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  • : Le blog de Benyounès Bellagnech
  • : Analyse institutionnelle : Théorie et pratique au sein des institutions politiques, éducatives et de recherche. L'implication des individus et des groupes dans la vie politique et sociale.
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14 juin 2012 4 14 /06 /juin /2012 10:21

Augustin : Avant de continuer, je voudrais savoir la place que tu donnes aux IrrAiductibles. Comment situes-tu cette revue dans ce mouvement ?

 

Remi : Dans le catalogue, le premier catalogue des PUSG sorti hier, nous ne parlons pas des IrrAIductibles. En même temps, tu as pris connaissance de la lettre que j’ai envoyé à Jean Ferreux, directeur de Téraède, qui se proposait de publier notre revue. Je lui explique que la vocation des Irraiductibles sera de s’installer aux PUSG. La question a été débattue assez longuement par le comité de rédaction des IrrAIductibles depuis février. En effet, nous avons une vraie amitié pour Jean Ferreux et la maison Téraède qui publie des ouvrages proches de notre sensibilité. C’est la maison la plus proche de ce que nous voulons faire. J’ai moi-même publié quatre livres chez Jean. C’est lui qui avait trouvé le titre de notre revue en 2002.

 

Les PUSG vont reprendre un projet de 2001 qui voulait que notre mouvement publie 4 revues : une revue d’analyse institutionnelle. Elle a existé. Ce sont les IrrAIductibles, revue planétaire et interculturelle, qui publièrent 6000 pages entre 2002 et 2008. Nous allons faire un numéro 15 en juin, puis nous aurons une périodicité régulière à partir de septembre. Les autres revues que nous projetions étaient complémentaires des IrrAIductibles.

 

Il y avait, animée par Jacques Demorgon, La revue interculturelle. Ce projet s’inscrivait dans le prolongement du colloque annuel que nous organisions à Paris 8 sur le thème Pédagogues sans frontières, qui a rassemblé jusqu’à 200 personnes durant 5 jours au mois de juin. Cette revue mérite de voir le jour. Dans quelles formes ? C’est à réfléchir. Ce qui est sûr, c’est que sur ce thème-là, nous avons beaucoup produit et que nous avons très peu publié d’articles, même si nous avons fait de vraies collections sur ce thème. L’existence d’une revue interculturelle m’apparaît comme nécessaire.

 

La troisième revue serait une revue de pédagogie. En 2002, quand on en parlait, on l’intitulait L’Autogestion pédagogique. Là encore, ce sujet pourrait alimenter pas mal d’initiatives. Thierry Ducrot vient de publier un ouvrage sur ce thème à la Chronique sociale. C’est une réécriture de son master, soutenu sous ma direction.

 

La quatrième revue devait s’appeler Attractions passionnelles, une revue d’amour et de poésie. Un comité de rédaction s’était constitué et avait produit une liste de 34 numéros à produire. Cette revue, animée par Charlotte Hess et Valentin Schaepelynck, mais aussi Audrey, Liz Claire (devenue depuis chargée de recherche au CNRS), et quelques autres, s’est transformée en émission de radio. La revue pourrait aussi avoir une forme écrite. Tu vois donc qu’il y a une sorte de complémentarité entre tous ces thèmes. Je ferai ce que je peux pour relancer ces idées, car je pense qu’une maison d’édition qui se lance vraiment a intérêt à fédérer des collectifs complémentaires. Les revues organisent des collectifs. Dans ma perspective, une maison d’édition, c’est un carrefour de transversalités et de groupes.

 

 

Augustin : En t’écoutant, je suis pris par un vertige de tout ce qui va arriver, par tout ce mouvement, toute cette aventure collective dans laquelle nous sommes tous embarqués. Il y a aussi ce que tu n’as jamais cessé de reprendre à ton compte de la pensée de Charles Fourier ou d’Etienne Cabet, les socialistes utopistes du XIX° siècle. Chez eux, la communauté était un moteur essentiel de la dynamique sociale.  Nous sommes en train de toucher du doigt l’expérience de Fourier en développant la dimension de l’édition et de l’université. Une institution est en train de se créer. Je me dis que c’est une manière de répondre à tous ceux qui on critiqué les institutionnalistes, en disant qu’ils critiquent l’institution, mais n’ont jamais fait l’expérience d’institution. En créant une vraie institution avec statuts et contraintes, tu montres que l’on peut vivre l’institution en gardant la légèreté de l’être, qui t’est si chère. Il s’agit de concilier l’aventure et la réalité. Le fait que l’assemblée générale des actionnaires de votre entreprise prenne une jeune étudiante comme PDG de cette maison est la marque que vous reproduisez ce que tu as pu vivre avec G. Lapassade dans les années 1970. Cette aventure est très belle et, je le répète, donne le vertige. On rejoint l’homme et son œuvre. Remi a un nouveau travail qui va lui prendre plus de trente-cinq heures par semaine. Qu’est-ce que les PUSG vont apporter aux sciences de l’éducation et plus largement aux questions éducatives, puisque tu restes un chercheur en sciences de l’éducation, n’est-ce pas ? Comment vois-tu l’avenir ?

 

Remi : L’éducation est certainement le fondement de notre projet, une éducation pour tous, tout au long de la vie. Cependant, pour moi, je ne me suis jamais restreint à une discipline universitaire. J’ai étudié la philosophie, la sociologie, le droit, l’économie, l’histoire, la psychopédagogie. Les sciences de l’éducation comptent beaucoup pour moi. J’ai dirigé chez Armand Colin la Bibliothèque européenne des sciences de l’éducation, puis la collection Formation des enseignants au moment de la création des IUFM, mais il ne faut pas oublier la suite : la collection Exploration et interculturelle et sciences sociale, la collection Ethnosociologie, la collection  Anthropologie, la collection Anthropologie de la danse. C’est-à-dire que le découpage et la réduction des disciplines universitaires ne correspondent pas au projet des PUSG qui vont développer des recherches impliquées en histoire régionale ou autres. Rien de ce qui est humain ne nous est étranger. Les disciplines peuvent aider à approcher des objets, mais il faut en convoquer plusieurs pour aborder le réel que nous vivons. En fait, doivent concourir à l’éducation toutes les formes impliquées des sciences humaines ou sociales.

