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  • : Le blog de Benyounès Bellagnech
  • : Analyse institutionnelle : Théorie et pratique au sein des institutions politiques, éducatives et de recherche. L'implication des individus et des groupes dans la vie politique et sociale.
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29 avril 2010 4 29 /04 /avril /2010 17:59

 

"L'autonomie n’est pas un virus" (1)

 

 

* Abstract

Cet article s'inscrit dans le genre des hors-textes (2). Il rend compte d'une semaine pas tout à fait ordinaire d'une apprentie chercheuse qui tente d'intégrer les apports du professeur Remi Hess (3) dans son parcours.

 

 

* Journal du 8 au 15 juillet 2007 (4) 

 

 

Dimanche, 8 juillet 2007

Dès notre arrivée, tout était comme hier soir, bien que je fus déjà partie à 18 h 40 (5). Après avoir effectué quelques rangements pour me réhabituer à l'atmosphère de notre appartement, j'ai rempli le dossier d'école pour D1; et j'ai ensuite continué à travailler sur l'échange de lettres de Friedrich Daniel Ernst Schleiermacher(6). Dans le même temps, je voulais noter mes propres réflexions. Il m’était alors très dur de me concentrer sur le texte.

En fait, je devais rappeler mon directeur de recherche. La préparation de cet appel m'a aidée à mieux cerner certains points qui ne m'étaient pas encore clairs. E. a compris et a appliqué de façon conséquente tout au long de l'année universitaire un détail de la recherche, détail que j'avais déjà compris il y a longtemps, mais que je n'ai jamais réussi à mettre en oeuvre dans la continuité. C'est que l'on travaille avec et pour un vis-à-vis, même si c'est la chienne, même si c'est le petit neveu de 2 ans, même si c'est le "directeur de recherche (le pauvre)".

Il est tout à fait normal que, dès que j'ai dû penser à préparer une conversation, mes idées assez confuses se sont mises en ordre, et le blocage de la veille a disparu. Un regroupement des pensées s'installe.

Je travaille surtout l'échange de lettres avec August Ludwig Hülsen (7) qui s'est lancé dans un truc mystico-évangélique. Ses lettres montrent sa grande intelligence ; son argumentation dure et rapide est cachée sous le vocabulaire kitsch de l'époque.

Friederike Charlotte Schleiermacher (8) a aussi retenu mon attention. On devrait lui accorder une place dans la recherche autour des surdoués. Cette idée me rappelle le labo E et je comprends que mon blocage est lié à mon rapport avec ce labo qui pratique la version cryptique de la bureaucratie à la perfection. Je me souviens alors d'un colloque ou d'une journée d'étude où l'on a voulu me présenter René Lourau que je ne connaissais que comme auteur. Il était en conversation apparemment assez confidentielle avec L. et je n'osais pas intervenir. C'est ainsi que je n'ai jamais pu faire la connaissance personnelle de René Lourau, décédé quelques semaines plus tard. Comment cette personne, apparemment si proche de lui, peut-il, quelques années plus tard, chercher à neutraliser son oeuvre ? L'analyse de l'aisthesis par Welsch (9) m'aide à comprendre ce qui s'est probablement passé : Apparemment, les personnes qui maintiennent un certain pouvoir sont hantées par la méfiance, ce qui pollue leurs expériences sociétales, relationnelles (10). Mais au lieu de l'avouer, ils cherchent refuge dans un comportement bureaucratique. Le bureaucrate perd ensuite la faculté d'agir ; il suit des rituels. Et s'il meurt un jour, quelqu'un d'autre prendra sa place. Si j'entends les discours de L., je remarque que la différence entre nous consiste en l'inscription institutionnelle. Elle est inscrite dans l'enseignement supérieur, moi à l'ANPE (11). Si, un jour ou l'autre, elle était empêchée de continuer, je pourrais reprendre son travail - j'aurais simplement besoin que l'on m'explique les lois, les dossiers, les papiers - mais ce sont des tâches que tout le monde peut apprendre (12). L'articulation du Tout me serait possible d'une manière telle que personne ne remarquera qu'une bureaucrate a été remplacée par une autre. Mais le voudrais-je ? Pour des fins pragmatiques, je n'interviendrais pas dans les processus bureaucratiques. Par contre, dans mon comportement quotidien, je marquerais une différence. C'est clair, je n'aurais aucun élève préféré.

Passons.

J'ai commencé la lecture du Piège de Jean-Pierre Faye (13) et j'ai reçu un choc - «normalement», on attribue le concept de déconstruction à Jacques Derrida, (14) bien que l'on admette un lien avec le concept heideggerien de destruction.

Faux. «Déconstruction» est la traduction française du terme heideggerien "Abbau", (15) et Faye s'approche de Martin Heidegger (16) par une citation de Friedrich Hölderlin : "«[...] tu es aussi frère d'Evohé, Lui qui arrête le désir de mort des peuples et déchire le piège»". (17) Comme j'étais très fatiguée, j'ai dû interrompre ma lecture. Si tout va bien, je continuerai cet après-midi (18).

