Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Présentation

  • : Le blog de Benyounès Bellagnech
  • : Analyse institutionnelle : Théorie et pratique au sein des institutions politiques, éducatives et de recherche. L'implication des individus et des groupes dans la vie politique et sociale.
  • Contact

Recherche

12 novembre 2012 1 12 /11 /novembre /2012 10:26

12 Janvier,

 

 

Hier, pendant toute l'après-midi, j'ai eu des conversations téléphoniques sur la Lettre des sociologues à Frioux contre le « DEUG de sociologie », avec spécialisation en sociologie clinique. J'ai pris beaucoup de notes, mais je n'ai pas envie, de les transcrire, ni même de les résumer. Je suis, ce soir, pour le moment du moins, pessimiste : j'ai l'impression d'être submergé par les informations recueillies hier et aujourd'hui, à travers toutes les réunions et conversations qui ont occupé ma journée. C'est trop ! Tout cela me sert, j'en suis convaincu, pour suivre « les affaires en cours » dans les premiers cycles. Mais je renonce à tout transcrire, à tout commenter.

 

 

J'avais pourtant élaboré une possible technique du journal : il était fait de récits parallèles ou se croisant, dont toutes les étapes seraient datées et situées. Le côté « journal » serait alors nécessaire pour ces indications continuelles, de lieux et de temps, et aussi pour dire mon humeur du moment, mes implications, les indexicalités de l'écriture...

 

 

J'ai rêvé la nuit dernière, que je me trouvais dans une situation dangereuse : un homme me menaçait et je tentais de m'enfuir en utilisant, sur un fleuve, une petite barque. Pour la faire avancer, j'installais une voile de fortune faite d'une serviette de toilette. J'avançais très lentement, trop lentement pour échapper au danger. J'expliquais alors à mon ennemi que je faisais ce voyage pour son bien et que j'étais disposé (mais je savais que j'étais en train de mentir) à lui rapporter un document administratif qui le sauverait de sa situation de marginal, peut-être de bagnard. Et il me laissait partir...

 

 

Quand j'ai commencé à associer sur la barque, un souvenir d'enfance est revenu. J'avais construit avec mes copains et mon frère une petite « barque ». Nous l'utilisions sur le petit ruisseau, en bas de la prairie de ma tante Marie, sœur de mon grand-père maternel. Gisèle, ma cousine, plus âgée que moi d'un an, participait à nos jeux et avait une liaison avec mon cousin Gaby. J'organisais des représentations théâtrales où Gisèle jouait la Belle au bois dormant.

 

 

Barque, bateau. J'ai relu, l'autre jour, la première page de l'Afrique fantôme. Le 10 mai 1931, dans le port de Bordeaux, la mission Griaule embarque à destination de Dakar. Les prostituées ont accompagné les matelots qu'elles étaient venues chercher sur le port. Un Africain d'une élégance un peu insolite reste sur le quai, et regarde le navire qui s'en va. En lisant cette page, j'ai pensé alors au poème de Paul Fort, mis en musique par Georges Brassens, La marine qui raconte les amours d'un jour des matelots. A l'instant me revient une autre chanson populaire que j'aimais beaucoup : « Les gars de la marine ». Autre association : Querelle de Brest, Genêt, les bordels et les ports... Dans Le bordel andalou, je raconte mon séjour à Récife, puis à Bahia, en 1970 : il y avait des statuettes de la macumba à l'entrée d'un bordel du port. J'ai pensé à ce livre ces jours derniers : j'ai transcrit là un journal de route en changeant les noms pour « faire roman ».

 

 

Ma barque dérive au fil de l'eau. Je dérive, et tout dérive. Yves Lecerf dit que le sens des mots dérive continuellement, les institutions dérivent et il n'est pas possible de s'installer sur un point fixe pour faire l'analyse. Nous sommes sur l'iceberg qui dérive et nous dérivons avec lui. C'est là qu'est installée notre caméra, elle ne peut enregistrer les choses qu'à la dérive.

 

 

J'ai reçu une carte de vœux de Robert F. : sur la carte, qui vient de Montréal, on voit un paysage de neige, une barrière champêtre et un homme qui semble sortir d'un trou dans la neige avec, au premier plan une corbeille de fruits : « Je te souhaite, écrit Robert, tout ce que tu peux espérer, santé, travail fructueux et beaucoup de dérives». J'aimerais bien dériver du côté de Chicoutimi : je rêve de retourner au « carnaval du bout du monde ». C'est à Chicoutimi, en février. B m'a mis l'eau à la bouche en m'annonçant qu'il était invité là-bas à cette époque de l'année. Si j'avais à choisir, c'est ce voyage que je choisirais...