 

Je profite de cette question pour annoncer la création prochaine d’une collection Figures que j’avais envie de nommer La galerie des hommes utiles, titre d’une collection lancée par les Le Playsiens au XIX° siècle. J’envisage une série femmes et une série hommes. J’écrirai moi-même le Joachim de Flore et le Le Play. Ce seront des livres de 150 pages qui présenteront un personnage qui a joué un rôle important dans le changement social de son temps. On y retrouvera des théologiens, des philosophes, des travailleurs sociaux, des anthropologues, des éducateurs, des politiques et praticiens du développement social. Cette idée de collection, je voulais la réaliser aux Presses Universitaires de Vincennes, mais du fait de l’archaïsme de notre gouvernance, cela n’a pas marché ! Car si, dans mon expérience d’éditeur, il y a eu 12 collections qui ont fonctionné sous ma direction, il y a eu aussi de gros projets comme Figures ou Philosophies (projet sur lequel nous avons travaillé deux ans avec Gabrielle Weigand), et qui n’ont pas abouti pour des raisons différentes dans chaque cas.

 

L’avantage d’avoir une jeune femme de 23 ans comme PDG d’une entreprise, c’est son ouverture au neuf. Elle peut entendre mes propositions et voir leur utilité sociale, étant elle-même étudiante impliquée, ayant quelques résistances à lire ces ouvrages universitaires qui manquent trop souvent la prise en compte nécessaire du lecteur par les auteurs. Dans une maison d’édition, on part d’abord des idées du patron, c’est lui le véritable auteur aujourd’hui. Celui qui a l’argent, on lui attribue le pouvoir. On lui fait même croire qu’il a de bonnes idées ! Ensuite, il y a les idées des directeurs de collection ou des auteurs. Pratiquement jamais on ne ressent le besoin de donner une place aux lecteurs. Nous sommes de vrais pédagogues. Nous pratiquons l’improvisation pédagogique, c’est-à-dire que nous construisons nos cours en tenant compte des personnes que nous avons en face de nous. Nous aimons mettre à la disposition de nos étudiants des textes non seulement qu’ils peuvent comprendre, mais en plus qui les mettent en action, qui les aident à agir. Puisque notre public est constitué de personnes déjà engagées dans la vie sociale en France ou à l’étranger, il faut écouter notre public !

 

Augustin : En t’écoutant, je repense à une formule d’Erasme : « Ma patrie, c’est là où je me sens bien ! ». Dans le cadre de cette description de ton atelier, c’est notre troisième entretien. On y trouve à la fois de la nostalgie, et une projection sur le futur.  Les projets sont là. Il y a même de nouveaux projets qui émergent dans la dynamique même de cet entretien (Figures). Cet échange est pour moi un moment très fort. Moi, qui suis un lecteur nécessaire de ton œuvre, moi, qui me bats pour mettre cette œuvre à la portée des étudiants, je connais l’homme. Remi, tu présentes plusieurs facettes. Remi, c’est à la fois l’imprévisible, l’aventurier, le stratège. Il nous reste surtout cette capacité spécifique que tu as à rebondir, de saisir le présent dans le moment. Est-ce qu’aujourd’hui, R. Hess est devenu un sage ? Dans un contexte tendu où tu viens de vivre des difficultés à l’Institut catholique, où tu découvres qu’une cousine t’a dénoncé auprès de ton employeur comme un mauvais chrétien, où tu as à faire face à des incompréhensions bureaucratiques… tu rebondis ! Tu rebondis constamment. A ton âge, d’autres pensent à leur retraite. Toi, où es-tu ?

 

Remi : Ta citation d’Erasme me fait sourire. Un long compte-rendu paru en 1981 dans la revue Connexions, à propos de mon livre Le temps des médiateurs, le socianalyste dans le travail social, l’auteur disait en conclusion : « Finalement, la socianalyse, c’est ce que fait R. Hess là où il est ! ». C’était un peu ironique, mais c’est vrai que beaucoup de situations que nous vivons sont des analyseurs et qu’il faut les vivre comme tels ! Il faut écrire son journal pour prendre la mesure de ce que nous sommes par rapport à d’autres. Marc-Antoine disait que lorsqu’on croise un ivrogne vomissant sur le trottoir, il faut l’observer et écrire ce que l’on avait vu dans ses carnets. Selon lui, il y a à tirer des gens de bien, mais davantage encore des « méchants », des « vicieux ». Selon lui, décrire l’ivrogne nous invite à avoir un rapport contrôlé à l’alcool. Pour lui, on ne peut pas concentrer toutes ses observations sur les héros. Il faut être attentif aux situations de crise, à tous les tordus qui nous entourent. Compte-tenu du fait qu’un de mes oncles a été dénoncé à la Gestapo et déporté, je ne pensais pas que la délation puisse être une pratique familiale. Elle l’est ! Il faut penser à partir de là. C’est ce que je tente de faire dans mon journal Le moment de l’épreuve. Comment surmonter l’épreuve ? C’est en partant de l’épreuve que l’on peut explorer des possibles ! Ma devise d’enfant était « Quelque soit l’obstacle ! ». Longtemps, j’ai été coureur de haies. Il me fallait passer, quoiqu’il arrive, quitte à renverser l’obstacle. Aujourd’hui, je contourne les obstacles. J’essaie de ne plus rentrer dedans.

 

En fait, sur le long terme, je crois que je suis des fils rouges qui ne sont pas inscrits dans la temporalité bureaucratique. En prendre conscience me permet de me construire en dehors des identifications institutionnelles. Je travaille à la fac de Paris 8, c’est certain. J’ai cru que je pourrais être utile à Catho, où j’espérais mettre en place un doctorat à distance, une chose impossible à Paris 8, du fait du conservatisme de la gouvernance. Finalement, ce n’est pas possible non plus à la Catho où la doyenne a pris ombrage de ce chantier, où les éléments réactionnaires de ma famille ne m’y voient pas à ma place... Pour eux, il faut aller à la messe le dimanche pour enseigner la philosophie ! Je ne suis pas sûr qu’ils aient raison. Mais, c’est ainsi. Il y a des personnes qui vivent encore au temps du Père (les soldats qui voient le monde à travers le filtre binaire : les alliés et les ennemis), d’autres sont déjà au temps du Fils (comme les moines du XII° siècle, ils développent les métiers). Moi, je crois avoir eu la chance d’accéder au temps de l’Esprit (celui de l’amour et de la création artistique). C’est une chance pour moi, mais je ne veux pas scandaliser. Dans notre société, il y a plusieurs demeures dans la Maison du Père ! Du coup, pour prendre une expression de mon père, je me dis : « Bien faire et laisser braire ! ». Donc, je déserte les terres archaïques, et je crée ma propre université, avec ses services : notamment les Presses.

