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  • : Le blog de Benyounès Bellagnech
  • : Analyse institutionnelle : Théorie et pratique au sein des institutions politiques, éducatives et de recherche. L'implication des individus et des groupes dans la vie politique et sociale.
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11 mars 2012 7 11 /03 /mars /2012 11:30

LA FUSION INSTITUTIONNELLE

 

Passons tout de suite à la conséquence principale qui résulte de ce système, qui va déterminer les caractères essentiels du phénomène institutionnel.

 

Etant donné la coagulation, dans un même ensemble, de gens différents et souvent opposés, il va se produire ce que j'appelle un effet de creuset. Les éléments plus ou moins artificiellement réunis vont se mettre à jouer les uns sur les autres, ce qui veut dire, dans la pratique, que les individus englobés là-dedans et qui se trouvent dans des positions et des configurations différentes vont s'influencer, se nuire ou s'entraider, évoluer les uns par rapport aux autres, se construire en référence les uns aux autres. Du magma constitué par l'institution va sortir un humain particulier, marqué profondément par celle-ci.

 

Si l’institution a, par elle-même, un tel effet sur le groupe qui est à l’origine de sa fondation et sur les gens qui en font partie, s’ensuit-il qu’elle ne fasse plus qu’un avec ce groupe et avec ces individus? N’est-il pas possible de les distinguer, voire de les opposer ? Une personne donnée, insérée dans une institution est-elle totalement identifiée à son rôle institutionnel ? Et même si elle s’en distingue, est-il possible, au moment où elle assume une fonction institutionnelle, de séparer ce qui revient à l’activité institutionnelle et ce qui revient à la personne ?

 

Questions capitales, qui ne peuvent être résolues que par une distinction entre 1-les opérations effectuées par la personne dans l’institution, et 2- ses conduites, dans cette même institution.

 

Les premières, les opérations, résultent de l’option prise par la personne vis-à-vis de l’institution et sont conditionnées par cette option. Si celle-ci consiste à accepter complètement les exigences de l’institution, les opérations que cette personne effectuera obéiront à une logique implacable, découlant des programmes, des techniques et des objectifs de l’institution. On peut prévoir ces opérations, comme par exemple les actions effectuées par les ouvriers dans une usine, les déplacements d’un voyageur de commerce, les études d’un étudiant, etc. Il y a là quelque chose de mécanique

 

Par contre, les conduites de cette personne, même insérées dans l’institution, ne dépendent pas de celle-ci, car elles ont pour premier effet de déterminer précisément le niveau d’acceptation du cadre institutionnel et du travail institutionnel. La personne peut les refuser même si elle continue à y travailler. Elle peut donner son corps, sans donner son esprit. Elle peut s’enfuir, protester, etc.

 

D’autre part, elle n’arrête pas de faire des choix par rapport aux manières de faire, à l’attention apportée, aux problèmes collatéraux, à la conception des buts, dans le vécu de l’institution. Elle peut par exemple apporter à son travail un très grand soin et mettre à son service un savoir approfondi comme elle peut l’effectuer avec détachement et indifférence. Cela ne dépend pas uniquement des contraintes qu’elle subit et même ces contraintes, elle peut y réagir de différentes façons.   

 

Enfin et surtout, la personne a une vie hors de l’institution, qui réagit forcément sur la vie institutionnelle, qui influe sur sa personnalité. Elle a des loisirs, des aspirations, etc.

 

Malgré cette séparation évidente entre la vie institutionnelle en tant que système opératoire et les options institutionnelles qui découlent des choix généraux des individus, certains qu’on appelle institutionnalistes, pensent que tout changement social passe nécessairement par le changement institutionnel.

 

Leur position présuppose que 1- les institutions modèlent les individus, qui ne peuvent évoluer que si on change radicalement les institutions  et 2- qu’elles ne peuvent être changées elles-mêmes que si on se centre sur elles, en tant qu’elles ont une certaine structure et un certain esprit, en faisant ce que Georges Lapassade appelle une « analyse institutionnelle ».

 

Ce sont, à mon avis, deux erreurs que je vais essayer de comprendre.

 

LE POUVOIR DE L’INSTITUTION

 

Le postulat des institutionnalistes est que l’institution exerce sur ses membres un pouvoir considérable, tellement grand qu’un individu ne peut jamais prétendre en être libéré tant que l’institution n’est pas abolie. Autrement dit, pour eux, le travail qu’on fait pour changer les individus ne sert à rien tant qu’on n’a pas mis en place une machine destinée à dénoncer et supprimer l’institution elle-même, machine qu’on appelle « analyse institutionnelle ».

 

La thèse est importante car elle aboutit, si on la prend au sérieux, à enlever toute légitimité à tous les organismes de formation et de soins qui prétendent changer les individus.

 

La pensée de Georges Lapassade, inventeur de cette théorie, est claire et sans ambiguïté. « Les institutions, dit-il, ne sont pas seulement des objets et des règles visibles à la surface des rapports sociaux. Elles présentent une face cachée (sic). Celle-ci que l’analyse institutionnelle se propose de mettre à jour, se révèle dans le non-dit. Cette occultation est le produit d’un refoulement. On peut parler ici de refoulement social, qui produit l’inconscient social (……..) La mise en lumière du non-dit, du censuré a été l’œuvre de ces deux « perceurs de masque » que furent Marx et Freud » Ce texte de Socianalyse et potentiel humain, de 1975, s’ajoute à beaucoup d’autres où Lapassade dénonce l’illusion de la non-directivité et de toutes les méthodes du même genre, dans lesquelles les moniteurs continuent à avoir un pouvoir, à mettre en place des dispositifs qui viennent d’eux. L’institution, quelle que soit ses intentions, est donc condamnée d’avance.

 

Une théorie aussi radicale n’est pas acceptable. On peut se demander par quel miracle une réalité comme l’institution qui est clairement mise en place pour remplir certains objectifs précis, comme je l’ai montré, est capable de se muer brusquement en une sorte de monstre insidieux et malveillant, qu’il faut repérer et dénoncer et qui doit être à tout prix neutralisé.

 

Cela fait penser immédiatement à Freud qui, pour jeter la suspicion sur les actes mêmes que nous effectuons et dont nous croyons disposer nous-mêmes, imagine que ces actes sont en réalité fabriqués par une machinerie cachée -l’Inconscient-, qui transforme à notre insu des désirs refoulés en quelque chose qui les réintroduirait, sans qu’ils soient reconnaissables.

 

Nous sommes dans l’univers du soupçon et surtout du pouvoir, car les analystes, aussi bien freudiens qu’institutionnels, sont les seuls à pouvoir pénétrer ces forces dissimulées dans des supposés appareils.

 

Les gens qui ont cette position négligent simplement le fait que les actes que nous effectuons dans et pour l’institution ne sont que très partiellement des produits de l’institution même. Ils ne le sont, comme je l’ai montré, que sous leur aspect opératoire, non en tant que décisions raisonnées, qu’actes humains motivés et finalisés.

 

Nous avons toujours besoin pour poser un acte, institutionnel ou non, de nous référer à des considérations particulières ou générales, qui appartiennent à tous les domaines de la vie sociale. Et même l’adhésion à l’institution fait partie de ces choses. Par exemple, si nous sommes en guerre, le problème se pose de savoir si nous allons accepter de nous laisser enrôler. Ceci est antérieur à la participation même à la vie de l’armée. Si nous sommes des jeunes non insérés dans la vie, le problème se pose de savoir si nous allons fonder une famille. Nous n’arrêtons pas de poser des actes qui nous situent dans les institutions et qui modifient celles-ci de l’extérieur.   

