (cf. infra), nous confondons formation personnelle et enseignement, car dans ce cadre, personne ne peut garantir que quelqu'un qui a été aujourd'hui formé d'une telle manière ne serait pas (trans)formé demain d'une autre manière. Par conséquent, formation et développement personnelle doivent aller de pair avec une réflexion sur soi-même comme nous l’avons esquissée ci-dessus (cf. supra).



 

[1] Je me réfère ici aux discussions avec des collègues à l’occasion de ces conférences.

 

[2] Les conférences de Gumbrecht portent sur la mise au pas de toutes les sciences avec l’herméneutique heideggérienne qui est toujours en cours. Un protocole de ces conférences est disponible à la demande chez l'auteur.

 

 

Leonore Bazinek

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4 mai 2013 6 04 /05 /mai /2013 10:08

2.3 La nouvelle individualité et l'historicité

 

 

Un effort intellectuel considérable est nécessaire pour bien comprendre la conception de l’individualité ou, autrement dit, de l'historicité, qui sous-tient la vision du monde national-socialiste. Je m’appuie ici sur un lexique philosophique très répandu en Allemagne et rédigé d'après les exigences de ce courant (cf. Schischkoff : 1978). Outre des renseignements précieux sur les mots, ce lexique nous permet aussi de voir de plus près les stratégies utilisées pour les mettre en place. Par rapport à la définition de l’historicité (Geschichtlichkeit),  on s’attend  alors de trouver la définition de Heidegger, comme c'est le cas pour maintes autres entrées. Mais non ‒ l'entrée reprend explicitement, exclusivement et brièvement, l'approche de Karl Jaspers (1883-1969) :

 

 

« Historicité, selon la philosophie de l'existence de Jaspers, est l'unité de la simple présence (Vorhandenheit) de l'homme et des possibilités du développement contenues dans sa réalité (Dasein) afin d'accéder à une existence authentique (eigentlich), c'est-à-dire à un étant (Seienden) qui se tient dans une relation avec lui-même et avec sa transcendance. L'historicité de l'existence, appelée clin d'œil/instant (Augenblick) est l'unité du temps et de l'éternité. L'historicité se réalise à travers la fidélité du soi envers son fondement. ‒ On souligne l'historicité d'une chose quand il faut rappeler qu'elle a une histoire que l'on doit connaître pour saisir l'essence de cette chose. » (Ibid.:220).

 

 

Néanmoins, cette définition nous permet d’approcher le concept d'individualité sous-jacente dans la mythologie national-socialiste. Je reprends seulement les différents éléments dont la signification sera éclaircie tout à l’heure. Nous apprenons, de prime abord, que cette individualité se distingue par une « unité de la simple présence de l'homme et des possibilités du développement contenues dans sa réalité ». Et l'existence authentique est décrite en termes d'une « relation avec soi-même et avec sa transcendance ». Ce dernier moment de cette individualité au sens historique, cette individualité qui est donc capable d'accéder au sens historique, se décrit comme « l'unité du temps et de l'éternité ». Par ce biais, l’individu et le sens historique se confondent. L’expression historicité est donc bien interchangeable avec ce nouvel amour pour l’individuel que prône Baeumler. Notons au passage que Schischkoff se sert ici d’une ruse. Car, si une amitié et une certaine affinité intellectuelle entre Heidegger et Jaspers est attesté pour les années 1920, Jaspers n'a jamais appuyé la vision du monde national-socialiste, comme le souligne même Grunenberg, auteure décidément heideggérienne (cf. Grunenberg:2006).[1] On peut reconnaître la connivence avec l'approche de Baeumler qui, d'année en année, va le reformuler afin d'arriver à la pleine constitution du national-socialisme. En indiquant alors le concept d'historicité selon Jaspers, Schischkoff réintègre les mythologues du national-socialisme[2] dans la philosophe de l'existence. Quelle est alors la différence entre les conceptualisations de Jaspers, d'un côté et de Heidegger, de l'autre côté ? Pour cela, rappelons qu'il faut étudier ces auteurs dans leur contexte, car, en prenant en compte la terminologie philosophique consentie, on s'aperçoit seulement que les termes sont à peu près identiques. Mais Jaspers s'attache à penser l'existence humaine, tandis que pour Baeumler et pour Heidegger, la pensée doit s'enraciner de prime abord dans un sol, ce qu'exprime le mot étrange de Dasein.[3] Par conséquent, leur concept d’existence se rapporte à ce Dasein, enraciné par son sang dans son sol. Sans une connaissance des autres auteurs de la «pensée sang et sol» qui, eux aussi, utilisent cette terminologie sur la base de la même vision du monde, leur discours semble certes étrange, mais toujours discutable au plan de la pensée (cf. Bazinek:1988). Mise en perspective avec des textes de Rosenberg, par exemple, leur discours révèle avec toute la clarté requise son appartenance authentique.