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13 juin 2012 3 13 /06 /juin /2012 15:55

Augustin Mutuale

 

Du Journal des moments

à la relance des Presses Universitaires de Sainte Gemme

 

Entretien du 12 mai 2012 avec Remi Hess

 

 

Augustin Mutuale : Nous venons de vivre trois mois d’une expérience d’écriture collective sur ton œuvre. J’aimerai savoir quelles ont été les conséquences de cette expérience pour toi et pour notre communauté de recherche.

 

Remi Hess : Merci de me poser cette question. En fait, je me suis aperçu que je ne relisais qu’assez rarement mes journaux, et de toute façon, jamais dans une volonté d’appropriation de la totalité de ce Journal des moments. En temps ordinaire, je travaille autour de quelques thèmes qui occupent tout mon esprit pendant un certain temps, excepté la tenue de journaux que je tiens systématiquement sur des terrains bien délimités comme mon journal de la maison, mon journal du jardin, mon journal pédagogique ou de danse que je tiens sur la très longue durée. Donc, je relis un carnet ou un type de carnets dans une époque particulière, dans un contexte réflexif singulier. En conséquence, j’oublie des pans entiers de ces traces journalières déposées à d’autres époques ou sur des thèmes qui ne sont plus dans le présent du moment d’aujourd’hui.

 

Pour répondre à ta question, le premier effet du chantier que tu as lancé a été de m’obliger à regarder le Journal des moments, du point de vue de la totalité, de l’universel. J’ai du me représenter une sorte de cartographie des journaux tenus depuis 1964. Il y a la profondeur du champ, presque 50 ans, et aussi une évaluation de la surface des moments que je n’avais pas vraiment faite, même si depuis quelques années, je ressentais le besoin de produire une liste des journaux tenus que j’ai pu intituler Plan pour une édition du journal des moments. Une première version a été publiée dans L’accompagnement d’une mère en fin de vie. Ce travail de construction d’un plan avait déjà été suscité par des chantiers réflexifs antérieurs.

 

En fait, pour ne prendre qu’un exemple, à ta demande, Anne-Valérie Revel a voulu lire le journal que j’ai tenu à la mort de René Lourau. Je savais qu’il existait, mais je ne l’avais relu ces huit dernières années. En lisant ce texte, ton étudiante envoie un texte pour dire que ce journal lui parle. Du coup, je me replonge dedans. Je le trouve riche effectivement, surtout avec le recul du temps. Dans ce journal, j’évoque le journal de Georges Lapassade, La Souillarde, qui a été écrit à la même époque (années 2000 et 2001). Je devais le publier en 2008 au moment où les Presses Universitaires de Sainte Gemme (PUSG) ont dû arrêter la collection Moment du journal et journal des moments, puisque l’imprimerie avec laquelle nous travaillions fermait ses portes. En plus, cela arrivait au moment de la mort de G. Lapassade. Donc, tout un chantier qui avait été lancé par Véronique Dupont en 2004 s’était trouvé bloqué. Entre 2008 et 2012, d’autres chantiers se sont ainsi endormis, comme la revue des IrrAIductibles.

 

Le réveil des IrrAIductibles a précédé de peu ton initiative. C’est en octobre 2011 qu’un collectif se recrée autour de cette revue pour la ressusciter. Une réunion hebdomadaire du comité rassemble une douzaine de personne : elle est très vivante. Camille qui assurait le secrétariat des IrrAiductibles se met alors à taper mes journaux récents. Tu as pris connaissance de certains textes numérisés qui ont commencé à circuler. Du coup, ton idée de livre est devenue un facteur de relance d’un processus déjà conçu il y a dix ans.

 

Je pourrais prendre un autre exemple pour montrer comment le commentaire d’un tiers amplifie mon œuvre, à mes propres yeux. Tu as donné à lire Les jambes lourdes à Yann Strauss. En même temps, tu as regardé ce texte. Tu as attiré mon attention dessus. Je l’ai relu. Et finalement, je vais le publier. Donc, tous ces journaux qui ont été lus, ensemble, par trente cinq étudiants ont provoqué pour moi, mais aussi pour notre communauté de référence, une prise de conscience sur le chantier du Journal des moments. Et comme ces carnets, ces journaux sont intrinsèquement liés à d’autres journaux comme ceux de G. Lapassade, comme les tiens ou ceux des étudiants de l’époque où ils ont été écrits (Pascal Nicolas-Le Strat en 1992-93, Kareen Illiade en 2003, etc.), c’est toute la production de journaux, au moins depuis 1992, qui se trouve revisitée. Le commentaire amplifie l’œuvre de notre Ecole.

 

Evidemment, un bonheur n’arrivant jamais seul, il y a, dans ce contexte, la renaissance des Presses Universitaires de Sainte Gemme.

 

 

Augustin : Tu parles de l’effet de cette écriture collective. Peux-tu dire ce que cette expérience apporte au renouvellement du chantier des PUSG, dans ce moment de relance d’un processus lancé il y a dix ans ? J’ai l’impression que nous sommes parvenus à un moment de maturité de la création collective. Ce que tu as vécu avec R. Lourau et G. Lapassade a été une expérience décisive pour toi. Ces aventures furent aussi des moments forts de l’existence de notre mouvement institutionnaliste. Aujourd’hui, n’assistons-nous pas à un revival de cette expérience où les différents chantiers convergent, se rejoignent ? Dans le catalogue des PUSG que j’ai entre les mains, je compte 16 collections qui seront lancées le 1er juin aux Presses Universitaires de Sainte Gemme. Et les IrrAIductibles ? Auront-ils leur place dans cette entreprise ? N’est-ce pas aux PUSG qu’il faut les éditer ? Nous aurions une revue. Sa place est dans cette maison. Qu’est-ce que cela te fait de voir tout cela, toi qui as débuté avec R. Lourau et G. Lapassade ? La traversée du désert est finie. Un vrai élan se retrouve ! Qu’est-ce que représente pour toi les PUSG à l’aube de tes 65 ans ?

