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  • : Le blog de Benyounès Bellagnech
  • : Analyse institutionnelle : Théorie et pratique au sein des institutions politiques, éducatives et de recherche. L'implication des individus et des groupes dans la vie politique et sociale.
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19 avril 2012 4 19 /04 /avril /2012 10:46

Moment

 

Concept qui nous vient de Hegel. Voir la définition dans le chapitre 7.

 

Organisation

 

La notion d'organisation est d'abord militaire. Elle considère un groupe social comme "organisme", ayant des fonctions à assurer collectivement. Elle s'est étendue ensuite au niveau de l'entreprise, puis a gagné les institutions publiques. L'organisation est devenue un objet sociologique au XX siècle. Les premiers théoriciens de la logique organisationnelle (Taylor, Fayol, Lénine), se sont appuyés sur un modèle d'organisation militaire de l'entreprise. Ensuite, avec l'introduction de la notion de système, l'analyse s'est complexisée. Dans le monde de la formation, on oppose la dimension organisationnelle à la dimension groupale ou institutionnelle (G. Lapassade, J. Ardoino (1).

 

Napoléon avait déjà développé une critique de l'inefficacité de certains groupes d'action, comme les pompiers, par exemple. A l'occasion d'un incendie dans une ambassade qui avait causé une centaine de morts de personnalités de l'Europe entière, Napoléon avait remarqué que, faute d'organisation et de discipline, les pompiers arrivaient, après que le feu se soit éteint de lui-même, souvent pour ramasser les morts. Pour dépasser cette contradiction, il avait organisé le corps des pompiers sur le modèle de l'armée. Dans ce modèle, ce que l'on demande, c'est d'obéir. La cohérence de l'action est concentrée sur le chef qui domine la pyramide organisationnelle. La congruence (voir ce mot) n'est plus alors une question individuelle mais une affaire de collectif. Est assurée la mission d'éteindre le feu, lorsque le groupe des pompiers éteint effectivement le feu. Dans cette logique, des chefs donnent des instructions qui se trouvent transmises à tous les échelons de l'organisation pour atteindre collectivement l'efficacité la plus grande, dans le délai le plus court.

 

F. Taylor (2) conçoit la division des tâches au niveau de l'entreprise de production. Il part de l'observation que si un ouvrier fait toujours la même tâche, sa productivité sera plus grande que s'il doit exécuter de multiples tâches. L'ouvrier est donc placé dans une division sociale du travail qui organise une succession de tâches simples, et décomposées au niveau des gestes qui sont exécutées à la suite. Le "taylorisme" permet à Ford, dès 1913, de produire des automobiles en série, et donc de les mettre sur le marché à un prix si bas que tout ouvrier de l'entreprise peut en acheter une. Ce modèle s'est généralisé à tout le monde industriel entre 1860 et 1920. Il faudra attendre les années 1920-30 pour qu'une critique des effets pervers de cette organisation (sous-estimation du groupe) puisse se développer.

 

Au niveau des fonctions de l'entreprise, Fayol a montré qu'une bonne organisation supposait que soient assurées les fonctions de production, d'administration, du personnel, de financement, de distribution (vente), chaque fonction étant assurée par un service ou une structure autonome, réalisant les apports nécessaires au bon fonctionnement de l'ensemble.

 

Quant à Lénine, dans Que faire? (1902), il a montré que l'efficacité politique supposait que les observations de Taylor soient transposées au niveau de l'organisation du parti. Ce dernier doit être structuré selon un modèle pyramidal. Chacun doit avoir à répondre à un seul chef.

 

On peut remarquer que la psychosociologie industrielle, dès sa naissance, définit l'entreprise comme une organisation, c'est-à-dire un système de réseaux, de statuts et de rôles. Ce qui est à la fois un progrès et un risque : le risque est de fermer le groupe-entreprise sur lui-même, sans voir qu'il est situé dans un système social. Ce progrès et ce risque vont se préciser avec le développement de la sociométrie.

 

A partir des années 1930, une critique de la bureaucratie s'est amorcée. La bureaucratie est une forme de l'effet pervers d'une organisation trop poussée. Quand on fait du moment organisation un absolu, on tombe dans le travers bureaucratique. La bureaucratie a tendance à objectiver les acteurs, et à leur faire oublier leur responsabilité. On applique les instructions, mais sans toujours en comprendre la signification. Léon Trotski a fait une critique du système bureaucratique en Russie, après la Révolution bolchevique. Sur le plan de l'entreprise, à partir d'Elton Mayo jusqu'à Michel Crozier (3), une description du phénomène bureaucratique s'est développée de manière méthodique.

 

On peut remarquer que la psychosociologie industrielle, dès sa naissance, définit l'entreprise comme une organisation, c'est-à-dire un système de réseaux, de statuts et de rôles. Ce qui est à la fois un progrès et un risque : le risque est de fermer l'entreprise sur elle-même, sans voir qu'elle est située dans un système social. Ce progrès et ce risque vont se préciser avec le développement de la sociométrie (voir groupe).

 

Suite à la critique de la bureaucratisation des organisations, la notion d'organisation s'est alors développée dans le sens de "système social". Dans cette perspective, l'organisation n'est plus seulement un ensemble de moyens techniques et humains mis au service d'objectifs de production de biens ou services, mais devient un ensemble de personnes et de groupes réunis afin de développer et d'instituer entre eux des rapports de coopération. Selon les théoriciens de l'organisation, une convergence existe entre les objectifs d'efficacité et de performance d'une part, et ceux de cohésion sociale et de satisfaction des besoins individuels, d'autre part. Il est possible de gérer les conflits en améliorant la communication, à condition de penser à mettre en place des structures de négociation et de régulation entre les différents acteurs du système. Ces instances permettent la réduction des écarts entre les attentes divergentes. Les modes d'autorité et de commandement doivent évoluer dans le sens d'une meilleure participation de tous aux objectifs de l'entreprise.

