Commentaire sur Le journal pédagogique (9)
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Il y a dans ce post quelque chose de la perte. Quelque chose qui ne permet plus de supporter l’évènement, un évènement qui passe par l’oral et non l’écrit. Une sorte de basculement entre l’écrit et la parole. Entre l'amour du journal « A leur place souvent, j’écrirai mon journal, cela permet d’être sujet mais sans déranger le prof » et le rien, le rien de ceux qui n'écrivent pas. Je pense aux agendas scolaires de collégiens que je suis en train de récupérer, d’archiver. Créatifs, remplis d’humour, sorte de journaux de résistance. Pourquoi écrire un journal ferait de celui qui perturbe un cours, un être plus "sujet" qu'un autre ? Alors qu'il l'est autant en écrivant un journal qu’en parlant et discutant avec d'autres, et en se posant comme perturbateur ? N’est ce pas la même façon de se mettre à l’écart du collectif ? Est-ce que écrire c’est la même chose que penser à, et parler de ? Je m’en pose des questions. Pourquoi soudain dans un cours un élève n’est plus attentif au collectif, qu'est ce qu'ils avaient donc à se dire ces deux là ? Moi qui aime tant écrire, je sais que le journal est un outil de résistance formidable, silencieux, ami, confident, consolateur, intime, réparateur … Qui perd dans ce jeu, ceux qui sont sortis ou ceux qui ne sortiront pas ? Pourquoi donc choisir le bruit alors ... comme ces deux "délinquants".
Le journal lui est toujours là, physique mais pas vivant de respiration, il n’est pas de chair et pourtant il est la vie. C’est compliqué ce débat entre les lignes, mais aussi le débat collectif oral, mais de là émerge la pensée de chacun. L’une se lit l’autre s’écoute.
Remi dans ce post nous parle de son désir que ses étudiants vivent « la transe pédagogique » comme lui, les mots d’amour et d'émotion y sont forts, "j’adore mes étudiants, j’aimerai, transe, hystérie" adieu, retraite, j’ai fait mes 40 ans je retourne peindre (Remi peignait-il à la naissance et avant la naissance) qu’est ce que je « retour » je me suis dit. Il écrit « Je retourne peindre dans mon atelier ».
Quelle solitude finalement entre les mots écrits et la peinture, moi qui pratique les deux et qui ne suis pas une solitaire, je sais que ce sont des moments très seuls et en même temps bâtisseurs, constructeurs et encore une fois consolateurs. Comme si ce n’est justement pas l’autre qui console, mais soi avec les ateliers, les chantiers que l’on mène à bien ou à mal, comme l’écriture d’un livre ou l’achèvement d’un tableau. Ces naissances là, qui se renouvellent sans la dépendance de l’autre, sans dépendre de l’autre, comme pour la naissance d’un enfant l’autre est toujours là, avec son pouvoir de ne pas nous l’offrir, nous faire devenir mère, père ou grand-mère et grand père. Le journal, ou la peinture (et d’autres créations qui engagent le corps et l’esprit) sont sacrés, car elles sont à notre disposition sans se refuser à nous.
Dans ce post, je sens l’émotion des instants qui fondent, qui ne s’inscrivent nulle part, dans aucune mémoire. A part justement dans l’écrit et non dans la parole. Ce groupe perturbateur, n’est pas dans le désir du prof. Ça a à voir avec justement la règle et la loi et la sanction de Luca, de la conférence de Luca. Quel cadre avons-nous pour maintenir ce désir de l’autre dans le possible ?
Quel désir avons-nous de l’autre ? Puisque même en étant perturbateurs, l’autre sera cité dans un post, il prendra plus d'importance que tous les autres élèves étudiants non perturbateurs. On apprend dans ce post en effet « qu’ils sont sortis » ces deux « anti transe pédagogique », ils ont eu un instant le pouvoir de ne pas faire revenir le prof … l’abîme pédagogique, du découragement, de la tristesse, de l’impuissance de la loi et de la règle sur certains.
Oral bien souvent supérieur à écrit, cet abîme qui rend chacun abîmé. Abîmé du désir de l’autre, du partage avec l’autre, du désir de l’autre. Ces étudiants, ces gens dans notre vie qui entrent « chez nous » pour partager du « avec nous » et qui après être entrés de leur plein gré, en ressortent par effraction. C’est en cela je crois que ce découragement de Remi a à voir avec la perte, la perte de l’autre, comme sujet désirant. C’est le désir qui est mis à mort, désir cruel "que l'autre m'écoute, partage, soit là, ait une présence", désir débouchant sur une déception aussi glacial qu’une prison, dans laquelle bien sur la liberté seule est en jeu. Le prof se transforme en gardien alors pour préserver non pas son pouvoir, mais le désir du désir.
Catherine Boivin
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