 

Remi : Un des journal que j’ai tenu depuis 2000, peut-être même avant, c’est mon Journal d’éditeur. J’ai créé ma première collection chez Anthropos en 1981. Elle n’a eu qu’un titre car, après 15 ans d’activité intense, le patron a déposé son bilan. J’ai attendu 1988 pour repartir chez Méridiens Klincsieck puis chez Armand Colin. Dans ces deux maisons, j’ai fait une centaine de livres. En 1996, j’ai été de nouveau sollicité chez Anthropos qui été relancé par le directeur d’Economica qui avait racheté l’entreprise qui avait errée quinze ans. On m’a demandé d’y relancer le secteur « sciences humaines et sociales ». J’y ai associé Lucette. Elle a créé la collection « Education ». Ensemble, nous avons fait « Exploration interculturelle et sciences sociales ». Moi-même, j’ai développé « Ethnosociologie », « Anthropologie », « Anthropologie de la danse ». Dans ces collections, avec Lucette, nous avons fait 200 livres. Ce fut une aventure importante pendant douze années. J’ai aussi créé des collections chez Téraède, chez Petra. Dans ces entreprises, plusieurs anciens étudiants se sont impliqués. Ces anciens étudiants ont ainsi été initiés à ce métier de directeur de collections à mon contact. Ahmed Lamihi, Christine Delory, toi-même, Valentin Schaepelynck se sont lancés dans l’animation de collections. En 2004, les Presses Universitaires de Sainte Gemme étaient pour moi une tentative d’éditer des livres impliqués qui n’étaient accueillis chez mes éditeurs antérieurs. En fait, une collection se crée quand on ne trouve pas ailleurs de lieu pour éditer un certain nombre d’ouvrages autour d’un thème nouveau. Les PUSG se sont données comme paradigme l’écriture impliquée. Evidemment, mon Journal des moments y avait sa place, et quand je dis « mon », je devrais dire « notre », puisque c’est une caractéristique du mouvement de l’AI que d’avoir produit des textes impliqués. R. Fonvieille, M. Lobrot, R. Lourau, G. Lapassade ont ouvert une voie. Je me suis engouffré dans cette direction, d’autant plus volontiers que j’étais l’héritier d’une tradition familiale d’écrits biographiques.

 

Le hasard a fait que je rencontre en 2012 Marc Bourgain, un imprimeur habitant Sainte Gemme, connaissant le travail accompli par Véronique et moi entre 2004 et 2008 et souhaitant le prolonger. Les choses ont été très vite, puisqu’entre janvier et mai 2012, une vingtaine d’ouvrages ont été conçus et seront édités le 1er juin, lorsque les statuts de l’entreprise seront acceptés par le Tribunal de commerce de Reims.

 

Nous nous trouvons ainsi devenir virtuellement la première maison d’édition en Champagne-Ardennes, puisque les autres éditeurs champenois ne sortent pas plus de cinq livres par an. Nous, nous sortirons vraisemblablement vingt livres par trimestre. Cela est facilité par le fait qu’en tant que directeur de collection, Lucette, vous, moi, nous nous sommes faits une carte de relations. Nous avons 300 auteurs dans nos catalogues. Je suis heureux que le paradigme de l’AI, le paradigme de la construction de l’expérience, de l’éducation tout au long de la vie se trouvent ainsi installés dans une maison régionale, mais à vocation nationale ou même internationale (dès les premiers titres, nous aurons des auteurs de plusieurs pays). Nous allons d’ailleurs déposer, parallèlement aux statuts de notre société anonyme, les statuts associatifs de l’Université de Sainte Gemme qui aura la vocation de susciter et de développer des recherches et de concevoir des animations culturelles régionales, mais aussi des chantiers internationaux. Jusqu’à maintenant, ces choses ont fonctionné pendant quinze ans dans l’informel. Aujourd’hui, nous instituons les choses pour passer d’un tâtonnement artisanal à un niveau de production industrielle. Nous avons le soutien d’une équipe d’experts en gestion.

 

A quelques temps de la retraite, je me vois ainsi devoir me reconvertir dans le rôle d’aide à la publication de jeunes chercheurs. Effectivement, c’est la fonction qu’a jouée G. Lapassade pour moi, en 1971. Cette année-là, il m’a demandé de participer à un livre qu’il concevait (L’analyseur et l’analyste). J’y ai publié deux chapitres et l’avant-propos. Je n’avais que 24 ans. Ensuite, nous avons travaillé en équipe, et comme le dit l’auteur de l’article sur le moment G. Lapassade, il y a eu beaucoup de productions communes entre 1971 et 2008. Je m’inscris ainsi dans un continuum que vous prolongez déjà.

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12 juin 2012 2 12 /06 /juin /2012 09:50

 

 

Couverture réalisée par l'école des Beaux-Arts de Tétouan

pour le livre d'entretien de Georges Lapassade avec Ahmed Lamihi

 

à paraître au Maroc en septembre 2012

 

Nouvelle image

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11 juin 2012 1 11 /06 /juin /2012 15:14

CHAPITRE 10

 

Analyse institutionnelle et approche interculturelle

 

L'analyse institutionnelle, école théorique née en France, mais qui a eu des prolongements et des développements sur les cinq continents, s'est fondée comme microsociologie en 1965, lorsque Georges Lapassade a publié la première édition de Groupe, organisation, institution (1). À partir de la publication de cet ouvrage, G. Lapassade et ses disciples ont toujours pratiqué la microsociologie, sous différentes appellations (2). Cependant, cette pratique de la psychosociologie des groupes et des institutions s'est doublée, assez souvent, chez les institutionnalistes d'une autre forme de recherche qui, très souvent, les a engagés sur la question de la relativité des cultures, et de l'exploration interculturelle, et d'un engagement dans une forme d'ethnographie des cultures (3). Nous ferons, ici, une hypothèse : cette ouverture à l'Autre culture s'enracine dans un déracinement fondateur dans la culture d'origine, rendant l'appartenance identitaire d'origine fragile ou tout au moins questionnée.