Avant d'oublier, même si c’est deux jours après, je ne me sens pas à la hauteur de répondre aux besoins de l'étudiante M1. Je l'ai rencontrée, il y a deux jours. Pour elle, (19) l'agnosticisme est une position parfaitement incompréhensible et la pensée qu'une créature puisse croire en sa propre éternité encore plus. Je pouvais au moins lui expliquer que Schleiermacher, qui, justement, croyait à cette éternité, croyait surtout en Jésus Christ; qu'il croyait que Jésus Christ est le seul médiateur entre Dieu et nous (20).

 

 

Lundi, 9 juillet

J'ai seulement oublié mon carnet, à part ça, tout va bien.

D1 traîne, mais j'ai décidé d'apprendre à rester silencieuse. T a un minus de 1000 - je pense que Francs, car il dit encore aujourd'hui toujours «Francs», et pas Euros - sur son compte et continue d'acheter des chaussures, des pantoufles, des accessoires divers, et la qualité ? Il faut aller faire des courses, c'est la période des soldes ... .

Hier, j'avais beaucoup de travail à la maison et je n’ai pas pu dormir suffisamment. J'ai entendu le réveil à 7h, mais je n’ai pu me lever qu'à 7h28. Actuellement, je suis dans le hall d'entrée du Centre culturel à Domont. Nous avons 20 minutes de retard. (21) Mais arrive - une famille d'Africains ! Eux aussi, et avec 45 minutes de retard ! Mais pour eux- c'est normal, selon les clichés (inter)culturels- mais pour nous, non. (22)

(...)

Qu'y avait-il d’autre encore ? Ah oui - l'histoire des pédales du vélo de D1. Nous devons changer le tout du côté des dérailleurs et cela va nous coûter autour de 30 Euros. Il n'a nullement, surtout pas, dirais-je, besoin d'un nouveau vélo. Si j'entends de telles sottises - bien que M2 dise que l'on n'a pas besoin de toutes ses dents, je préfère trouver ces quelques deux mille pour un implant que de dépenser pour des trucs en double et en triple.

Ma grand-mère a pourtant perdu toutes ses dents très, très jeune et elle est morte à 93 ans.

J'ai terminé la lecture du 9e chapitre des Proverbes (23) et j'ai trouvé tout de suite une ligne de conduite à l'égard des «scoffs».

Il est maintenant exactement 12h. Je suis seulement sur la page 218 (24) . Je devais arriver au moins à la page 250 - je vais faire une courte pause (25). Je réfléchissais aussi à ce que j'avais encore à faire. Prendre des notes pour E; sa libéralité à l'égard de nous (ne pensons qu'aux cartouches pour les stylo plumes!); que P vient éventuellement demain; et je suis en train de réfléchir sur l'«épistémologie» du diarisme, de la notation quotidienne. Livre de bord, carnets de notes, par exemple, cherchent par principe à contourner le transductif, à évacuer le «subjectif». Les traiter d'un seul coup avec un carnet d'idées est pour moi un malentendu épistémologique. Les carnets d'idées, les journaux de recherche se trouvent, qu'on le veuille ou non, à proximité des journaux intimes; non pas au voisinage des livres de bord. Mais on va me rétorquer que l'observation et la position de l'observateur prévalent aussi pendant le remplissage d'un carnet structuré d'avance, et cela casse ma belle construction en mille morceaux !

 

Leonore Bazinek

http://lesanalyseurs.over-blog.org

 

 

( 1)Supplément le 9.8.2007. - Ce titre est le fruit d'une conversation avec une personne en recherche d'emploi qui ne peut probablement pas obtenir un poste pourtant intéressant par manque d'autonomie. Cependant, elle a suivi des Ateliers de Pédagogie Personnalisée (APP), mais dans le seul but de réussir des concours de la fonction publique. Cette conversation m'a fait comprendre que les personnes qui accèdent à l'autonomie font oeuvre de pilier ... et qu'elles s'imaginent qu'elles arrivent à transmettre leur attitude, leur approche, leur souveraineté, quelque part (cf. par exemple pour l'idéologie qui porte les APP, PINOT, 2007, 182-184). - Illusion. - L'autonomie n'est pas un virus. - L'autonomie est une espèce de bijou précieux que l'on doit, absolument, garder dans le coffre fort de ce qu’autrefois, on a appelé «âme» et dont nous manque aujourd'hui le mot. Je ne déplore pas cette disparition - et dès que je la constate, il fait sa réapparition, cf. PANU, 2007, 150 et 152. - Peu importe. - Disons-le plus simplement. L'autonomie est une petitio principii, elle ressort du domaine de l'idiolecte, est soustraite à tout effort pédagogique. - L'autonomie, donc, est le signe, la signature apposable à une autodidaxie réussie; peut-être le vaccin contre toute hétéronomie fâcheuse ?

(2) Cf. pour cette notion LOURAU, 1988, 11-30.

(3) Cf. notamment HESS, 1998.