 

Il résulte de cela que l’influence de l’institution est très limitée. Ce n’est pas tellement aux institutions que nous nous heurtons qu’à la société dans son ensemble, à ses traditions et surtout aux humains proches et lointains. Ce sont eux qui nous influencent et nous forment. Nous sommes face à des personnes, non face à une machinerie institutionnelle.

 

Quand nous croyons avoir à faire avec l’institution, nous avons à faire avec des humains. Ils sont toujours là, derrière les institutions, les utilisant à leur profit et selon leurs caprices. Que ce soit dans l’armée, l’église, l’école, l’hôpital, la prison, il faut voir, derrière chaque pratique apparemment froide et abstraite, l’action d’une loi votée par des hommes, d’une stratégie mise en place par eux, d’une intention plus ou moins claire.

 

Contrairement à ce que pense Georges Lapassade, nous pouvons facilement nous dissocier de l’institution dans laquelle nous sommes et même l’ignorer presque complètement. Ceci est d’expérience courante. Combien d’ouvriers ne travaillent que pour gagner leur pain et se désintéressent de l’entreprise, combien de patrons ne cherchent que le pouvoir social. L’esprit des armées dépend en grande partie d’idéaux inculqués de l’extérieur, comme par exemple : « L’obéissance fait la force des armées ». Les Soldats de l’an II qui nommaient leurs officiers, les maquisards, les combattants vietnamiens, les terroristes n’ont pas les mêmes valeurs que les soldats d’armée régulière et ces valeurs précèdent l’institution militaire, la justifient, bien qu’elles aient une autre origine. Les prisonniers dans les prisons n’apprennent rien dans ce lieu sinon à vouloir recommencer comme avant.

 

Michel Lobrot

Http://lesanalyseurs.over-blog.org 

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10 mars 2012 6 10 /03 /mars /2012 14:49

 Au-delà de l’institution

 

Le mouvement institutionnel en psychothérapie, pédagogie et politique est apparu après la dernière guerre en Amérique et en Europe et s'est caractérisé, dès sa naissance, dans les années 1950, comme une pratique sociale plus que comme une théorie. Son idée de base était qu'il fallait changer les institutions, leur manière de fonctionner, leur esprit. Ce faisant, il rompait avec la tradition révolutionnaire du 19ème siècle et du 20ème siècle qui prétendait changer d'en haut la société, au niveau de son régime politique et de son organisation globale. Au lieu de donner la première place aux structures sociales, dans une vision de type durkeimienne, il donnait la première place aux rapports sociaux, aux acteurs humains. Une telle modification avait un caractère radical. Elle impliquait en effet une autre vision de la société, donc une nouvelle théorie.

 

Cette théorie, les praticiens du mouvement institutionnel ne l'avaient pas toujours en tête. Elle était cependant là et assurait la validité de leur démarche.

 

En quoi consistait cette théorie ? Quels étaient ses inspirateurs ? Quels étaient ses postulats ?

 

A vrai dire, cette théorie n'a jamais été vraiment définie et élaborée systématiquement. Elle est toujours restée plus ou moins sous-entendue. Les institutionnalistes, comme on les appelait, se réclamaient tantôt du marxisme, sous sa forme gauchiste, tantôt du freudisme, sous sa forme lacanienne. Ils avaient du mal à rester eux-mêmes, indépendants.

 

C'est pourquoi, je vais essayer, dans ces quelques pages, de présenter la  théorie sous-jacente au mouvement institutionnel.

 

QU'EST CE QUE L'INSTITUTION ?

 

La notion d'institution est ancienne, par exemple celle d'"institution chrétienne "(Calvin). Cependant, elle n'a jamais été au premier plan dans la pensée sociologique ou anthropologique. C'est qu'en effet, elle est loin de pouvoir recouvrir la totalité de la réalité sociale. C'est précisément ce qui en fait l'intérêt, comme nous allons le voir.

 

René Lourau, qui est le seul théoricien valable de l'idée institutionnelle et qui voulait, dans son ouvrage de 1970, L'analyse institutionnelle, la définir précisément, tombe dans un piège et cherche à l'étendre à l'ensemble des phénomènes sociaux. " Une norme universelle, dit-il, ou considérée comme telle, qu'il s'agisse du mariage, de l'éducation, de la médecine, du salariat, du profit, du crédit, porte le nom d'institution " (p.9).

 

Bien au contraire, je pense qu'il est important de poser que l'institution n'est pas co-extensive à la réalité sociale et ne peut se ramener à l'idée générale de norme, par quoi Durkheim définissait celle-ci. Une telle réduction n'est possible que si on regarde la vie sociale de loin et qu'on y voit seulement un ensemble de cadres, qu'on peut considérer alors comme contraignants. Ils  le sont au sens où une catégorie générale, celle d'"oiseau" par exemple, s'impose à tous les oiseaux. L'imposition ne concerne pas alors un processus formateur, mais une abstraction généralisante.

 

L'institution apparaît à un certain moment dans l'évolution sociale et à ce moment seulement. Cela se produit quand un groupe humain, existant précédemment sur un mode informel ou spontané, cherche à acquérir une permanence, une stabilité et une pérennité.

 

Pourquoi le fait-il ? Les raisons peuvent être multiples. Une, parmi d'autres, est l'importance qu'on attache au groupe, le fait qu'on veut en profiter au maximum, la volonté de s'en nourrir, d'en vivre. On décide alors de se constituer en organisation, de faire une "constitution" qui va régir par la suite l'ensemble des activités.

 

Il serait tentant de limiter l'espace occupé par l'institution aux seules activités utilitaires et sécuritaires, qui ont en effet un caractère vital. D'une part, il est impossible de couper complètement ces activités de celles que j'ai appelées hédoniques (fondées sur le plaisir) dans L'aventure humaine (1999). D'autre part les activités hédoniques elles-mêmes, d'ordre mental ou somatique, ont besoin de permanence et de fixité. On peut fonder une institution pour la recherche philosophique ou le développement humain ou la défense de la culture.

 

Il est probable que le processus institutionnel a pris de plus en plus d'importance au fur et à mesure que l'urbanisation s'accroissait dans le monde moderne. Le phénomène de la ville, étudié par de nombreux auteurs contemporains comme Georges Simmel ou les chercheurs de l'école de Chicago, entraîne en effet l'existence d'un très grand nombre de groupes, qui se chevauchent, se menacent et se concurrencent. Il est important que chacun trouve son territoire à lui, se protège et affermisse ses bases. Cela se fait à travers l'institutionnalisation.

 

Il en résulte, très probablement, cette conséquence très grave que j'analyserai et qui affecte le mouvement institutionnaliste, à savoir l'inflation institutionnelle, la tendance à l'enflure monstrueuse de l'institution.

 

LES MOYENS DE L'INSTITUTION

 

Comment une institution réalise-t-elle son but, qui est de stabiliser et pour ainsi dire de cristalliser le groupe, quel que soit celui-ci, quelle que soit son importance ?

 

J'aperçois trois processus qui permettent de réaliser cela, à savoir : 1- la création d'une base matérielle et financière plus ou moins importante, 2- la définition d'idéaux,  de normes et d'objectifs d'une manière solennelle et intemporelle, fondée sur une constitution et un contrat, 3- la mise en place de cadres et de pratiques bien définis et rigoureux, qui deviennent rapidement des rites et s'inscrivent dans des traditions. Talcott Parsons, dans un livre de 1956 (Economy and Society) distingue, pour sa part, cinq processus du même genre, qu'il obtient en décomposant le moyen que j'ai placé en 2 et celui que j'ai placé en 3. Il ne parle pas de la base matérielle.

