Vendredi 12 juin, 9 h 15
Armin a donné une consigne. Il faut écrire ce qui ne va pas dans tel ou tel module. On va mettre nos critiques en commun.
Au petit-déjeuner, j’ai pris conscience des ressources que représenteraient, dans ce programme, l’ethnographie de l’école. Cependant, écrire quelque chose là-dessus demanderait du temps. Apparemment, Peter Woods, Miguel Zabalza et les ethnométhodologues sont inconnus en Allemagne. Il faudrait écrire un manuel d’ethnographie de l’école, en présentant pour les Allemands les courants anglophones, puis l’école de Vincennes.
L’école de Vincennes des sciences de l’éducation: AI et ethnosociologie
I. Les sources institutionnelles françaises.
II. Les sources anglo-saxonnes
III. Les cadres d’une ethnographie de l’école et des jeunes: les outils de l’école de Vincennes.
Je regrette de ne pas avoir passé une heure, hier soir, avec Gaby. Nous n’avons pas tellement de temps actuellement pour communiquer. Il aurait été important de passer un moment pour préparer la journée d’aujourd’hui.
Je viens de prendre conscience que mon tour arrive: que vais-je pouvoir dire?
J’essaie de dire qu’hier j’ai pris conscience de certaines limites du module 1 sur la perception et l’observation, etc. Ce matin, j’ai pris conscience qu’il n’existe pas en allemand de traduction des ethnographes de l’école (P. Woods, M. Zabalza, G. Lapassade). Ces sources sont essentiellement anglo-saxonnes, mais avec quelques prolongements en espagnol et en français. Je ne pense pas qu’il soit temps d’introduire aujourd’hui ce mouvement dans ce travail. Ce serait plutôt pour une suite. Dans le domaine des enfants doués, les sources sont principalement psychologiques. Or, la démarche ethnosociologique pourrait être essentielle. Il y a un effort des ethnographes pour entrer dans la culture des élèves, des maîtres. Une autre posture d’observation se dégage de ce courant, ayant des implications pédagogiques certaines.
Voilà ce que j’ai dit. Je vois finalement un chantier s’ouvrir. Il faudrait le produire en français, et l’éditer en allemand sous le titre Manuel d’ethnosociologie pédagogique.
On a terminé le tour de table. Armin explique ce que l’on va faire de toutes ces remarques.
10 h 45
Je viens de prendre conscience de plusieurs choses. Mon lien avec Paris 8 est détruit sur le plan libidinal, sur le plan idéologique et sur le plan organisationnel.
-Sur le plan libidinal, le conflit avec Jean-Louis Le Grand révèle qu’il n’y a plus rien entre nous. Cette analyse est valable aussi pour Experice… Je ne me sens pas utile, ni sur le terrain du quotidien, ni sur le biographique: je ne suis plus inscrit dans le continuum de la condition biographique.
-Sur le plan idéologique, ce que je porte n’est plus perçu par notre groupe.
Midi
Une idée qui s’est imposée à moi, ici: Vincennes, l’école de Vincennes, dont je fais partie, n’est plus identifiable, en science de l’éducation, avec Saint-Denis. La prophétie de Vincennes devient objet de haine à Saint-Denis, de la part du courant de la sociologie de l’éducation durkheimien… Ce courant identifie des personnes à détruire. Je surviens pour empêcher l’extermination de ce groupe. C’est ma lucidité, en rentrant de Reims, en 1994. Je parviens, surtout grâce à l’appui de Lucette Colin et René Barbier, à faire exister ce groupe à Paris 8, contre les exterminateurs. Malgré notre faiblesse numérique, nous nous maintenons comme «équivalents»:notre labo est finalement reconnu, grâce au génie de Gilles Brougère, qui recrute une de mes thésardes comme professeur à Paris 13, et ouvre la voie du rapprochement qui fait sens sur le plan administratif.
