Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Présentation

  • : Le blog de Benyounès Bellagnech
  • : Analyse institutionnelle : Théorie et pratique au sein des institutions politiques, éducatives et de recherche. L'implication des individus et des groupes dans la vie politique et sociale.
  • Contact

Recherche

14 juin 2013 5 14 /06 /juin /2013 10:05

CHRONIQUE POLITIQUEMENT INCORRECTE No 9

 


QUE LES BOUCHES S’OUVRENT ! ELLES S’OUVRENT

 

 

On a vu que des psychiatres travaillant dans un «Conseil technique de l’enfance déficiente et en danger moral », sous la houlette du ministre de la Santé Raymond Grasset (fidèle parmi les fidèles de Pierre Laval), avaient en 1943 et 1944 classé des enfants dans une catégorie «irrécupérables » et proposaient ensuite de les placer dans des hôpitaux psychiatriques, sachant pertinemment ce qui s’y passait alors. On a vu que parmi ces psychiatres et intellectuels certains avaient été à la fois résistants et collaborateurs avec Vichy. Ce qui illustre l’ambivalence régnant alors. Ce qui n’était pas la généralité : il y avait aussi des résistants et rien que cela, d’autres collaborateurs et rien que cela, et d’autres enfin… Rien.

 

 

On a vu qu’on ne pouvait tenir pour responsables de la mort des 76 000 fous la grande majorité des praticiens exerçant alors dans les hôpitaux psychiatriques. On a vu que ce drame était un lourd secret de famille pour cette corporation. Ce secret fut levé en 1987 et le débat se fixa alors sur les responsabilités quant à ces morts : l’institution psychiatrique, Vichy ou des circonstances malheureuses ?

 

 

On a vu qu’une historienne absout Vichy de toute responsabilité dans cette affaire. On sait qu’à la sortie de son livre, en 2007, celui-ci fut accueilli avec grande fanfare par « Rivarol », journal d’extrême droite. Et pas seulement par lui. Par « L’Humanité », « Le Monde », «Libération », L’Express, etc… aussi.

 

 

Je pense avoir montré, et démontré, dans « L’abandon à la mort… de 76 000 fous par le régime de Vichy »

http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=38711 
que le livre d’Isabelle von Bueltzingsloewen avait pour seule mission de dire l’innocence de Vichy et non la vérité historique à propos des responsabilités. En tout cas, depuis que « L’abandon à la mort… » est paru (8 mois) aucun des critiques des journaux cités n’est venu infirmer ce qui y est écrit. Seul, le silence en guise de réponse. Qui ne dit mot, consent s’être trompé ?

 

 

Les choses ne sont jamais aussi simples qu’on ne le croit. On a pu le voir avec l’ambivalence de ceux qui étaient à la fois résistants et collaborateurs. Tous résistants ? Tous collaborateurs ? « Seule la classe ouvrière dans sa masse aura été fidèle à la France profanée » constatait François Mauriac dans son «Cahier noir » en août 1943. On ne peut en dire autant, semble-t-il, de la majorité des intellectuels d’alors. 

 

En effet, aujourd’hui des bouches s’ouvrent.

 

 

« S’est-il passé quelque chose en sociologie durant le régime de Vichy […] Ses membres ont-ils choisi la résistance, la collaboration ou plus prosaïquement, comme bien d’autres, d’attendre des temps meilleurs ?» interroge d’entrée de jeu Jean Ferrette dans le numéro 7 de la revue « Anamnese » intitulée « Les sociologues sous Vichy » (2012).

http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=numero&no_revue=142&no=39146 
Et il répond : « oui, on continuait à faire de la sociologie durant la guerre ; oui, Vichy s’était doté de ses propres institutions, à visée idéologiques ; oui de grands noms y ont travaillé (et ne s’y sont pas seulement « formés » ajoute-t-il dans une note) qui ont ensuite fait une belle carrière après guerre (Stoetzel, Chombart de Lauwe (?), Alain Girard…) ». Il précise un peu plus loin : « Durant la guerre, c’est une sous-section de la Fondation Carrel, parfois appelée “psychologie sociale” et dirigé par Jean Stoetzel qui fut l’employeur de chercheurs d’origine aussi diverses qu’Alain Girard, Françoise Dolto (32 ans en 1940), Charles Morazé (27 ans), Charles Bettelheim (27 ans), Pierre Naville et Georges Lutfalla… Le problème, c’est que dans les biographies autorisées de ces personnes, on ne retrouve pas mention de ce passage ». Nés sous x ?

 

 

Sur 55 sociologues ou anthropologues recensés dans un tableau, en âge d’exercer en 1940, il y en a environ un tiers qui sont résistants (notamment Paul Rivet, Albert Bayet, Henri Lefebvre, Georges Friedmann, Germaine Tillon – ils sauvent l’honneur de la corporation), un tiers qui sont collaborateurs (notamment Georges Montandon, Marcel Déat et son fidèle ami Max Bonnafous, François Perroux, Pierre Naville, Jean Stoetzel, Charles Bettelheim, Alain Girard), et un dernier tiers qui attend des jours meilleurs. 

 

Les sociologues interdits sous l’Occupation (listes “Otto”) sont les suivants : Henri Lefebvre, Julien Benda, Georges Friedmann, Karl Marx, Raymond Aron, Marcel Grioule. Auxquels s’ajoute une liste d’“auteurs juifs” : Durkheim, Daniel Halévy, Marcel Mauss. Ces interdictions ont été suivis d’effet : par les éditeurs bien sûr, mais aussi par la majorité des bibliothèques (municipales, populaires, universitaires).

 

 

Et Jean Ferrette conclut ainsi son article : 


« Les oublis ou omissions sèment le trouble et ne peuvent qu’alimenter le soupçon d’une compromission grave, à moins de céder aux sirènes fallacieuses de la France entièrement résistante. La thèse selon laquelle il ne s’est rien passé sous Vichy n’est ni juste historiquement, ni défendable. C’est au contraire en faisant toute la lumière sur cette période que l’on pourra, enfin, faire la part des choses. Sans doute aura-t-il fallu, ici comme ailleurs, attendre le décès de ses protagonistes pour qu’une telle anamnèse soit rendue possible, ce qui démontre (si besoin était) que les sciences sociales ne constituent pas un objet à part, indifférent à son contexte, mais est au contraire «embarqué» dans son époque. Ni anges ni démons, les chercheurs se sont répartis entre résistance, compromission et collaboration, passant parfois de l’un à l’autre au gré des événements et des opportunités, conditionnés par leur âge, leur génération, leur position sociale et leur situation. Le périmètre de la discipline s’en est trouvé affecté, les thèmes de recherche durablement imprégnés ».

 

 

Cela vaut aussi pour cette autre profession : la psychiatrie. Là aussi ce sont des spécialistes de la discipline qui avaient ouvert la voie. Les historiens, eux, étant aux abonnés absents. Et quand, sur le tard, s’ils s’en mêlent, c’est pour dire « qu’il ne s’est rien passé sous Vichy », sauf les morts par « pas de chance ». Là, comme pour la sociologie, l’institution psychiatrique s’est répartie « entre résistance, compromission et collaboration ». C’est ce que j’essaye de dire. Dans un silence assourdissant jusque-là.

 

 

 

Transmis parArmand Ajzenberg

 

http://lesanalyseurs.over-blog.org

Partager cet article
Repost0

commentaires