 

Tous les processus précédents nécessitent, pour exister, une fondation, qui est la fondation de l’institution. Celle-ci est généralement l’œuvre d’un individu ou d’un groupe qui possède certaines aptitudes particulières et qui marque l’institution de leur empreinte. Ils lui communiquent un certain esprit et sont, pour cette raison, admirés et respectés. Ce sont les pères fondateurs, qui dépassent sans cesse l’institution et qui ne peuvent se confondre avec elle, puisqu’ils l’engendrent.

 

On aperçoit là que l’humain précède sans cesse l’institution et la contrôle en permanence. On n’arrête pas, dans une institution, de revenir aux origines et les dirigeants se valorisent par leur rattachement à ces origines. Bien loin d’être les serviteurs de l’institution, ils la dominent, comme les fondateurs eux-mêmes, affirmant leur gloire personnelle et le respect qu’on leur doit.      

 

La nécessité d’une fondation pour créer l’institution  prouve, si cela était nécessaire, que l’institution ne se confond pas avec la vie sociale. S’il en était ainsi, si l’institution, comme le pensait Lourau était l’essence de la vie sociale, le groupe ne pourrait pas exister antérieurement à l’institution. Il coexisterait avec lui, ne pourrait en être distingué. L’institution n’est qu’un moment de la vie sociale, un moyen nécessaire. 

 

Michel Lobrot

Http://lesanalyseurs.over-blog.org

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9 mars 2012 5 09 /03 /mars /2012 11:27

IV. - UNE METATHEORIE ?

 

Les socianalystes partagent en commun l'idée qu'une situation peut être éclairée de différents lieux. Pour eux, aucun discours, fut-il très cohérent, ne peut rendre compte totalement de la réalité vécue. On travaille donc toujours sur des théorisations partielles, qui ne sont pensées que comme des moments de l'effort théorique collectif. Plus qu'une théorie, l'analyse institutionnelle serait donc plutôt une "métathéorie". Mais cette métathéorie est de l'ordre de l'implicite (partagé par les membres du mouvement) plus que de l'explicite. D'où la difficulté pour les "non membres", de comprendre la force et l'énergie de ce mouvement qui ne peut pas s'expliquer lorsque l'on cherche ses fondements dans des livres. Entre la conception de l'analyseur d'un G. Lapassade ou celle d'un Patrice Ville, entre la conception de l'implication de René Lourau, de Remi Hess ou celle de Gérard Althabe, il y a des différences de définitions extraordinaires. Pour le lecteur, ces différences apparaissent comme des incohérences du mouvement. Or, à y regarder de plus près, on s'aperçoit que sur chaque concept, les différences de définition délimitent un cadre de réflexion, un champ théorique en élaboration où des débats - parfois très durs - opposent les différents chercheurs.

 

Pour l'observateur extérieur qui cherche à comprendre cette recherche, les institutionnalistes auraient un travail urgent à faire : expliciter dans une œuvre philosophique de synthèse, les fondements théoriques sur lesquels reposent tous les allants de soi qui sous-tendent leurs pratiques. Dans ce projet théorique, la question des fins serait également à expliciter. Jamais, sinon sous forme d'allants de soi, les institutionnalistes n'abordent la question des "valeurs" sur lesquelles reposent leurs pratiques ou même qui justifient ces pratiques. Où veulent-ils aller ? Pourquoi? Quel projet de société partagent-ils en commun (1)?

 

Ce qui est évident pour eux ne l'est pas à l'extérieur. Là encore, il s'agit de formulations d'un registre philosophique que les socianalystes évitent. Même si certains institutionnalistes peuvent se sentir concernés par ce questionnement, la plupart disent leur méfiance vis-à-vis de ce travail d'explicitation. Nommer les choses leur enlèverait une énergie instituante. Il y aurait un danger à définir le paradigme !

 

On perçoit chez les institutionnalistes une tension entre deux pôles de recherche : l'un plus scientifique (où la confrontation avec l'extérieur se fait par des sortes de théorisations partielles) et un autre plus pragmatique où justement le danger est de tenter de se définir (de ce point de vue, les connivences de posture entre l’AI et la psychanalyse, pour ne donner qu'un exemple, sont frappantes). C'est pourquoi l'Ai occupe une place "pragmatique" chez les théoriciens et une place théorique chez les praticiens. On aura compris que nous définissons l'Ai comme un espace d"'entre-deux" particulièremenf instable dont la productivité est certaine mais dont le "sens" est jusqu'à maintenant "indécidable".

 

Mis en ligne par Benyounès et Bernadette Bellagnech

http://lesanalyseurs.over-blog.org

 

(1) Voir W. Böhm, Theorie und Praxis, eine Erörterung des Pädagogischen Grundproblems, Würzburg, 1985.

 

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8 mars 2012 4 08 /03 /mars /2012 10:22

III) L'AI : un chaos kantien ?

 

Malgré l’anti-dogmatisme radical et le refus de toute pensée de système, et la volonté d'affirmation de la pluralité des situations, on ne pourrait pas bien comprendre l'Ai si on ne la percevait que comme "chaotique" dans le sens d'E. Kant. Pour Kant, le chaos, c'est le mécanisme opposé au judicieux, c'est-à-dire l'agir sans plan, l'accidentel, opposé à une pratique tirée des principes de la raison (1). Chez R. Lourau, l'AI se trouve pensée comme désordre, c'est-à-dire en dehors de l'ordre au sens où l'entend Pascal.

 

Par rapport à l'idée que les références des institutionnalistes sont hétérogènes et parfois contradictoires, la proximité de G. Lapassade avec Sartre, celle de R. Lourau et R. Hess par rapport à H. Lefebvre en sont un bon exemple. Sartre et Lefebvre n'ont cessé de se disputer, et leurs élèves de s'affronter. G. Lapassade n'aimera jamais Lefebvre et, d'après G. Lapassade, R. Lourau ne citera jamais Sartre (2)...

 

H. Lefebvre critiquera très violemment le structuralisme d'Althusser durant dix ans. Il sera stupéfait de voir G. Lapassade et R. Lourau de se réclamer d'Althusser dans Les clés pour la sociologie (1971) (3) !...

 

Mis en ligne par Benyounès et Bernadette Bellagnech

http://lesanalyseurs.over-blog.org

 

(1) E. Kant, "Uber Pädagogik", Schriften zur Anthropologie, Geschichts Philosophie, Politik und Pädagogik2,Werkausgabe, vol. 12,hrsg.v W. Weischedel, Frankfort, 1977, pp. 691-761.

 

(2) Ce qui n'est pas tout à fait vrai. Voir à ce sujet : R. Lourau, "Préalables sociologiques sur les groupes informels : analyse institutionnelle", in Les groupes informels dans l'Eglise, Hommes et Eglises n°2, Université des sciences humaines de Strasbourg, 1971, pp. 72 à 106. Dans ce texte, R. Lourau montre qu'il connaît bien Sartre et l'utilise (tout particulièrement pp. 93-94).

 

 

(3) Sur ce point précis, voir R. Hess, "La place d'Henri Lefebvre dans le collège invisible, d'une critique des superstructures à l'analyse institutionnelle" postface à la 3° éd. de La survie du capitalisme (2002, pp. 197-214), et plus particulièrement les pages 204-106, sur la dérive althussérienne de R. Lourau.