 

Dans les situations de formation, l'instance groupale est déterminante. Cependant, celle-ci ne peut se mettre en place que dans un contexte organisationnel bien pensé : en quel lieu seretrouve-t-on ? Quand ? La gestion de l'espace et du temps, du contenu des stages, etc. relève du travail organisationnel qui est préalable au travail groupai. Dans tout dispositif de formation, le moment organisationnel est essentiel. A l'intérieur même des dynamiques de groupes, la prise en compte du moment organisationnel est essentielle. Dans une logique d'autogestion pédagogique, le moment organisationnel est pris en charge, en partie, par les groupes qui gèrent collectivement le rapport au temps, à l'espace, à l'argent (gestion d'un budget pédagogique, par exemple). Cette posture a été expérimentée dans le cadre des pédagogies actives (Reform Pâdagogik, éducation nouvelle, pédagogie Freinet, pédagogie institutionnelle). L'idée qu'il n'est pas possible d'oublier la dimension organisationnelle pour la rendre congruente avec les objectifs collectifs est bien formulée par François Tosquelles, lorsqu'il dit, à propos de l'hôpital psychiatrique, que s'il veut atteindre ses objectifs, il faut d'abord soigner l'institution de soin. En effet, il n'est pas possible de développer une pratique de soin mental dans une institution qui produirait des structures de folie. Il faut que l'organisation pédagogique soit pédagogique, que l'institution de soin soit saine, etc. Cet objectif a un rapport avec la notion de congruence (voir ce mot).

 

Dans les groupes interculturels, le rapport à l'organisation est un nœud de conflit possible. Chaque groupe culturel a des rapports différents à l'organisation. Le rapport à l'heure, par exemple, n'est pas vécu de la même manière dans toutes les cultures. Dans les groupes franco-allemands, les horaires ne sont pas vécus de la même manière, par les uns et les autres. Pour certains, ils sont contraignants. On les respecte. Pour d'autres, ils sont susceptibles d'interprétation et donc de souplesse. Plus le moment organisationnel est analysé collectivement, plus une organisation collective est susceptible de se mettre en place comme norme pour tous. Cependant, des transgressions aux rythmes organisationnels sont toujours susceptibles de provoquer des crises (4).

 

(1) Ardoino (Jacques), Education et politique, Paris, Anthropos, 2 éd. 2000.

(2) Taylor (F), The Principles of Scientific Management, New York, 1913.

 (3) Crozier (Michel),Le phénomène bureaucratique, Paris, Le Seuil, 1963.

(4) Argyris, Integrating the Individual and the Organization, New York, Wiley, 1964; Levy (André), Sciences cliniques et organisation sociale, Paris, PUF, 1997; Pages (Max) et al., L'emprise de l'organisation, Paris, PUF, 1979.

 

Mis en ligne par Benyounès Bellagnech

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18 avril 2012 3 18 /04 /avril /2012 14:15

Mit-einander-sein, l'être-avec-l'autre

 

La notion de Mit-einander-Sein n'a rien à voir avec notre notion de la communauté. Pour définir cet objet, nous devons d'abord développer une critique du concept de Dasein de Heidegger. Comme le souligne H. Lefebvre (1), dans Métaphilosophie, le Dasein heideggerien, présence à soi, au monde, à "l'autre" (et de l'autre à soi), est posé et supposé au fondement de l'existence individuelle. Mais, en tant que rapport avec l'autre, il se définit par l'altérité : par l'ouverture indéfinissable et indéfinie vers l'autre en tant que chose, en tant qu'autrui, en tant que possible. La saisie "extatique", vouée à se dépasser vers des horizons toujours nouveaux, n'est cependant, guère plus qu'une conscience individuelle. Ainsi, remarque H. Lefebvre, ce Dasein n'a pas de sexe. La théorie freudienne de la libido (dérivant des mêmes sources que la pensée de Heidegger, à savoir Schelling et Schopenhauer, et relevant aussi d'une certaine tradition de philosophie chrétienne, Saint-Augustin, Jansenius, Pascal) est souvent plus riche et plus proche du concret que celle du Dasein. Comme le montre Herbert Marcuse (2), au-delà de l'opposition freudienne entre le principe de réalité et celui de plaisir, en projetant le dépassement du conflit et la libération du principe de plaisir, ne peut-on concevoir le renouveau du Désir? Le projet d'une délivrance du désir purifié des tares de la libido, affranchi des contraintes de la culture et de la civilisation, est au plus haut point poiètique. Très différent de la "cathartique du néant" dans Sein und Zeit, comme d'une vision du dévoilement futur de l'être, ce projet devient dans la psychanalyse une certaine pratique, d'ailleurs ambiguë et métaphysiquement interprétée. Ce projet se reconnaît chez des poètes comme Eluard ou René Char, qui n'ont peut-être pas la Grùnlichkeit et la Heimlichkeit d'Hôlderlin mais dont la parole dit poétiquement la pureté du désir, d'un Désir humain dégagé du désir animal et du besoin social. Ce désir reconnu et se reconnaissant lui-même, ce désir se désirant au-delà du voulu et du nécessaire est au cœur du poétique. Les poètes proclament le désir, au même titre que certaines phrases des plus illustres musiciens.

 

Jeté dans l'aventure du devenir, dégradé dans l'inauthentique, en proie à la banalité, fermé par les sécurités, l'homme heideggerien n'est pas homme de besoin, de travail, de jouissance. Par rapport au travail comme par rapport au sexe, il reste dans l'abstraction spéculative. Le Dasein comprend une description essentielle du drame de la conscience, Heidegger a expressément voulu éviter le subjectivisme. Il ne part pas d'une philosophie de la conscience. Le Dasein n'est pas la conscience mais son fondement philosophiquement saisi. Comme toute conscience philosophique, il sort difficilement de l'individuel. L'être-avec-l'autre, le Mit-einander-Sein, se fonde sur l'individu. Lorsque Heidegger parle magnifiquement de l'homme "qui ouvre son œil et son oreille", qui "déverrouille son coeur, se donne à la pensée", ces images émouvantes n'ont guère de sens qu'individuel. Seul le langage transcende la conscience privée de l'individu. Lorsqu'il introduit le peuple ou la nation, Heidegger accomplit un autre "transcensus", parfois dangereux. Faute d'avoir saisi la praxis, il ne peut que rester au sein de l'être individuel ou le transcender en le rejetant dans l'abîme. Cette lacune a d'autres conséquences. Heidegger qui se préoccupe de déceler le projet le plus général des sciences et surtout des sciences de l'homme, cherchant à dévoiler et à dénoncer le programme technologique au profit de son ontologie fondamentale, laisse de côté les acquisitions des sciences. Ou plutôt, il n'y a pas pour lui d'acquisitions. S'il n'ignore pas les "réalités" correspondantes, il ne porte aucune considération à la sociologie, l'économie, ou à l'anthropologie. Par opposition au Marx de 1844, il ne commence pas sa critique par une recherche anthropologique pour en déceler les limites.

