Dimanche 16 août 2009, 11h 20
Aujourd’hui, j’ai repris un journal oublié : Construction d’un moment théorique. J’y développe l’idée d’un don de l’amitié. Ce qu’il y a de bien dans la notion de don, c’est que c’est à la fois ce que l’on reçoit et ce que l’on donne. Je vais essayer de construire une théorie qui montrera en quoi l’amitié est un don au même titre que l’abstraction ou la capacité à créer des œuvres d’art…
L’amitié est la fleur du don d’intérité, elle-même capacité à se produire avec l’Autre. Mais je ne vais pas développer cette idée ici, puisque je le fais là-bas.
Ce journal a moins la vocation de construire les idées en théorie que de les saisir au moment où elles surgissent. Ici, on veut capter les germes.
Une idée qui m’est venue hier alors que j’étais dans l’Atelier, c’est qu’il existe dans une maison un principe d’organisation. Comment fait-on le tri entre ce que l’on garde et ce l’on rejette ? Pourquoi garder durant des années des livres que l’on ne lit pas ? Quelque part, on pense que l’on en aura besoin un jour.
Plus on dispose d’espace vital, moins on est obligé de se décider à se séparer de telle ou telle chose. L’entrée en maison de retraite où l’on ne dispose que d’une pièce oblige à renoncer à de nombreux possibles. A quel moment doit-on éliminer ?
Si l’on veut créer un nouveau moment, par rapport à son projet, et que ce moment demande de l’espace, on sera obligé de supprimer un espace occupé par du virtuel auquel on renonce ; Lefebvre a pensé la production de l’espace politique, social, urbain. Qu’en est-il de l’espace domestique ? Cette question est bonne. Elle me concerne, mais elle concerne aussi quelques milliards d’êtres humains.
Le corps habite nos vêtements et parfois davantage. La maison est intéressante à étudier car elle est le produit d’une négociation groupale. Toute personne qui vit dans une maison doit s’y construire son espace, en fonction des stratégies des autres habitants de la maison.
Le rangement des livres d’art que Lucette a opéré n’est pas celui que j’aurais fait : nous avons deux principes de développement du rangement qui se déduisent des principes plus généraux d’organisation de la maison qui nous habitent.
Quand je rencontre Lucette, par exemple, j’apporte le principe du rangement des livres dans des caisses en bois. Lucette souscrit à cette organisation. Elle l’accepte. Elle m’encourage à la développer. Elle apporte d’autres techniques ou méthodes qui sont gérées par des principes qu’elles cherchent à développer.
Romain, Charlotte, Pépé, Mémé induisent des principes d’organisation (Pépé a une influence sur le jardin). Ces personnes agissent sur la durée.
D’autres personnes surviennent un jour et apportent quelque chose du point de vue de leur savoir-faire :
- François nous encourage à produire une théorie des joints (pierres apparentes jointées).
- Mémé défend la place de la tarte dans une économie domestique comme la nôtre.
- Lorenzo apporte la philosophie des terrasses.
- Sandrine déploie les objets techniques (téléphone, ordinateurs, machine à coudre)…
La maison est le résultat d’intérités. Jean-Claude Kaufmann a défendu l’idée de rapports de force. Il est certain que de temps en temps deux principes en présence s’affrontent. Il y a une lutte.
A un moment, je désire investir sur l’acquisition de la maison d’en face. Lucette s’y refuse, tant que la maison ne sera pas terminée. Elle gagne. Je ne regrette pas cette orientation. Le regret n’a pas de place dans la méditation. Entre plusieurs possibles, il faut choisir, il faut faire un choix, prendre une décision…
Une des orientations de Lucette depuis 2 ou 3 ans fut l’idée d’une pergola. Personnellement, je ne le sentais pas ce projet. Or, hier soir, Lucette a découvert que la construction de l’extension qu’elle envisageait allait nous retirer tout le soleil du soir… C’est elle qui mesure le coût de son option. Ce que je veux dire, c’est que la confrontation des principes de chaque habitant de la maison ne se fait pas toujours sous la forme d’un rapport de force, c'est-à-dire d’une contradiction. Le plus souvent, l’apport de l’un est accepté par tous, parce que l’on comprend que ce qu’il veut faire enrichit l’ensemble du projet.
Quand Romain décide de faire fonctionner un atelier vélo, personne ne s’y oppose. On sent que faire du vélo est un possible à développer.
Quand je propose le chantier «pierres», tout le monde y adhère, même si l’accord n’est pas trouvé sur la destination. Le principe de l’espace domestique se dégage progressivement d’un mouvement d’accomplissements pratiques individuels.
On est dans l’instituant ordinaire pointé par Georges Lapassade.
Certaines options font problème. Annabelle habite un studio à Aix-en-Provence, avec un gros chien fou. Celui-ci a empêché Charlotte de dormir. Charlotte fera certainement le choix de ne plus aller chez Annabelle passer ses vacances…
Lucette se moque de moi, quand je dis que Gancho m’empêche de dormir. Elle clame par monts et par vaux que c’est moi qui empêche le chat de dormir. J’ai besoin de sommeil. Gancho, lui, se réveille volontiers à 4 ou 5 h du matin. Comme il sait que je me réveille plus facilement que Lucette, c’est moi qu’il vient chercher pour que je lui ouvre la porte du jardin. Ensuite, difficulté pour me rendormir… Je ne puis éliminer le chat. Il a montré son utilité domestique : Il combat les souris. Habiter Sainte Gemme suppose une lutte contre les souris. Je ne puis donc pas faire d’ultimatum. Vivre à la campagne suppose la reconnaissance de la place de Gancho. En même temps, disposer de moi en forme peut aussi être une ressource du principe domestique. Comment gérer la dialectique Gancho/mon sommeil ?
La nuit dernière, quand Lucette est partie à la salle de bain, j’ai ouvert la porte au chat : il a passé la nuit dehors… et j’ai très bien dormi.
La maison a donc un principe de développement dont la dynamique spinoziste peut se formuler : l’essence d’une maison est de persévérer dans son être.
Remi Hess
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