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7 mars 2012 3 07 /03 /mars /2012 11:32

Un autre aspect de l'apport d'H. Lefebvre au mouvement de l'analyse institutionnelle, c'est qu'il a pris ce mouvement au sérieux. Dès 1968, avant même que René Lourau (dont il dirigeait la recherche) ne soutienne sa thèse, il affirme sa confiance dans le paradigme de l'AI. Dans La vie quotidienne dans le monde moderne (1), il écrit : "La pratique quotidienne se laisse détourner en tant qu'expérience et valoriser en tant que pratique bornée, celle d'une vie individuelle qui tôt ou tard échoue en se résignant. L'opposant ? Le voilà isolé, absorbé, réduit au silence ou récupéré. Pour les uns, il manque d'expérience ; pour les autres, il manque de sagesse. L'oppositionnel reste le non-dit. Le monde de la terreur, des formes et de l'espace "purs", c'est aussi celui du silence, quand les métalangages s'épuisent et qu'ils ont honte d'eux-mêmes. Ainsi, s'esquisse une connaissance (ou si l'on n'hésite pas devant les mots), une science. Cette science découvrirait la situation quotidienne dans son rapport avec les formes et les institutions. Elle dévoilerait ces relations impliquées dans la quotidienneté, mais implicites et voilées au sein du quotidien."

 

À cet endroit de son raisonnement, H. Lefebvre introduit une note très explicite : "Des recherches en ce sens sont menées déjà par Georges Lapassade, René Lourau et les membres des Groupes de Recherche Institutionnelle. L'on peut nommer socio-analyse une telle recherche. Elle suppose une intervention dans la situation existante, la quotidienneté d'un groupe. L'intervention socio-analytique dissocie les aspects de la situation quotidienne, mêlés d'une fausse évidence, en un lieu et un temps. Elle associe des expériences jusque-là extérieures".

 

La suite de cette note concerne les procédures méthodologiques. Pour lui, la socio-analyse "procède ensuite par induction et transduction (2)". Puis, il montre le lien qu'il y a entre cette pratique et la sienne lorsqu'il militait dans l'opposition au stalinisme à l'intérieur même du Parti communiste : "Ainsi l'action oppositionnelle  antistalinienne au sein des partis communistes fut en son temps une remarquable socio-analyse ; une part des découvertes se retrouverait dans la pensée (sociologique en particulier, marxiste en général) des années postérieures." On voit que pour H. Lefebvre, en 1968, la socianalyse peut être une pratique d'"analyse interne" à une institution.

 

Après cette note, il poursuit son raisonnement : "L'homme dans le quotidien aperçoit des transparences là où il y a voile épais, des épaisseurs là où il n'y a que mince apparence. Pour percer cette double illusion, une opération s'impose, quasi chirurgicale. L'exploration des situations quotidiennes suppose une capacité d'intervention, une possibilité de changement (de réorganisation) dans le quotidien, qui ne relèverait pas d*une institution rationalisatrice ou planificatrice. Une telle praxis peut se préparer soit par l'analyse conceptuelle, soit par des expériences "socio-analytiques ". En tant que praxis à l'échelle globale de la société, elle fait partie de la révolution culturelle, fondée sur la fin du terrorisme, ou du moins sur la possibilité d'interventions contre-terroristes." On voit dans ce texte qu'Henri Lefebvre place sur le même plan de l'intervention : à la fois le travail du concept (l'analyse conceptuelle, ce qu'il pratique), et l'expérience socio-analytique (ce que pratiquent les groupes d'analyse institutionnelle).

 

La lecture attentive que Remi Hess a développée ces dernières années de l'oeuvre d'H. Lefebvre (il a réédité neuf livres à l'occasion du centenaire du philosophe !) montre l'appropriation du paradigme institutionnaliste par H.Lefebvre. C'est très marquant dans des ouvrages comme L'irruption de Nanterre au sommet (1968), La survie du capitalisme (1973), De L'Etat (4 vol. 1976-78). Dans tous ces ouvrages, il reprend le vocabulaire de l'Ai; il questionne R. Lourau, G. Lapassade et leurs collaborateurs à la fois sur la théorie et sur la pratique de l'Ai. Il sera présent à la thèse de R. Hess en 1982, aux rencontres de Montsouris de 1984, etc. H. Lefebvre nous apparaît donc comme bien davantage qu'un ''parrain de la mafia institutionnaliste" (3). En fait, H. Lefebvre a cru trouver dans l'Ai une forme possible de l'analyse dialectique. Il écrit en effet, dans une préface de 1969 à la réédition de Logique formelle et logique dialectique : "L'analyse dialectique dévoile, dissocie les contradictions emmêlées dans le nœud de leur unité. Elle permet donc de dévoiler les idéologies comme telles, y compris celles qui se greffent sur la logique et la dialectique. Aujourd'hui, l'analyse dialectique prend entre autres formes celle de l'analyse institutionnelle, qui saisit du dedans et du dehors l'implication des idéologies et des institutions. Ce qui ne va pas sans une critique en acte ; l'analyse implique un analyseur, une diagnose et un diagnostic (4)."

 

Mis en ligne par Benyounès et Bernadette Bellagnech

http://lesanalyseurs.over-blog.org

 

(1) C. Castoriadis insiste beaucoup sur le processus d'autonomisation, comme posture politique.

 

(2) H. Lefebvre, La vie quotidienne dans le monde moderne, Paris, Gallimard, Idées, 1968, p. 345-346.

 

(3) H. Lefebvre a développé ce qu'il entend par transduction, dans Fondements d'une sociologie de la quotidienneté, critique de la vie quotidienne II, Paris, L'arche, 1961, pp. 120 à 122. Dans cet ouvrage, il explore légalement la notion d'implication (p. 126) qui sera reprise par R. Lourau. La notion de transduction (à laquelle R. Lourau consacrera un livre en 1997) se trouve développée par H. Lefebvre dans la préface (1969) à la seconde édition de Logique formelle et logique dialectique.

 

(4) Titre de la préface de R. Lourau à la troisième édition de La somme et le reste, Paris, Méridiens Klinckseck, 1989.

 

(5)  Logique formelle et logique dialectique, préface de la seconde édition, p. XXXIX. Paris, Anthropos, 1969.

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6 mars 2012 2 06 /03 /mars /2012 10:35

II) L'influence d’Henri Lefebvre sur René Lourau

 

On peut dater au 23 décembre 1963 l'entrée de René Lourau (1) dans l'AI. En cette fin d'année, R. Lourau est en vacances dans sa famille à Gelos, près de Pau. Il veut aller voir H. Lefebvre à Navarrenx, situé à trente-deux kilomètres. Pierre Lourau, le frère aîné de René, comptable de l'entreprise Lapassade à Arbus savait que Georges Lapassade, le fils de la maison, chercheur en sciences sociales, est en vacances chez ses parents. Pierre suggère à René de s'arrêter à Arbus (à 12 kilomètres de Gelos, dans la direction de Navarrenx). "Il faut prendre la route qui longe le Gave de Lourdes..." René arrive chez les parents de Georges. "Il avait mis ses habits du dimanche." Il "vouvoie" Georges. Celui-ci, dès la première minute, le tutoie. Après quelques échanges où René raconte sa rencontre avec Henri Lefebvre et sa décision d'écrire une thèse sur le surréalisme, Georges explique à René que son idée de thèse est mauvaise. Il lui suggère de faire une thèse sur l'analyse institutionnelle. "C'est plus moderne, cela peut t*aider à avoir un poste !"