 

(1) H. Lefebvre, Métaphilosophie, préfacée par Georges Labica, Paris, Syllepse, 2000,300 p.

(2) H. Marcuse, Èros et civilisation, Collection "Arguments", Éditions de Minuit, 1963

 

Mis en ligne par Benyounès et Bernadette Bellagnech

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17 avril 2012 2 17 /04 /avril /2012 15:25

Institution

 

Le concept d'institution est polysémique, équivoque et problématique. Il est très fréquemment employé dans l'action sociale. Le terme "institution" a des sens variables d'une discipline à une autre, d'un secteur social à un autre. Dans les différents contextes, il désigne souvent des réalités différentes.

 

On peut cependant constater que le terme recouvre deux familles de significations qui débouchent sur deux conceptions de l'institution. La première entend l'institution comme "forme sociale établie" (l'institué). La seconde renvoie aux processus par lesquels une société s'organise (l'instituant).

 

La première approche se réclame d'une double tradition, juridique (Hauriou et Renard) et sociologique (Durkheim). Les institutions sont définies comme "des phénomènes sociaux, impersonnels et collectifs, présentant permanence, continuité, stabilité" (J. Chevallier, L'institution, PUF, 1981). Dans cette perspective, les institutions constituent un ordre, supérieur aux individus et aux groupes, qui assure la cohésion sociale, réalise l'intégration et fonde la pérennité de la société. Les institutions sont l'expression et la garantie de l'ordre social. Les institutions englobent, dans cette logique, les normes et les obligations de comportement (les normes juridiques) et les groupes organisés, au sein desquels s'effectuent les processus d'apprentissage et de socialisation. M. Hauriou formule cette distinction en opposant les institutions "inertes" (catégorie des choses) aux institutions "vivantes" (de nature corporative et donc personnalisées). Cette définition correspond à l'institué social.

 

Interculturel

 

Le système institutionnel change d'un pays à un autre, d'une culture à une autre. L'analyse institutionnelle doit prendre en compte cette dimension, sous peine de tomber dans l'ethnocentrisme. Sur ce terrain, voir les travaux de J. Demorgon.

 

Intervention

 

L'AI est à la fois une théorie des groupes, des organisations et des institutions, mais aussi une méthode d'intervention et d'analyse à l'intérieur des établissements (éducation, travail social, entreprises...). Le domaine privilégié de l'Ai est l'intervention. Le travail institutionnaliste se porte sur l'intervention directe dans les institutions. Lorsqu'il est invité à aider un établissement ou un collectif à analyser les conflits ou problèmes qui le traversent, l'institutionnaliste pratique la socianalyse.

 

Lorsqu'il conduit son travail d'analyse sur le terrain des institutions dont il est membre, l'institutionnaliste fait de l'analyse interne. Il existe de nombreux modes de travail sur le terrain de l'intervention (Hess, Savoye, 1993; Pain, 1993) qui dépendent de la position que le chercheur occupe sur le terrain qu'il travaille. Une des techniques les plus souvent pratiquées dans le cas de l'intervention interne : le journal institutionnel, outil qui permet de suivre au jour le jour le développement d'un processus d'analyse (Hess, Le lycée au jour le jour, Méridiens-Klincksieck,1989).

 

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16 avril 2012 1 16 /04 /avril /2012 09:53

Implication

 

Une des caractéristiques de l'Ai, c'est le travail d'explicitation des implications. Le concept d'implication fait l'objet d'une littérature abondante. La notion est déjà chez H. Lefebvre (1961, p. 126). Le chercheur institutionnaliste se conçoit comme partie prenante du dispositif d'analyse. Il fait partie de son objet. Sans cette prise en compte, le producteur de connaissances est surtout un producteur d"'actes manqués" (Lourau, 1994). Comment analyser la manière dont le chercheur est pris dans son objet ? René Lourau montre l'intérêt de tenir un journal de recherche (R. L., Le journal de recherche, matériau pour une théorie de l'implication, Méridiens Klincksieck, 1988). Entre 2000 et 2004, Gérard Althabe a beaucoup fait avancer la définition de cette notion, comme l'a souligné K. Illiade, dans "L'implication dans l'anthropologie de Gérard Althabe", in L'observation participante dans les situations interculturelles, (sous la direction de R. Hess et G. Weigand), Paris, Anthropos, 2005, pp. 41-62.

 

Instituant

 

À la suite de Rousseau, tout un courant s'intéresse à l'institution comme processus : comment naissent, comment évoluent les institutions? Ce courant voit l'institution comme une force, une énergie sociale, un produit d'un contrat social. C'est la tradition de l'instituant. C'est à Sartre, puis à Cornélius Castoriadis que l'on doit d'avoir formulé une définition de l'institution qui intègre la critique en actes des institutions. Ce dernier explique : "L'institution de la société par la société instituante s'étaye sur la première strate naturelle du donné - et se trouve toujours (jusqu'à un point d'origine insondable) dans une relation de réception/altération avec ce qui avait été institué... En tant qu'instituante comme en tant qu'instituée, la société est intrinsèquement histoire- à savoir auto-altération... L'autoaltération perpétuelle de la société est son être même, qui se manifeste par la position de formes-figures relativement fixes et stables et par l'éclatement de ces formes-figures qui ne peut jamais être que position-création d'autres formes-figures" (Castoriadis, L'institution imaginaire de la société, Seuil, p. 496).

 

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15 avril 2012 7 15 /04 /avril /2012 14:59

Herméneutique

 

La démarche herméneutique a son origine dans l'interprétation des textes sacrés. C'est au philosophe et théologien allemand F. Schleiermacher que l'on doit d'avoir théorisé cette notion. Mais si cette démarche existe dans la tradition protestante, elle est également présente dans la théologie musulmane, notamment. Il s'agit, en mettant les énoncés dans leur contexte, d'en tenter une interprétation. Par extension, la démarche herméneutique s'attache à expliciter l'horizon des mots et des cultures. Ainsi, on peut concevoir une démarche herméneutique de l'animation des groupes.