 

[1] L’étude de Vermeil:1953, restituant le contexte politique et culturel, permet de bien comprendre à la fois la proximité entre les deux, et l’abime qui les sépare.


[2]Baeumler  ne figure pourtant pas dans ce dictionnaire, à la différence par exemple de Bruno Bauch (1887-1942), Hans-Georg Gadamer (1900-2002), Erich Rothacker (1888-1965) et, bien évidemment Heidegger.


[3]« Le Daseyn, [...], un substantif qui, à proprement parler, est l'infinitif du verbe seyn avec le petit mot da, et a été contracté du dicton da seyn. 1) La présence à un lieu. «Il l'a fait quand j'ai été là, il l'a fait dans ma présence.» «J'ai été il quelques mois à Paris; pourtant, tout au long de mon séjour rien d'extraordinaire se produisait.» 2) L'existence, un concept qu'il est impossible à définir, comme les mots Seyn <être>, Ding <chose>, Wesen <essence> etc.«Tu es là, tu dois alors remplir le destin de ton être-là.» «L'être-là d'un innocent est une conscience vive pour ses persécuteurs.» «Notre être-là n'est soumis à aucune créature. Nous nous tenons immédiatement devant le créateur.» Kästn.- «Reconnaître la valeur de la vraie joie / c'est ce qui correspond au mieux au devoir de notre être-là» Duch. - Dans cette deuxième acceptation le mot a été introduit par les nouveaux sages du monde. L'auteur des louanges du Roi Louis chez Schiller utilise V.73 «Hier wisst <Ici sait>, Hierseyn <être ici> dans le sens de l'essence, de l'être, qui, dans un vocabulaire ancien, avant la fin du 15e siècle, a été de même utilisé pour existere.> » (Adelung:1793, 1408).

 

 

 

Leonore Bazinek

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3 mai 2013 5 03 /05 /mai /2013 10:43

 

2.2 L'homme et ses capacités de comprendre l'histoire selon Baeumler

 

 

 J’en viens maintenant plus précisément à la conception de Baeumler dont le centre est la compréhension de l'histoire. Selon Baeumler, l’homme comprend l’histoire à travers un sens historique. Cependant, la découverte de ce sens historique n'est pas évident, car elle dépend d'un nouvel amour pour l'individuel (cf. Baeumler:1967, x). Cette individualité a été découverte, comme le prétend l’auteur,  par une lignée de penseurs qui va de Gottfried Wilhelm Leibniz (1646-1716) à Georg Friedrich Wilhelm Hegel (1770-1832). Baeumler appelle cette lignée classicité ou humanité (cf. ibid.:vsq). Elle propage une application spécifique des idées qui correspond au vécu, ou à l'expérience[1] du temps. Cette capacité caractérise la pensée existentiale.

