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  • : Le blog de Benyounès Bellagnech
  • : Analyse institutionnelle : Théorie et pratique au sein des institutions politiques, éducatives et de recherche. L'implication des individus et des groupes dans la vie politique et sociale.
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25 avril 2013 4 25 /04 /avril /2013 09:25

La Fac ici et maintenant (Extraits d'un journal de route) (suite)

 

Chez les ethnologues comme Leiris (L'Afrique fantôme) et d'autres, le Journal n'était encore que la « pré-recherche ». Au bout du voyage, il y avait tout de même autre chose, un article plus savant, un discours ethnologique (dans le texte sur les possédés de Gondar, Leiris utilise une graphie savante, ce qu'il ne fait pas dans le Journal). Moi, je considère, du moins en ce moment, que mon Journal doit être considéré comme le « rapport » définitif. Il m'arrive même de penser que, même pour le commanditaire (qui paie cette recherche), il pourrait bien être le plus utile.

 

 

Ma « méthode » d'enquête n'est pas systématique. On peut voir cependant que ça commence souvent par une demande d'aide. Un étudiant vient me trouver, parce qu'un bureau est fermé et qu'il erre dans un couloir, généralement celui où je me trouve, en haut du bâtiment C. A partir de sa demande, on cherche la solution.

 

Et notre échange prend la forme sinueuse et peu organisée, en apparence au moins, d'une conversation. (...)

 

L'an dernier, me dit Catherine, j'étais dans le bureau quand deux étudiants africains des non-inscrits sont venus parler avec toi. Tu leur as dit que tu aimais les conversations avec les gens pour t'informer et à ce moment-là, ce mot a désigné pour moi une technique. C'est mieux que le non directif et les autres entretiens. Mais ta conversation, à parti du moment où tu en fais un outil de recherche, ça n'est plus tout à fait comme la conversation de rue... Maintenant, je demande aux étudiants   en stage de pratiquer les conversations. Autrefois, je leur disais de faire des entretiens ? et ils revenaient en disant que les gens, souvent, ne voulaient pas parler. Quand ils faisaient des entretiens, c'était la galère surtout qu'ils le faisaient sur les lieux de leur travail. Maintenant, ils ont des conversations avec les gens et ils me rapportent des citations de gens qu'ils ont rencontrés. Je leur demande aussi de tenir au moins un calendrier de leurs activités, c'est plus facile que d'écrire leur Journal, je leur dis de noter dans le calendrier l'indication des conversations qu'ils ont avec les gens. C'est toujours mieux que l'interview ; pour les gens c'est plus normal. (...)

 

Il est l'heure maintenant de rentrer. Demain matin sera, comme chaque jeudi, un moment un peu critique pour ma pédagogie toujours incertaine et fondée, en partie, sur l'improvisation.

 

Je n'ai toujours pas réussi à me constituer une doctrine pédagogique, ou plutôt une méthode assurée, une technique. Après avoir cherché en vain un dispositif, j'en suis venu à penser que le problème est au contraire de changer continuellement de dispositifs selon les situations rencontrées.

 

J'en suis venu à la même conclusion pour la socianalyse.

 

Quand j'interviens, maintenant, je pars avec l'idée qu'il faut tout faire pour inventer sur place les dispositifs pertinents et imprévisibles.

 

Je suis arrivé à peu près dans le même temps à l'idée qu'il faut renoncer à la prétention de construire une science rigoureuse. Mon modèle obsédant était la psychanalyse avec son dispositif unique et sa sapience des rêves ; je m'oriente maintenant vers une direction tout à fait opposée, tout en restant fasciné par l'oeuvre de Freud.

 

L'autre source de ma formation est mon origine rurale :

- Tu n'es finalement qu'un petit paysan béarnais, me disait Philippe tout à l'heure, et tout le reste c'est pour t'en expliquer, pour te justifier, etc.

A quoi j'ai répondu que oui, en effet, mais pas complètement puisque mon père avait d'abord été instituteur, puis receveur des P.T.T. à Paris où il prépara un concours, puis entrepreneur en matériaux de constructions, marchand de bois et sur le tard « petit paysan » pas bien dans son métier, pas reconnu par les gens du village, car il venait du village voisin, ce qui «explique» peut-être mon identité multiple.

Je me souviens qu'un jour je méditais en marchant dans la plaine d'Arbus entre le baniou dé bach (le lavoir d'en bas) et notre propriété de « Barrot ». Je lisais à ce moment-là Hegel (La phénoménologie de l'esprit) et je me disais déjà que toute cette philosophie n'était d'aucun secours pour notre misère.

Il se trouve qu'en ce moment, la phénoménologie est à l'horizon de mon travail quotidien sur l'ethnométhodologie. Mais il me semble que ma méditation sceptique (apparemment, du moins) était déjà une forme de nominalisme : ce que je refusais dans la philosophie, c'était une sorte d'attachement excessif aux mots et aux idées.

 

J'étais tout le contraire de Sartre, le rat des villes, qui détestait la campagne et qui baignait dans la philosophie comme dans son élément premier. Aux idées, je préférais la terre. J'ai commencé des études de philosophie, alors que j'étais instituteur à Sainte-Engrâce-Casernes, dans le pays basque, non pas par goût, ni par choix, mais par hasard, sur la suggestion de Georges Pénimou qui, étudiant la philosophie à Bordeaux, me proposait de m'inscrire à l'Université et de m'envoyer ses notes de cours. Dès lors, j'étais engagé dans cette voie. Mais je n'adhérais pas vraiment à mes études, je préférais la psychologie, la sociologie... Les études philosophiques étaient une contrainte, un détour obligé, et rien de plus.

 

Pour moi, « indexicalité » signifie :

1)   l'attachement à la terre labourée, les vers de terre que je devais recueillir en suivant la charrue pour nourrir les canards, le paysage doux et pluvieux de notre pays atlantique et la glace, l'hiver, dans les ruisseaux ;

2)   la totalité inachevable des « associations » sur le divan, la tentative, désespérée de « tout dire » : l'odeur de la terre, les canards, la pluie, l'hiver à Arbus ;

3)   la nécessité d'en écrire le Journal (qui est aussi la continuation d'une analyse interminable), l'impossibilité d'écrire autre chose que ce Journal avec en même temps l'impossibilité de tout écrire, la douleur de savoir à chaque fois, à chaque début de paragraphe et de phrase qu'il faut toujours choisir et éliminer, qu'on ne pourra jamais noter et dire toutes les déterminations de ce qui a d'abord été énoncé.

 

Je ne sais pas comment cela peut se dire dans les mots des analystes du langage. Je sais seulement que j'en fais l'expérience tous les jours, et surtout depuis que la découverte de la mtt m'a précipité dans l'écriture au moment où je ne m'y attendais pas, avec ce projet d'un Journal institutionnel que je déborde continuellement, et de plus en plus.

En ce moment, je ne peux plus me passer d'écrire. Chez Martine, tout à l'heure, il me manquait ma salle G 221 dans la fac déserte, mon samedi d'écriture. Je l'ai dit et ils m'ont accompagné ici tout à l'heure.

 

(...)

 

 

Georges Lapassade


Mis en ligne par Benyounès et Bernadette Bellagnech

 

 

 

voir : http://journalcommun.overblog.com

 

et : http://lesanalyseurs.over-blog.org

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