 

Pour expliciter la dimension linguistique de cette notion, remarquons, sur le plan de la traduction franco-allemande, qu'on traduit comprendre par verstehen. Si l'on se penche un peu sur la manière dont ces deux mots se sont formés, on s'aperçoit que comprendre vient de cum prendere (prendre avec, c'est-à-dire zusammen nehmen) alors que ver-stehen signifie plutôt faire tenir debout. La même réalité sémantique ne se structure pas dans le même horizon des mots en français et en allemand. Ce n'est pas très important dans l'apprentissage premier d'une langue, mais ce type de différence sémantique peut avoir de grandes conséquences lorsque l'on commence à entrer dans la compréhension de la complexité des cultures, et quand on cherche à comprendre l'origine de conflits ou d'incompréhensions entre membres d'un groupe ayant des horizons cultuels différents.

 

Chaque langue découpe différemment le système des mots. Mais en s'agençant, les mots donnent naissance à des visions du monde qui s'organisent selon des logiques singulières. Et les courants intellectuels sont marqués par les langues des cultures dans lesquels ils surgissent. Ainsi, l'analyse institutionnelle est un courant français difficile à traduire en allemand (1) ou posant des problèmes de traduction en brésilien. Donc, le point commun qu'il y a entre l'école herméneutique et celle de l'analyse institutionnelle, c'est que les deux démarches tentent d'aider à trouver, à formuler, à exprimer les questions que se posent les gens (l'auteur, dans l'interprétation des textes ; les membres dans la dynamique des groupes) sans forcément les formuler parce qu'elles restent dans le non-dit, dans l'implicite.

 

Dans la dynamique des groupes, il faudrait imaginer le moment de l'animation herméneutique. Dans ce dispositif, on n'est pas dans la transmission de savoir. On cherche seulement à exprimer, à traduire quelque chose qui est là, mais pas forcément dit, exprimé, explicité. Même quelque chose de formulé n'est pas forcément intégré. L'explicitation est donc un travail qui demande du temps, qui accepte la pédagogie de la redondance, qui exige l'écoute de l'autre. Analyser une situation, c'est mettre à jour la transversalité qui la traverse, c'est chercher à comprendre le contexte qui explique ce qui s'y passe. Il n'y a pas de théorie préalable, seulement une volonté contrôlée de description et de mise en mot. Si l'on accepte cette perspective, alors, on pourra dire que le travail herméneutique peut se déplacer sur la compréhension de la dynamique des groupes. On ira même plus loin et l'on dira que la posture herméneutique sera une ressource même de l'animation des groupes, de la dynamique des groupes.

 

Dans ce moment d'exploration herméneutique, les allants de soi se laissent interroger, questionner. Mais en même temps, intervenir pour éclairer le contexte n’a de sens que si une vraie demande s'exprime explicitement ou implicitement au sein du groupe. Le groupe est composé, souvent, de personnes ayant des niveaux différents de demande. Le genre, l'âge, la culture, la langue, l'appartenance nationale peuvent expliquer les formes différentes d'implication dans le groupe. Certains détiennent les informations permettant d'éclairer les contextes des autres. À quel moment donner ces informations sans risquer une objectivation? Dans la pédagogie herméneutique, tout membre du groupe peut révéler des éléments du contexte qui vont aider les autres à mieux comprendre, à mieux situer, la transversalité du groupe et de sa dynamique, mais aussi la transversalité de la situation. La démarche herméneutique insiste sur la notion d'interprétation.

 

Les mots interprétation et analyse, dans la pratique, renvoient tous les deux à une démarche, à un effort, à un travail de mise en contexte, à un travail de compréhension. Ainsi, si l'on revisite le travail de Schleiermacher au début du XIX siècle sur le terrain de la pédagogie, on s'apercevra qu'il n'est pas éloigné de celui de certains pédagogues ou anthropologues.

 

Dans le moment de l'animation herméneutique, on n'est pas dans la transmission de savoir. On cherche seulement à exprimer, à traduire quelque chose qui est là, mais pas forcément dit, exprimé, explicité. Même quelque chose de formulé n'est pas forcément intégré. L'explicitation est donc un travail qui demande du temps, qui accepte la pédagogie de la redondance, qui exige l'écoute de l'autre. Analyser une situation, c'est mettre à jour la transversalité qui la traverse, c'est chercher à comprendre le contexte qui explique ce qui s'y passe. Il n'y a pas de théorie préalable, seulement une volonté contrôlée de description et de mise en mot.

 

L'animation herméneutique pose l'hypothèse optimiste que la communication est tout de même possible si les personnes partagent ensemble, au même moment, un intérêt de connaissance commun (ou un désir d'action commune). Le travail de l'intervenant ou du formateur est d'aider à l'émergence des intérêts de connaissance qui peuvent traverser le groupe à un moment particulier.

 

Dans la formation herméneutique, au contraire, les conflits intérieurs à chaque individu, ses dissociations, de même que ceux et celles qui traversent le groupe sont à mettre en mot et à expliquer. Chacun peut avoir envie de travailler avec différentes personnes, mais pas forcément tout ensemble. Or, ces personnes, elles-mêmes peuvent partager le même intérêt mais pas forcément dans le même ordre. Cela entraîne des prises distances qui peuvent être vécues comme des rejets. Vivre l'expérience d'être rejeté est une condition nécessaire pour pouvoir accéder à la jouissance du partage libre et voulu, conçu comme une relation vraie.

 

L'animation herméneutique n'existe pas en soi. Elle ne peut pas se transmettre par des recettes. L'animateur ne vient pas avec une boîte à outils. Pourtant, apporter avec soi du matériel peut constituer une ressource pour le groupe. L'important est de ne mettre les outils à la disposition du groupe que si ceux-ci correspondent à une demande. Cette écoute de la demande exige une certaine appétence à la clinique (interprétation des symptômes qui s'expriment dans la situation du groupe). La posture de l'intervenant ne se différencie pas, fondamentalement, de celle des participants. Ils cherchent, ensemble, à s'exprimer, tour à tour, dans un cadre acceptable par l'autre, par les autres. Ils acceptent le principe d'une posture d'écoute sans jugement, même si la transgression de cette règle est fréquente.