(4) Je désigne les personnes par la première lettre de leur vrai prénom (aussi celles avec lesquelles je n'ai pas une relation particulièrement proche, comme L, J, H par exemple), suivi d'un chiffre s'il y en a plusieurs qui commencent avec la même lettre. - Ce procédé permet aux intéressés une recherche concernant la véracité des faits relatés tout en gardant un certain anonymat.

(5) Eglise Protestante de Bobigny. - Hier, nous avons fêté les 80 ans d'un membre fondateur de la Communauté.

(6) Educateur allemand (1768-1834) dont les enseignements sur la pédagogie font l'objet majeur de mes recherches depuis 1999. - Je viens de commencer la KGA V.3.

(7) Pédagogue allemand (1765-1810).

(8) Soeur de F. D. E. (1765-1931); éducatrice dans la Communauté des Frères à Gnadenfrei.

(9) L'homme, comme l'auteur prétend apprendre d'ARISTOTE, se caractérise par une tension entre ce qu'il perçoit et ce qu'il est susceptible de percevoir. Cette structure des sens humains est à la base des phénomènes sociaux, car elle garantit la faculté de communier. Si cette tension se perd, il en résulte un anaisthetos, un être humain dépourvu de vibration vivante; résultante du refus de la réalité que "plaisir et douleur s'insinuent dans toutes les relations de la vie" (cf. WELSCH, 1987, 389-392, cit. 390). - Je m'approprie aussi dans ce contexte le développement suivant : "La pratique habituelle [...], fondée sur la confiance, sur la compréhension réciproque et sur la coopération a progressivement glissé [...] vers une escalade bureaucratique [...] fondée sur la délégation et le droit. Le microcosme expérimental est terminé, le cercle est rompu, la zone temporairement libre est perdue, on est encore une fois complètement colonisé par les modèles institutionnels dominants qu'autrefois on critiquait tous ensemble. Ça, ce n'est pas la bureaucratie comme le moindre des maux possibles, [...] mais simplement la bureaucratie visant à la prise et à la gestion du pouvoir, ce qui est bien pire." (PANU, 2007, 177).

(10) Cet aperçu mérite un développement; une mise en perspective avec la notion loraldienne d'implication, cf. LOURAU, 1997.

(11) Agence Nationale pour l'Emploi, organisme en France qui gère les chômeurs.

(12) Pendant que j'écris, j'écoute quand même avec intérêt les commentaires de la lettre aux Colossiens, du Psaume 26 et du 4echapitre de l'Evangile de Marc de D2.

(13) Cf. FAYE, 1994.

(14) Intellectuel français (1930-2004).

(15) Cf. FAYE, 1994, notamment 28 et 140.

(16) Universitaire allemand (1889-1976).

(17) 7 (souligné par l'auteur). - Cela interpelle tout auditeur de DERRIDA qui nous a rendu sensible à la relation problématique entre HÖLDERLIN (poète allemand, 1770-1843) et justement HEIDEGGER.

(18) Finalement, on a passé l'après-midi avec des amis qui nous ont éclairé sur le mode de fonctionnement des soutenance de thèses. - Comme je relate ici de deuxième main, je ne donne pas plus de précisions. Ces amis ont alors déjeuné le mardi de la semaine précédente dans un petit restaurant à côté de l'université Paris VIII et ont entendu une discussion animée des profs (ils reconnaissaient certains de la tribu des sciences de l'éducation; et il y avait une personne qu'ils ne connaissaient pas et qui a tout enregistré; ce que j'ai aussi remarqué lors de la soutenance qui a suivi ce repas et lors du pot qui a suivi la soutenance. Les détectives parmi nous peuvent essayer de se procurer ces enregistrements) sur une thèse nulle, parfaitement incompréhensible, que 70 pages de bon. - Cette thèse, comme je pouvais expliciter, car j'ai assisté à la deuxième moitié de cette soutenance, a obtenu la mention «très honorable avec félicitation du jury»; un jury franco-suisse, mixte (une femme) et inter-idéologique (un institutionnaliste militante, un «méthodologiste», un avec une attitude ciblant la médiation, autres). - Passons sous silence le profil du candidat et déléguons cette enquête aux personnes susceptibles d'entreprendre une analyse interne des institutions impliquées ici.

(19) Elle est musulmane.

(20) La discussion commençait par sa question, à savoir si Schleiermacher croyait en Dieu. J'ai été très embarrassée - car après tant de lectures de cet auteur, je ne pouvais pas répondre à cette question et je découvrais alors qu'il maintenait une position agnostique parfaitement équilibrée.

(21) Pour le stage de théâtre de D1.

(22) Je suis de nationalité allemande.

(23) RSV 565sq.

(24) KGA V.3.

(25) En faisant une petite promenade, j'ai développé toute une défense de l'attitude agnostique; position que quelques expériences m'empêchent de soutenir personnellement, mais au niveau de la réflexion abstraite, de l'heuristique, je la maintiens, et cela dans une proximité quasicongénitale avec SCHLEIERMACHER. - Comme je n'ai rien noté ce jour-ci, je ne la retrace pas non plus maintenant.

 

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