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  • : Le blog de Benyounès Bellagnech
  • : Analyse institutionnelle : Théorie et pratique au sein des institutions politiques, éducatives et de recherche. L'implication des individus et des groupes dans la vie politique et sociale.
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30 novembre 2018 5 30 /11 /novembre /2018 16:50

 

Les médecins cubains partent du Brésil

 

Le 14 novembre de cette année 2018, La Havane a annoncé que tous les médecins cubains qui travaillent au Brésil, vont nous laisser au plus tard à la fin de cette année. C´est une autre triste nouvelle, une en plus de ce moment si difficile que nous, tous les brésiliens, traversons. Ces médecins font partie du Programme Plus de Médecins (Programa Mais Médicos) qui a débuté ici en 2013, lors du gouvernement Dilma Rousself, laquelle a souffert du coup d´Etat l´ayant destituée de la présidence de la République du Brésil. Cette décision du gouvernement cubain a été prise à cause des déclarations du président élu en novembre de cette année, Jair Bolsonaro, lequel a décidé d´imposer des conditions à la permanence de ces médecins au Brésil, ne respectant pas ainsi le contrat accordé-signé entre la présidente Dilma Rousself, le président de Cuba et de l´Organisation Pan-américaine de Santé (OPS). M. Bolsonaro ajoute de plus dans ses déclarations qu´il donnera asile à tous les cubains qui veulent quitter Cuba.

Dangereuses sont ses décisions qui interfèrent dans les relations de coopération et d´amitié entre le Brésil et Cuba, datant de 1986, année du rétablissement des rapports entre ces deux pays.  La dictature brésilienne de 1964 avait rompu les relations avec Cuba pendant 22 ans. Ce rétablissement montrait en externe une certaine indépendance de la diplomatie brésilienne et au niveau interne rejetait un héritage autoritaire de la dictature.

Le départ des médecins cubains met fin à une des plus belles expériences dans le domaine de la santé au Brésil. Ces médecins travaillent dans des aires les plus pauvres du Brésil, très distantes des villes, dans des lieux où les médecins brésiliens ne veulent pas aller. La compétence, la solidarité, la responsabilité, le respect et l´amour à l´autre, l´exercice d´une santé égalitaire, où tous les brésiliens, même les plus démunis ont leurs droits reconnus par ces médecins cubains. Les quilombolas (communautés de descendants africains), des communautés des indiens, des territoires occupés par les démunis, les périphéries urbaines, ont été soignés par ces médecins qui cartographient dans des zones inconnues de nos Brésils, comme dirait l´écrivain Guimarães Rosa, se référant à la diversité et multiplicité de notre pays.

C´est une triste nouvelle. C´est un acte violent cette intervention que le président élu Jair Bolsonaro veut faire dans le Programme Plus de Médecins, dont les mesures n´ont pas été acceptées par le gouvernement cubain. D´ailleurs ces médecins ont connu dans le territoire brésilien beaucoup de discriminations qui explicitaient la présence des subjectivités capitalistes animées par les restes dictatoriaux dans le tissu social. L´élite, le corporatisme de la médecine, les médias institutionnalisés, les fakenews ont été des acteurs relevant contre leur praxis transformatrice, reconnue dans plusieurs pays du monde.

Bolsonaro veut faire la revalidation des diplômes de ces médecins oubliant les services indispensables qu´ils apportent à la population brésilienne et reconnus selon plusieurs témoignages (ceux qui sont soignés par eux), études, publications, (comme celle de Stahlberg[i]. Il dit aussi qu´il va payer directement les médecins sans l´intermédiation du gouvernement cubain, qui selon lui, gagne de l´argent avec ces médecins, les exploite.

Il faut donner quelques éclaircissements sur ce Programme Plus de Médecins. Les fakenews pour valider les déclarations et actes de Bolsonaro prolifèrent.

Ce programme n´est pas un programme qui ne veut que faire un contrat de médecins. C´est un programme qui veut fortifier ce qu´on appelle attention basique dans le domaine de la santé au Brésil, qui a des stratégies pour se développer. La première consiste à s´occuper de l´infrastructure formée par les unités basiques de santé, comme par exemple les postes de santé. Le président du Brésil veut aussi intervenir dans la formation universitaire en médecine en changeant les curriculums. Nous savons qu´au Brésil, la priorité est donnée au soin des maladies, pas à la prévention. L´hôpitalocentrisme est un analyseur de cette tendance orchestrée par le capital et les pools de laboratoires des médicaments. Ce programme veut aussi amplifier et pratiquer la décentralisation de l´offre de places dans les cours de médecine prioritairement. La deuxième stratégie c´est le contrat des médecins.

Il faut dire que les médecins cubains pour travailler au Brésil suivent toute une logique de demande du Système Unifié de Santé (SUS) brésilien. Pour le remplacement des postes, selon un éditorial, le Programme Plus de Médecins donne la priorité d’abord aux médecins brésiliens (qui ont un registre dans le Conseil Régional de Médecine - CRM, l´organisme officiel qui valide les diplômes des médecins formés dans plusieurs régions du Brésil) ; puis aux intercambistas ( ce sont des médecins qui ont eu une formation à l´étranger, et qui n´ont pas le CRM que Jair Bolsonaro exige des médecins cubains), les médecins cubains viennent ensuite pour boucher les trous. Il est important de rappeler qu´ils travaillent dans des endroits où les médecins brésiliens ne veulent pas aller. Ils ont apporté leurs soins à 90% des communautés indigènes, à 700 municipalités qui avant ce programme n´avaient aucun médecin pour les soigner. Les médecins cubains après deux ans de travail, obtiennent un titre de spécialisation. Pendant leur travail dans le Programme Plus de Médecins, ils suivent une formation. Donc, ils n´ont pas de postes de travail ici, régulés par les lois brésiliennes, ce qu´on appelle CLT. Leur travail est régulé par une convention avec l’Organisation Pan-Américaine de Santé, le Ministère de la Santé de Cuba et le Brésil. Ils ne sont pas des “esclaves” exploités par le gouvernement cubain ou par le Brésil.  Ils ne sont donc pas obligés de travailler au Brésil. Et la réponse qu´ils donnent à une demande de médecins dans le territoire brésilien, c´est un analyseur d´une formation en médecine encore déficitaire face aux besoins de la population. Quand ils arrivent au Brésil, ils passent par une période d´adaptation, ils participent à une formation, selon les particularités du SUS brésilien, y compris de langue portugaise. Après cette période, ils passent un test d´admission finale. Ainsi, l´exigence de Bolsonaro n´a donc pas de sens.

La majorité des médecins cubains à l’étranger travaille dans plusieurs pays du monde, dans des programmes humanitaires (comme en Afrique avec le problème de l´Ébola). Ce sont presque 25.000 médecins qui travaillent dans le monde entier, actuellement.

La formation en médecine cubaine est une référence mondiale. L´ELAM, l´Ecole de Médecine cubaine accueille et forme beaucoup d´étudiants de toutes origines, y compris beaucoup d’étudiants brésiliens.   

Ce sont presque 63 millions de personnes qui ont été soignées au Brésil par ce programme. Nous avions à notre disposition environ 10 000 médecins cubains apportant leurs soins au peuple brésilien.

Cuba, ces médecins cubains méritent plus de respect du gouvernement élu Jair Bolsonaro, méritent plus de respect de la part d´une partie de la société brésilienne qui l´appuie.

Mon hommage, mon appui au peuple cubain, à ces médecins qui ont su faire leur travail sans participer au syndrome de la société de spectacle. Ils connaissent la puissance de la pauvreté, cette puissance qui s´ouvre à partir de besoins. Cette puissance avec laquelle on peut construire un nouveau monde, plus digne, comme le peuple cubain.