L'interprète, le traducteur choisit de dire quelque chose selon sa sensibilité clinique qu'il pense être utile au processus collectif. Le traducteur est donc un double herméneute: au niveau du transfert des discours d'une langue à une autre, mais aussi au niveau de l'accompagnement des flux, des énergies individuelles et collectives. Tâche passionnante mais impossible, que l'on pratique bien lorsque l'on est capté, pris par l'esprit du groupe, l'intuition de l'instant... Dans le meilleur des cas, l'interprétation est une manière de partager et de faire partager une hystérie collective. La traduction, parce qu'écrite, permet davantage d'expliciter les contextes des énoncés.

 

L'animation herméneutique est toujours une aventure. C'est une sorte de voyage. L'expérience de groupe peut être comparée à un voyage en train où l'on partage avec les personnes du compartiment un espace-temps dans lequel on tente d'aménager ensemble un savoir-vivre minimum. Ce vécu peut se transformer, au fil des kilomètres, et compte tenu du fait que l'on sait que le voyage prendra fin, en une occasion d'implication, d'écoute mutuelle, de révision de vie, de mise en perspective de son quotidien, avec le sens que l'on peut rêver de donner à sa vie. Dans ces situations, l'émotion permet d'accéder à une compréhension d'éléments de contextes peu explicités.

 

(1) Sur ce point, voir G. Weigand, Institutionnelle Analyse, Frankfurt-am-Main, Athenaum, 1988.

 

Mis en ligne par Benyounès et Bernadette Bellagnech

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14 avril 2012 6 14 /04 /avril /2012 17:15

 Equivalence

 

L'institution, pour être reconnue, doit apparaître comme "équivalente" des autres. Cela pousse les groupes à s'institutionnaliser. Ce principe d'institutionnalisation apparaît à R. Lourau, comme un inéluctable. Il passe une partie de sa vie à décrire le processus d'institutionnalisation des mouvements. H. Lefebvre défend l'idée qu'il faut chercher le non-équivalent derrière l'équivalent. Ce débat n'a jamais été vraiment repris par les institutionnalistes qui se sont souvent alignés sur les positions de R. Lourau (cf. n°29-30 de L'homme et la société, puis De L'Etat d'H. Lefebvre).

 

Expérience

 

Ce mot recouvre en français deux réalités distinguées dans la langue allemande : Erfahrung (dispositif scientifique où l'on valide une hypothèse) et Erlebnis (le vécu que l'on peut élaborer jusqu'au conçu). L'analyse institutionnelle construit des dispositifs, et donc fait des expériences : il y a toujours une dimension expérimentale dans la socianalyse. Par contre, le champ de cohérence de l'analyse de l'implication se situe du côté de Erlebnis. Hegel utilise Erfahrung dans sa Phénoménologie de l'Esprit, pour parler des expériences négatives qui aboutissent à des erreurs que l'on dépasse en acquis dans la dynamique de la conscience. Dilthey installe l'histoire et l'histoire de vie du côté de lErlebnis.

 

Groupe

 

G. Lapassade a proposé une critique détaillée du mouvement des groupes dans Groupe, organisation, institution (1965), complété dans Socianalyse et potentiel humain (1975). R. Lourau a complété cette approche en " dialectisant " la notion de groupe. Relisant Bion, il explore les notions de groupe de travail, groupe de base, groupe d'action. Il met ces notions en relation avec les modes d'action institutionnelle (1). Jean-René Ladmiral a exploré plus particulièrement les questions liées à la dimension interculturelles des groupes (multi-linguisme, etc).

 

(1) R. Lourau "Préalables sociologiques sur les groupes informels: analyse institutionnelle", p. 91.

 

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13 avril 2012 5 13 /04 /avril /2012 14:33

Dialectique de l'institution

 

Dans L'analyse institutionnelle, René Lourau, reprend cette dialectique du concept d'institution pour élaborer la théorie de l'analyse institutionnelle, à la fois théorie des groupes, des organisations et des institutions, qui, à la fin des années 1960, définit l'institution comme le produit d'une confrontation permanente entre l'institué (ce qui est déjà là, ce qui cherche à se maintenir) et l'instituant (forces de subversion, de changement).

 

En 1994, R. Hess et M. Authier, ont pu définir l'institution à partir de son moment fondateur, moment décisif s'il en est. La naissance de l'institution suppose en effet une "communion fondative" (Hauriou), et l'idée d'oeuvre à accomplir. Dans cette optique, l'instituant se définit comme ce qui vient développer une logique de vérité par rapport au moment fondateur. Au contraire, l'institué est ce qui falsifie l'esprit fondateur de l'institution...

 

Comment se produisent et se reproduisent les institutions? Elles ne naissent jamais de rien. Sartre avait décrit le passage du groupe en fusion à l'institution (1960). R. Lourau observe qu'elles naissent des mouvements sociaux. Du mouvement (moment prophétique) découle un processus d'institutionnalisation qui fait passer la forme sociale du groupe à l'organisation puis à l'institution. L'institution est alors un amalgame d'affectif, d'idéologie et d'organisation. La base matérielle de l'institution l'institue définitivement. R. Lourau pense que le processus d'institutionnalisation est inéluctable, qu'il s'agit d'un principe d'équivalence: on ne reconnaît que les institutions institutionnalisées. Il décrit le fait que les institutions s'interpénétrent et forment des réseaux; ce qui a pour effet que le processus d'institutionnalisation (vieillissement des formes institutionnelles) touche tout le système social. H. Lefebvre a critiqué cette position dans De l'Etat. Pour lui, l'institutionnaliste doit rechercher le "non-équivalent" derrière l'équivalent. Derrière l'équivalent général qu'est l'argent, il faut regarder le non équivalent: les productions particulières que l'analyse ne peut réduire à leur "valeur monétaire".

 

Les institutions sont souvent le produit de la rencontre de plusieurs institutions qui découvrent qu'il existe un béance dans le tissu institutionnel par rapport aux besoins sociaux. Les institutions sont en effet reliées entre elles (un établissement de travail social, par exemple, est traversé par de multiples institutions : le département qui lui assure son financement, le syndicalisme, le statut de ses personnels, les conventions passées avec son environnement, etc.). Lorsqu'un besoin social apparaît et qu'il ne peut se trouver satisfait, alors on prend l'initiative de fonder un nouvel espace institutionnel.

