Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Présentation

  • : Le blog de Benyounès Bellagnech
  • : Analyse institutionnelle : Théorie et pratique au sein des institutions politiques, éducatives et de recherche. L'implication des individus et des groupes dans la vie politique et sociale.
  • Contact

Recherche

5 avril 2012 4 05 /04 /avril /2012 10:14

II) Divergences entre la recherche-action et l’analyse institutionnelle

 

Nous venons de voir cinq éléments qui rapprochent la tradition de la recherche-action de celle de l'analyse institutionnelle. On aurait cependant tort de croire que l'analyse institutionnelle soit purement et simplement un courant de la recherche-action. En effet, d'un point de vue épistémologique, les deux traditions différent sur plus d'un point. Il nous semble ici important d'en dégager quatre qui nous semblent particulièrement caractéristiques. D'abord, la place de l'écriture et de la production écrite dans le processus de recherche, ensuite le statut de l'analyste ou du chercheur, le statut et le sens du travail de recherche proprement dit, enfin le rapport à la demande et à la commande de recherche.

 

a) La place de l'écriture

 

Très souvent, on a pu constater que les praticiens de la recherche-action considèrent qu'ils ont "rempli leur contrat" lorsque le travail avec les praticiens est terminé. Leur production de connaissances fait en situation. Elle est essentiellement "verbale", "communicationnelle" et pratiquement jamais "écrite". On a pu penser que ces chercheurs avaient une sorte de mépris pour l'écriture académique qui ne parvenait pas à rendre compte du "vécu" de la recherche, en soi le plus important. L'objectif de changement étant atteint, le chercheur s'arrête donc le plus souvent. Et s'il écrit cependant, on est souvent déçu de ne pouvoir utiliser ses textes dans une entreprise de généralisation. Les textes issus de recherche-action sont très souvent "locaux" et non "universalisables". L'analyse institutionnelle se distingue de la tradition de la recherche-action en cela même qu'elle a toujours, sous des formes très variées, utilisé l'écriture comme outil d'analyse et d'intervention.

 

Assez souvent, en effet, les institutionnalistes font écrire les acteurs (technique du journal institutionnel, par exemple); mais eux-mêmes produisent presque toujours des textes à partir de leur implication sur un terrain. Ces textes déroutent souvent le lecteur universitaire parce qu'ils s'inscrivent dans des registres multiples. Parfois, les institutionnalistes produisent des textes de facture académique, mais très souvent il leur arrive de produire des textes qui sont plus proches de la littérature (1). Certaines "monographies" d'intervention sont des récits. Parfois même, l'écrivant quitte le récit pour entrer dans le roman (voir Le Bordel andaloude G. Lapassade).

 

Pour expliquer cette spécificité de l'analyse institutionnelle, on peut faire remarquer la parenté que ce courant peut avoir avec le courant surréaliste. A la suite d'H. Lefebvre, marqué par le surréalisme, et qui a produit des textes de facture différente (écrits théoriques, poèmes, pièces de théâtre...), genres qui se trouvent entremêlés dans La Somme et le Reste, par exemple. R. Lourau fait alterner fréquemment des élaborations théoriques et des formes d'écriture qui relèvent de l'écriture d'un journal de bord. Il systématise d'ailleurs la publication de morceaux de journaux dans tous les livres parus après Le Lapsus des intellectuels (une exception : La clé des champs). On se souvient qu'avant de se consacrer à la sociologie, il était professeur de lettres, et a même préparé une thèse sur le Surréalisme!

 

R. Hess prône l'écriture du journal, un héritage familial (2), qui se trouve être, dans le cas du journal de recherche, une écriture intermédiaire entre l'écriture pour soi et l'écriture scientifique (3).

 

On pourrait multiplier les exemples. Nous reprenons la question de l'écriture dans le chapitre 7. L'important, ici, c'est de montrer encore une fois l'acceptation par les institutionnalistes de la complexité, et de leur désir d'en rendre compte par l'appel à des ressources techniques multiples. Rendre compte de l'implication ne peut pas se faire de manière seulement "cartésienne".

 

(1) Dès 1972, R. Lourau était conscient de ce problème: "Travailleurs du négatif, unissez-vous", in Basaglia, Les criminels de paix, pp. 186-187.

 

(2) R. Hess obtient dès 1969 un prix littéraire avec un "journal" tenu sur sa vie d'étudiant. Il tenait cette forme d'écriture de son grand-père paternel et de sa mère, auteurs de journaux dont R. Hess travaille d'ailleurs à la publication: cf. Paul Hess, La vie à Reims en 1914-1918... (Paris, Anthropos, 1998).

 

(3) Cf. R. Hess, Le journal des moments, tome 1: Le journal des idées, Presses universitaires de Sainte-Gemme, Paris, 2005, présentation, pp. 5-41.

 

Mis en ligne par Benyounès et Bernadette Bellagnech

http://lesanalyseurs.over-blog.org 

Partager cet article
Repost0

commentaires