Lúcia Ozório

 

[i] Stahlberg, L. International cooperation and health policy: An analysis on the design and implementation of the Mais Médicos Programme in Brazil.
 

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20 novembre 2018 2 20 /11 /novembre /2018 09:34

L'irruption du Rif au sommet

 

 

La mort de Mohsine Fikri, vendeur de poisson, écrasé dans une benne à ordures en présence des représentants des autorités,  est un assassinat dans des conditions atroces, dont certains continuent à dire que c'est une mort accidentelle -c'est le cas de certains médias français-. Nul ne nie aujourd'hui que ce 28 octobre 2016 constitue le début d'un mouvement de contestation appelé le Hirak du Rif. Ce hirak est parti de la ville d'Al Hoceima, avant de s'étendre petit à petit à toute la région du Rif, d'où l'appellation hirak du Rif. A priori, pour quelqu'un qui s'intéresse à la chose politique, le hirak ne peut être qu'un mouvement social marginal qui se passe à la marge et qui peut trouver une issue sur le plan local par l'intermédiaire des institutions présentes sur place, dans le cadre d'une concertation démocratique. Le hirak aux yeux de ces politiciens ou des commentateurs ne mérite pas plus, que tout autre dossier social, d'être réglé par les hautes autorités se trouvant au centre politique, c'est à dire à Rabat.

 

Certes, vu de cet angle, le climat politique au Maroc est dominé par les élections législatives, la constitution des groupes parlementaires et la formation d'un nouveau gouvernement. Selon la constitution, le chef du gouvernement doit être issu de la majorité et désigné par le roi. Logiquement, Abdelilah Benkirane, Premier ministre sortant et chef de la majorité issue des élections législatives, devrait être reconduit dans ses fonctions par le roi. Mais, le palais a un autre avis et d'autres exigences : ainsi une longue phase de tractations s'annonce et la situation est qualifiée de blocage institutionnel. Toutefois, les médias, la presse écrite, et les commentateurs y trouvent leurs choux gras et ne parlent que du spectacle politicien qui se déroule dans l'ombre. Interrogé sur le blocage, le Premier ministre répond qu'il n'y a pas de blocage et que le gouvernement sortant reste sur place et gère les affaires courantes. Le blocage dure depuis cinq mois et pendant ce temps le Hirak du Rif ne fait que monter en puissance. Quelques ministres ont fait le déplacement dans le Rif pour tenter un dialogue avec les contestataires, mais ces derniers ne veulent pas entendre parler des institutions et des personnes estimées comme responsables de la situation du Rif. Après cinq mois de blocage, le palais réussit à imposer son choix du Premier ministre, - qui n'est pas le chef de la majorité-, et la constitution d'un nouveau gouvernement qui pourrait éventuellement résoudre la crise du Rif ou plutôt «  le dossier » du Rif, selon le nouveau langage des politiciens et des commentateurs de tout bord.

 

D'abord local à Al Hoceima, ensuite régional, se propageant dans les autres villes du Rif, le Hirak prend de l'ampleur au niveau du pays et même au niveau international. A ce propos, lors de sa première visite au Maroc, Macron, en tant que président de la République fraîchement élu,  s'est trouvé dans l'obligation de répondre aux journalistes sur la question du Rif. Sa réponse fut que le roi lui avait affirmé qu'il allait s'en occuper. Ainsi ce qui était considéré jusqu'alors comme un simple dossier social ou un simple mouvement d'humeur, comme beaucoup de mouvements sociaux dans tout le pays, est subitement devenu une question politique nationale et internationale. Bref, la question du hirak du Rif est traitée au sommet.

 

Je laisse de côté, pour l'instant, l'interprétation makhzenienne du hirak qui considère tout mouvement social comme une mise en cause du prestige de la monarchie et des institutions de l’État makhzenien. Toutefois, le Makhzen utilise tous ses moyens de propagande, de manœuvres, d'intimidation et de répression pour venir à bout du mouvement social. Ce qui m'a un peu surpris, c'est la position de certains commentateurs et d'une certaine presse se disant de gauche, qui se sont tus pendant sept mois sur ce qui se passe au Rif, avant de lancer des appels à la réconciliation avec le pouvoir makhzenien ou encore prendre des positions hostiles au Hirak le qualifiant de séparatiste ou de populiste, légitimant ainsi la répression du mouvement. Le communiqué rédigé par le ministre de l'Intérieur et signé par la majorité des partis politiques, est le point d'orgue de ce ralliement à la position de l’État makhzenien.

 

Pourquoi la classe politique dans son ensemble, de gauche-pas toute la gauche- comme de droite, au pouvoir ou dans l'opposition, est-elle hostile au hirak du Rif ? Pour essayer de répondre à cette question, il faut se tourner vers le hirak et tenter de le comprendre. La mort atroce de Mohcine Fikri, ce 28 octobre 2016, est l'étincelle qui a déclenché le mouvement. Le hirak a débuté par des rassemblements d'indignation qui vont petit à petit se traduire en un mouvement social revendiquant des droits à la santé, à l'éducation, à l'emploi, à la dignité et à la levée du blocus militaire imposé dans la région du Rif depuis la fin des années cinquante. Présenté ainsi, le hirak devrait être soutenu  notamment par les forces de gauche, les syndicats et les associations des Droits de l'Homme. Ce ne fût pas le cas, pourquoi ? Le hirak se définit comme mouvement de masse, qui porte des revendications sociales, économiques et culturelles. Ces revendications sont élaborées démocratiquement dans des assemblées générales ouvertes à tous et où d'autres décisions sont prises telle que l'organisation des manifestations. Mouvement de masse, démocratique, sans direction identifiée comme telle, en extension permanente, bien organisé y compris sur le plan médiatique et de surcroît, le hirak se définit comme mouvement pacifique et civilisé. En effet, durant sept mois, avec des manifestations et des rassemblements dans la rue, aucun incident n'a été signalé, voire mieux, les manifestants assurent l'ordre la sécurité et nettoient les rues à la fin des manifestations.

 

Parmi les caractéristiques du hirak on peut citer :

 

L'originalité, car depuis le mouvement de 20 février en 2011, le Maroc n'a pas connu un mouvement d'une telle ampleur.

 

C'est un mouvement populaire qui fait le choix dès le début d'agir en dehors des partis politiques, syndicats et autres associations rejetés pour connivence avec le Makhzen et qualifiés d'officines politiques notamment sur le plan local.

 

Le hirak reprend à son compte le récit révolutionnaire initié par la révolution du Rif 1921-1927 menée par Abdelkrim Al Khattabi. Récit développé par les mouvements populaires de 1958, 1981, 1984, sans oublier les années 90 et le mouvement du 20 févier qui n'est pas spécifique au Rif.

 

Le hirak, qui à son début donnait l'impression d'être un mouvement populaire spontané, finit par engendrer une direction collective dont Nasser Zafzafi est devenu une icône du hirak et dont la popularité s'est étendue au-delà du Rif.

 

Le hirak dispose d'une capacité de mobilisation inédite, pas seulement dans les villes et les villages de la région mais aussi dans les campagnes.

 

Un an après le début du hirak, d'autres régions s'en sont inspirées, je cite l'exemple de Jerada et Zagoura...

 

Une autre spécificité du hirak réside dans sa capacité à rassembler et à mobiliser les Rifains résidant en Europe. C'est inédit car aucun mouvement n'a jamais réussi cet exploit auparavant compte-tenu de la situation complexe des immigrés en Europe.