 

A. Savoye a développé une recherche approfondie sur l'institutionnalisation de la sociologie: comment s'est instituée cette discipline; à travers quels terrains, quelles questions, quelles associations? Quels types de rapports se sont construits entre les premiers sociologues et l'état, l'entreprise, l'enseignement, etc.? A. Savoye montre ainsi que l'Ai, sur le terrain d'une recherche sur l'institutionnalisation, est un outil essentiel d'une socio-histoire de la connaissance. Il s'inscrit là dans le prolongement des recherches d'H. Lefebvre pour "faire de l'histoire une connaissance utile".

 

Dissociation

 

Voir chapitre sur l'autre logique.

 

Equivalence

 

L'institution, pour être reconnue, doit apparaître comme "équivalente" des autres. Cela pousse les groupes à s'institutionnaliser. Ce principe d'institutionnalisation apparaît à R. Lourau, comme un inéluctable. Il passe une partie de sa vie à décrire le processus d'institutionnalisation des mouvements. H. Lefebvre défend l'idée qu'il faut chercher le non-équivalent derrière l'équivalent. Ce débat n'a jamais été vraiment repris par les institutionnalistes qui se sont souvent alignés sur les positions de R. Lourau (cf. n°29-30 de L'homme et la société, puis De L'Etat d'H. Lefebvre).

 

Mis en ligne par Benyounès et Bernadette Bellagnech

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12 avril 2012 4 12 /04 /avril /2012 09:53

Continuum

 

Le travail historique de l'analyse institutionnelle consiste à dégager des continua, souvent la permanence d'un mouvement, d'une prophétie, d'une revendication, d'une méthodologie sur une longue période, d'un champ de cohérence délimitant le moment d'une recherche. Un continuum, c'est, sur une longue période historique, l'émergence puis le passage à la clandestinité d'un moment anthropologique, qui resurgit à nouveau. R. Vaneigem, dans Le Mouvement du Libre-Esprit, dégage un continuum, celui des continuateurs de J. de Flore, un théologien catholique qui en proposant une théorie du progrès en 1160, s'opposait à la conception statique du monde de Rathier de Vérone (IX siècle) qui justifiait la division sociale du travail (en guerriers, travailleurs et prêtres), suscite une succession d'hérésies qui menacent l'Eglise sur plusieurs siècles, en prônant la vie, la jouissance comme alternative au travail pour la survie. R. Lourau, dans ses études historiques sur la contre-pédagogie (1), ou plus tard sur la transduction, R. Hess, dans ses recherches sur la danse de couple, G. Weigand dans son histoire de l'école de la personne, A. Savoye dans son approche du moment de la sociologie clinique, Charlotte Hess avec ses études sur le romantisme... dégagent d'autres champs de cohérence qui émergent comme des continua historiques et anthropologiques... La permanence d'un mouvement n'empêche pas les variations de celui-ci. L'étude du continuum consiste à " évaluer le même et l'autre" dans cette permanence du moment.

 

Découverte de soi

 

L’institutionnalisation du sujet peut se décrire comme découverte de soi. Bachelard a accepté d'inscrire ce sujet : Découverte de soi, comme titre d'un doctorat. C'était au retour de captivité, en 1945. Le nom du doctorant : G. Gusdorf, qui fut un ami d'H. Lefebvre. Dans l'AI, Christine Delory-Momberger (2), a fait faire un grand progrès à cette problématique.

 

Dans Daumal ou le retour à soi (3) au fil de la lecture d'un collage, fait par Jean-Louis Accarias, "Attitude, degré zéro", qui a pour but de dégager l'attitude daumalienne, on trouve une méditation sur le "que suis-je?" de l'adolescent (p. 108), qu'avec le temps l'homme finit par oublier. L'entrée dans une profession, l'entrée dans le rôle social refoule la question : "Que suis-je?". Daumal fait dire à Sogol, dans le Mont analogue:

-J'ai peur de la mort de cette voix qui "du fond de mon enfance, interroge: "Que suis-je?" et que tout, en nous et autour de nous, semble agencé pour étouffer encore et toujours (4)."

 

Pourtant, cette question "Que suis-je?" est "dans son essence la plus irremplaçable. Elle est une flamme qui colore soudain pour un adolescent les formes les plus arides de la spéculation philosophique, qui engage à la fois sa pensée, ses passions et son action (5)."

 

Il faudrait "protéger et nourrir comme le plus précieux trésor", ce questionnement. Mais bientôt : "la vie intérieure du jeune être humain se trouve soudain aveulie, châtrée dans son courage naturel. Sa pensée n'ose plus affronter la réalité ou le mystère en face; elle se met à les regarder à travers les opinions des grands, à travers les livres et les cours des professeurs (6)."

 

La découverte de soi, c'est l'exploration de ses propres champs de cohérence, de ses moments, inscrits dans des continua historiques et anthropologiques. L'histoire de vie, le journal, aide à la mise à jour des implications du sujet. L'objectivation du poids de l'institution qui pèse sur chacun lui permet de se découvrir.

 

(1) R. Lourau, "études historiques sur la contre-pédagogie", in R. Lourau: analyse institutionnelle et éducation, Pratiques de formation n°40, nov. 2000.

(2)  Christine Delory-Momberger, voir bibliographie.

(3) Daumal ou le retour à soi, Paris, L'originel, 1981, 301 pages.

(4)  René Daumal, Le Mont analogue, Paris, Gallimard, 1981, p. 39.

(5)  René Daumal, Les pouvoirs de la parole, Paris, Gallimard, 1972, p. 12.

(6)  René Daumal, Le Mont analogue, Paris, Gallimard, 1981, p. 38.

 

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11 avril 2012 3 11 /04 /avril /2012 10:18

Congruence

 

En éducation, en thérapie, dans les métiers de la santé, une question importante est celle de la congruence. Être congruent, c'est travailler à mettre en adéquation sa théorie avec sa pratique. L'institutionnaliste recherche la congruence; c'est une quête bien difficile. Le terme nous vient de Carl Rogers qui est le premier à faire une vraie théorie de ce concept.

 

On se souvient que Jean-Jacques Rousseau fit le choix de mettre ses enfants à l'assistance publique, pour se consacrer à l'écriture d'un traité d'éducation: L'Emile. On dira qu'une telle attitude est incongrue. Cette contradiction pratique ne semble pas déranger le philosophe. D'ailleurs, à sa suite, un autre philosophe (allemand) se demande: Demande-t-on à un poteau indicateur de prendre le chemin qu'il indique! De nombreux philosophes, en Allemagne comme en France, ont travaillé à créer un style esthétique, caractérisé par la fascination de l'incongru.          