Je me demande si l’école de Vincennes ne pourrait pas s’actualiser à Karlsruhe. Je prends un demi-poste à Karlsruhe. Cela renforce Gaby et Gerald. On recrute en plus le suisse du Zurich (Otto Graph). Nous sommes 4. Nous faisions une école franco-allemande de la pédagogie institutionnelle.
Mon autre mi-temps, je le prends à l’Institut catholique de Paris.
Mon travail: écrire des manuels.
16 h 45
Lucette dit: pourquoi quitter Paris 8? C’est partout pareil… Je ne suis pas d’accord. Imaginons que je sois prof à Karlsruhe. Rien n’est pareil. Je dois faire mes cours en allemand: rien que cela est un vrai changement. Si je suis à la Catho, tout est différent. À la Catho, je vais avoir une vraie place de directeur de recherche. Les gens vont participer à mon séminaire, etc.
13 h
Günter m’appelle:
- La directrice veut te voir?
- La directrice?
- Oui, la directrice de l’école de Bratislava!
Tous les regards se portent sur moi, interrogateurs!
En français :
-J’ai peur!
On rit. Günter me rassure.
-N’aies pas peur !
Je sors. J’ai le droit à un discours. Elle me dit qu’elle est heureuse de me voir, qu’elle est triste, que je n’aie pas participé à la visite de la ville hier soir. Je la prie de m’excuser, mais j’avais besoin de dormir. Elle me dit qu’elle a été vraiment heureuse de faire connaissance avec moi à Niemegen, et qu’elle voudrait établir un projet de recherche avec Paris. Elle voudrait que je revienne travailler dans son école.
-On va le faire, lui dis-je. Après la rencontre de Karlsruhe en septembre, je reviendrai bien vous rendre visite!
-En souvenir de votre petit cadeau parisien, je vous remets deux bouteilles de vin: une de blanc, une de rouge.
Je l’embrasse chaleureusement. Elle parlait en slovaque; elle était traduite en allemand par Iveta. J’aurais voulu pouvoir rentrer dans le groupe et dire: «La directrice m’a collé. Je redouble. Je dois revenir ici l’année prochaine!»; mais, dire tout cela en allemand m’a semblé bien difficile. Je suis passé dans ma chambre porter les bouteilles. Ce sera probablement le seul contact réel que j’aurai avec des personnes d’ici.
Ce matin, Kerstin Wilde, de Dresde, m’a demandé un exemplaire de ma Praxis des Je lui ferai parvenir par la poste. Ce livre sera lu dans toute la Germanie.
-Wollen Sie einen Kaffe; me demande Luisa.
-Nein, keinen
Je note beaucoup de choses, sauf l’objet des discussions. Cela pourrait manquer. Il faudra que je demande à Gaby de me faire une petite synthèse, mais je ne pense pas avoir manqué grand-chose.
Tout à l’heure, en rentrant de ma chambre, j’ai fait un lapsus. J’ai été dans la pièce du 6e étage (on est au 5e). Je suis tombé dans le groupe des profs de Würzburg. Ils avaient l’air plus décontractés que nous. J’espère que je ne déçois pas Gaby.
Luisa me propose d’ouvrir sa plaque de chocolat.
-Nein, danke!
Il ne faut pas exagérer.
Sandrine comme Gaby, est «effective», comme on dit en Allemagne. Comment la garder dans mon mouvement de retrait?
18 h
Je suis à la table des gens qui tapent sur leur clavier. Insupportable! Quand, je serai en retraite, j’en profiterai pour regarder les tournois de tennis… et surtout faire la sieste.
Bratislava, 13 juin, 9 h 45
Je viens de rendre ma clé de chambre, et récupérer mon passeport. L’hôtel était très agréable: j’ai bien dormi, cette nuit. La promenade en ville d’hier soir a dû y être pour quelque chose. Ai-je eu des idées ce matin? Non pas vraiment. Seulement un sentiment de mal-être. Cela va se dissiper à Vienne. Je l’espère.
Remi Hess
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