 

Pour ceux qui considèrent le hirak du Rif comme un simple dossier social local, je rappelle que le mouvement est encore vivant et qu'il monte petit à petit vers le sommet avec des objectifs politiques plus clairs et plus précis.

 

Non messieurs les politologues et commentateurs à la botte de l’État et de la monarchie makhzeniennes, le hirak du Rif n’est pas simplement un dossier parmi d'autres, mais c'est bel et bien un mouvement qui signe le début de la révolution qui remettra tout en question et qui s'installe au sommet des priorités de tout un peuple.                          

 

Benyounès Bellagnech

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14 novembre 2018 3 14 /11 /novembre /2018 14:22

Chers amis, famille et collègues,

Je vous invite à la soutenance de ma thèse de doctorat en sciences de l'éducation dont le titre est: La recherche d’accomplissement tout au long de la vie, à travers la construction de l’expérience. L’exemple de la danse du soleil. Je vous joins le résumé.

Où ? : salle panoramique, MSH (Maison des Sciences Humaines) Paris Nord 20 av George Sand 93210 La Plaine Saint Denis.

Quand ? : le 6 décembre 2018 à 14h30. Il y aura un pot à l'issue de la soutenance.

Je dois donner à la MSH le nombre des personnes qui viendront donc je vous prie de bien vouloir me dire si vous venez ou non. Un grand merci !

 

Loïc de Bellabre

 

 

Université Paris 8

Résumé de : La recherche d’accomplissement tout au long de la vie, à travers la construction de l’expérience. L’exemple de la danse du soleil.

Thèse réalisée par Loïc Fradin de Bellabre en sciences de l’éducation

Directeur de recherche : Remi Hess (2012-2018), Pascal Nicolas-Le Strat (2018)

Date de soutenance : décembre 2018

 

Ce travail part d’une pratique, d’un apprentissage de plus de trente ans auprès d’un homme médecine Sioux et sa famille. La réflexion scientifique s’en est mêlée à posteriori avec ce doctorat.

L’accomplissement

Hypothèse : tout être est en recherche d’accomplissement. De la graine aux fruits, les embûches peuvent être nombreuses, les parcours très différents et plus ou moins réussis. Qualité de la graine, de la terre, de l’ensoleillement, qualité et quantité d’eau nécessaire selon les espèces… Les sciences naturelles et humaines nous aident à démêler cet écheveau de la causalité des histoires de vies minérales, végétales, animales et humaines.

Mais quelle est cette énergie qui nous fait ainsi remuer ciel et terre ? C’est le fait que nous sommes inachevés dirait probablement Georges Lapassade[1].

Deuxième hypothèse : L’inachèvement nous fait pencher vers l’avant, en quête d’achèvement. C’est parce que cet inachèvement nous travaille et nous fait souffrir que l’on recherche un accomplissement, un état au-delà de cette frustration. Un état d’accomplissement qui ne soit pas la mort mais qui soit bien dans la vie. Un état donc intérieur, non frustré, cette sagesse visée par la philosophie. Ceci est l’une des motivations, plus ou moins consciente des personnes qui s’adonnent à la danse du soleil.

L’accomplissement comporte un versant mystique et c’est celui-ci qu’il a été choisi d’explorer. Là où la science s’arrête et reste muette, faute de pouvoir présenter des réponses suffisamment claires ou satisfaisantes, la spiritualité propose des instructions et des dispositifs que certaines personnes, dont celles que j’ai interviewées, mettent en pratique. Dissocié entre ma nature de scientifique et mon adhésion à la spiritualité d’un peuple premier : les Sioux/Lakotas, j’ai décidé de rendre compte d’une telle mise en pratique. Il s’agit donc d’une recherche – action dont le versant scientifique est la recherche, toujours antérieure ou postérieure à l’action qui elle, est le fait de l’adepte. Étant à l’intérieur du terrain que j’observe, cette thèse est la recherche-action d’un participant observateur.

Dans un souci d’élucidation à la fois individuel et collectif, mon propre parcours sous forme d’histoire de vie thématique et de journaux est objet d’analyse et j’ai réalisé vingt entretiens non directifs d’une heure en moyenne.  Ils ont été réalisés en français (8), anglais (6) et allemand (6) selon les cas, aux États-Unis, en France, en Allemagne, en Suisse et sur Skype.

Les femmes et les hommes qui ont été interviewés ont tous vécu d’une manière ou d’une autre un défi particulier auquel ne s’adonnent que des personnes chez qui la recherche d’accomplissement prend une forme extrême. Elles sont en principe, prêtes à donner et donc à perdre quelque chose d’elles-mêmes, lorsqu’elles s’engagent dans la danse du soleil des Indiens des grandes plaines d’Amérique du nord.

Au tournant des années 1990, certaines de ces danses ont commencé à s’ouvrir à des non-Indiens. C’est ce qui a permis à l’auteur de s’engager dans cette aventure. Quelles sont les motivations des danseurs, quels sont ces accomplissements qu’ils recherchent et comment les atteignent-ils ou non ? Telles sont les questions sur lesquelles cette thèse se penche.

Pour répondre à ces questions, ce sont principalement les concepts de l’Analyse Institutionnelle (G. Lapassade, R. Lourau, R. Hess, P. Ville …), de la théorie des Moments (H. Lefebvre et R. Hess) ainsi que l’apport de recherches sur la transe et les états modifiés de conscience en général (G. Lapassade, M. Leiris, G. Rouget, F. Roustang) qui ont été mis à contribution.

La danse du soleil

Selon l’anthropologue Henry Dobyns, il y avait entre 90 et 112 millions d’Indiens dans les deux Amériques avant l’arrivée de Christophe Colomb en 1492. Le bureau du recensement des USA donne pour 2014 : 5,4 millions d’Amérindiens dont 52 % de sang mêlés. On peut vraiment parler de Génocide. Tous ne sont pas morts par les armes, beaucoup furent décimés par les maladies apportées par les Européens parfois par inadvertance, parfois sciemment et contre lesquelles ils n’étaient pas immunisés. Les Indiens survivants sont la mauvaise conscience des Américains blancs, le rappel constamment refoulé par une grande partie d’entre eux de la faute originelle de leurs ancêtres. Comme la mauvaise conscience refoulée ne donne généralement rien de bon, la majorité des Américains blancs des États-Unis considère les Amérindiens avec une méfiance probablement comparable à celle des Européens pour les Tziganes. Le racisme est très présent et va dans les deux sens. Quand on est avec eux en tant que non-Indien, il est important de continuer à savoir qui l’on est, même si le fait d’être frères de danse donne parfois une proximité indéniable. Et dans l'obscurité totale de la hutte à sudation[2], il n’y a plus de couleurs de peau.

La danse du soleil est un événement total. C’est une des raisons de sa force d’attraction.

Au niveau social, c’est le rassemblement d’été où l’on se retrouve et de nouvelles alliances peuvent se conclure. Au niveau politique, il s’agit de retrouver l'identité amérindienne et l'identité tribale qui ont toutes deux été fortement mises à mal les cent cinquante dernières années.

Mais sa fonction principale est spirituelle : S’ils sont bien préparés, les danseurs du soleil offrent leurs prières, leur sueur, leur joie et leur souffrance au niveau collectif pour que le peuple puisse vivre, que la vie continue. Au niveau individuel, ils dansent pour alléger la souffrance de proches et pour devenir une meilleure personne.