 


Un mot à propos de la genèse du Problème de l'irrationalité. Baeumler souligne dès la première page de ce livre combien de temps il lui a fallu pour l'écrire. Les quelques documents privés qui sont accessibles (cf. notamment  Baeumler/Brunträger/Kurzke:1989) attestent aussi son souci d’élaborer petit à petit sa pensée. Et dans le même ordre d'idées, il va tout au long de sa vie montrer un désir d'élaborer un univers idéel cohérent, malgré ses multiples essais après 1945 de se dédouaner de ses responsabilités pour la mise au pas national-socialiste. Par conséquent, si Nancy et Barth avancent alors que cet ouvrage ne contient rien d'ambiguë,  et si le traducteur français Olivier Cossé écrit qu'en 1923, le national-socialisme n'a même pas encore été pleinement constitué, car Mein Kampf d'Adolf Hitler (1889-1945) n'apparait qu'en 1927[2] et Der Mythus des 20. Jahrhunderts d'Alfred Rosenberg (1893-1946) en 1930, il se contredit lui-même puisque, vers la fin de sa présentation (cf. Baeumler:1999, 7-16), il évoque tous les éléments qui permettent au lecteur averti de réaliser que précisément ce livre sur le problème de l'irrationalité a contribué à la pleine constitution du national-socialisme. Rappelons pour cela que Baeumler met l'accent sur un nouvel amour de l'individuel comme condition d'accéder au sens historique, et n'oublions pas non plus que la capacité qui l’accueille a été appelée par lui «pensée existentielle (existentielles Denken) ». Baeumler lui-même retrace en un paragraphe la genèse de son livre, dont les travaux ont commencé dès 1912.[3] Il n'a jamais occulté le fait que sa pensée se développait dans la durée, à la différence de son illustre collègue Heidegger qui développait un paradigme, assez étrange par ailleurs, de tournant (Kehre). Mais il s’agit ici seulement d’un détail dans la stratégie de se présenter, car, au fond, tous les deux partagent le paradigme de cette pensée existentielle ou existentiale qui présuppose un concept d'individualité fondamentalement différent du concept d'individualité que nous utilisons dans la vie quotidienne. Nous allons l'approcher maintenant à travers le concept d'historicité.



 

[1] J'utilise les deux termes pour traduire le mot allemand Erlebnis.

 

 

[2] Cf. Cossé dans Baeumler:1999, 10. ‒ Effectivement, Mein Kampf est paru en 1926 (cf. pour le contexte Vermeil:1953).


[3]  Apparemment articulé autour de la Critique du jugement d'Immanuel Kant (1724-1804), ce livre se veut une histoire de l'esthétique. Le lecteur accordera une attention spécifique aux notes et à la façon dont Baeumler aborde les Anglais. Cependant, le premier signe que ce livre est autre chose qu'une histoire, est perceptible pour tout lecteur disposant d'une formation philosophique de base : l'apparente inconsistance avec laquelle Baeumler conduit son argumentation.

 

 

Leonore Bazinek

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2 mai 2013 4 02 /05 /mai /2013 07:31

2 L'importance extraordinaire de l'éducation comme question philosophique

 

 

2.1 Entre histoire et philosophie : défricher le champ disciplinaire

 

 