 

L'interculturel

 

Précisons d'abord que l'interculturel est une notion vague. Nous faisons le choix de prendre cette notion dans son extension et sa compréhension maximales. Nous conviendrons que la rencontre interculturelle comprendra donc aussi bien les relations entre les cultures nationales ou ethniques, les relations entre les classes sociales, les confrontations entre disciplines, les métiers, toutes les appartenances idéologiques ou organisationnelles qui peuvent conduire à la rencontre de la différence et à la confrontation à l'Autre. Dans l'analyse institutionnelle, on accepte de dire, par exemple, qu'à l'école, il existe une différence entre la culture des professeurs et celle des élèves, ou qu'il existe une différence de cultures entre les genres (hommes/femmes), les générations, etc. Ces différences expliquent que chacun d'entre nous puisse voir une situation institutionnelle, avec un autre regard que les autres membres de l'institution. Expliciter le lieu d'où l'on parle, les appartenances institutionnelles de chacun dans leurs différences, est au fondement de l'analyse institutionnelle. La théorie de l'implication peut être définie comme une reconnaissance de la spécificité du regard de chacun. La mise en commun de ces spécificités qui nous caractérise est un travail interculturel permettant à chacun de se dire, mais aussi de comprendre en quoi son point de vue est particulier. Trop souvent, nous avons tendance à considérer que notre point de vue, notre lecture singulière du monde, est partagée par tous. Cet allant-de-soi peut être nommé «ethnocentrisme». Le travail que les institutionnalistes font pour prendre conscience du côté relatif de leur vision du monde est une forme particulière, mais très riche, de l'exploration interculturelle.

 

(1) Georges Lapassade, Groupe, organisation, institution, 5 éd., Paris, Anthropos, 2006.

(2) G. Lapassade, Microsociologies, Paris, Anthropos, 1996.

(3) Lucette Colin et Remi Hess dirigent une collection "Exploration interculturelle et science sociale" aux éditions Anthropos, qui a publié 50 titres entre 1996 et 2007.

 

Mis en ligne par Benyounès et Bernadette Bellagnech

http://lesanalyseurs.over-blog.org

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10 juin 2012 7 10 /06 /juin /2012 10:29

III). Le moment comme singularisation anthropologique d'un sujet ou d'une société.

Pour définir cette acception, nous devons distinguer le moment de la situation. La situation pose les différents événements qui, matériellement parlant, ont permis un avènement. Ces événements s'organisent par "tâtonnement expérimental" (C. Freinet) et créent un contexte dont l'origine (pourquoi tel moment, telle personne etc.) nous échappe en grande partie, et que nous ne pouvons que constater. La situation est donc la résultante d'une série de conditions qui adviennent, se mettent en place d'elles-mêmes, conditions dont l'origine, le pourquoi et le futur nous échappent. C'est la "sédimentation" de cette série de situations qui, comme au carrefour de lignes de fuite, créent le moment anthropologique. La prise de conscience d'un déjà vécu, dans une situation aux conditions similaires, permet de dénommer et de structurer le moment (moment du travail, moment de la création) et de pouvoir à nouveau l'identifier à partir de ses critères connus, liés aux éléments constituant sa situation. En prenant conscience du moment, on prend également conscience de son épaisseur à la fois dans l'espace (situation) et dans le temps : le retour du moment sous une forme comparable délimite dans le déroulement du temps, différents moments anthropologiques nommés (le moment du repas, le moment de l'amour, le moment du travail, le moment philosophique, le moment de la formation, etc.). Le moment comme "singularisation anthropologie d'un sujet ou d'un groupe social", existe déjà chez Hegel, qui distingue dans la société le moment de la famille, le moment du travail et le moment de l'Etat, mais c'est surtout à Henri Lefebvre que l'on doit un développement et une diversification de cette théorisation.

 

Nous n'avons pas de prise sur l'instant ni sur les situations (imprévisibles) sinon en développant un sens de l'improvisation permettant de faire face à cet imprévu. Par contre, à condition d'être "conscientisé, réfléchi, voulu", le moment, parce qu'il revient, parce qu'il se connaît de mieux en mieux, finit par "s'instituer", se laisse redéployer, déplisser dans une histoire personnelle ou collective. Son auteur lui donne forme, et lui-même donne forme à son auteur. Se former, c'est donner forme et signification à ses moments.

 

La rencontre avec l'autre, la rencontre interculturelle, peut se développer au niveau d'un moment (dimension ethnographique) : on compare par exemple notre moment du repas ou notre moment de l'école, en France et en Allemagne. Mais la rencontre peut aussi se donner comme objet le principe de production et de reproduction des moments de deux sociétés (dimension ethnologique). En situant ces comparaisons culturelles dans un ensemble plus vaste, ou sur le plan historique ou sur le plan géographique, on accède à un niveau encore plus distancé (dimension anthropologique).

 

En formation, Christine Delory-Momberger et Remi Hess ont orienté la pratique des histoires de vie vers une anthropologie des moments du sujet. Dans ce type de chantier, on voit bien comment les différentes instances du concept de moment se ploient et se déploient, dans une constante interaction avec les autres instances. Le moment est le lieu où jouent, dans un mouvement d'ensemble donnant un sentiment d'improvisation, la logique, l'histoire et l'anthropologie, tendant vers, mais refusant l'absolu.

 

On voit donc que la théorie des moments permet de penser à la fois le morcellement du monde ou du sujet, et appelle à un recours à la transduction, qui pour H. Lefebvre est une sorte de dépassement logique des contradictions, et pour Lourau une énergie qui se déploie dans des continua. L'histoire de la conscience, c'est une phénoménologie des moments du sujet, qui réussit à articuler genèse et structure, dans un mouvement d'analyse régressive-progressive, qui prend en compte la dialectique des contraires.