Plusieurs facteurs peuvent contribuer à une réelle transformation de la personne :

  1. L’engagement sur une durée d’au moins six années, le moment de la danse comme un éternel retour permettant un développement personnel par l’approfondissement de l’expérience.
  2. Le fait de danser sous un soleil de plomb 4 jours sans manger ni boire, repousse les limites physiques et mentales du sujet.
  3. Il est probable que le dispositif collectif de la danse, c’est à dire les chants, le battement du tambour, la danse, le jeûne, le soleil, etc., induise une sorte de transe hypnotique chez le danseur. Le dispositif individuel, volontaire, des intentions et prières altruistes avec lequel les danseurs se sont préparés toute l’année, s’ajoute au dispositif collectif à prières de la danse du soleil et se substitue à « l’input » du thérapeute dans une re-modélisation de la personnalité du danseur et de son rapport au monde.
  4. Cette tendance à l’altruisme est renforcée par le fait que la transe générée est une transe extatique, ouvrant la personne à tous les êtres. Chaque prière se termine par les mots : « Nous sommes tous reliés. »

 

 

[1] Voir : LAPASSADE (G.), L’entrée dans la vie, Essai sur l’inachèvement de l’homme, Paris, Anthropos, 1997

[2]Sauna spirituel Indien pratiqué dans de nombreuses occasions, entre autres, en tant que préliminaire à la danse du soleil.

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6 novembre 2018 2 06 /11 /novembre /2018 09:35

 

Mes cher.e.s  ami.e.s

 

Merci beaucoup pour votre soutien. Vos courriers me font du bien.

 

Dimanche dernier avec la victoire de Bolsonaro, je me suis sentie complétement découragée. Au moment de son discours de victoire, il présente un langage de conciliation nationale. Sordide!!! Nous sommes dans un moment où les fakes news sont un bon analyseur de la raison cynique qui manipule les affects et les idées des gens. Cette raison souvent utilisée par les aimants du pouvoir vide les forces, principalement de ceux qui sont dans le contre-courant antifasciste. C´était avant les résultats, la peur nourrie par plusieurs actions violentes, beaucoup de menaces avec un discours fasciste omnipuissant qui menaçait aussi le congrès, le Suprême Tribunal Electoral. Des crimes contre la législation électorale de la candidature Bolsonaro ont été acceptés. Il ne faut pas oublier l´invasion de 30 universités publiques une semaine avant le deuxième tour. Le Suprême Tribunal qui a déjà pris plusieurs décisions pour assurer l´expansion de cette situation, a changé un peu son discours défendant le droit de l´université comme lieu d´étude et d´échange d´idées. Ouf!!! 

 

Pourtant la lutte continue. Et toujours des analyses et actions sont indispensables. Le résultat des élections a été équilibré. La différence a été de 10% entre les deux. Il ne faut pas oublier que 39,6 millions (ceux qui ont voté pour Haddad) ont décidé de voter pour la démocratie.  Il y a eu les indécis – 26 % plus ou moins, ceux qui n´ont pas voté - et ceux qui ont voté nul :7,5%. Donc, une grande partie de la société brésilienne n´a pas voté  Bolsonaro. Une autre particularité: ce vote montre que plusieurs ont voté contre le PT, explicitant la haine contre Lula, complètement manipulés par les médias et pour le discours moraliste contre la corruption orchestré par la judiciarisation de la politique, qui a eu bien sûr les médias et l´église évangélique comme  alliés. Nous ne pouvons pas non plus oublier une conjoncture internationale pour déstabiliser le Brésil, depuis longtemps, qui avançait contre le gouvernement du PT  et ses politiques sociales, qui bénéficiaient aux classes les moins favorisées. Dans cet engrenage, il y a aussi les puits du pré-sel, qui intéressent les entreprises américaines. Après le coup d´Etat qui a expulsé Dilma du gouvernement, deux entreprises – Shell et Exon, ont acheté deux puits, à des prix dérisoires. Il ne faut pas oublier que les fakes news ont eu l´appui de plusieurs robots, groupes d´extrême droite principalement américains, qui ont aussi investi beaucoup d´argent pour expulser le PT du pouvoir. Tout cela avec l´appui d´une grande partie de la classe politique et des institutions brésiliennes.

Nous savons que ceux qui ont voté pour Bolsonaro ont plusieurs caractéristiques. 25% sont fascistes, selon des études. Il y a ceux qui veulent changer la situation économique Le chômage grimpe au Brésil. Il y a ceux qui veulent un peu plus de sécurité, à cause de  la violence. Il y a aussi une crise de la gauche, qu´il ne faut pas mépriser. À mon avis, pas seulement au Brésil mais au niveau mondial.

 

Et certes une crise de la politique représentative, très éloignée de ses bases. Qui penserait qu’un politicien socialiste est le préféré des américains, actuellement?

 

Nous avons besoin de résister. Affronter la peur dans le tissu social. La Boétie avait raison. Comment est-ce possible  cette peur du tyran? Il faut se rendre compte qu´il est en nous. Les effets de la dictature sont encore dans le tissu social. Il faut que nous affrontions la servitude volontaire que nous portons et qui gère la peur et la domination. 

 

Vous connaissez mon travail avec les favelas. Un grand problème que j´affronte est d’avoir des étudiants, des volontaires qui acceptent de travailler avec les favelas. Les gens reproduisent ce tyran stimulé par les médias qui criminalisent la pauvreté. Je dis cela, parce que nous avons besoin de construire un travail en commun, avec les périphéries. Le PT a besoin de faire cette autocritique, parce qu´il s´est éloigné des périphéries, de ses bases. Je dis toujours: il faut construire des ponts entre l´asphalte et les périphéries. L´université a besoin aussi de faire cette autocritique. Ces ponts sont un début d´action pour la construction d´un commun pas seulement au Brésil, mais dans le monde. Maintenant ce mot, commun, est chassé. C´est l´idéologie contre le communisme, contre les communistes. La stimulation des affirmations superficielles, sans analyses, est en vigueur. Comme dans la dictature. Je me réfère à un communisme immanent, engendré dans les agencements sociaux. Mais plusieurs qui sont contre le communisme n´ont pas même des critiques aux régimes de l´URSS et de la CHINE, à mon avis très omnipuissants où le commun a été falsifié et un capitalisme bureaucratique et centralisé s´y est institué. Et un néolibéralisme brutal - programme de grande concentration de rentes - avec les couleurs fascistes très nettes sont en cours ici.

Heureusement les universités publiques essaient de résister. Nous savons que les institutions sont divisées. Et rien ne va arriver si la société ne se mobilise pas. Il ne faut pas s´isoler. Il faut former un front démocratique de la société civile, proposent les professeurs d´USP.- L´université de São Paulo, pour affronter cette conjoncture qui se dessine. Evidemment la liberté, l´amitié, la création, la pensée, l´être ensemble sont indispensables.

 

Quelquefois, il faut vivre le manque de protection pour accéder à la création. Cette lutte est inexorable, elle devait arriver. La gauche, particulièrement le PT a pensé qu’un pacte avec les élites était possible. Il s’est trompé. Il a déplacé ce moment que nous vivons depuis longtemps. Nous ne pouvons pas nier que la société brésilienne a une histoire d´autoritarisme sans précédent. Maintenant c´est l´heure de déconstruire ce mythe du brésilien cordial.

 

Mais reste la question. Comment se mobiliser? Nous avons besoin de lutter pour la démocratie et de réinventer la gauche. Nous avons besoin des alliances internationales.

 

 

Je vous embrasse

Lúcia

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10 octobre 2018 3 10 /10 /octobre /2018 09:35

Mes ami(e)s

Samedi dernier (29 septembre 2018), nous avons eu une grande manif "Marche des Femmes" ( où il y avait bien sûr tous les genres) nommée" PAS LUI "  contre le néo-fascisme qui GRIMPE au Brésil. Ces photos ont été prises à  Rio par Francisco Proner.

