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  • : Le blog de Benyounès Bellagnech
  • : Analyse institutionnelle : Théorie et pratique au sein des institutions politiques, éducatives et de recherche. L'implication des individus et des groupes dans la vie politique et sociale.
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8 avril 2012 7 08 /04 /avril /2012 11:20

d) La question de la demande

 

Un dernier niveau de différenciation de l'analyse institutionnelle par rapport à la recherche-action, se situe au niveau de la demande. Très souvent, le processus de recherche-action est suscité par un commanditaire, qui finance le projet de recherche. Ce commanditaire est différent des praticiens qui vont participer à l'action. Le travail s'engage donc avec plusieurs parties dans le dispositif : il y a le commanditaire qui finance, les chercheurs, les praticiens du terrain que l'on souhaite étudier. Le terrain choisi n'est pas toujours "demandeur" du travail de recherche.

 

Le désir de collaborer avec les chercheurs n'est donc pas toujours au rendez-vous. Cet écart entre le projet du commanditaire et le projet des participants, dans la recherche-action, n'est pratiquement jamais "analysé". Or, cette dimension est importante. En Allemagne, depuis 1975, on assiste à un reflux énorme de la recherche-action comme méthode de recherche. La raison est à chercher du côté de cet "oubli" de la demande de la base. Les enseignants, les travailleurs sociaux n'ont plus le désir de collaborer avec des chercheurs. La recherche-action butte donc sur un problème que n'a jamais rencontré l'analyse institutionnelle puisque celle-ci pose comme principe qu'il n'y a mise en place d'un dispositif d'intervention collectif que s'il y a demande, dès le départ, d'un groupe-client. De plus, les contradictions, conflits, tensions qui peuvent survenir de cette triangulation entre commanditaire, groupe-client et socianalystes est un des fils du travail d'analyse.

 

Ce dernier niveau est extrêmement intéressant comme critère de distinction des deux traditions. Il est des périodes où les socianalystes n'ont pas de "commandes". Mais pendant longtemps, ils ont refusé d'être les instituants d'une intervention. Ils attendent qu'une demande émerge du social pour la travailler. Le type de travail qui se réalise alors est d'une autre nature. A la lecture de la thèse de Patrice Ville (1), on s'aperçoit que ce principe a pu trouver des exceptions. Dans certaines situations de crise, le critère de la demande est difficile à faire fonctionner.

 

D'ailleurs, l'intérêt de cette posture d'attente de la demande n'était pas sans poser problème dès 1973 à H. Lefebvre, qui voyait dans ce rapport au terrain une limite interne de cette école. Il voyait dans ce rapport à la demande le risque de se couper de nombreuses institutions qui ne seraient jamais demandeuses : "Les promoteurs de l'analyse institutionnelle ne manquent ni d'audace ni de courage. Ils n'hésitent pas devant les conséquences de leurs hypothèses. Les limites de leur pensée lui sont internes. Ils n'abordent les institutions que séparément et dans la mesure où ils peuvent intervenir (l'intervention "sur le terrain" étant la pratique de leur théorie). L'enseignement et l'université ont donc offert à cette discipline un terrain privilégié - et parfois l'Église. Mais comment tenter l'analyse institutionnelle de l'armée, de la magistrature, de la justice, de la police, de la fiscalité, etc., autrement dit des sous-systèmes, membres de l'ensemble, qui s'incarnent socialement en autant d'institutions ? L'extériorité réciproque de ces institutions n'est qu'apparente. Où se trouve le global ? Comment l'atteindre, le saisir, le définir ? Il est possible d'affirmer que ces institutions constituent un tout, que la bureaucratie et l'État font la somme et le total des institutions existantes. Mais où et comment saisir les rapports exacts entre le tout et les parties? leurs articulations? Quelle est la place de l'économique et de l'économie politique? On ne peut les évacuer au profit de la seule bureaucratie "institutionalisante" et "institutionalisée". Montrer comment une institution "reflète" ou "exprime" une réalité plus profonde ou plus haute, soit l'inconscient ou l'histoire, soit la société bureaucratique et l'État bourgeois, soit l'économique ou le social c'est une chose. Montrer comment elle contribue activement à produire ou reproduire des rapports sociaux c'est une autre affaire. René Lourau pose la question et ne la résout pas. Georges Lapassade, quand il l'aborde, se sent tiré en arrière, vers des considérations générales sur l'histoire et l'humanité (anthropologique) (2). En tant que discipline, l'analyse institutionnelle et sa base d'intervention pratique, la dynamique de groupe, ont du mal à sortir de l'oscillation entre le constat (de l'existant) et l'annonce d'une fin catastrophique par la contestation (3)."

 

Depuis que ce texte a été écrit, on peut dire que certains institutions "lourdes" (EDF en France entre 1980 et 2005 ; la police en Argentine à partir de 2004) ont fait le pari de passer commande aux socianalystes. Il faudrait entrer dans le détail d'une présentation d'intervention, pour montrer la force qu'il y a, à attendre la demande.

 

(1) P. Ville, Une socianalyse institutionnelle, Gens d'école et gens du tas, doctorat d'État en Lettres et Sciences Humaines, présenté le 12 septembre 2001, à l'université de Paris 8, 800 pages.

(2) René Lourau, L'analyse institutionnelle, Editions de Minuit, 1970 ; Georges Lapassade, Groupes, organisations institutions, Gauthier-Villars, 1967, notamment p. 121 et sq., 176 et sq.

(3) H. Lefebvre, La survie du capitalisme, la reproduction des rapports de production, Paris, Anthropos, 1973, p. 76-78.

 

Mis en ligne par Benyounès et Bernadette Bellagnech

http://lesanalyseurs.over-blog.org  

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