 

Les théoriciens de la logique organisationnelle (Taylor, Fayol, Lénine) se sont appuyés sur un modèle d'organisation militaire de l'entreprise. Napoléon, leur référence, avait déjà développé une critique de l'inefficacité de certains groupes d'action, comme les pompiers, par exemple. A l'occasion d'un incendie dans une ambassade qui avait causé une centaine de morts de personnalités de l'Europe entière, Napoléon avait remarqué que, faute d'organisation et de discipline, les pompiers arrivaient souvent pour ramasser les morts, après que le feu se soit éteint de lui-même. Pour dépasser cette contradiction, il avait organisé le corps des pompiers sur le modèle de l'armée. Dans ce modèle, la seule congruence que l'on demande, c'est d'obéir. La cohérence de l'action est concentrée sur le chef qui domine la pyramide organisationnelle. La congruence n'est plus alors une question individuelle, mais une affaire de collectif. La mission d'éteindre le feu est assurée, lorsque le groupe des pompiers éteint effectivement le feu. Dans cette logique, on peut concevoir des chefs qui donnent des instructions qu'ils ne s'appliquent pas à eux-mêmes.

 

Un adolescent, animant une grève de la faim à l'intérieur d'un établissement secondaire où il était interne, eut la surprise de voir un des co-responsables de l'action l'inviter (pendant la récréation) à partager un sandwich avec lui. "Mais, ne faisons-nous pas une grève de la faim?", demande l'adolescent. Son ami lui répondit calmement: "La grève de la faim, c'est le collectif qui la fait. Nous, nous animons l'action. Il faut que nous ayons le ventre bien rempli pour guider nos camarades à aller jusqu'au bout!". Cette position est un peu celle du Voltaire athée, estimant que la religion est une excellente chose pour ceux qui n'ont rien.

 

Le modèle organisationnel déresponsabilise les personnes et les groupes à l'intérieur de l'entreprise. Dans les années 1920, des chercheurs ont montré que la productivité de l'entreprise augmentait lorsqu'on faisait confiance aux ateliers, en tant que collectifs. À partir de Mayo (1), Moreno, Lewin, Rogers, tout un mouvement met au jour l'identité des groupes et leur capacité à passer du statut de groupe objet (objectivation de l'organisation) au statut de groupe sujet (voir transversalité). Participant à cette mouvance, Carl Rogers appelle à la congruence à tous les niveaux de l'organisation.

 

Cependant, le thème d'une recherche de cohérence entre la théorie et la pratique était présent bien avant ce mouvement des groupes. C'est un thème "romantique". Ce sont les membres de la communauté romantique d'Iéna (autour de l’Athenaum, 1799-1801), avec les frères Schlegel, Novalis, Schleiermacher, Schelling, etc. qui ont voulu changer la vie du groupe en même temps qu'il produisait une œuvre philosophique qui se voulait révolution esthétique. Ils nommèrent "symphilosophique", leur travail, décidant d'écrire ensemble des fragments d'œuvres qu'ils publièrent sans nom d'auteur. Au XIX siècle, chez les socialistes utopistes (Fourier, Proud'hon, Cabet et quelques autres), ce thème fut relayé. Ils voulurent faire la Révolution, mais en changeant, dans le quotidien, les pratiques de tous les jours. Malgré certaines expériences audacieuses, cet objectif fut loin d'être atteint.

 

Il faudra donc attendre le XX siècle, pour que rechercher une cohérence, ou au moins tendre vers une harmonie, ou encore uneadéquation entre théorie et pratique soit au cœur de la pensée éducative de certains mouvements pédagogiques, mais aussi psychothérapiques. L'observation des enfants permet de remarquer que le jeune enfant aime que ses parents, ou les adultes avec qui il vit, ne soient pas en contradiction pratique avec les principes qu'ils veulent leur inculquer. Pour un jeune, le discours doit être en relation avec la pratique quotidienne. Pour l'enseignant de petite classe, c'est aussi important de travailler la congruence du propos et des actes.

 

Ce principe de congruence vaut également en matière de formation d'enseignants ou d'éducateurs. Miguel Zabalza, professeur à Saint-Jacques de Compostelle, a montré que les enseignants ont tendance à reproduire, dans leurs classes, les pratiques qu'ils ont eux-mêmes vécues, au cours de leur formation, à l'intérieur de la classe. M. Zabalza insiste sur le fait qu'en formation d'adultes, il est donc extrêmement important, dans une logique de transmission, de travailler sur la forme du travail pédagogique, autant que sur le contenu.

 

L'enseignant ou le formateur vivent des dilemmes. Le tiraillement entre congruence et non congruence est l'un des dilemmes de l'enseignant. Un formateur de groupe de jeunes peut-il s'autoriser à lire un polycopié hermétique, donnant l'impression qu'il ne comprend pas ce qu'il lit? Non. Pourtant, nous avons pu observer cette situation à l'université.

 

L'un des grands apports de la psychothérapie institutionnelle a été de montrer que si l'on veut soigner le malade mental, il faut lutter contre les dispositifs pathogènes à l'intérieur même de l'hôpital: "Il faut soigner l'institution de soin", dira François Tosquelles dans les années 1950. Cette posture se complète de celle de Célestin Freinet, et des pédagogues institutionnalistes, qui disent: "Ne parlons que de choses que nous avons faites". En effet, la relation de soin ou la relation pédagogique doivent d'abord s'inscrire dans des dynamiques de groupe ou d'établissement "soignantes " ou " pédagogiques ". Mais pour parvenir à cette congruence, il faut que ceux qui donnent des leçons, ou ont la responsabilité de former d'autres professionnels, etc., aient eux-mêmes été confrontés à la situation difficile qui consiste à gérer le dilemme de la cohérence de posture entre théorie et pratique.

 

L'anthropologue institutionnaliste Gérard Althabe (1932-2004) a cherché une congruence entre ce qu'il était, et sa manière de fonctionner sur le terrain : il se voulait un anthropologue impliqué. Pour lui, sur le plan conceptuel, la question de la congruence tournait autour de la théorie de l'implication. Comment est-on impliqué par les gens que l'on rencontre en Afrique, lorsqu'on est anthropologue, et sur lesquels on est censé enquêter? Que produit cette implication? Que peut produire la congruence sur le plan conceptuel? Gérard Althabe s'est fortement démarqué des courants dominants (Lévi-Strauss, les marxistes althussériens, notamment) qu'il évaluait comme non congruents par rapport aux terrains (cf. Ailleurs, ici).