Mais dans tous les Etats brésiliens et même dans le monde, nous avons eu une démonstration de l'affirmation d´un monde plus commun, moins inégalitaire qui crie pour la diversité et la multiplicité. 

Je vous embrasse

Lúcia Ozorio

 

 

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26 septembre 2018 3 26 /09 /septembre /2018 15:32

René Lourau : présentation de La somme et le reste (4)

 

 

« Livre d'une richesse et d'une vie fantastique, La somme et le reste est le signe de l'envol du papillon », note très justement Remi Hess[1]. C'est par ce livre, acheté en solde chez un Journaux-librairie de Pau (Pyrénées Atlantiques), l'été 1962, que j'ai rencontré Henri. A peine dévorée, cette « somme» exigeait son « reste », à savoir: connaître l'auteur. Quelques jours plus tard, après une lettre dont je pensais qu'elle mettrait, par l'intermédiaire de l'éditeur, des semaines à lui parvenir, Henri était là. Vingt-sept ans plus tard, il est toujours là, et comment !

A propos du Discours de la méthode, Gustave Lanson dit ce que l'on peut appliquer, avec il est vrai une importante correction, à La somme et le reste: C'« est la biographie d'une pensée ; et du seul caractère narratif et descriptif de l'ouvrage sortent visiblement deux traits de la physionomie intellectuelle de Descartes : au lieu d'une exposition théorique de sa méthode, il nous en décrit la formation dans son esprit, et présente ses idées comme autant d'actes successifs de son intelligence, de façon à nous donner en même temps qu'une connaissance abstraite, la sensation d'une énergie qui se déploie ». La seconde partie du jugement sur Descartes, elle, ne s'applique fort heureusement pas à Henri Lefebvre (ni du reste à Descartes, beaucoup plus « impliqué » que ne le prétend Lanson): «En second lieu, ces actes intellectuels sont toute la vie du philosophe ; le reste ne compte pas dans son autobiographie. » (C'est moi, R. L., qui souligne.)

Le reste? D'une part la subjectivité du philosophe-sociologue; d'autre part ce qui reste à faire, le programme.

« Ces éléments personnels et subjectifs, je voudrais ici les exprimer en les soulignant par opposition aux éléments impersonnels (qui ne pourront s'éliminer complètement, cela va de soi) », dit Lefebvre au début de son autobiographie. Car c'est de cela, d'abord, qu'il s'agit. D'une confession, pas à la manière un peu trop « intime » de Rousseau, mais d'une sorte de journal rétrospectif dans lequel l'autocritique, très présente, est comme atténuée par le recul. Encore que le conflit avec le stalinisme soit très proche...

«En ce temps, je portais Pascal dans ma poche. » C'est à l'époque des études de philosophie avec le professeur Blondel, catholique presque sulfureux. Dans ces huit cents pages, ce qui me frappe encore par-dessus tout, comme il y a vingt-sept ans (j'ai vérifié !), c'est le chapitre 3 de la troisième partie, «Le soleil crucifié ». Un peu le « moment » du «chêne de Vincennes » pour Jean-Jacques Rousseau. L'instant de rupture et de plénitude qui décide obscurément de tout un avenir. Sur les tombes ou aux carrefours des environs de Navarrenx, aux limites du Béarn et du Pays Basque, bien plus « primitive » que le meurtre du Père par OEdipe, la négation s'inscrit sur ces croix chrétiennes à la manière d'une couronne d'épines : interprétation institutionnelle que le jeune Henri a vite fait d'écarter en faveur de l'image solaire. Soleil noir, soleil nié, dénié par l'institution romaine, comme le soleil noir de Kronstadt a été piétiné et va être, un jour ou l'autre (perestroïaka oblige) récupéré.

Avec une distance certaine, peut-être une distanciation brechtienne (?), le vécu s'écoule, non dans les ruisseaux de la chronologie, de l'histoire toute bête (Henri a de bonnes raisons « subjectives » de se méfier de l'historicisme), mais dans une reconstruction nautique qui me fait penser aux réseaux de canaux de Venise — cette « nature » hyperréaliste bien plus belle que tout paysage naturel pour calendrier des PTT. L'amour, la poésie, le surréalisme, la religion, la philosophie, les contradictions, les antinomies, les lueurs, les aveuglements : il faut que tout cela s'organise en une pensée programmatique.

En effet, le papillon est presque tout entier contenu dans la chrysalide. Il ne lui manque que les ailes. Le projet est bien antérieur. Le programme se déploie librement, loin des chiens de garde. Le paradigme (dialectique) n'a cessé de se renforcer. Dans La somme et le reste, on trouve programmés les thèmes majeurs du « reste », de l'engagement d'Henri Lefebvre de 59 à 69, de 69 à 89: une lecture à la fois totalement libérée et totalement frissonnante de Marx ; une analyse institutionnelle de plus en plus aiguisée du marxisme ; une mise en place désormais classique, internationalement reconnue, de la question de l'Etat; une critique de la vie quotidienne qui va s'épanouir entre autres dans une sociologie urbaine très vivante, prolongement des premières recherches en sociologie rurale ; une attitude réflexive par rapport à la philosophie, avec des interrogations très actuelles sur la linguistique, sur la logique formelle et la logique dialectique.

Les dernières investigations de Lefebvre, sur la « rythmanalyse » (en compagnie de Catherine) sont elles aussi en germe dans l'autobiographie, à travers la théorie des moments — stases quasiment orgasmiques à la W. Reich — «EST UN MOMENT CE QUI S'ÉRIGE EN ABSOLU » (p. 653). Au-delà des structures et du structuralisme (qu'il a été un des premiers et des plus vigoureux à combattre) et du flux presque bergsonien des « accomplissements » phénoménologiques, le «moment » est, sous le signe de l'immanence du quotidien, comme la caresse de l'aile d'un ange, une amourette avec la transcendance. L'idée de bonheur devenue désirable comme toutes ces femmes qui scandent et remplissent la vie d'Henri.

S'il avait été un peu moins amoureux, peut-être ne se serait-il pas posé les mêmes questions philosophiques? On a le droit de rêver. Mais il n'aurait pas été moins dialogique, moins curieux de l'autre, de Marx, de Hegel, de Nietzsche, de « l'honorable contradicteur », du lecteur, de lui-même.

René LOURAU, août 1989


[1] Remi HESS, Henri Lefebvre et l'aventure du siècle, Paris, A.M. Métaillé, 1988.

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25 septembre 2018 2 25 /09 /septembre /2018 12:42

René Lourau : présentation de La somme et le reste (3)

 

 

Voici donc reparaître la question que Marx, embourbé dans les détournements que la social-démocratie allemande faisait subir à sa théorie, embarrassé par sa rivalité avec Bakounine et le courant libertaire, noyé peut-être dans son analyse interminable du Capital, a laissé en suspens, malgré le beau retour de flamme des Gloses marginales sur le Programme de Gotha. Cette question, la question de l'Etat, est peut-être l'interface la plus parfaite entre marxisme et analyse institutionnelle.

Et voici reparaître Henri Lefebvre, professeur de sociologie à Strasbourg puis à Nanterre, marquant de sa réflexion sur l'Etat de nombreux étudiants, et d'abord tous ceux qui, après 1968, allaient s'engager dans le courant d'analyse institutionnelle. D'autres, à travers ses écrits, particulièrement la somme en quatre volumes intitulée De l'Etat (UGE, coll. 10/18), allaient apporter et maintenir dans notre courant l'actualité de la question étatique en liaison avec la théorie de l'institution.