 

Mis en ligne par Benyounès et Bernadette Bellagnech

http://lesanalyseurs.over-blog.org

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9 juin 2012 6 09 /06 /juin /2012 14:44

II) Le moment historique. Pour définir le moment dans l'histoire, nous devons tout d'abord le distinguer de l'instant, temps très bref, instantané.

 

L'instant se pose comme la "révélation", sorte d' "insight". Le "c'est ça" est une forme de cette révélation. L'instant est éphémère (Kierkegaard). Il ne dure qu'un instant. Il n'a lieu qu'une fois. Par opposition, le moment a une consistance temporelle. Par exemple, dans l'histoire de la philosophie, on pourra définir Socrate ou Platon, Saint Augustin, Descartes, etc. (et donc avec eux leurs œuvres) comme des "moments" de la pensée systématique. Dans son histoire de l'économie, K. Marx reprendra ce concept en distinguant des phases, des stades dans l'histoire humaine qui sont les moments de cette histoire. K. Marx distingue les principaux modes de production : l'esclavage, le servage, le salariat, le communisme. Dans le même mouvement, il distingue des phases ou des moments dans le devenir de l'homme : la conception, la naissance, l'enfance, l'âge adulte. Ces différents moments s'interpénétrent logiquement dans la dynamique de vie d'un sujet comme, à une certaine époque historique, la domination d'un mode de production peut voir survivre d'autres moments du travail: il y aura déjà un espace pour le salariat dans une société à dominante féodale, par exemple. Dans ce contexte historique, chez Hegel ou Marx, le moment garde quelque chose du sens logique. L'histoire de l'humanité se développe selon une logique, celle du sens de l'histoire. Mais, dans la genèse historique, on utilisera aussi le terme de moment dans un sens plus limité, en parlant de "moment décisif, par exemple. H. Lefebvre parle de la bataille de Varsovie (1917) comme d'un tel moment. Si Trotski avait gagné cette bataille, le devenir de l'Europe, et du communisme, aurait été autre. Le "moment décisif est une intensité stratégique dans la vie d'une société. En éducation, dans ses écrits pédagogiques, Friedrich Schleiermacher montre que la difficulté de l'école est de mobiliser l'enfant qui vit dans le présent pour travailler à se préparer un avenir. Le moment présent lutte contre le moment à venir. "Dans chaque moment pédagogique, on produira donc toujours quelque chose que l'enfant ne veut pas. Chaque moment précisément pédagogique s'avère ainsi comme un moment inhibant. La conscience immédiate est égale à zéro." Et plus loin: "Chaque influence pédagogique se présente comme le sacrifice d'un moment précis pour un moment futur. On se demande donc si on a le droit d'effecteur de tels sacrifices (1)." Dans l'histoire du sujet, Francis Lesourd parle de "moment privilégié", dans lequel le sujet adulte refonde ses projets et ses perspectives de formation. Il s'agit d'intensité dans la vie du sujet. Quant à lui, Sigmund Freud parlera du "bon moment de l'interprétation".

 

(1) Schleiermacher, F. E. D., Ausgewählte pädagogische Schriften, par Ernst Lichtenstein, 4 éd., Paderborn, Ferdinand Schöningh, 1994, p. 46. (Les écrits pédagogiques. Conférences de l'année 1826, notes d'après ses cours). Du même auteur voir également une définition du moment dans: Schleiermacher, Der Christliche Glaube, Walter de Gruyter & co, Berlin, 1960, p. 36 a 39.

 

 

Mis en ligne par Benyounès et Bernadette Bellagnech

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8 juin 2012 5 08 /06 /juin /2012 09:32

 

Vers une théorie des moments

 

Le terme de moment, tel qu'il a pu être utilisé par les auteurs cités ou par nous-même est polysémique. On peut cependant identifier les trois principales instances de ce terme: le moment logique, le moment historique, enfin le moment comme singularisation anthropologique d'un sujet ou d'une société.

 

Pour entrer dans cette distinction, on peut remarquer que la langue allemande distingue deux genres au terme de "moment". D'abord, le neutre: Das Momentrenvoie au latin momentum (poids) proche parent de movimentum (mouvement), c'est-à-dire facteur déterminant dans une dynamique. Par contre, au masculin, der Moment renvoie à une durée temporelle à confronter à la notion d'instant. Le moment est alors un espace-temps d'une certaine durée, d'une certaine épaisseur. Le moment historique est identifiable dans une dynamique temporelle. Le moment anthropologique sera davantage dans la spacialisation. Il apparaît alors comme le conçu d'une forme que l'on donne à un vécu qui se produit et se reproduit dans un même cadre psychique et/ou matériel.

 

 

I) Le moment logique dans la dialectique.

 

Dans son acception dynamique, on peut trouver au concept de moment des origines "mécaniques". Le moment entre dans une dynamique. Entre 1725 et 1803, trois théoriciens, s'intéressant au mouvement, ou en statique ou en dynamique, utilisent, le concept de moment. Dans son traité La Nouvelle mécanique (1725), Pierre Varignon énonce, pour la première fois, la règle de composition des forces concourantes. C'est dans ce livre que se trouve développée la première théorie des moments. Leonhard Euler, mathématicien, dans son Traité complet de mécanique (1736) fait entrer le terme de moment dans une analyse et une science du mouvement. En 1803, Louis Poinsot, mathématicien français reprend ce terme dans l'étude mécanique du couple et développe une théorie importante sur la rotation d'un corps (Sylvester et Foucault reprendront cette théorie). Ce contexte sémantique n'échappe pas à Hegel lorsqu'il conçoit sa logique dialectique (1). Dans son Introduction à la critique de la philosophie du droit, Hegel élabore le modèle d'une dialectique organisée en trois moments. La dialectique hégélienne distingue l’universalité, la particularité et la singularité. L'universalité renvoie à l'unité positive, la particularité renvoie à la partie, élément du tout, et la singularité renvoie au principe d'unité du tout et de ses parties sur le plan local. Les propriétés des trois moments hégéliens sont les suivantes: chaque moment est négation des deux autres, chaque moment est affirmation des deux autres; ils sont indissociables; ils sont à la fois en relation négative et en relation positive avec chacun des deux autres.

 

 

(164) - Hegel (Georg Wilhelm Friedrich), Werke, 20 volumes, Suhrkamp Taschenbuch, 1986.

