1.1.2.3 Les conjonctures productrices de changement
En 1929, Henri Lefebvre souhaite repartir à zéro. Il ne se sent plus philosophe, et n’a plus de lien avec les groupes, il a besoin de voir plus clair. De nombreuses péripéties se déroulent entre le moment de son engagement au service militaire et son retour à la vie civile. En cette période, le Parti change de posture. Il a tendance à se staliniser de plus en plus, « l’appareil se mettait en place non sans remous et terribles luttes de fractions entre sectaires et opportunismes et centristes (H. Lefebvre, 19594, p. 427)». Ensuite, en rentrant du service militaire, H. Lefebvre doit travailler pour faire vivre sa famille. Il s’engage dans différents métiers qui l’éloignent du champ de la philosophie et des intellectuels. Il reste quelques mois en tant que manoeuvre dans une usine, puis devient chauffeur de taxi. Il ne regrette pas cette période, mais il pense qu’il a perdu son temps. Il reviendra vite à son moment intellectuel poussé par Georges Politzer.
En 1929, c’est une histoire rocambolesque qui sera à l’origine de la fin de La revue Marxiste, mais aussi du groupe que formaient les Surréalistes et les Philosophes. L’histoire est due principalement à la perte de la fortune de Georges Friedmann qu’il devait consacrer à la création d’une maison d’édition : Les revues. Cette somme est dilapidée au jeu. Henri Lefebvre, à ce moment là, en 1927, avait une permission. Il était parti en quête d’une île (90) à acheter dans le Mordillant, donc il ne sut pas vraiment le fin mot de l’histoire. Pourtant, il fut accusé au côté de ses amis d’avoir dilapidé cette somme d’argent, ou plus encore, d’avoir volé l’argent du Parti. Suite à cet incident, son ami Norbert Gutterman quitta la France pour l’Amérique et Henri Lefebvre partit pour Privas enseigner la philosophie. Lors de son arrivée dans l’Ardèche, Henri Lefebvre découvre une région encore neuve. Le Parti communiste s’installe, il devient le secrétaire de rayon du Parti. Il trouve une maison sur les hauteurs qui surplombent la ville, dans une cabane qui semble vétuste et même sans chauffage. Il s’implique alors dans sa vie militante et il parcourt les montagnes de l’Ardèche à vélo de réunions en réunions. Il tente aussi de mettre en place un contre enseignement de la philosophie et il publie alors les Cahiers du contre-enseignement. Pendant cette période, il rencontre les ouvriers de la cimenterie Lafargue et les ouvrières des moulinages de soie. Il tente de leur faire comprendre la philosophie de Marx. Dans cette même période, il commence des enquêtes sur ces différentes entreprises, il écrit des articles de sociologie industrielle et du travail qu’il envoie au Parti. Ceux-ci furent publiés par la Pravda. Voici ses débuts dans le domaine de la sociologie. Vers 1930, Henri Lefebvre a accès aux oeuvres de jeunesse de K. Marx, qu’il traduit avec Norbert Gutterman, et il publie dans une petite revue nommée Avant- poste. Il donnera aussi ses premiers cours à la Sorbonne à la demande d’une association d’étudiants de gauche.
Il faut prendre en considération que depuis 1929, une crise importante se développe depuis les États-Unis et arrive jusqu’en Europe. Cette crise permet au mouvement fascisme de prendre position. Hitler qui en est le précurseur s’appuie sur les contradictions de la société actuelle et propose un programme dans lequel se présente un avenir meilleur. Henri Lefebvre et Norbert Gutterman dénonceront l’ampleur de ce mouvement par la publication de deux livres : La conscience mystifiée et Hitler au pouvoir, bilan de cinq années de fascisme en Allemagne. Ces deux livres lui valurent d’être inscrit sur la liste Otto (91). En 1933, Hitler par un coup de force prend le pouvoir en Allemagne en devenant Chancelier. À ce sujet, H. Lefebvre reconnait l’échec du Parti communiste qui voulant s’installer comme contre-société (92) se fait évincer par le Parti National Socialiste d’Hitler.
En 1932, Henri Lefebvre est muté au lycée de Montargis. Il enseigne la philosophie et devient également conseiller municipal. En 1940, il devra quitter la ville pour se rendre en zone libre dans la maison de sa mère à Navarrenx. Sa compagne de l’époque le prévient d’une prochaine arrestation. Alors, il prendra un poste d’enseignant au lycée de Clermont-Ferrand, puis de Saint-Étienne, jusqu’en 1941. Pourtant, il doit stopper toute activité du fait de sa révocation par le gouvernement de Vichy qui lui reproche ses activités subversives. En 1935, il se rendra à New-York, c’est son premier voyage vers les États-Unis. Il y rencontre son ami Norbert Gutterman. Pendant toute leur vie, ils échangeront une correspondance, les mettant tous deux au courant de la politique interne de chaque pays. Ainsi chacun de leur côté pouvait présager des devenirs possibles.
La guerre se termine. Tristan Tzara présente Henri Lefebvre en 1945 à la radio de Toulouse. H. Lefebvre devient responsable du service culturel. Il n’y restera que peu de temps car il reprend son poste d’enseignant à Paris et devient aussi chargé de cours à l’école de guerre. De nombreux changements se produisent alors à cette époque. C’est la fin d’une seconde guerre, tout reste à reconstruire. En 1945, Hitler se suicide. La défaite de l’Allemagne est signée lors de la conférence de Yalta entre Staline, Churchill et Roosevelt. C’est aussi le début du procès de Nuremberg et le bombardement de Hiroshima et Nagasaki. Puis en 1946, c’est la naissance de la Guerre froide qui plonge alors les États-Unis et l’URSS dans une confrontation totale. Dans le même temps, la France décide de destituer la république actuelle, c’est la naissance de la IVe république.
(90) Henri Lefebvre souhaitait répondre à une idée de créer l’île de la Sagesse.
(91) Pierre Assouline dans son livre L’épuration intellectuelle, explique que le but de la liste est de retirer de la vente tous les livres « qui par leur esprit mensonger et tendancieux ont systématiquement empoisonné l’opinion publique française : sont visées en particulier les publications de réfugiés politiques ou d’écrivains juifs qui, trahissant l’hospitalité que la France leur avait accordée, ont sans scrupules poussé à une guerre dont ils espéraient tirer profit pour leur but égoïste ». Cette citation accompagne la décision du 28 septembre 1940 prise par l’ambassadeur Otto Abetz, 1060 livres seront retirés de la vente. Une seconde liste suivra qui augmentera le nombre (soit 1170 livres) de livre interdit le 8 juillet 1942.
(92) Henri Lefebvre explique que la contre-société concerne le Parti qui s’organise pour devenir candidat à la direction de l’état.
Sandrine Deulceux
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