 

(1) Mayo (Elton), The social Problems of an Industrial Civilization, Boston, 1945.

 

Mis en ligne par Benyounès et Bernadette Bellagnech

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10 avril 2012 2 10 /04 /avril /2012 14:50

Analyse interne

 

Le travail de théorisation de l'analyse interne est resté une des caractéristiques de toute une équipe du département des sciences de l'éducation de l'université de Paris VIII, qui a travaillé autour de G. Lapassade. On voit émerger ce groupe en janvier 1980. On retrouve ce groupe dans le numéro 9 de Pratiques de formation, sorti en 1985 et consacré aux journaux puis dans diverses publications. Parmi les chercheurs qui émergent de cette mouvance autour de G. Lapassade, il faut mentionner : A. Coulon qui s'orientera sur la voie de l'ethnométhodologie puis de l'interactionnisme, Patrick Boumard qui théorisera les liens entre analyse interne et analyse institutionnelle dans Les savants de l'intérieur. Ce livre s'appuie sur l'ethnographie de l'école anglaise et américaine. Il parait après L'Université en transe qui peut être vu comme un manifeste pratique de cette équipe. Le Lycée au jour le jour, de Remi Hess qui paraît en 1989 est une analyse interne conduite en 1982-83 dans un lycée de la banlieue parisienne. Une première version dactylographiée de cette intervention, diffusée à Paris 8, suscita Le journal de la réforme des DEUG de G. Lapassade (inédit, 1984). Ce dernier texte paraîtra prochainement. Il suit la mise en place d'une réforme à Paris 8.

 

Analyseur

 

Les analyseurs sont des événements qui surgissent naturellement : révolutions, mouvements sociaux, petits incidents et qui obligent à comprendre comment fonctionne le système institutionnel. L'analyseur peut aussi être construit par l'intervenant sur le terrain de la socianalyse (AI en situation d'intervention). Le travail d'analyse consiste à expliciter ce qu'expriment les analyseurs. Il peut être naturel: une révolution fonctionne toujours comme analyseur sociétal: "Certains événement historiques fonctionnant comme des analyseurs permettent de décrypter l'ensemble du système social et de l'analyser" (cf. G. Lapassade, "un analyseur historique", La commune de Paris in Autogestion et socialisme n°15, Paris, Anthropos, 1971, pp. 27-30); dans ce même numéro: R. Lourau "La Commune: un laboratoire historique" (5-18).

 

Autogestion

 

L'AI a été en relation très étroite avec la réflexion sur l'autogestion. G. Lapassade a coordonné un ouvrage sur l'autogestion pédagogique (1971). Dans les années 1966-84, les Institutionnalistes travaillaient en relation avec d'autres courants politiques de gauche dans la revue Autogestion (Anthropos). "Peut-on concevoir des formes de vie sociales dans lesquelles fonctionnent une transparence des processus de pouvoir?", a été une question centrale de l’élaboration théorique de l'Ai. Les résistances à l'autogestion (dans la classe, dans l'assemblée générale par exemple) font l'objet d'un travail d'élaboration théorique. R. Hess, G. Lapassade, P. Ville continuent à enseigner et à pratiquer l'autogestion pédagogique à Paris 8, théorisée par R. Fonvieille, R. Lourau, etc. L'autogestion  pédagogique,  dans  le  prolongement  de   la pédagogie institutionnelle, peut être considérée comme un courant de l'éducation nouvelle, qui trouve en J. Korczak un précurseur.

 

Champ d'intervention, champ d'analyse, champ de cohérence

 

R. Lourau a montré dès 1972 (1) que le sociologue institutionnaliste dissocie son champ d'intervention (le plus souvent un objet microsociologique) du champ d'analyse qui est beaucoup plus large et peut toucher tous les niveaux de la société, voire du mondial. Dans l'objet le plus périphérique se réfracte toute la centralité (et réciproquement). "L'objet même de l'analyse qui accompagne l'action n'est pas davantage "micro" que "macro" social: il est tout autre. Cet objet, c'est le rapport d'implication qui relie l'agent à son champ d'intervention et, à travers ce champ réduit, à l'ensemble du champ social qui, de toute manière, constitue son champ d'analyse" (p. 178). Et plus loin: "Dans l'action sociale, le champ d'analyse, l'outil de décryptage de tout ce qui se passe hic et nunc, c'est l'ensemble des déterminations globales agissant sur les lieux." (p. 179).

 

R. Lourau élargit ensuite l'utilisation de la notion de champ. Il parlera de champ de représentation (Implication/transduction, p. 45), mais surtout, à la suite de sa découverte de Ravatin (Théorie des champs de cohérence, Nîmes, Lacour éd., 1992), de "champ de cohérence" (C de C). Le champ de cohérence, c'est la problématique, ce qui unifie les recherches d'une personne. Ainsi R. Lourau parle de "l'attraction universelle", comme champ de cohérence de Fourier (Implication/transduction, p. 47). Le C de C constitue donc un continuum (Ibid., p. 49). R. Lourau constate chez les chercheurs la possibilité d'une juxtaposition de deux (au moins) champs de cohérence. L'un peut s'inscrire dans une logique hypothético-déductive, l'autre dans une topique onirique, constituant ainsi un continuum onirique (cf. Implication/transduction, p. 60-62; et Le rêver, conclusion). R. Lourau écrit: "Mes variations servent davantage à balayer le vieil héritage de la logique aristotélicienne qu'à instituer définitivement, de pied en cap, un nouveau C de C " (p. 63). Et p. 64: "L'analyse de nos implications dans nos pratiques est la condition irréductible pour la reconnaissance de l'autre C de C. L'image projective d'un futur champ unifié existe déjà dans l'approche transductive des analyses de l'implication comme continuum, robe sans couture de notre réalité existentielle, de notre expérience, de notre survie."

 

(1) R. Lourau, "Travailleurs du négatif, unissez-vous!", in F et F. Basaglia, Les criminels de paix, Einaudi, 1973, trad. fr. PUF, 1980, pp. 178, 179,182, 185.

 

Mis en ligne par Benyounès et Bernadette Bellagnech

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