 

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7 juin 2012 4 07 /06 /juin /2012 18:06

Au terme arbitraire (1) de cette enquête sur la logique, guidée par le pragmatisme, ou plutôt le pragmatisme selon Peirce (c'est l'acte qui analyse notre pensée, et non l'inverse) et que Simondon traduit par l’allagmatique, la voie de recherche reste ouverte du côté de l'insu - de l'inconnaissance dans laquelle se plantent les pilotis métastables de la connaissance.

 

Elle l'est au moins depuis la magnifique remarque de Gérard de Nerval au début d'Aurélia: "... l'instant précis où le moi, sous une autre forme, continue l'œuvre de l'existence".

 

Elle l'est depuis l'apostrophe burlesque de Jarry: "Ah ça, monsieur ou madame ma Conscience, vous faites bien du tapage" (des humoristes comme Jarry, Lewis Carrol ou Lichtenberg m'ont beaucoup aidé à penser le rêver).

 

André Breton ouvre à son tour la voie dans le passage des Vases communicants. "J'affirme ici son utilité capitale (il s'agit du rêve, NDRL), qui n'est point d'agrément aussi vain que d'aucuns ont voulu faire croire, qui est mieux même que de simple cicatrisation, mais qui est de mouvement au sens le plus élevé du mot, c'est à dire au sens pur de contradiction réelle qui conduit en avant (souligné par moi, RL). A la très courte échelle du jour de vingt-quatre heures, il aide l'homme à accomplir le saut vital. Loin d'être un trouble dans la réaction de l'intérêt à la vie, il est le principe salutaire qui veille à ce que cette réaction ne puisse être irrémédiablement troublée. Il est la source inconnue de lumière destinée à nous faire souvenir qu'au commencement du jour comme au commencement de la vie humaine sur la terre il ne peut y avoir qu'une ressource, qui est l'action " (2)".

 

Pour terminer cette réflexion sur l'autre logique, il nous reste à reprendre la théorie des moments qui permet d'articuler et sur le plan logique, et sur les plans historique et anthropologique le vécu de la conscience.

 

(1) - Parmi les thèses dont je n'ai même pas ébauché un résumé, signalons les problèmes liés à l'espace-temps du rêver : d'une part celui du continuum onirique, plusieurs fois évoqué, sorte de "basse continue" de la programmation génétique, au sujet de laquelle je n'ai pas su utiliser les vues de Michel Jouvet ou de Francisco Varela; d'autre part la topologieonirique, offrant une idée de la vie dans les plis chère à Michaux et reprise par Deleuze (le pli est le point de contact entre un dedans et un dehors sans solution de continuité), sans parler de ce que certains astronomes désignent par l'expression: les univers chiffonnés... Une prochaine recherche comblera peut-être ces deux lacunes qui me chiffonnent.

 

(2) - Me référant au texte de Mehdi Belhaj Kacem (déjà cité) mettant l'accent sur l'acte de survie ou, sur un tout autre plan, à celui de Gérard Mendel dont je viens tout juste d'avoir connaissance (Mendel, 1998), je remplacerais le mot action, souligné par Breton et impliquant réflexion, planification, élaboration d'une décision, par le mot acte - lequel se relie mieux aux expressions de Breton telles que saut vital ou "réaction de l'intérêt de la vie", appliquées au rêver.

 

 

Mis en ligne par Benyounès et Bernadette Bellagnech

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6 juin 2012 3 06 /06 /juin /2012 16:20

La théorie de l'individuation, dans la première partie et déjà dans l'ouvrage consacré aux objets techniques, on l'a dit, est au cœur de l'allagmatique de la transduction. Pour ce qui est de l'humain, toute une nouvelle vision du développement de l'enfant et de l'adulte inachevé (Simondon comme Lapassade se réfèrent à la néotonie) est impliquée dans l'idée de phases et déphasages de l'être: "l'être originel n'est pas stable, il est métastable; il n'est pas un, il est en expansion à partir de lui-même (...). L'être ne se réduit pas à ce qu'il est; il est accumulé en lui-même, potentialisé" (Simondon, 1989, p. 230). Le principe d'identité, fondement de la logique instituée, est balayé par le devenir cumulatif des phases physique, biologique, psychique, sociale. Cette conception, anti-évolutionniste au sens de sélectif, éliminatoire, "progressive" (celle encore régnante, de Piaget) rejoint celle de cognitivistes "de gauche" ou ex-cognitivistes comme Varela, ainsi que celle de Daniel Stem, exposée plus haut, et qui concerne le développement du nourrisson.

 

Philosophe, technologue, psychologue à l'université de Poitiers puis à la Sorbonne, Simondon est un esprit curieux et érudit en matière technologique, ce qui lui avait permis, en un premier temps, de révolutionner la vision habituelle des objets techniques (cf. plus haut, Texte V) et d'ébaucher à partir de cette recherche la théorie de l'individuation qui doit nous arrêter car c'est elle qui, sur un terrain autre que l'onirisme -lequel, pas plus que le langage, n'entre dans son champ - rejoint et complète les hypothèses d'origine fort diverses, on l'a constaté, qui sont examinées dans le présent texte à propos du rêver.

 

L'intérêt pour le processus d'individuation, avec son caractère ontologique très marqué, n'est pas propre à Simondon, même s'il est l'un des rares à avoir mobilisé tellement d'énergie pour en asseoir la théorie. Des philosophes comme Leibniz et un psychanalyste comme Jung y ont également prêté une grande attention. Mais le philosophe, longtemps méconnu, auquel se réfère Simondon est Maine de Biran, qui au début du dix-neuvième siècle français, alors que les Idéologues se penchent régulièrement sur la question des rapports entre "le physique et le moral"(I61), a vu que "la subjectivité ne s'explique pas si expliquer veut dire rendre physique. Elle ne se déplie pas sur autre chose qu'elle-même" (Montebello, "Une individuation de la connaissance psycho-physique", dans l’ouvrage collectif Les neurosciences et la philosophie de l'action, sous la direction de Jean-Luc Petit, Paris, Vrin 1998). La difficulté à rendre compte de l'individuation psychique conduit du reste Maine de Biran, à la différence de Simondon, à s'intéresser au rêve. Il y trouve confirmation de ce que son successeur nommera l'allagmatique, la pensée comme opération: "Le principe d'individuation, principium individuationis, comme dit l'école, (est) l’effort pour notre propre individu" (cité par Montebello). Cet effort, dans le vocabulaire simondonien, serait proche de la tension qui assure l'équilibre métastable entre les composantes ou phases de l'être.