Sans une théorie critique de l'État, on peut se demander ce que serait devenue l'analyse institutionnelle: très vite, une sous-variété de la psychologie sociale, variété plus hard destinée à être rapidement intégrée par ses clients modernistes. Analyser l'institution, c'est chercher, par des moyens plus ou moins efficaces et qui peuvent changer avec le temps, à atteindre une découverte collective de la puissance étatique, fondement et légitimation de l'institué. L'« auto-production » de la société est tout entière organisée par un jeu de forces et de formes que Lefebvre a désigné comme «le mode de production étatique» (M.P.E.). Au stade du capitalisme mono-polistique (à l'ouest) ou étatiste (à l'est), dans les nations depuis longtemps unifiées comme dans celles qui aspirent encore à une reconnaissance et à un territoire, toutes les forces économiques, sociales, idéologiques, scientifiques, techniques, sont mobilisées par le M.P.E. Forme hégémonique, quasi-transcendante, l'Etat entretient avec le Capital des rapports beaucoup plus riches et complexes que du temps de Hegel ou même de Marx. Ce qui n'est pas sans rapports avec l'effondrement de l'internationalisme révolutionnaire et le triomphe de l'internationalisme de la marchandise... .

« Le mystère social est de nature fétichiste et religieuse », écrivait en 1938... non Georges Bataille, mais Henri Lefebvre[1]. Ce mystère social, que l'analyse institutionnelle cherche non à supprimer mais à rendre évident en tant que force qui se déguise, se cache, se dénie, c'est la contradiction permanente, alimentée par les hauts fourneaux de l'Etat comme agent et source ultime de la globalité. La dialectique des contradictoires se déploie au grand jour dans la mondialité. Tout camp d'analyse qui néglige ce phénomène absolument moderne et massif se condamne à ne produire que de ternes tautologies de l'existant. Le déploiement s'opère dans la vie quotidienne, avec ses « moments » dont la socianalyse apprend en quoi ils sont ou ne sont pas « critiques », c'est-à-dire socianalytiques, analyseurs des contradictions dans une situation concrète. Dans ces moments-là, « le sens de notre vie, c'est la vie telle qu'elle est », comme ne l'écrivait pas Sartre en 1936, puisque cette formule très « existentielle » est de Guterman et Lefebvre[2].

Le Négatif est là, la saleté s'en va! Il ne faudrait pas que les pages qui précèdent donnent à penser qu'il suffit d'hommes de bonne volonté pour obtenir de bons travailleurs du négatif. Les implications de toute recherche, de toute lutte, sont à analyser sans cesse, comme étant l'obstacle à vaincre, la résistance à surmonter. Le marxisme, même transmis par Henri Lefebvre, n'apporte pas un parfum d'angélisme à l'analyse institutionnelle. Ce serait plutôt une odeur de soufre.

Il n'est pour s'en convaincre que de lire ou de relire La somme et le reste, cette autobiographie écrite un peu grâce aux décisions des commissions de contrôle de deux institutions dans lesquelles le chercheur-militant avait de fortes implications : d'une part le CNRS (qui l'a suspendu un instant en 1953), d'autre part le Parti communiste français, qui le suspend en 1958.

(...)

 


[1] Henri LEFEBVRE, Le matérialisme dialectique, Paris, P.U.F., 1962. Page 79.

[2] Norbert GUTERMAN et Henri LEFEBVRE, La conscience mystifiée, Paris, Gallimard, 1936. Page 47.

 

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24 septembre 2018 1 24 /09 /septembre /2018 11:31

René Lourau : présentation de La somme et le reste (2)

 

 

Henri Lefebvre - on pressent que bien des choses commencent à pivoter autour de lui - est en ce début des années 60 en liaison avec un autre groupe, l'Internationale Situationniste. Son rituel de libération, après son départ du parti communiste, il l'accomplit peut-être davantage, et avec plus de plaisir, en compagnie de ces jeunes avant-gardistes issus du Lettrisme et désireux de produire le dépassement de l'art dans la vie quotidienne. Hegel, que Lefebvre n'a jamais renié, le jeune Marx romantique et libertaire, sont de la fête. La critique radicale du vieux monde retrouve la poésie, l'humour, la férocité du permis de démolir proclamé trente ans plus tôt par les surréalistes. La dialectique retrouve son tranchant émoussé par tant de dogmatismes. Et de nouveau le mot Révolution se déshabille lentement: sa beauté donne le frisson. Le plaisir, le non-travail, le plein emploi de l'espace et du temps, le jeu, l'imagination sont à l'ordre du jour. Ce marxisme-là, faut-il le jeter avec l'eau sale et rougie du bain stalinien? Certes pas.

Même si, comme on le voit déjà, les liens entre le marxisme et l'analyse institutionnelle ne se réduisent pas au rôle d'Henri Lefebvre dans notre courant, il n'en reste pas moins que c'est en grande partie à travers Lefebvre qu'une certaine décomposition du marxisme institutionnel et, simultanément, une reconnaissance de l'apport marxien, ont pu profondément marquer l'élaboration de l'analyse institutionnelle.

Inutile de tenter un renouvellement du thème romantique des « ruines » : le marxisme, idéologie de l'intelligentsia progressiste, spiritualisme sordide de la bureaucratie, était sans doute déjà mis à mort en plein XIXème siècle, grâce au premier disciple actif de Marx, Ferdinand Lassale. Le Négatif était bel et bien enterré. Vaincu idéologiquement au sein de la première Internationale et politiquement avec la Commune de Paris, le courant révolutionnaire libertaire lançait aisément des prévisions justes quant à l'avenir d'une doctrine qui s'identifiait aussi férocement avec sa propre institutionnalisation. Plusieurs dizaines d'années à l'avance, Bakounine, puis Makhaïsky, décrivent le totalitarisme qui ne peut manquer de surgir du marxisme institutionnel. L'effondrement, en quelques jours, en quelques heures, en 1914, de la deuxième Internationale, annonce en clair dans quelles conditions allait être créée la troisième (et allait éternellement avorter la quatrième). Si le Négatif était, dans la prophétie initiale, incarné dans l'internationalisme, le lassalisme à la manière russe était son second fossoyeur : mais, cette fois, pas seulement à l'échelle d'un pays (l'Allemagne). C'est à l'échelle mondiale que l'on assistait à une Bérésina intellectuelle : le communisme identifié à un nationalisme russe et la libération de l'homme étant confiée à l'une des pires bureaucraties qu'ait connue l'histoire.

Bien entendu, cette vision trop facilement construite a posteriori n'est pas acceptée par tous les anciens communistes. Le devenir du mouvement révolutionnaire reste pour eux attaché à la puissance des partis communistes, des partis entièrement transformés, rénovés, purgés de tout dogmatisme. Ils ne croient pas à l'extermination du Négatif par le socialisme lui-même. Après tant d'années sans horizon, ils espèrent, tel Henri Lefebvre, en des dépassements...

