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  • : Le blog de Benyounès Bellagnech
  • : Analyse institutionnelle : Théorie et pratique au sein des institutions politiques, éducatives et de recherche. L'implication des individus et des groupes dans la vie politique et sociale.
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7 octobre 2011 5 07 /10 /octobre /2011 12:27

3 Quelle education pour une spiritualité laïque ?

 

Quelle pédagogie a-t-on adopté en Occident, notamment en Italie, pour faire que les générations qui grandissent bénéficient d’une pleine conscience de soi dans le monde ? Ne risque-t-on pas de confondre la plénitude du terme éducation avec les approches tout à fait scolaires des pédagogies reconnues et certifiées par les modèles institutionnels nationaux  auxquels les programmes académiques se conforment pour former des enseignants réduits au rôle d’instructeurs ?

On essaye dans cette dernière partie de la recherche, de saisir les approches, les méthodologies et les dispositifs éducatifs, que les Sciences de l’Education et la sociologie, notamment la microsociologie scolaire (1), nous mettent à disposition, par l’observation des dynamiques collectives et l’expérimentation pédagogique.

 

Je pars de la conviction qu’on ne peut pas parler d’éducation à la spiritualité si on n’éclaircit pas l’ambiguïté où l’on retombe chaque fois qu’on associe l’éducation à l’enseignement scolaire. De la même manière, on ne peut pas parler d’éducation à la spiritualité chaque fois qu’on associe la spiritualité à la religion, en entendant «enseigner la religion» pour «éduquer à la spiritualité». C’est de cette confusion primaire que je vais mesurer la distance de fond qui sépare une démarche laïque de prise de conscience, de l’acquisition dogmatique des principes d’un credo religieux.

Réfléchir à l’utilité de l’actuel système éducatif occidental nous ramène aux questionnements de Hanna Arendt pour laquelle il faudrait bien comprendre que le rôle de l'école est d'apprendre aux enfants ce qu'est le monde, et non pas leur inculquer l'art de vivre (2).

Peut-on imaginer la mise en place dans le système scolaire, d’un enseignement alternatif à celui religieux, qui ne soit pas de nature didactique comme l’l’histoire des religions ou l’introduction aux religions, mais qui ait pour cible un changement et une véritable prise de conscience des élèves ?

Pour réaliser l’utopie de l’accomplissement d’une éducation laïque et spirituelle, il faut penser à des approches différentes dans la relation éducative, c’est de là que la motivation à l’apprentissage surgit et c’est dans ce contexte relationnel que la connaissance permet un changement individuel, c’est dans un partage communautaire que cela devient un changement générationnel.

Ivan Illich (3) a su saisir clairement les pièges de l’institution éducative dans le monde occidental en nous mettant en garde contre ce système de contrôle de consciences et d’enfermement des jeunes dans des voies sans issues, qui leur nient la possibilité d’aboutir à une vraie connaissance. Ainsi, Krishnamurti est également extrême par rapport à l’utilité de l’instruction qui ne valorise pas la vraie intelligence. Dans le système éducatif, il considère l’intuition comme l’intelligence hautement éveillée qui accompagne la connaissance de soi, la perception aiguë des pensées et des sentiments.

 

Savoir, connaissance et compréhension

 

Un discours sur l’éducation à la spiritualité laïque en Sciences de l’Education suppose deux questions de fond. Qu’est ce que c’est le savoir ? Qu’est ce que c’est un individu ? Il serait utile à la compréhension des moyens de connaissance en éducation d’adopter la vision de Krishnamurti pour distinguer l’image qu’on a de l’autre et l’autre en soi en tant qu’être humain, apprenant, élève, enfant ou adulte.

On ne peut pas réduire l’éducation, qui est compréhensible par plusieurs implications psychologiques, anthropologiques, relationnelles, à son acte de transmission : on est obligé de s’arrêter sur le concept de savoir, comme système de notions, en le distinguant de la connaissance qui comporte la compréhension dans le sens élargi de compréhension totale, dont l’entend Krishnamurti.

La spiritualité est de l’ordre du non-explicable, de ce qu’on n’arrive pas à décrire par les mots, mais qui peut en tous les cas être comprise, à travers une posture différente dans la relation maître-élève, qui tient compte de l’écoute, de l’attention lucide, de la conscience de soi. Les outils de l’éducateur, dans ce cas, ne sont pas les mêmes que pour d’autres enseignements plus techniques.

La question du « sujet » est une question éminemment pédagogique et politique. Elle est dans une société démocratique, au cœur de l’éducation, car on suppose de s’émanciper, à la fois de l’assujettissement théocratique et de l’individualisme marchand pour permettre à chacun d’accéder à la capacité de penser par lui-même, s’associer aux autres.