 

René n'est pas contre cette proposition. Il est un peu déprimé, suite à un accident de voiture, survenu quelques mois plutôt : glissant sur une plaque de verglas avec sa Dauphine, il est tombé dans le Gave de Pau : sa thèse sur le surréalisme, bien avancée, préparée sous la direction d'H. Lefebvre, est partie au fil de l'eau (2). Puisque René Lourau s'intéresse à la pédagogie, sans plus attendre, Georges lui propose de l'aider à terminer un article sur la dynamique des groupes, car à cette époque, l'analyse institutionnelle ne se dissocie pas du "mouvement des groupes"... René se met au travail aussitôt (l'article paraîtra en 1964).

 

C'est à Gélos (3), un petit village du Béarn, qu'était né René Lourau, dans la maison voisine de celle de Gérard Althabe, à quelques kilomètres des villages d'où seront originaires deux de ses "maîtres" comme il l'écrira lui-même : Henri Lefebvre et Georges Lapassade. Il devient .instituteur, puis, après avoir fait l'École Normale de l'enseignement technique, professeur de français. Il se passionne pour le surréalisme, et projette de faire une thèse sur la littérature surréaliste. Il découvre La somme et le reste d'H. Lefebvre, livre dans lequel l'auteur raconte ses relations (tendues) avec André Breton. R Lourau écrit à H. Lefebvre pour lui dire son admiration pour cet ouvrage. Une semaine après avoir reçu cette lettre, à un retour de promenade en montagne. H. Lefebvre passe voir R. Lourau chez ses parents à Gelos (1962).

 

Si la rencontre de René Lourau avec Georges Lapassade est déterminante dans la mesure où elle va détourner l'intérêt de l'étude de R Lourau de la littérature surréaliste vers l'AI (fin 1963), l'influence d'Henri Lefebvre sur R. Lourau restera considérable, et à travers lui, sur le mouvement de l'analyse institutionnelle. C'est H. Lefebvre qui conseille à R. Lourau de se rapprocher de Paris. R. Lourau quitte donc son lycée d'Aire-sur-l’Adour et "monte" à Paris où il est d'abord professeur de lycée.

 

En 1966, R. Lourau devient l'assistant d'Henri Lefebvre à Paris X-Nanterre, université dans laquelle ils vivent ensemble Mai 1968 dans le département de sociologie d'où partent les "événements". Daniel Cohn-Bendit, Remi Hess, Patrice Ville sont leurs étudiants. À cette époque, G. Lapassade est à Tours, c'est-à-dire loin des événements!

 

Toute la pensée du philosophe et sociologue Henri Lefebvre est marquée par l’expérience historique du marxisme et par son incarnation dans le parti. Professeur à Nanterre, à partir de 1965, H. Lefebvre a beaucoup influencé le mouvement institutionnaliste par sa stature personnelle, par ses oeuvres, en lui faisant une place à l'université (c'est bien lui qui recruta R. Lourau comme assistant à Nanterre (4), et à travers lui "l'analyse institutionnelle"). L'influence de Lefebvre touche à la conception théorique que vont se faire R. Lourau, R. Hess, P. Ville de l'analyse institutionnelle, mais aussi à la relation entre théorie et pratique. Comme R. Hess le rapporte à propos de « Lefebvre pédagogue »(5), celui-ci était capable d'attirer l'attention de ses collaborateurs et de ses étudiants sur la question de la dialectique de la science et sur la critique de la vie quotidienne, sur le rapport entre le vécu et le conçu. "Si on pense qu'H. Lefebvre a développé sa critique de la vie quotidienne à une époque où il était chauffeur de taxi dans les rues de Paris, qu'il a développé sa théorie non dans son « cabinet », mais dans un contact direct avec le social concret et vécu, on peut mieux comprendre sa conception de la science. Ce qu'il enseignait, ce n’était pas seulement ses idées sur les choses, mais encore sa manière d'accéder aux connaissances de ces choses. Il mettait en plus en scène la pensée dans son élaboration permanente dans son rapport avec le vécu et avec la réalité concrète. Le discours théorique était montré comme un mouvement permanent entre le vécu et le conçu.

 

L'importance d'H. Lefebvre, c'est aussi et surtout, la liberté qui émanait de lui. Contrairement à beaucoup d'universitaires au sommet de leur puissance, il ne cherchait pas à garder son pouvoir pour lui, il encourageait ses collaborateurs, ses étudiants à devenir "eux-mêmes", à s'accomplir dans un projet qui n'était pas le projet du maître mais dans un projet propre du sujet se construisant en même temps qu'il construisait son œuvre... En fait, dans le prolongement de ce modèle lefebvrien, les institutionnalistes se regardent comme des participants critiques et actifs de la vie institutionnelle. À l'image d'H. Lefebvre, ils invitent leurs étudiants à se prendre en charge, à produire leurs propres cursus, à conquérir leur autonomie de sujets (6)...

 

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(1) R. Lourau (1933-2000). Une première présentation d'ensemble de l'oeuvre de R. Lourau est parue dans Denis Huysman, Dictionnaire des philosophes (Presses universitaires de France, 1984, vol. 2, pp. 1628-1632).

(2) De cette recherche, nous ne conservons qu'une relique : R. Lourau, "Comment parler du surréalisme?", (Recherches, n°2,  FGERI, février 1966, pp. 21-32). Notre lecture attentive de l'œuvre ultérieure de R. Lourau montre une présence constante du surréalisme, aussi bien sur le fond que sur la forme.

(3) G. Althabe, "Gélos, en Béarn, matrice du rapport au monde de René Lourau''. René Lourau : analyse institutionnelle et éducation, Pratiques de formation n°40, novembre 2000, pp. 27-35.

(4) Ahmed Lamihi et Gilles Monceau semblent contester ce fait in Implication et institution.

(5) R. Hess "Lefebvre pédagogue", L'Homme moderne, hommage à Henri Lefebvre, colloque d’Hagetmau, 1985; voir aussi R. Hess "Henri Lefebvre", in Huysman, Dictionnaire des philosophes, Paris, PUF, 1984, pp. 1542-1546, ainsi que R. Hess, Henri Lefebvre et l'aventure du siècle, Paris, Métaillé, 1988.

(6) C. Castoriadis insiste beaucoup sur le processus d'autonomisation, comme posture politique. 

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5 mars 2012 1 05 /03 /mars /2012 11:03

L'été suivant, G. Lapassade participe à une décade de Cerisy-la-salle, autour du thème : "Genèse et structure". Un soir, l'animateur de la décade, le Professeur Maurice de Gandillac, demande à G. Lapassade de parler de ses recherches en cours. Il aurait pu parler de l'écriture de sa thèse sur l'entrée dans la vie, mais il raconte ce qui s'était passé quelques mois auparavant à la résidence d'Antony. Le récit de cette soirée a été publié dans les Actes de cette décade. Contrairement aux autres gens présents, et notamment Maurice de Gandillac qui estimait ces recherches "oiseuses", le sociologue Serge Mallet apprécie le récit et l'analyse de ce qui se passait à la résidence universitaire d'Antony. Et il le commente tout au long d'un entretien avec G. Lapassade qui dure toute la nuit. Il soulignait, en particulier, la relation entre ce qu'il avait dit et les thèses du groupe Socialisme ou Barbarie que G. Lapassade ne connaissait pas encore (1). On sait aujourd'hui que la question de la bureaucratie était au centre des travaux de ce groupe politique issu du Trotskisme. La bureaucratie y était considérée non plus comme une "couche" parasitaire de la société communiste, mais comme une nouvelle classe, et c'est d'ailleurs sur ce point que s'était effectuée la coupure avec le trotskisme.