Dans ce chapitre, je relie l’approche historique au national-socialisme à travers l’œuvre de Baeumler, à l’approche philosophique qui, en fin de compte, permet d’élaborer une approche critique pour le désamorcer.  A premier vue, l’exemple de Baeumler semble peu propice pour mon propos, car son nom est peu connu en France. Cependant, ses idées sont bien plus présentes que l’on ne s’imagine,[1] de manière discrète à cause des jugements sévères des instances alliées après la Seconde Guerre mondiale. Baeumler a été interné trois ans dans un camp et il était interdit à vie d'enseigner à l'université. Et pourtant, une traduction française d'un de ses livres majeurs, publié pour la première fois en 1923, est parue en 1999 aux Presses universitaires de Strasbourg. Dans sa note préliminaire, Jean Luc Nancy affirme que ce livre[2] est important et exempt de toute compromission national-socialiste (cf. dans Baeumler :1999, 5). Comment relier cette parution à notre tâche d'aborder la réception de la pédagogie de Herbart par Baeumler ? Nous rencontrons Le problème de l'irrationalité à nouveau dans un contexte pourtant similaire. Ulrich Barth, professeur de théologie protestante à l'université de Halle, et président de la société schleiermachérienne, enseigne assez régulièrement avec ce livre qui a été annoncé par Baeumler comme le premier volume d'une série de deux sur l'esthétique d'Immanuel Kant (1724-1804). Barth affirme, comme Nancy, que cet ouvrage est exempt de toute contamination national-socialiste, car rédigé bien avant 1933 (propos recueilli au Schleiermacher-Symposium 2010 à Wittenberg). Ce serait alors toujours une source pertinente pour l'enseignement de l'histoire de l'esthétique. Pour discerner la gravité de ce propos, je me permets de renvoyer à un texte de Schleiermacher, publié dans une première version en 1800, les Monologues. Cette réflexion approfondie sur la liberté humaine est conçue par son auteur comme pendant philosophique de son Discours sur la religion (1799).[3] L'argumentation des Monologues, conduite par un curieux élan prospectif, désamorce l'analyse existentiale (cf. infra) avant même que cette dernière n'a commencé à diffuser son poison à grande échelle à partir de la deuxième décennie du xxe siècle. Face aux résultats que Schleiermacher obtient dans sa méditation, la question comment un spécialiste de Schleiermacher a pu tomber dans ce piège de Baeumler, se radicalise. Il faut alors admettre que cette vision du monde est bien plus pernicieuse que l'on ne s'imagine. Il s'impose alors de toute urgence de vérifier qui est plus près de la réalité des faits ‒ le jugement des alliés[4] ou les disculpations de ses collègues ? Nous allons voir que  cet exercice est  gratifiant car, effectivement, Baeumler contribue à l’élaboration de la mythologie national-socialiste justement avec ce livre sur l’histoire de l’esthétique (cf. infra).


L’éducation à l’avènement du Reich vise une éradication radicale du sentiment de la liberté individuelle nécessaire à l'exécution aveugle des ordres suite à une soumission intellectuelle à cette vision du monde. Il faut alors une recherche portant sur l’histoire de sa mise en place pour voir comment cela s’est opéré. Contester, ensuite,  la légitimité de cette entreprise exige une réflexion approfondie de l’homme sur lui-même. Ce niveau est la ligne de partage ultime pour l’évaluation des approches pédagogiques comme les proposent par exemple Herbart et Schleiermacher ; au-delà de toute considération méthodologique et pratique en général qui conduirait peut-être aux évaluations sensiblement différentes.



[1] Cf. Buchenau, Stephanie,  «Réception et non-réception de l'anthropologie des Lumières : le cas allemand», dans Weill:2007, 121-135. ‒ Le fait de cette présence est un des nombreux indices que la victoire militaire en 1945 n'a pas réussi de  détruire le Reich.


[2]Le problème de l'irrationalité, cf. Baeumler :1967/1999.


[3]Schleiermacher a accordé une grande importance à ces deux essais et a veillé qu’ils soient régulièrement réédités régulièrement (avec des remaniements, cf. Schleiermacher:kga I.12).


[4] qui, pourtant, en se référant explicitement à ses publications après 1933, pose déjà problème.