 

 

René B m'a annoncé qu'il a écrit un texte pour expliquer comment le numéro de la revue Pratiques de formation sur les journaux est né d'une dérive à partir de mon propre Journal.

 

 

Un peu plus tard, j'ai pensé au (associé avec le) jeune pêcheur d'Essaouira, ami de Mohammed le boxeur, voisin de Mahmoud-le-Gnaoui dont la mère, Aicha, est morte récemment (Boujemaâ Boufous m'en a fait part l'autre jour, chez Jeanne). Est revenu le souvenir d'une promenade avec Mohammed, son ami le pêcheur et Claudio Siro, l'été dernier, dans les dunes de sable de Mogador.

 

 

Quand reviennent les « souvenirs » et les « images » en association avec celles d'un rêve, nous sommes dans un état de conscience modifiée même en plein jour, même quand la conscience qui veille et surveille s'est installé.

 

 

Je vis presque continuellement aux deux niveaux de conscience à la fois: je parle avec les gens, j'écris, je lis, j'enseigne et, dans le même temps, «l'autre conscience» continue sa propre vie. Elle n'est pas confinée à sa part de sommeil et de rêves.

 

 

Cela m'intéresse tellement que j'aimerais pouvoir lire Maury et Freud sur les rêves et les hallucinations hypnagogiques comme je le faisais, à Bordes pendant les vacances de Noël. Mais, depuis mon retour, j'ai rangé les ouvrages de Maury, empruntés à la bibliothèque municipale de Pau, sur mes étagères et je ne les lis plus. Je regrette de n'avoir plus « le temps » de les lire. Quand je dis que je « n'en ai plus le temps », cela signifie que tout mon temps libre est occupé à d'autres choses qui tournent autour de la vie à la fac, de l'écriture de mon Journal. Je ne peux même plus me décider à photocopier, dans le livre de Maury sur les rêves, le chapitre de l'hypnotisme qui annonce les travaux actuels sur les états de conscience modifiée.

 

 

Le rêve (suite). Mais ce n'était pas exactement une dérive sur le fleuve, le gave, le ruisseau, ou peut-être l'oued (l'oued ksob d'Essaouira, dans les dunes?). C'était une tentative de fuite, ratée parce que je ne parviens pas à mettre assez de vent dans ma voile. Mais qui donc m'a parlé de ces dérives ces jours derniers ? J'y suis : l'ami de Joëlle, ma nièce, à qui j'ai promis d'envoyer mes Gens de l'ombre, et je ne l'ai pas fait. Elle a pour moi un attachement assez fort, je crois, et je n'y réponds pas assez. Son ami a construit un beau bateau, il naviguera en Méditerranée l'été prochain.

 

 

Je veux m'enfuir sur ma petite barque, mais l'homme qui crie sur le bord de l'eau me menace toujours. J'ai noté ce matin : « c'est mon surmoi, héritier du complexe d'Oedipe selon Freud, qui gueule sur la berge ». Mais cette réflexion ne me satisfait pas, et je voulais l'éliminer. Pourtant, quelqu'un est sur la berge, menaçant et je ne peux lui échapper que par la ruse, comme il m'arrive de le faire avec les gens dangereux, quand je suis en vacances à Essaouira. Quand je vais là-bas, je suis obligé constamment de ruser, de mentir parce que c'est la règle fondamentale de nos relations.

 

 

J'ai l'impression que ce rêve de l'oued était un rêve sexuel; mais c'est seulement une impression, pas une «analyse».

 

 

Au réveil, j'étais convaincu, je ne sais plus exactement pourquoi, qu'il était aussi lié à l'écriture de mon journal. C'était, me disais-je, un rêve sur l'écriture. Je ne sais plus comment, dans un état, à demi éveillé, j'en suis venu à cette conclusion. Peut-être par l'image d'une dérive au fil de l'eau.

 

 

Je sais comment faire le lien entre mon intérêt pour la psychologie des états seconds, des rêves, des extases et des transes, et mon engouement actuel pour l'ethnométhodologie, qui ne parle jamais de la vie imaginaire. Les textes, tous les textes que j'ai lus de Garfinkel et de ses commentateurs, encore plus de Cicourel, tournent autour de la sociologie cognitive et, par conséquent, de la « conscience intellectuelle ». Ils ne font pas de place non plus à l'intervention.

 

 

Georges Lapassade

 

Mis en ligne par Benyounès et Bernadette Bellagnech

http://lesanalyseurs.over-blog.org

Partager cet article
Repost0

commentaires