Le blog de Benyounès Bellagnech

Les états de conscience modifiés

Je m'intéresse à mes propres « états altérés de conscience». Je consulte souvent, mes rêves, mes rêveries diurnes et les associations qui en découlent pour m'orienter dans ma vie, et dans la fac.

Cela fait, j'en conviens, un assez curieux mélange. Il y a d'une part, des sources qui puisent dans une tradition des sciences sociales assez rationaliste dont l'ethnométhodolologie me paraît constituer à la fois un aboutissement et une mise en crise. Il me parait normal de travailler aujourd'hui les textes de Garfinkel comme j'ai fait en d'autres temps pour ceux de Marx de Husserl, de Lewin ou de Mauss. J'ai conservé de mes années  de jeunesse  et  de  formation  une orientation fondamentalement  existentialiste que je retrouve dans l'ethnométhodologie. Mais d'autre part, je suis plongé depuis maintenant vingt ans et peut-être plus (peut-être depuis mon enfance et surtout mon adolescence) dans une « recherche » sur des états tenus un peu en marge comme la voyance, les transes et les possessions.

En ce moment, je commence à apercevoir la manière dont je pourrais utiliser pour moi-même le maniement auto­analytique de ces états en moi (mes rêves notamment et ce qui les suit immédiatement au «réveil») dans l'analyse institutionnelle et indexicale. L'analyse de mes rêves m'aide à mieux connaître mes implications dans la recherche et l'enseignement.

C'est un peu le même usage que je fais, depuis longtemps déjà (depuis 1969) de mon journal. Il est parfois ethnographique (comme dans le bordel andalou) et parfois plus strictement autobiographique (L'Autobiographe).

Dans le même temps, la préparation longue et difficile d'un Que sais-je ? sur la transe me pousse à lire et relire Mesmer, Puységur, Bertrand, Maury, Janet, Freud... Ces lectures ont, c'est évident, un effet sur ma vie psychique en même temps que sur ma « recherche en institution ».

Mais comment tout dire ? On ne peut pas, on ne peut pas, on ne peut jamais ! Cette impossibilité de tout dire, je la désigne maintenant par la notion de l’indexicalité. C'est peut-être un usage personnel du terme infidèle à sa première signification (chez Bar Hillel en 1954, chez Garfinkel en 1967, chez certains auteurs français aujourd'hui comme Bernard Conein, Renaud Dulong, Yves Lecerf, Louis Queré, Patrick Pharo...).

Pour rattacher quand même, finalement, au projet du présent numéro de revue et pour répondre à la commande du coordinateur, René Barbier, je dirai que par les rêves, l'hypnose, les états modifiés de conscience que j'expérimente en moi presque continuellement, le monde de l'imaginaire pris comme source de vérité, et non de leurre, fait maintenant irruption à ciel ouvert dans ma vie professionnelle. Mon journal en est de plus en plus l'écho : je note mes rêves, je les transcrits, j'associe, je fais mon auto-analyse.

J'essaye de travailler sur moi-même lorsque, au réveil, je me trouve dans cet état de transe légère que Freud a inscrit, j'en suis maintenant convaincu, dans sa « règle fondamentale de la psychanalyse» définie aussi par lui comme règle des libres associations. C'est une règle, au fond, surréaliste. Elle nous engage à nous tenir à l'écoute d'un autre discours qui me paraît pouvoir en plongeant dans notre vie « imaginaire » donner accès à d'autres sources de vérité sur soi qui nous permettent de nous guider dans nos actions. C'est la leçon de Freud.

C’était déjà celle du Marquis de Puységur et de ses somnambules, en 1784 déjà. Ainsi, mon analyse indexicale est aussi une sorte d’analyse somnambulique. Elle n’est pas sans rapport imaginaire avec la Mort, le maître absolu.

Georges Lapassade

Mis en ligne par Benyounès et Bernadette Bellagnech

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