Bilan et précision sur les communautés de référence (suite)
Pour comprendre le sens de l’engagement, il faut se référer au terme de groupe. Il vient de l’allemand krop qui signifie cordage, rouage, lien. Le lien est la représentation de l’attache du groupe. En italien ce même terme signifie « gruppo », c’est une sculpture qui exprime un groupe de personnes unies par le socle. Ce socle est la représentation d’un code commun : l’idéologie du groupe. Cette notion de lien est très importante : car elle représente l’engagement de chaque membre. Donc le groupe est un ensemble d’individus liés par un objet ou un projet commun, ayant entre eux des relations sociales de dépendance explicites et réciproques. Le groupe est régi par des règles.
Pour Guattari, il existe deux formes de groupes : le groupe-objet et le groupe-sujet. Au départ, de la création d’un groupe, il est souvent objet. Il peut se construire en sujet, c'est-à-dire qu’il se crée un moment dans lequel chaque membre s’inscrit et produit du sens. Le groupe se crée dans le moment avec ses transversalités. Puis, le groupe se transforme en groupe-sujet capable de s’autogérer, et de s’autoformer. Il se prend en charge et détermine par lui-même de nouvelles perspectives, il est instituant. Chaque membre trouve sa place et se définit une même hypothèse de base (68). Si le groupe n’est présent que pour répondre à un besoin, le groupe reste objet, il est alors dépendant, c’est un groupe d’un autre groupe, il est institué.
Quant à J-P. Sartre, de sa classification, ressort deux types de groupes. Certains obéissent à un objectif commun, à une même idéologie qui fédère une énergie, une force qui le conduit à créer de nouvelles constitutions, par exemple l’institution, voire une société originale. Par contre, d’autres se rassemblent ou se créent au sein d’un collectif qui reçoit son unité de l’extérieur. Il n’a donc aucune existante propre, les membres ne se reconnaissent pas dans un paradigme, par exemple les groupes formés par la foule, les files d’attente…
« L’ordre de la sériation qui tire sa raison d’une cause externe à ce collectif, la distribution des billets d’ordre (pour l’autobus). De la série, on passe au concept de sérialité. Ce concept est utile pour désigner tout ensemble humain sans unité interne. [...] Le groupe est donc l’envers de la sérialité. Il se constitue par et dans la fusion de la dispersion qui précède le groupe ; il maintient son existence par une lutte permanente contre un retour toujours possible, de cette dispersion. Cette lutte est un premier caractère groupe. Un second caractère, également inachevé est la totalisation qui constitue le groupe sans que cela aboutisse à la constitution d’un être du groupe transcendant les individus groupés ( G. Lapassade, 19655, pp. 196-197)».
Le groupe est le contraire de la série, mais sans série le groupe n’aurait pas d’existence. Si nous remontons à la genèse du groupe, il y a au départ dispersion originelle des hommes. L’unité interne née d’une fusion de la sérialité s’effectue autour d’une idéologie et des conflits. Les hommes se regroupent suivant leurs affinités et leurs objectifs communs. La sérialisation est l’opposée de la totalisation, le groupe est totalité. Il se forme par le processus de fusion de la sérialité. C’est la première étape contenant le risque d’une réalité éphémère de la formation du groupe. Afin de se donner un caractère définitif, le groupe suit des étapes garantissant sa continuité : le serment, l’organisation et l’institution. « Un groupe n’est véritablement tel que s’il est fondé en permanence à la fois sur l’autogestion, ou l’autodétermination, et l’autocritique, ou l’autoanalyse. L’hétéro-gestion défait le groupe et provoque le retour à la sérialité. La dialectique de groupe a pour objet l’exploration de cette alternative (G. Lapassade, 19655, p. 197) ». Il faut comprendre la constitution du groupe selon un processus qui démontre l’engagement de celui-ci dans la volonté de se réaliser. J-P. Sartre signale que le groupe en fusion est la première étape, le groupe émerge à partir de la sérialité. C’est la reconnaissance d’un accord commun qui organise une fusion de la sérialité. « Le groupe est le passage dialectique de la quantité à la qualité (G. Lapassade, 19655, p. 197) ». Le groupe est représenté alors par plusieurs personnes qui ne font plus qu’un. Devenu une entité, cet ensemble de personnes se réclame d’une même égalité et d’une même reconnaissance pour chaque membre. Selon Kurt Lewin, le groupe se définit aussi, comme un système de forces. Les forces de progression permettent de tirer le groupe vers le but à atteindre. Ces forces sont aussi la cohésion qui motive les membres à rester dans le groupe. La cohésion tend à se confondre aussi avec l’attraction exercée par le groupe sur ses membres. Les membres animent le groupe de façon à satisfaire les besoins de celui-ci.
Afin de consolider le groupe, les membres s’engagent et définissent un serment qui comme un contrat scelle l’accord. Ce serment peut-être explicite ou implicite. L’important, c’est que chacun en ressente la puissance, c’est le ciment du groupe. Le groupe naît ainsi et signe son engagement laissant aux déserteurs aucune issue sinon l'amertume d’un sentiment de culpabilité. Traitée de la sorte, la liberté paraît bafouée. Chacun considérant l’impossibilité de rompre le serment sans entraîner la mort du groupe. Pour mesurer l'importance de chaque membre du groupe, le serment devra s'imprégner d'une vigueur toute solennelle et marquer les consciences. Tel un sceau sacré, le serment devient le garant de la pérennité du groupe. Lorsque le groupe est stabilisé, celui-ci s’organise. Il se constitue en établissant des règles pour garantir sa stabilité. L’organisation a deux sens : elle est la structure dans laquelle évolue le groupe et elle se concrétise par les moyens employés pour structurer le groupe. L’organisation ainsi créée apporte ensuite l’instauration d’un pouvoir qui conduit à porter une part des membres à obtenir plus de puissance et d’autorité.
(68) Selon Wilfried R. Bion, dans son livre Recherche sur les petits groupes, l’hypothèse de base permet de donner du sens aux groupes. Elle correspond aux raisons pour lesquelles le groupe se réunit. Si l’hypothèse de base est cohérente avec les désirs de chaque membre dans le groupe, celui-ci n’entre pas en crise.
Sandrine Deulceux
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