 

A peu près dans le même temps, G. Lapassade participe au 4ème congrès mondial de sociologie qui se tenait cette année-là à Stresa (Italie). Il y fait connaissance notamment d'Edgar Morin à qui il parle de sa préoccupation concernant la bureaucratie. Edgar Morin propose à G. Lapassade d'assumer la responsabilité d'un numéro de la revue Arguments consacré cette question. Naturellement, les collaborateurs habituels de cette revue connaissaient parfaitement la question : les uns venaient du Parti Communiste, les autres de la mouvance trotskiste. Le numéro de la revue prenait donc une orientation presque exclusivement politique. Mais, G. Lapassade avait, par ailleurs, une autre approche de la bureaucratie, acquise, non plus dans les débats politiques, mais à partir de la psychosociologie clinique à laquelle il s'initiait en même temps qu'aux problèmes des interventions psychosociologiques dans les organisations sociales. Et là, c'étaient les courants weberiens (2) et post-weberiens de la sociologie américaine qui venaient au premier plan. G. Lapassade a donc introduit dans le numéro d'Arguments l'un des textes fondamentaux de Max Weber sur la bureaucratie, ainsi que des textes de sociologues américains comme Merton, Selznick et Gouldner, toujours sur la même question.

 

Le tout a constitué le noyau central de Groupes, organisations, institutions. G. Lapassade y a ajouté quelques textes sur la dynamique de groupe et sur les interventions psychosociologiques, ainsi que sur la pédagogie institutionnelle.

 

Groupes, organisations, institutions a pu être lu entre 1967 et 1975, comme une présentation critique de la psychosociologie des groupes et des organisations qui avaient, à ce moment-là, le vent en poupe (3). Il s'agissait, en quelque sorte, d'une version gauchiste de la psychosociologie. Il semble aujourd'hui que l'approche à la fois politique et sociologique de la bureaucratie que développe alors G. Lapassade constitue la toute première version de notre "analyse institutionnelle". Et contrairement à ce que l'on pourrait penser, malgré toutes les guerres et révolutions qui ont secouées le monde depuis les années 1960, la question de la bureaucratie n'a guère été dépassée, même si R. Lourau a repris cette thématique sous d'autres noms, l'institutionnalisation, par exemple.

 

Il faudrait comparer le contenu de Groupes, organisations, institutions à la cinquantaine de pages écrites par G. Lapassade pour Le psychosociologue dans la cité. On verrait que, dès 1962, au colloque de Royaumont, G. Lapassade avait explicité tous les concepts de l'analyse institutionnelle, dans une perspective sartrienne. La rencontre de G. Lapassade avec R. Lourau, lors de la Noël 1963, ouvre des possibilités de créer un travail collectif autour de ce programme, même si R. Lourau n'est pas un admirateur de Sartre. Ce collectif va s'élargir rapidement. Plusieurs générations d'institutionnalistes émergent alors à l'occasion de la création du Groupe de pédagogie institutionnelle (1964), du Groupe d'analyse institutionnelle de Nanterre (1968), puis de différents groupes à partir du colloque de Montsouris I (1972).

 

Ainsi, Groupes, organisations, institutions est un livre qui doit être considéré comme le premier livre du courant dit "de l'analyse institutionnelle". G. Lapassade y donne les fondements conceptuels d'une théorie et d'une pratique d'analyse institutionnelle qui prendra ensuite la forme de la socianalyse. On a vu que ce livre doit beaucoup à la lecture que G. Lapassade a fait du livre de Sartre sur La Critique de la raison dialectique. C'est une époque où G. Lapassade travaille avec Cornélius Castoriadis autour de la revue Socialisme ou barbarie. Il y a donc une synthèse de la critique de la bureaucratie et de l'institution, telle qu'elle se développe dans l'œuvre de Sartre ou de Castoriadis, et du mouvement des groupes que Claude Faucheux et Serge Moscovici ont introduit en France. G. Lapassade est très influencé dans cet ouvrage par la théorie américaine des groupes (Rogers, Lewin, Moreno). Mais ce livre a aussi une dimension "pédagogique". Il critique les relations bureaucratiques qui se développent au sein de l'école. Ce livre a donc aussi sa place à l'origine du mouvement de la pédagogie institutionnelle à côté du livre de Michel Lobrot sur La pédagogie institutionnelle (1966), ou celui d'Aida Vasquez et Fernand Oury, Vers une pédagogie institutionnelle (1967). Avec Propos actuels sur l'éducation (1965) de Jacques Ardoino, cet ouvrage a permis l'éclosion de toute une critique de l'école qui devait prendre une dimension politique en mai 1968. On retrouve dans Éducation et politique(1977, nouvelle édition : Anthropos, 2000), livre très important de Jacques Ardoino, le schéma (systématisé) proposé par G. Lapassade dans Groupes, organisations, institutions. Aux niveaux de l'analyse de groupe, de l'analyse organisationnelle et de l'analyse institutionnelle, J. Ardoino rajoute le niveau individuel et le niveau interindividuel. Ces cinq niveaux sont à prendre en compte dans toute situation d'analyse sociale que l'on veut pratiquer de manière multi-référentielle. On voit donc là encore un développement de cet ouvrage de G. Lapassade qui devait trouver dans L'Analyse institutionnelle, la thèse de René Lourau, le prolongement de ses intuitions les plus importantes (1969).

 

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(1)  G. Lapassade est resté ami avec Serge Mallet jusqu'à la mort de celui-ci en juillet 1973. R. Hess était avec G. Lapassade au Griffon, près d'Avignon, lorsqu'ils ont appris l'accident qui a causé la mort de cet homme qui était alors professeur en sciences politiques à l'université de Paris 8, alors installée à Vincennes. En 1974, en hommage à son ami, G. Lapassade  dédie la troisième édition de Groupes, organisations, institutions à la mémoire de Serge Mallet.

(2)    Max Weber, 1864-1920, sociologue allemand.

(3) Au moment de sa parution, Frédéric Gaussen lui consacre une demi-page dans Le Monde. 

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4 mars 2012 7 04 /03 /mars /2012 11:38

I) L'influence de Jean-Paul Sartre et de la théorie des groupes (Rogers, Lewin, Moreno) sur l’invention de l’AI par Georges Lapassade

 

Si l'on prend comme point de départ Groupes, organisations, institutions (1), on constate que cet ouvrage a été écrit en 1964-65 par G. Lapassade dans le prolongement d'une lecture approfondie de La critique de la raison dialectique, de J.-P. Sartre.

 

Dès la parution de La critique de la raison dialectique de Sartre en 1960, G. Lapassade rédige un long résumé commenté de cet ouvrage. Or, les trois grandes étapes du processus de l'institutionnalisation, à partir de l'instituant révolutionnaire décrites par Sartre étaient : le "groupe en fusion", l'organisation, et l'institution aboutissant à la bureaucratie. G. Lapassade retient finalement ce schéma pour donner un titre à son livre sur la bureaucratie.