Tout en respectant et en comprenant ce que l'expérience accumulée dans « LE Parti» peut produire d'espoirs, de stratégies plus ou moins riches d'avenir, je ne peux m'empêcher, ici, de signaler un point «chaud» dans les relations entre l'analyse institutionnelle et le marxisme. Ce point, c'est la question de la forme « parti ». La forme « parti », comme cela a été montré par l'un d'entre nous, Antoine Savoye[1], ne peut être comprise qu'en liaison avec la périodisation du mouvement révolutionnaire. La dialectique du mouvement et de l'institution, étudiée par Alberoni[2] trouve ici un de ses terrains d'application les plus significatifs pour l'analyse institutionnelle. Le jeu des forces sociales engendrant des formes sociales qui deviennent à leur tour foyer de forces, ce jeu-là est placé sous le signe de ce que j'ai nommé, dans la théorie de l'institutionnalisation, le principe d'équivalence élargi. Pour qu'une forme finisse par être acceptée par le droit et l'idéologie dominants, il faut qu'elle entre en équivalence avec les formes déjà existantes. Or, ce qui nous intéresse ici, c'est moins cette description un peu mécanique de la genèse des formes que l'analyse des transformations opérées dans le « contenu » du mouvement, dans les forces qui se matérialisent dans telle ou telle forme. Comme le souligne Antoine Savoye, l'apparition de la forme « parti » est contemporaine de la réaction politique. La Conspiration des Egaux de Babeuf et Buonarotti se constitue non avant mais après Thermidor. Les partis socialistes se constituent après l'effondrement de la première Internationale, sur le cadavre de l'internationalisme. Lorsque, mettant la charrue avant les boeufs, ils se présenteront comme de simples « sections » de la nouvelle (deuxième, et aussi troisième) Internationale, les faits exposeront avec éclat l'absence de tout contenu réel de cet «internationalisme ». «Section », certes, mais alors au sens de mise en morceaux de la prophétie. La négation de la «prophétie initiale », dont Mühlman[3] a fait la base de sa théorie de l'institutionnalisation, est une force indispensable pour que s'organise la forme « parti » telle que nous la connaissons depuis la fin du XIXème siècle. La bureaucratisation, la fonctionnarisation, la coupure entre parti et masse (et entre parti et théorie) ne sont pas des «dégénérescences », issues d'« erreurs» ou de « mauvaises directions ». Ce sont des résultats du travail de transformation subi par le « contenu » idéologique initial. La justification ou l'excuse fournie en général — à savoir qu'il s'agit de combattre l'ennemi avec ses propres armes  — ne fait que désigner implicitement le processus de négation simple de la théorie par la pratique. Et il faut souvent attendre le moment analyseur de l'autodissolution pour voir enfin resurgir le Négatif ou négation de la négation.

 N'existe-t-il pas une alternative à l'abandon du projet socialiste par lui-même — abandon qui de la forme « parti » s'étend ensuite, lors de la prise du pouvoir, à tous les organes de la société? L'analyse institutionnelle a-t-elle une proposition constructive à opposer à ces fatalités? Un vieux « truc » de psychosociologue, un antirouille, un acide antibureaucratique ?

Contentons-nous d'indiquer rapidement que la solution, si solution il y a, ne saurait en aucun cas être cherchée dans des instrumentalisations, dans des recettes formelles. C'est le devenir historique lui-même qui peut alimenter notre imagination socio-analytique. Les organisations politiques ou syndicales, ou syndicalo-politiques, qui ne se constituent pas en machines électorales, qui ne consacrent pas leur meilleure énergie à la gestion interne, qui acceptent d'être observées de l'intérieur ou de l'extérieur, sont moins soumises à la fatalité dont il était question plus haut. La C.N.T. espagnole, à la veille de 1936, ne possédait qu'un seul permanent, son secrétaire général. La CGT italienne a décidé de licencier une bonne partie de ses 4000 permanents, l'entretien de cette armée de bureaucrates absorbant dans certaines régions jusqu'à 49 % du budget ! Surtout, bien des organisations non encore monstrueusement développées, dans l'avant-gardisme politique ou culturel, expérimentent dans l'autodissolution les bienfaits de la résistance à l'institutionnalisation.

Tout près de nous, autour de 68 en France, un peu plus tard au Portugal et en Espagne lors de la fin des dictatures, on a vu se développer des formes et des théories « apartidaires », assez rapidement absorbées par les anciens ou nouveaux partis. Il faudra tenir compte, un jour ou l'autre, de ces laboratoires sociaux. Mais surtout, il faudra opérer un renversement complet de la réflexion politologique et sociologique : les formes et théories apartidaires ne sont pas de petits accessoires dans la grande machinerie politique. Elles ne peuvent se contenter de servir de cure de rajeunissement ou d'aggiorniamento pour vieux monstres ankylosés. Elles ne sont pas davantage des forces d'appoint à une stratégie léniniste ou para-léniniste. La stratégie dont elles sont porteuses ne peut que les opposer à la stratégie des gros appareils conçus spécialement pour la prise du pouvoir d'Etat ou l'exercice du pouvoir d'Etat. La réflexion sur la forme « parti » débouche donc sur une révision stratégique, et non sur la perspective d'un peu plus de démocratie interne bu de rénovation de la « ligne » idéologique. La décomposition de plus en plus visible de la forme « parti » sinon dans la réalité politique habituelle, du moins dans l'imaginaire social de notre époque, ne peut que nous encourager dans notre analyse.

(...)

 

 


[1] Antoine SAVOYE, « Pour une analyse institutionnelle du parti », L'homme et la société, n°' 29-30, 1973.

[2] Francisco ALBERONI, Movimento e instituzione, Bologne, Il Mulino, 1981.

[3] Wilhelm E. MÛHLMANN, Messiannismes révolutionnaires du tiers-monde, Berlin, 1961, tr. fr. Gallimard, 1968.

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22 septembre 2018 6 22 /09 /septembre /2018 16:08

René Lourau : présentation de La somme et le reste (1)

 

 

Introduction

 

Pour connaître une pensée-praxis telle que l'analyse institutionnelle, le recours à ses origines et ses références s'impose.

Certes, les institutionnalistes ont écrit des ouvrages pour répondre à la fameuse question : Qu'est-ce que l'analyse institutionnelle ?

Toutefois, les articles publiés ou non dans des revues, des journaux ou des brochures ne sont pas encore répertoriés, un travail reste à accomplir.

La présentation ci-dessous de René Lourau de l’ouvrage « La somme et le reste » d’Henri Lefebvre, fait partie de ces articles publiés ou non, qui ne sont pas répertoriés en tant que références de l'analyse institutionnelle.

Dans cette présentation, René Lourau expose les différents courants intellectuels,  politiques et artistiques qui ont influencé la genèse de l'analyse institutionnelle.

 

Benyounès Bellagnech

 

 

Présentation

Lefebvre, «parrain» de la Maffia « Analyse institutionnelle»

 

L'analyse institutionnelle, à ses débuts, est en interférence avec des variétés de marxisme non-institutionnel.

Il y a interférence active avec le courant - « gauchiste »-, post-trotskiste, autogestionnaire, de Socialisme ou Barbarie au début des années 60 et jusqu'à l'autodissolution de «S ou B» en 1967.

Le « révisionnisme » du groupe Arguments et de sa revue plane sur l'apparition de l'analyse institutionnelle, y compris l'autodissolution du groupe et de la revue en 1962. Kostas Axelos publiera dans sa collection des éditions de Minuit, « Arguments », la thèse d'Etat de Lapassade - L'entrée dans la vie - puis la mienne - L'analyse institutionnelle.

Moins « organique » et passant par Henri Lefebvre surtout, le lien entre la naissance de l'analyse institutionnelle et l'Internationale situationniste est important, dans les années qui précèdent 68 et jusqu'à l'autodissolution de l'I.S. en 1971 (le groupe surréaliste, groupe de référence non négligeable, s'autodissout en 1969).

Quant au marxisme critique de Lefebvre (recoupant partiellement l'itinéraire de l'I.S. et celui d'Arguments, sans parler d'anciennes interférences avec le surréalisme...), il imprègne, surtout à partir de la période nanterroise, l'essentiel de nos recherches.