 

 

 

Leonore Bazinek

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1 mai 2013 3 01 /05 /mai /2013 11:41

1.3  La problématique.

 

 

Mes réflexions sur l'extraordinaire importance de l'éducation partent de ce qui s'est passé au château de Hartheim, relié au camp Mauthausen (Autriche)  dès 1940. En effet, à en croire Simon Wiesenthal (cf. Winkler/Bessone : 2005; cf. aussi The Wiener Library 1960:165sq),  la pédagogie de l'hitlérisme se révèle pour la première fois avec toutes ses implications et ses conséquences dans le cadre de ce beau château autrichien. Ainsi donc, son histoire illustre la dimension pédagogique la plus importante de notre exposé : la transformation de la notion de soins a ici conduit aux résultats diamétralement opposés au sens que l’on accorde habituellement à cette notion. Ce phénomène indique qu’il y avait un travail conceptuel en amont de l’institutionnalisation du national-socialisme. Pour autant, décider sur les ultimes responsabilités des personnes égale, au plan épistémologique, au dilemme auquel on est confronté à la recherche de l'origine d'une histoire, voire de l'histoire dans son ensemble (cf. Blumenberg:1987, 2sq). Ce ne peut alors pas être ma tâche, bien qu’il soit indiscutable que l’apport de Baeumler pour la mise en place du Reich, et pour l'éducation en vue de sa pérennité, est décisif. Avec la discussion de l'œuvre de Baeumler, deux dimensions pédagogiques s'introduisent donc dans nos propos :

 

 

1. la formation de la population qui prépare à l'accueil du Reich et du Führer;


2. les activités qui visent à pérenniser ce système.  Baeumler s’y investit à fond et se sert malicieusement de Herbart pour rendre son argumentation admissible à l'échelle internationale. On s’aperçoit alors facilement qu'une étude des mythologues national-socialistes dans le cadre de l'histoire de la philosophie est dérisoire. « Puisque ont lieu des simulacres de combat avec fixation doxographique de l'adversaire, » constate Blumenberg,  « s'opposent les Ismes, [...] toute discussion affinée des positions est impossible suite à une méconnaissance de la littérature non falsifiée, pure, de l'adversaire » (Blumenberg:1987, 53; cf. Faye:2005, 15). Car, comme nous avons déjà indiqué avec la redéfinition de la notion des soins, la totalité des notions politiques, sociétales, philosophiques et j'en passe, a subi une redéfinition. Ce fait se dissimule pourtant dans une étude longitudinale. Lu ensemble, les textes de ces auteurs s'agencent d'une manière à rendre intelligible ce spectacle de l'épouvante qui commence alors à lâcher ses prétendus secrets. Le Reich, pouvons-nous dire en anticipant un peu sur nos résultats, surgit d'un immense effort de refonder la totalité des faits humains par le moyen d'une vision du monde, distillée délibérément à travers tous les supports pédagogiques imaginables pendant plusieurs décennies.

 

 

Avant de continuer, reprenons les dimensions pédagogiques que nous venons de dégager.


Tout d'abord, il y a cette dimension pédagogique qui porte sur l'exposé même, issue du rôle clé qu'incombe aux sciences de l'éducation par rapport au sujet traité. Ensuite, nous avons dégagé deux dimensions pédagogiques qui concernent le lieu de formation Hartheim : son emploi comme centre de formation national-socialiste de 1940 à 1944 et, actuellement, comme mémorial. Une quatrième dimension s'ouvre lors de l'analyse de l'œuvre de Baeumler, incluant une cinquième qu'est sa reprise stratégique de la pédagogie de Herbart.


Et comme il serait difficile de laisser ces propos sans apport constructif,  j’amorce une sixième ouverture. C’est l'essai de contrebalancer l'œuvre de Herbart par celle de Friedrich Daniel Ernst Schleiermacher (1768-1834).[1] Pour ici, je dois me contenter de confronter Herbart-vu-par-Baeumler avec Schleiermacher, ce qui pose des problèmes méthodologiques majeurs dont j’en suis bien consciente. Il aurait fallu écrire deux sections séparées dont  l'une traite Herbart et Schleiermacher, et l'autre l'usage que fait Baeumler de Herbart. Le cadre d’un article introductif permet cependant d'opter provisoirement pour ce raccourci.



[1] Cf. pour l’incompatibilité de  la pensée de Schleiermacher  avec les exigences de la vision du monde nationale-socialistes Tilitzki :2002.

 

 

Leonore Bazinek

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