La réflexion qui surgit le plus naturellement des observations sur le terrain scolaire, est que l’on relève un besoin de formation des enseignants de l’école publique par rapport à des méthodologies d’ouverture à l’écoute. Ils ressentent ce manque mais en même temps ils n’arrivent pas à utiliser pleinement les instruments d’autoformation disponibles par la recherche-action.

 

Inachèvement, autonomie et autorisation

 

On considère le système de l’autogestion pédagogique apte à mettre fin à la séparation entre les dirigeants et les exécutants, entre les gouvernants et les gouvernés, mais comme l’a bien observé G. Lapassade  «  Nous avons été habitués dès l’enfance à considérer ces relations comme des données naturelles, et éternelles, de l’existence sociale. Le rôle de l’école est essentiel pour préparer les hommes à accepter cette organisation de la séparation » (4).

On comprend, dès lors, qu’il faut changer l’école si l’on veut véritablement changer la société.

Jacques Rancière nous permet de remonter à la pensée libertaire de l’éducation de Jacotot qui depuis des siècles reste encore actuelle dans sa conception de la pédagogie. Pour Jacotot, le mythe pédagogique divise l’intelligence en deux : une intelligence supérieure et une intelligence inférieure. Tel sera pour lui le principe de l’abrutissement.

L’abrutisseur pour Jacotot est le savant, éclairé et de bonne foi. Plus il est savant, plus évidente lui apparaît la distance de son savoir à l’ignorance des ignorants (5).

On ne peut pas enseigner la spiritualité parce qu’elle échappe à l’encadrement des programmes scolaires et se révèle dans l’inattendu, elle est de l’ordre d’une connaissance qui amène à la compréhension (com-prendre : prendre avec) et non de l’enseignement et de l’apprentissage. On peut enseigner ce qu’on ignore si l’on émancipe l’élève (6).

L’acte émancipatoire provient de la compréhension, dans un espace laissé libre à l’intuition. L’autonomie de l’intelligence joue son potentiel, et ce processus de connaissance ne connaît pas de fin, il est continuel si l’individu permet à soi-même de s’épanouir en s’élargissant. Georges Lapassade nous a ouvert les portes d’une conception nouvelle par rapport à l’éducation et à l’inachèvement de l’Homme : comment peut-on encore considérer le fait éducatif dans la perspective de la construction, du bâtiment de l’homme adulte ?

Un être inachevé est un être enfin libre d’apprendre sa vie et de construire son histoire un peu plus chaque jour. L’inachèvement c’est la voie de tous les possibles.

La situation pédagogique est un fait complexe, plusieurs dimensions se croisent : l’identité de la personne, celle de l’élève, la dimension groupale de la classe qui fait émerger des dynamiques propres difficilement contrôlables à priori, la dimension organisationnelle et celle institutionnelle.

« La base de l’éducation est le rapport personnel entre un adulte et un être en devenir, qui parvient par lui-même à sa vie et à sa forme » (7). Cette démarche en devenir fait que l’accompagnement pédagogique vise au changement.

Le changement est aussi le but de la méthode de la recherche-action, un changement individuel se produit au cœur de la pratique collective qui déplace le moyen d’affronter le quotidien scolaire.

En pédagogie, le changement est une expérience temporelle, on en ressort avec différentes perceptions de soi. C’est un laboratoire où le sujet se découvre capable d’agir dans l’intérêt personnel comme de la communauté. D’après Piaget (8), le changement est vu dans le moment où le sujet s’aperçoit de son passage de récepteur passif à acteur de la formation de son propre savoir, et il s’aperçoit de s’apercevoir. Cela provoque un choc de foi intolérable, qui engendre plusieurs résistances à ce changement, comme l’analyse la psychanalyse freudienne. Mais du côté phénoménologique, qui représente toujours l’interprétation la plus proche de notre démarche de compréhension, Rogers (9) analyse le changement comme un processus où le sujet tend vers l’autoréalisation parmi une recombinaison continuelle des éléments du soi. L’acceptation de soi-même est le début du changement et si on n’obtient pas, par le monde externe, la confirmation de la perception que l’on a de soi, alors la psychopathologie surgit. De même, selon K.Lewin (10), l’acceptation et la réaction de l’environnement sont les fonctions les plus importantes de la personnalité totale et la névrose intervient quand le sujet est incapable de modifier ses modalités interactives envers l’environnement.

Une approche laïque considère le droit individuel du jeune au développement et à l’autoréalisation contre d’autres prétentions et injonctions sociales qui ne seraient pas justifiées. La relation éducative ne peut pas être le produit de la force ou de la manipulation, dans cette optique elle soigne l’autonomie de l’individu et la met à l’abri de toute imposition idéologique.