 

On peut dire que c'est lors des colloques de Royaumont, dont les actes sont parus dans Le psychosociologue dans la cité, que G. Lapassade a inventé l'analyse institutionnelle. C'était en 1962. C'est donc trois ans plus tard qu'il publie Groupes, organisations, institutions. Ce livre installe la prophétie de l'analyse institutionnelle dans le "mouvement des groupes" qui se développe alors en France. Le livre oppose une alternative à la montée du phénomène bureaucratique : celle du mouvement des groupes. Si l'homme veut être sujet, acteur conscient de son histoire, il doit analyser les institutions dont il dépend, il peut analyser les institutions qui le traversent, et trouver dans l'action de groupe une issue à l'atomisation bureaucratique dont il est victime. Ce livre est très important dans la mesure où il a eu une postérité assez considérable.

 

Dans le courant de l'analyse institutionnelle, on a pu penser que Groupes, organisations, institutions n'était pas encore un ouvrage d'analyse institutionnelle au sens strict, que c'était un livre "pré-institutionnaliste", et que le premier livre fondateur de ce courant était celui de René Lourau, L'analyse institutionnelle, en 1970. Aujourd'hui, c'est dans Groupes, organisations, institutions que l'on trouve le véritable point de départ de notre courant, et ce point de départ, c'est la question de la bureaucratie. D'ailleurs, c'est sous ce titre qu'il aurait dû paraître puisque Jacques Ardoino qui avait demandé à G. Lapassade d'écrire cet ouvrage voulait très précisément un livre sur la bureaucratie. En effet, quand J. Ardoino a demandé à Georges Lapassade d'écrire ce livre, ce dernier venait de terminer la publication de sa thèse sur L'entrée dans la vie (Minuit, 1963). Il était très préoccupé par cette question de la bureaucratie, et cette préoccupation avait commencé bien avant.

 

G. Lapassade était, en effet en 1959, professeur conseiller à la résidence universitaire d'Antony. Et il s'intéressait de très près au fonctionnement de cette résidence universitaire. Il avait découvert, depuis peu, la dynamique de groupe. Il avait participé à des T-Groups et à des psychodrames, et il voulait transposer ce qu'il savait de la psychosociologie dans une analyse interne de la vie de la cité universitaire. Ainsi, G. Lapassade assistait régulièrement, mais dans la mesure où il y était autorisé, aux réunions de l'association locale des étudiants (AERUA) qui participaient à la cogestion de cette Résidence universitaire. Ces étudiants étaient élus sur la base des pavillons. Mais la vie administrative de la résidence était centralisée. G. Lapassade en avait conclu qu'il y avait une contradiction entre cette centralisation et la décentralisation des élections étudiantes. Il fit connaître cette opinion par quelques lettres qu'il adressait au président de cette association, dominée par les étudiants communistes de la RUA. Un jour, ces lettres furent publiées dans leur bulletin sous le titre : "De quoi vous mêlez-vous Monsieur Lapassade?".

 

Cette publication a beaucoup préoccupé G. Lapassade. Un petit groupe d'étudiants animé par un jeune intellectuel, Robert Paris, déjà spécialiste de Gramsci,et qui faisait de l'entrisme en tant que trotskiste dans la cellule communiste locale (les étudiants communistes de la résidence étaient inscrits à la cellule du PCF d'Antony) a aussitôt apporté son soutien à G. Lapassade. C'est à ce moment-là que G. Lapassade découvre qu'il est assez peu politisé. Robert Paris l'était davantage, et il aide G. Lapassade à décrypter cette, attaque des étudiants communistes à l'aide des analyses trotskistes de la bureaucratie. Avec Robert Paris et ses amis, G. Lapassade décide de diffuser massivement dans la résidence universitaire un tract qui était une riposte à l'article déjà cité. Ce tract a provoqué une crise interne de l'association, immédiatement suivie d'élections générales. Dans le même temps, G. Lapassade se donne une culture politique. L'un des problèmes politiques essentiels de ce temps-là était celui de la bureaucratie comme classe dirigeante en URSS et dans l'ensemble des pays communistes.

 

(45) - Cet ouvrage, épuisé, va être réédité début 2006 aux éditions Anthropos.

 

Mis en ligne par Benyounès et Bernadette Bellagnech

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3 mars 2012 6 03 /03 /mars /2012 10:53

Chapitre 2 :

 

Les origines philosophiques de l’analyse institutionnelle

 

Lors de la rencontre d'AI de juin 2005, G. Lapassade a fait un apport important sur les fondements sartriens de sa démarche dans les années 1960. Le philosophe Jean-Paul Sartre, et sa posture existentialiste, est donc un réfèrent important de l'AI, même si, pour R. Lourau, l'entrée dans la pensée marxiste s'est faite davantage sous l'influence d'Henri Lefebvre et de Cornélius Castoriadis. On est donc obligé de prendre conscience de l'influence de plusieurs traditions de pensée dans l'AI. Cela pose à nouveau la question de son unité.

 

Le "désordre" résulte d'un large horizon théorique dans lequel s'est développée l'AI. On trouve dans le mouvement institutionnaliste des directions et des tendances très différentes qui ne sont pas compatibles les unes les autres d'un point de vue théorique. Elles laissent apparaître l'AI comme une source d'orientations très diverses qui, à un moment, se trouvent en position parallèle, en appui sur des bases théoriques différentes, ou même en porte-à-faux sans cohérence intérieure. Si l'on se réfère à ce que l'on a pu dire des sciences de l'éducation, on a déjà un bon éclairage pour comprendre cette situation : c'est-à-dire des biographies personnelles et scientifiques de tous les représentants du mouvement, profondément différentes les unes des autres. Par exemple, il faut regarder les points de départ de personnes comme G. Lapassade, M. Lobrot ou R. Lourau pour reconnaître les spécificités de leurs références scientifiques différentes. On y trouve: analyse critique de la pensée dialectique de Hegel, théorie marxiste, discussion néo-marxiste de la bureaucratie, écrits de Jean-Paul Sartre surtout La Critique de la Raison dialectique), théorie du champ de Kurt Lewin, psychosociologie française, psychologie humaniste de Rogers, psychanalyse et surtout psychothérapie institutionnelle, pédagogie institutionnelle ayant elle-même son origine dans la pédagogie Freinet, continuum littéraire du romantisme jusqu'au surréalisme, appropriation de l'institution imaginaire de la société (Castoriadis).

 

À l'origine, donc, l'analyse institutionnelle n'est pas une pensée originale. Elle n'est même pas une direction qui viendrait d'une certaine tradition de pensée. Il s'agit plutôt d'un carrefour, d'un lieu de rencontre, dans lequel se réfracte des recherches tant théoriques que pratiques (la psychothérapie institutionnelle, la pédagogie institutionnelle, l'intervention socianalytique, l'observation participante, l'analyse interne, le diarisme et les écritures biographiques, etc.).

 

Définir un mouvement comme lieu est faible. Il manque une dimension théorique pour donner le sens au mouvement, à la recherche, etc. Or, affirmer qu'il n'y a pas du tout de théorie serait exagéré. On se trouve là encore devant une difficulté pour tenter d'expliciter ce que partagent entre eux les institutionnalistes, et que l'on pourrait peut-être définir comme leur paradigme...

 

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2 mars 2012 5 02 /03 /mars /2012 10:38

À l'université, un des points forts de notre terrain, c'est une systématisation de l'appartenance de l'analyse institutionnelle aux sciences de l'éducation de l'université de Paris 8. Quand G. Lapassade a dirigé le département, il a organisé le département de manière à ce que le mardi toute la journée, on fasse 5 enseignements de 3 heures sur l'analyse institutionnelle, l'autogestion pédagogique, etc. La plupart des collègues (R. Lourau, R. Hess, P. Ville, A. Savoye), venaient naturellement le mardi, et ils ont accepté l'idée de coordonner leurs enseignements. Le projet était de construire une journée continue. C'était en 1986. Cela a bien marché, cependant l'équipe enseignante a rencontré un problème : les étudiants demandaient de faire des travaux pratiques.