 

Dans sa singularité, le rêver fait partie de la tension entre les "états multiples de l'être", de la contradiction constructive que Lupasco décrit entre homogénéisation et hétérogénéisation, du passage de l'anthropologie à l'ontologie (Foucault et aussi Simondon). Le préindividuel physico­biologique s'y mêle au transindividuel psycho-social pour actualiser (suggérer, stimuler, créer) en nous la potentialité d'un autre monde (cf. Segalen, exergue du Texte 1) qui ne serait pas forcément ou uniquement dans un ailleurs mais aussi en nous, dans ce monde. S'interrogeant sur la nécessité du sommeil, Lichtenberg avec son délicieux humour remarquait: "Et qu'est-ce que l'homme quand il dort? Il n'est qu'une plante; ainsi le chef-d'œuvre de la création doit parfois devenir une plante afin de tenir son rôle de chef-d'œuvre quelques heures par jour" (Lichtenberg, Le miroir de l'âme, traduit de l'allemand, Paris, José Corti, 1997, p. 493, souligné par moi, RL).  "Dans le rêve, dit Valéry, on dirait que ce qui pense, comme la "Nature", se transforme de proche en proche (souligné par moi. RL). Celle qui fait des monstres et qui s'imite jusqu'à se changer insensiblement - celle qui ne hait pas une répétition vraiment indéfinie, et dont l'image la plus fidèle est une algue immense qui se propage" (souligné par moi, RL) Ou encore, du même: "Peut-être l'homme a tiré maintes choses du rêve (...), la notion du possible très étendu - la libre combinaison des événements - et l'idée des transformations" (Cahiers, 1974). Les surréalistes auraient dit : et l'idée de révolte contre l'institué, à quoi l'on pourrait ajouter que cette révolte commence par la prise de conscience de ses propres implications dans l'institutionnalisation. Et, comme me le souffle l'un de mes meilleurs accompagnateurs dans cette recherche, Frédéric Paulus, psychothérapeute, le rêver nous autorise à déborder un champ de connaissance, ou d'inconnaissance, pour avancer - Gravida, elle avance, dans le roman de Jansen et dans le commentaire, déjà cité, de Freud, (téléphone de l'île de La Réunion, ce 4 septembre 1998). Ne serait-ce que pour découvrir le plaisir de ce débordement hors de soi-même qui est une avancée vers soi-même, cela vaut la peine de s'endormir et de rêver, tel le jeune prince égyptien, entre les pattes du Sphinx.

 

(1) Encore que l'analogie (au sens de Simondon) mérite d'être examinée de plus près, on peut signaler, dans la théorie clinique, une recherche qui partant de "la troublante oscillation freudienne entre causalité matérielle et causalité psychique", emprunte au pragmaticisme de Pierce le concept d'abduction, ouvrant et en même temps confirmant ce que Freud avait suggéré quant au champ très vaste de la probabilité dans l'interprétation psychanalytique  (Bauleo, 1991).

 

Mis en ligne par Benyounès et Bernadette Bellagnech

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5 juin 2012 2 05 /06 /juin /2012 11:15

Bonjour,


Je vous prie de trouver, après un long silence, le numéro 21 de LA SOMME ET LE RESTE consacré à des textes de Jean-Pierre Garnier.


Je vous en souhaite bonne lecture.

Très amicalement.

Armand Ajzenberg

 

Introduction 

LA PAROLE EST A JEAN-PIERRE GARNIER :

 

J.P.G : « Croyez-vous que les classes dirigeantes qui, jusqu’à aujourd’hui détiennent le “pouvoir d’agir sur les conditions générales qui façonnement les processus d’urbanisation”, pour reprendre votre définition du droit à la ville, accepteraient sans réagir de s’en voir dépossédées sous la pression populaire ? Une telle perspective impliquerait qu’elles soient aussi dépossédées du pouvoir d’agir sur les conditions générales qui déterminent ces processus urbains comme beaucoup d’autres. Bref, cela signifierait qu’elles consentiraient à être privées de leur pouvoir économique et politique, autrement dit à cesser, finalement, d’être des classes dirigeantes. N’est-ce pas là un rêve, pour ne pas dire une hypothèse irréaliste sinon absurde ? »

 

David Harvey : « Je ne peux pas vous répondre ».

 

J.P.G. : « Pourquoi ? »

 

D.H. : « Parce que c’est une question que l’on ne m’a jamais posée ».

 

Ce petit dialogue illustre une question toujours controversée : celle de la lutte des classes.

 

Amusons-nous ! En 2007, après les élections, une revue (Nouvelles Fondations, No 7/8) avait posé cette question à quelques personnalités : « Estimez-vous que le concept de lutte des classes soit toujours pertinent pour décrire les mécanismes du corps social ? ».

 

« La réponse est non. Nous savons en effet que la réalité sociale est beaucoup plus complexe aujourd’hui. » avait répondu François Hollande, alors Premier secrétaire du P.S.

 

« Oui, il reste très pertinent. La société ne s’est pas encore émancipée de la question du partage conflictuel des richesses produites. » était la réponse de Jean-Luc Mélenchon, alors Sénateur socialiste de l’Essonne.

Armand Ajzenberg

 

Sommaire

La parole est à Jean-Pierre Garnier :

- Le droit à la ville : de Henri Lefebvre à David Harvey Entre théorisations et réalisation page 1

- Du droit au logement au droit à la ville  de quel(s) droit(s) parle-t-on ? page 6

- Démocratie locale ou auto-gouvernement territorial ?  page 10

 

 Revue éditée avec le soutien d’Espaces Marx

Diffusée par courrier électronique

Tous les numéros sont consultables et téléchargeables sur :

http://www.lasommeetlereste.com/

E mail : Ajzenberg@aol.com

 

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