Comment l'analyse institutionnelle a-t-elle pu absorber, digérer des courants aussi divers, divergents, rivaux? Socialisme ou Barbarie a polémiqué contre les « modernistes » d'Arguments, les Situationnistes ont rejeté Henri Lefebvre dans les « poubelles de l'histoire ». Quoi de commun entre Castoriadis, Edgar Morin, Guy Debord, Henri Lefebvre?

Le lecteur déboussolé peut éventuellement se raccrocher à ce petit fait: les courants et groupes cités sont, à l'époque où se produisent les interférences avec l'analyse institutionnelle, sur la voie de l'autodissolution. Processus hautement socianalytique, comme j'ai essayé de le montrer ailleurs[1]

L'autodissolution, concept sociologique trop négligé, peut-être parce que trop dialectique, n'est pas un exercice mondain pour avant-gardes esthétiques en mal de publicité. Dans le cours des années 60, elle signale et réactive de grands bouleversements idéologiques. Ces bouleversements ne touchent pas que les groupuscules. Ils atteignent aussi les gros appareils. Des forces jeunes, critiques, instituantes, se détachent alors des églises catholique et protestante, ainsi que du parti communiste français. Quelques variétés nouvelles de trotskisme et de maoïsme pourront ainsi brouiller le jeu politique institué avant et après 1968, préparant le chemin à des avant-gardes quotidiennistes, apartidaires, comme les écologistes, les féministes, etc.

Ce sont donc des courants marxistes en mouvement, en voie de dépassement, qui exercent un frottement sur la constitution de l'analyse institutionnelle. Même du côté du PCF, le revival scientiste des Althussériens donne à cette époque une impression de furieuse agitation. Mais comment, en effet, l'analyse institutionnelle parvient-elle à absorber, à digérer des turbulences marxistes aussi diverses? C'est ce qu'il faut essayer de préciser.

L'apport de Socialisme ou Barbarie (S ou B), surtout à l'époque où nous avions constitué le Groupe de Pédagogie Institutionnelle (G.P.I., 1964-1967), se situe principalement sur deux plans.

D'une part, la théorie de l'autogestion comme praxis du socialisme (thème qui commençait à titiller même des marxistes fraîchement sortis du stalinisme), mais aussi et d'abord comme stratégie de lutte contre le capitalisme moderniste empêtré dans ses contradictions entre le despotisme de fabrique (Marx) et la nouvelle politique des relations humaines dans l'entreprise. Les références aux Conseils ouvriers, aux expériences lointaines (Espagne, 1936) ou récentes, voire contemporaines (Yougoslavie, Algérie) étaient pour les pédagogues praticiens du G.P.I. une armature idéologique indispensable, aussi forte, dans un registre bien différent, que l'armature néo-freudienne, lacanienne, de nos voisins liés directement à la psychothérapie institutionnelle (Fernand Oury, Guattari, etc.).

Aussi n'est-ce pas par hasard qu'en 1965 et dans les années suivantes, alors que S ou B agonise puis a disparu, certains d'entre nous se retrouvent dans l'expérience de la revue Autogestion (plus tard Autogestion et socialisme, puis Autogestions...), lancée aux éditions Anthropos par Serge Jonas, Jean Pronteau, Georges Gurvitch (qui meurt bientôt), Henri Lefebvre, Jean Duvignaud, Michel Raptis, Yvon Bourdet (ex S ou B), etc. Issue de la pédagogie libertaire, de la non-directivité rogérienne, des dissidences du mouvement Freinet, la pédagogie institutionnelle allait trouver, derrière Georges Lapassade, un solide ancrage politique dans le projet autogestionnaire dont S ou B avait été porteur.

L'autre apport du groupe réuni alors sous la houlette de Cornelius Castoriadis est apparemment plus théorique, mais ne va pas manquer de marquer nos expériences de terrain, à savoir la mise au point de l'intervention socianalytique. Cet apport est celui d'une théorie de l'institution, vue comme instance dynamique (dynamique qui doit beaucoup à Sartre), par le jeu de l'instituant et de l'institué. Dans ses recherches de cette période, Castoriadis met également l'accent sur le rôle de l'imaginaire social. Tous apports fort utiles pour désencrasser la vieille machinerie conceptuelle héritée de l'Ecole française de sociologie, et rejoignant les théorisations de Hegel ou de Hauriou, tout en baignant dans un arrière-fond de critique radicale rempli des cris de révolte de Rimbaud, Lautréamont, des dadaïstes, des surréalistes (et des situationnistes).

En l'absence quasi totale d'une théorie de l'institution dans la sociologie marxiste, il n'est pas étrange qu'en 1969, je consacre dans ma thèse une bonne partie du chapitre intitulé « Marxisme et institutions » à ce que je nommais « la critique institutionnaliste de Cardan » (Cardan étant le dernier des pseudonymes utilisés par Castoriadis dans son époque S ou B). Avec le groupe et la revue Arguments, disparus dès 1962, les rapports ont été plus indirects, sauf en ce qui concerne Lapassade, lequel collabore à plusieurs numéros et oriente fortement les deux numéros ultimes, consacrés à « la question politique ». Plus intellectuel, moins militant que S ou B, Arguments fournit à des anciens membres du P.C.F. (et à quelques jeunes modernistes venus d'ailleurs) l'occasion d'opérer « la grande révision », la grande lessive du marxisme stalinisé, institutionnalisé. Les premiers militants de l'analyse institutionnelle, n'ayant pas de passé stalinien, sont moins concernés par l'opération de lessivage que par le spectacle de l'institution marxiste mise à nu par les principaux intellectuels marxistes eux-mêmes. Tout en découvrant ou en redécouvrant Nietzsche, Lukács, Heidegger, etc., les argumentistes, du moins certains d'entre eux, comme Gabel et Lefebvre, n'en oublient pas pour autant que derrière les tâches de sang intellectuelles ou physiques du « marxisme » institutionnalisé par la dictature russe, continue d'exister une pensée marxienne, joyeuse et libre, celle que le néo-marxisme institutionnel d'Althusser tente au même moment d'étouffer sous prétexte de non-scientificité. Mais, au fait, si Axelos, Morin, Duvignaud, Barthes et quelques autres ont été des « argumentistes » (exécrés par S ou B et surtout par l’I.S.), peut-on dire qu'un marxien comme Henri Lefebvre l'ait été vraiment?

(....)

 

[1] René LOURAU, Autodissolution des avant-gardes, Paris, Galilée, 1980.

 

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16 septembre 2018 7 16 /09 /septembre /2018 09:03

Incendie du Musée National de Rio de Janeiro. Un analyseur des temps du coup d'Etat qui détruit le Brésil

 

 

Mes ami(e)s

 

Cette photo crie la violence contre la culture, contre la mémoire, contre le droit de l'humanité à préserver son histoire. Cette violence est un analyseur de l´état d´exception que vit la société brésilienne, perpétrée par le coup d´Etat qui est arrivé au Brésil en 2014.  C'est l´érosion des droits des citoyens, de leurs droits à l´éducation, à la santé, à la mémoire. C´est la judiciarisation de la justice, c´est la criminalisation des mouvements sociaux, une marche en arrière qui concerne toutes les conquêtes réussies par le peuple brésilien. 
 

Nous sommes dans une dispute électorale acharnée. Heureusement nous n´avons pas perdu la force de lutter pas seulement pour le Brésil, mais pour un monde moins inégal. 

 

Je vous embrasse

Lúcia 

 

Message reçu de Lúcia Ozorio de Rio de Janeiro

 

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