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26 mai 2019 7 26 /05 /mai /2019 08:50

La crise hégémonique et son avenir (8)

 

Le gros marronnier de l’« hégémonisme chinois » qui cache la forêt de la formation hégémonique réelle

 

 

Chaque fois que j’aborde ces questions (le plus rarement possible, tant le terrain est miné) ici, à Taïwan, il se trouve inévitablement un-e imbécile pour ranger mon propos et mon argumentation dans sa petite boite à clichés : discours pro-Pékin, aligné sur les vues et captif des intérêts de l’Etat chinois. Ces gens-là sont tellement incapables d’imaginer que l’on puisse penser, en analyste et témoin de son temps, en dehors des catégories de la pensée de l’Etat, des logiques et rationalités qui vont avec, de l’étatisme comme mode d’emprise sur les populations, qu’ils sont inaptes à concevoir la différence entre l’exercice de la pensée critique et l’alignement sur les positions de l’adversaire ou de l’ennemi.

Il fut un temps où, en effet, en Europe occidentale, en Occident, les radicalités et les discours révolutionnaires, la critique de la société bourgeoise et du système capitaliste, convergeait souvent avec l’attraction exercée par d’autres sociétés, régimes politiques, issus, généralement, de révolutions – l’Union soviétique, la Chine, Cuba, le Nicaragua encore, dans les années 1980. Mais précisément, ce dont, entre autres, la Révolution culturelle sonne le glas, comme le note remarquablement Foucault à l’époque, c’est cette possibilité pour la pensée critique (et la dialectique de l’émancipation) de s’identifier au destin d’un Etat. Cela fait donc quelques décennies déjà que la pensée critique, qu’elle soit d’inspiration marxiste, post-marxiste ou autre, a dû s’habituer à se délier, en Europe occidentale notamment, de ce type d’arrière-monde ou d’horizon étatique, pour s’établir, si l’on peut dire les choses ainsi, à son propre compte.

Ce que je m’efforce de faire, donc, tout particulièrement lorsque j’aborde les questions en débat dans cet article – je n’éprouve pas davantage d’affinité pour le régime monocratique en vigueur en Chine que pour la démocratie de marché mais, précisément, n’étant ni un pèlerin ni un croisé du faux universel à l’occidental, je demeure axiologiquement neutre dans le conflit qui les oppose. Je parle d’ailleurs.

Je suis en guerre contre les gouvernants de pays comme le mien, car je me sens directement concerné et impliqué par leurs impostures, leurs forfaitures et les désastres qu’ils produisent. Pour autant, je n’éprouve aucune sympathie pour les dirigeants d’un Parti et d’un Etat au fronton duquel flotte le drapeau rouge, dont le marxisme est la doctrine officielle et qui, lorsqu’ils viennent se poser pour quelques jours sur la Côte d’Azur, élisent domicile au Negresco, le lieu où descendent tous les parvenus, tous les nouveaux riches, et autres tyrans en goguette – le genre de faute de goût qui en dit long et qui ne pardonne pas. Bref, je n’éprouve ni sympathie ni empathie pour quelque espèce de pouvoir en place que ce soit, quelle qu’en soit la couleur proclamée. En revanche, ce que je n’aime pas, c’est qu’on essaie de me faire prendre des vessies pour des lanternes et de m’embarquer dans des croisades dont je ne vois que trop bien la destination – la mobilisation vertueuse contre l’« hégémonisme chinois », dans le cas présent.

Nous qui sommes les enfants éveillés des désastres européens du XX° siècle, désastres dont le creuset a été l’affrontement des Etats-nations à son stade terminal, n’avons pas été vaccinés contre les tentations du nationalisme, du patriotisme, du chauvinisme pour retomber dans quelque délire d’identification à quelque Etat-patrie de substitution que ce soit. Nous sommes résolument entrés dans l’ère du post-nationalisme, à défaut d’adhérer à l’illusoire « patriotisme constitutionnel » européen prôné par Jürgen Habermas17. Notre seul « patriotisme », c’est l’analyse critique du présent, ce que Foucault appelle l’ontologie de l’actualité. Celle-ci nous assigne une tâche – n’accepter aucune « évidence » discursive, ne pas entrer dans les plis du faux universel de la démocratie de marché, avec son corollaire de plus en plus visible aujourd’hui – la fabrication d’un nouvel ennemi et donc la promesse de nouvelles guerres qui, d’une manière ou d’une autre, se diront saintes ou sacrées et ravageront tout sur leur passage…

 

(....)

 

Alain Brossat

 

Publié le 17 avril 2019

https://entreleslignesentrelesmots.blog/2019/04/17/la-crise-hegemonique-et-son-avenir/

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