Algérie : un éveil politique et social
Une crise politique et des luttes de pouvoir internes
L’Algérie traverse une crise multidimensionnelle aiguë depuis un certain temps. Le pays connaît une crise politique depuis des décennies, notamment après le coup d’État militaire de 1992 et la guerre atroce qui en a résulté contre les civils. Les origines de cette crise remontent à l’ère coloniale, bien que ses manifestations les plus récentes résultent directement de la politique d’une accumulation parasitaire et d’une corruption enracinée : un binôme militaro-oligarchique qui prive le peuple algérien de son droit à l’autodétermination et se dispense d’une légitimité populaire au profit du capital national et international. Plusieurs facteurs ont exacerbé cette crise, notamment l’absence et la maladie de l’ancien président du pays, Abdelaziz Bouteflika, qui n’a pas été vu en public depuis 2013. Un bourbier encore aggravé par les luttes de pouvoir au sein de l’élite a culminé avec la chute du faiseur de rois de longue date en Algérie, le chef du département du renseignement et de la sécurité (DRS) en 2015, et le scandale de la cocaïne en 2018, qui a entraîné le limogeage du chef de la police, de quelques généraux et d’autres hauts fonctionnaires du ministère de la Défense.
Dans un contexte d’échec de l’opposition institutionnalisée et des mouvements sociaux à exprimer et à mettre en œuvre une alternative viable, nous avions prédit en 2016 que « la chute des prix du pétrole pourrait bien enfoncer le dernier clou dans le cercueil d’une économie de rente, non productive et désindustrialisée, fortement tributaire des exportations de pétrole et de gaz, principale source de devises… …Avec la dégringolade des cours du pétrole et des réserves de change (estimées à 179 milliards de dollars à la fin de 2014) prévues pour ne pas durer au-delà de 2016-2017, l’expérience de 1988 pourrait facilement être reproduite et la crise pourrait dégénérer en une véritable explosion qui menacerait la sécurité nationale du pays et, éventuellement, son intégrité territoriale. »
Les récents événements interviennent à un moment de crise économique aiguë symbolisée par des mesures d’austérité étouffantes à la suite du déclin des recettes des exportations de pétrole et de gaz, associées à une intensification des querelles internes et des divisions au sein des élites dirigeantes après l’imposition de la candidature de Bouteflika pour un cinquième terme à la tête de l’état.
Ce qui a débuté en 2008-2015 comme une scission entre les services de renseignement (DRS) et le pôle représenté par l’alliance de la présidence et du commandement des forces armées (opposition à l’amendement constitutionnel permettant à Bouteflika de briguer un troisième mandat, exposition publique par le DRS d’une série de scandales de corruption et enfin le limogeage du chef du DRS en 2015) s’est métamorphosé en 2019, avec l’entrée décisive du peuple sur la scène politique en une scission entre la présidence et le commandement des forces armées, qui est clairement intervenu pour mettre fin au règne de Bouteflika afin de sauvegarder le régime en place. Ces démonstrations publiques de luttes internes de pouvoir sont symptomatiques des profondes contradictions et de l’instabilité du bloc actuel aux rênes du pouvoir et de la crise d’hégémonie en son sein, qui a ouvert de nouveaux espaces de résistance.
C’est un moment important dans la dynamique populaire qui a débuté en février 2019, car il s’agit d’une seule bataille gagnée dans la longue lutte pour un changement radical qui doit impliquer également le renversement du Général Major Gaid Salah, une personne clé du système de Bouteflika et un partisan de son cinquième mandat avant de reculer sous la pression du mouvement populaire croissant. Il ne faut absolument pas faire confiance au commandement de l’armée, surtout qu’il (Gaid Salah) avait d’abord menacé le mouvement avant d’adopter un ton plus conciliant. Nous devons faire preuve de vigilance et être plus déterminés que jamais afin d’empêcher les forces contre-révolutionnaires de détourner ce soulèvement historique.
Maintenant que Bouteflika a démissionné, il est absolument nécessaire de mettre en place une transition véritablement démocratique en ne cédant pas aux appels en faveur de l’application de l’article 102 de la constitution actuelle, qui maintiendra le système en place et ne garantira pas la tenue d’élections libres et transparentes. Le peuple demande la souveraineté populaire qui ne peut être limitée par des arguments rigides et strictement légalistes et constitutionnalistes. C’est un moment unique dans l’histoire de l’Algérie qui peut imposer de nouveaux paradigmes révolutionnaires, qui doivent aller au-delà des cadres juridique et constitutionnel pour défier radicalement le statu quo et créer une rupture fondamentale avec le système oppressif en place.
Il existe déjà plusieurs propositions pour résoudre la crise et instaurer une sorte de transition qui va satisfaire la demande du peuple et lui rende sa souveraineté étouffée. Le commandement de l’armée ne doit pas s’immiscer dans ce processus et doit s’en tenir à son rôle constitutionnel de garantie de la paix et de la sécurité nationale. Les Algériens ne se sont pas révoltés pour remplacer certains oppresseurs par d’autres ! Pour cette raison, le rapport des forces doit être considérablement déplacé vers le côté des masses populaires en maintenant la résistance (marches, occupations d’espaces publics, grèves générales, etc.) pour obliger le commandement de l’armée à se plier à la demande de la population : « Tous doivent partir ! » (Yetnahaw Gaa) et « Système dégage ! ».
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Hamza Hamouchene
Avec l’aimable autorisation de l’auteur.
Lien vers l’article en arabe ici.
http://www.cadtm.org/Algerie-un-eveil-politique-et-social
Publié le 16 avril 2019 : https://entreleslignesentrelesmots.blog/2019/04/16/algerie-un-eveil-politique-et-social/