 

À ce moment-là, les institutionnalistes pensaient que le seul dispositif de travail de terrain de l'analyse institutionnelle était la socianalyse, analyse institutionnelle en situation d'intervention à la demande d'un client. Il fallait donc trouver pour tous les étudiants (une centaine) des clients de la socianalyse (1). Des interventions se développèrent, mais il était impossible de coordonner les interventions avec autant d'étudiants. A l'époque, la socianalyse était le grand rite d'initiation de l'analyse institutionnelle. Aujourd'hui, c'est un rite parmi d'autres. L'ethnographie est aussi importante. Croire au monopole du rite de la socianalyse fut une erreur, mais une erreur constitutive de l'école institutionnaliste. L'analyse institutionnelle, c'était faire du terrain à la demande d'un client. Aujourd'hui, on peut faire de l'ethnologie. Ce fut un chemin difficile. L'analyse institutionnelle n'a plus un seul dispositif de référence. L'analyse interne est une autre possibilité. La socianalyse comme analyse institutionnelle en situation d'intervention fut une mythologie qu'il faut déconstruire. Aujourd'hui, un autre mode du travail, c'est l'analyse institutionnelle faite par les agents eux-mêmes. Il faut aider les chefs d'établissement (et les acteurs) à se construire des outils pour analyser l'école. Cette analyse interne existe déjà au lycée autogéré, par exemple.

 

Une expérience intéressante, déjà évoquée, et présentée au colloque de juin 2005 se développe à l'école de la police de Buenos Aires (Argentine). La direction en a été confiée à un institutionnaliste argentin, Cristian Varela, qui a recruté une équipe argentine d'amis de R. Lourau pour conduire le changement de cap que souhaite l'Etat argentin, suite au changement politique récent. La mission : rendre la police démocratique. Pendant longtemps, la police argentine était restée un état dans l'Etat, gardant des ethnométhodes acquises à l'époque de la dictature, développant des pratiques maffieuses. Comment opérer le changement de l'organisation ? Comment faire pour que les acteurs changent leurs ethnométhodes ? Cette "analyse interne" se développe à Buenos Aires en 2005 sur un collectif de 2000 personnes.

 

On voit que l'analyse institutionnelle est passée par deux phases :

 

- une période où l'intervention était le modèle unique de l'analyse. Cette phase s'est essoufflée en France après les années 1970. Cela pourrait s'interpréter comme un manque de commande, ou comme un manque d'intervenants pour répondre aux commandes. Cette question de l'intervenant qui cherche son client fait penser à Kafka, quand, dans Le château, au pied du village, les paysans disent à K. qu'ils n'ont pas besoin d'arpenteur. K vit comme un cloporte sous le bureau de l'instituteur. Il est là. Il ne sert à rien, sinon à écrire Le château (ce qui n'est pas rien !). Pour faire l'analyse, on n'a pas besoin d'arpenteur.

 

-une période où les acteurs décident de prendre en compte eux-mêmes le processus d'analyse (analyse interne). C'est la genèse de l'autogestion pédagogique, qui est encore dans sa phase expérimentale. G. Lapassade a inventé le mot d'autogestion pédagogique, parce que dans les T-Groups de Bethel, il y avait quelque chose qui allait vers l'autogestion. Dans ces groupes, la théorie de la non directivité pouvait, à la limite, déboucher sur l'autogestion. Mais, en fait, on n'y arrivait jamais. Le moniteur, en dernière instance, était directif. G. Lapassade a donc posé la question : "Mais pourquoi un moniteur ?" Ce sont les gens eux-mêmes qui doivent faire la nouvelle recherche-action. P. Boumard, dans Les savants de l'intérieur, a montré que les pédagogues savent qu'ils peuvent être leurs propres analystes (2). On a peu développé le dispositif de l'analyse interne. La pratique du journal (3) peut être considérée comme le dispositif de l'analyse interne. Ce dispositif est aussi noble que celui de la socianalyse.

 

Cependant, dans les chantiers d'analyse interne importants, à un moment donné se pose la question de faire appel à des intervenants extérieurs, pour éclairer certaines situations de blocage. On se trouve alors dans une sorte de dépassement dialectique de la contradiction, entre analyse interne et analyse externe. L'intervention surviendrait dans un processus d'analyse interne.

 

L'analyse institutionnelle a développé tout un appareil conceptuel pour rendre compte de son exploration à la fois théorique et pratique. Dans la première période, on a mis en avant les concepts d'instituant, d'institué, d'institutionnalisation, d'analyseur, d'implication, d'autogestion, de transversalité, de  groupe  sujet,  etc. (4). Plus  récemment, l'analyse institutionnelle  s'est  donnée  comme  concept  la  dissociation (5), la transduction (6) ; elle a réinvesti la théorie des moments (7), l'interculturel (8). Ces concepts seront repris dans le chapitre 7 : une autre logique.

 

Depuis 2002, une revue interculturelle et planétaire d'analyse institutionnelle, Les irrAiductibles, a été créée. Cette revue, dont la moitié des contributions viennent de l'étranger, a publié plus de 3000 pages dans ses 9 premiers numéros. Parmi les thèmes abordés : analyse institutionnelle et politique (n°1, 2002), la pratique du journal (n°3, 2003), les dispositifs (n° 6 et 7, 2004 et 2005), la sociologie du sport (n°4, 2004), normes et déviance (n°9, 2005), l'analyse interne (n°10, 2005, à paraître). Cette revue, éditée par l'université de Paris 8, montre la vitalité de l'analyse institutionnelle aujourd'hui, et sa capacité à se renouveler sur le plan conceptuel, mais surtout la capacité de ce mouvement à faire une place aux jeunes étudiants : ils sont acteurs, auteurs, animateurs du mouvement au même titre que les anciens. On peut vraiment parler d'une autogestion pédagogique.

 

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(1) Sur cette période, voir Anne Vancraeyenest, in R. Hess et A. Savoye, Perspectives de l'analyse institutionnelle, Paris, Méridiens Klincksieck, 1988.

(2) P. Boumard, Les savants de l'intérieur, Paris, Armand Colin, 1988.

(3) Sur le journal comme outil d'analyse interne : R. Hess, Le lycée au jour le jour, ethnographie d'un établissement d'éducation, Paris, Méridiens Klincksieck, 1989 ; G. Lapassade, Le journal de la réforme des DEUG (1984), inédit à paraître.

(4) Remi Hess, Centre et périphérie, 2 éd., Paris, 2001, voir lexique.

(5) G. Lapassade, La découverte de la dissociation, Paris, Loris Talmart, 1998.

(6) R. Lourau, Implication, transduction, Paris, Anthropos, 1997.

(7) Christine Delory-Momberger, R. Hess, Le sens de l'histoire, moments d'une biographie, Paris, Anthropos, 2001. R. Hess, H. de Luze, Le moment de la création, Paris, Anthropos, 2001. R. Hess, La théorie des moments, à paraître, et Le journal des moments, Paris, Presses universitaires de Sainte-Gemme, tome 1: Le journal des idées, 2005.

(8) Jacques Demorgon, Critique de l'interculturel, Paris, Anthropos, 2005.

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