Il y a un rapport d’interaction entre l’éducateur et le jeune éduqué, la relation est interchangeable, l’éduqué est objet et sujet de la relation pédagogique et leur rapport est défini par la confiance éducative (11).

Une éducation spirituelle suppose une liberté préalable au raisonnement, c’est la liberté naturelle des valeurs héritées qui s’imposent du passé et qui pour Rousseau, doit se confronter avec l’institution en soi limitative et interdictrice. Cette éducation se base sur le principe d’intuition élaboré par Pestalozzi qui veut que l’on montre à l’enfant les choses avant les mots, que l’on cultive ses sens avant de songer à former son intelligence. La tâche de l’éducation, dans cette optique, est de conduire chaque être humain à se prendre en charge lui-même.

Depuis Freinet, dont la pédagogie est d'essence autogestionnaire et qui, par la conception d’une éducation populaire fondée sur l’observation de la réalité sociale, retrouve le but de rendre l’enfant sujet de son éducation - le maître perd son attitude didactique au profit d’une posture d’intervenant (12) et une profonde modification de la relation maître-élève se produit. Paulo Freire, dans la Pédagogie des opprimés, vise à l’humanisation de l’éducation par une action libératoire : la recherche sur la thématique la plus significative. « Educateur et éduqué devraient réunir leurs recherches en fonction de la connaissance sur le même objet. Cette recherche devrait se fonder sur la réciprocité de l’action » (13).

Les outils méthodologiques les plus pertinents à une éducation spirituelle se retracent dans le travail autogestionnaire, comme nous suggère Fonvieille (14) qui, à travers une sorte d’analyse implicationnelle avec les élèves, leur offre les instruments pour prendre conscience de la transversalité du groupe, lequel devient tout doucement groupe sujet, et institue l’autogestion. Le passage de groupe assujetti à groupe sujet marque l’émancipation collective qui entraîne celle individuelle et vice et versa.

Dans sa morale de l’intérieure, Herbart (15) exprime le problème fondamental de la pédagogie : il est impossible de faire de l’homme de l’extérieur un être moral, il est possible tout au plus de soutenir ses efforts pour devenir « de l'intérieur » homme moral. Ce qui se traduit en termes d’efficacité des valeurs formatives dans un bon rapport de soi au monde.

L’élément préalable d’une éducation, qui soit intégrale et intégrant la réflexion existentielle, qui permet le plongement dans la réalité de l’attention à soi-même, est sans doute l’autonomie. L’acquisition d’une conscience personnelle qui produit une énergie dynamisant l’action. L’autonomie au sens où l’entend Castoriadis est le contrôle des hommes sur leur propre vie dans tous les domaines. L’autonomie serait à concevoir comme un processus, puisque c’est par le biais de l’activité elle-même, et non d’un savoir préalable, qu’elle se développe.

 

(1) G. Lapassade, Microsociologie de la vie scolaire, Anthropos, Paris, 1998.

(2) H. Arendt, La crise de l’éducation, La crise de la culture, Texte n° 4, Folio, Paris, 1991.

(3) Ivan Illich, Une société sans école  Paris, Ed. du Seuil, 1971 (titre original: Deschooling Society), p.22.

(4) G. Lapassade, Sidi Bou Saïd, le 10 juillet 1966, introduction de Groupes, Organisations, Institutions, Paris, Anthropos, 5 édition.

(5) J. Rancière, Le Maître ignorant, Cinq leçons sur l’émancipation intellectuelle, Fayard 1987 - 10/18 Poche, 2004, p.17.

(6) J. Rancière, Ibidem.

(7) J. Rancière, Le Maître ignorant, Cinq leçons sur l’émancipation intellectuelle, Fayard 1987 - 10/18 Poche, p.6.

(8) J.Piaget, L’éducation morale à l’école, Paris, Anthropos, 1998.

(9) C. Rogers , Liberté pour apprendre, Ed. Dunod, Paris, 1999.

(10) K. Lewin, Principles of topological psychology, 1936.

(11) G. Weigand, Remi Hess, La relation pédagogique, Anthropos, Paris, 2007, p.8.

(12) G. Weigand, Remi Hess, ibidem, p.34.

(13)  Paulo Freire, La pedagogia degli oppressi, EGA edizioni, Torino, 2002, pag. 101.

(14) Fonvieille René, Naissance de la pédagogie autogestionnaire, Paris, Anthropos, 1998.

(15) J.F. Herbart, Tact, autorité, expérience et sympathie en pédagogie, édité par Johan Tilman, préface de G. Weigand, Paris, Anthropos, 2007, 200 p.

 

Geppina (Guisi) Lumare

http://lesanalyseurs.over-blog.org

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