Conclusions et ouvertures
Avec un lest historiquement et politiquement plus consistant que celui des Français en 1981, nous voyons aujourd'hui accéder au gouvernement brésilien un président (Lula) et un parti (PT) qui portent depuis longtemps nos luttes et nos espoirs de liberté. Dans ce sens, en guise de conclusion, nous désirons évoquer quelques analyses relatives aux modes d'action des intellectuels dans leur relation avec l'Etat, le quotidien et les pouvoirs.
Quant la « rigueur » prétendument indispensable à la gestion (capitaliste) du socialisme a succédé la douce «austérité» initiale du gouvernement Mitterrand, Michel Foucault a proposé de faire de l'éthique une politique.
« Le travail d'un intellectuel n'est pas de modeler la volonté politique des autres ; il est, par les analyses qu'il fait dans les domaines qui sont les siens, de réinterroger les évidences et les postulats, de secouer les habitudes, les manières de faire et de penser, de dissiper les familiarités admises, de reprendre la mesure des règles et des institutions et, à partir de cette reproblématisation (où il joue son métier spécifique d'intellectuel) de participer de la formation d'une volonté politique (où il a son rôle de citoyen à jouer) » (Foucault, 1994 a : 676-677).
Ces mots s'accordent à d'autres, de 1972, quand Foucault avait mis l'accent sur la différence entre l'intellectuel universel,de la « conscience et éloquence» - qui dit la vérité à ceux (et/ou au nom de ceux-ci) qui ne peuvent la dire - et l'intellectuel spécifique,« objet et instrument » - celui qui se reconnaît comme faisant partie de dispositifs de pouvoir et qui a besoin de transformer ses théories en systèmes régionaux de lutte (Deleuze et Foucault, 1979 : 70-71).
Tournée vers l'importance éthico-politique de la vie quotidienne, cette forme de problématisation semblait absorbée par le Parti Socialiste dans la route qui conduisait à la victoire électorale. Cependant, pendant que Foucault généalogise la constitution des sujets «désireux de normes» pour lui opposer un art de l'auto-gouvernabilité, les nouveaux gouvernants ne savent que répéter : « obéissez ! » et, entre autres mesures aussi sûrement néo-libérales que désastreuses, ils instaurent une nouvelle politique d'immigration, prenant en chasse de façon implacable tous les « clandestins ».
Face à ce panorama, Félix Guattari (1986 a : 32-33) évalue qu'un débat effectif entre le pouvoir et l'intelligentsiadevrait mettre en question : l'anti-production qui marque le fonctionnement des partis de gauche ; les perspectives d'évolution vers des sociétés multiraciales et transculturelles ; la politique de transformation de l'habitat, de l'urbanisme, de l'Education Nationale, des prisons, des hôpitaux psychiatriques ; l'opportunité de l'utilisation de crédits publics pour construire des bombes à neutrons ou des sous-marins nucléaires ; les initiatives concrètes en faveur de l'émancipation économique et sociale du Tiers-monde.
Malheureusement, un tel débat n'est pas amorcé, mais Guattari continue à dialoguer, au moins, avec ceux qui ne sont pas encore devenus sourds, par des doses massives de cynisme pseudodémocratique. Gouvernants ou non, beaucoup de Français ne l'écoutent plus, mais d'autres voies sont ouvertes : il est invité au Brésil (Guattari 1982 ; Guattari et Rolnik, 1986) et même au Japon où le nouveau paradigme des entreprises, prétendue panacée pour tous les problèmes, l'inquiète beaucoup. Mais il se sent quand même atteint par le désenchantement général :
« Je suis de ceux qui vécurent les années soixante comme un printemps qui promettait d'être interminable ; aussi ai-je quelque peine à m'accoutumer à ce long hiver des années quatre-vingt ! » (Guattari, 1986b : 7)
En examinant le parcours de la gauche, il cherche les raisons de l'échec de l'expérience gouvernementale en cours. Il répudie les explications faciles dues au manque d'idées, à la résistance des conservateurs et surtout à la « crise » qui a toujours bon dos :
« Plutôt que de continuer à mettre les nouvelles technologies au service des hiérarchies et des ségrégations oppressives (...), les socialistes auraient été mieux avisés d'explorer les possibilités qu'elles offrent en matière de concertation collective, et de démultiplication des instances de décision. (...) Les leaders socialistes ont tellement pris l'habitude de traiter le peuple sur un mode infantilisant, comparable en tous points à celui des leaders de droite, qu'ils ne se sont peut-être même pas aperçus à quel degré ils s'en étaient distanciés. En fait, ils n'attendent plus de lui qu'un soutien global, de caractère exclusivement électoral, sans participation en feed-back » (idem : 10-11).
Heliana de Barros Conde Rodrigues
Mis en ligne par Benyounès et Bernadette Bellagnech
voir aussi : http://journalcommun.overblog.com
et : http://lesanalyseurs.over-blog.org
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