Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Présentation

  • : Le blog de Benyounès Bellagnech
  • : Analyse institutionnelle : Théorie et pratique au sein des institutions politiques, éducatives et de recherche. L'implication des individus et des groupes dans la vie politique et sociale.
  • Contact

Recherche

26 juin 2010 6 26 /06 /juin /2010 17:06

UNE PRATIQUE EXTREME

 

 

Dans les années 1970-71, au moment où Lapassade élabore cette théorie institutionnelle dont j’ai montré le caractère durkheimien, il se passe aussi pour lui d’autres choses très importantes, qui vont déterminer toutes ces conduites futures, toute sa destinée à venir.

 

Il va passer à l’action, s’engager dans des entreprises d’analyse institutionnelle remarquables et remarquées, qu’il va décrire, raconter, proclamer, mais qui en même temps vont ouvrir dans sa vie une zone de turbulence, comme on dit en aéronautique. Elle va l’obliger à revoir ses options fondamentales et le ramener paradoxalement à ce mouvement du soi, qu’il avait rejeté avec le plus profond mépris.

 

ll commence à être très demandé, après les événements de 1968, où il s’était fait remarquer. On le réclame dans le monde entier. Il ne se contente pas de réaliser ces entreprises, il les analyse et essaie surtout de comprendre leur échec, à peu près total. Il se remet en question, s’interroge sur lui-même. Les états dépressifs, parfois « limites », dans lesquels il tombe à cause de cela, l’amènent à écrire une série de livres très personnels, impliqués au dernier degré, qui forment une série d’ouvrages d’une qualité littéraire exceptionnelle, qui contribuent, à mon sens, à le ranger parmi les plus grands auteurs français. Il y en a cinq, exactement : L’arpenteur (1971), Le bordel andalou (1971), Les chevaux du diable (1974), Joyeux tropiques (1978), L’autobiographe (1978). Ce dernier livre a connu une édition expurgée, après l’édition de Duculot, qui fait référence. En l’espace d’une dizaine d’années, il publie des oeuvres majeures, qui sont les seules, à mon avis, que la postérité retiendra.

 

Parallèlement, il se trouve amené, du fait de sa nomination officielle à la Faculté de Vincennes en 1972, à pratiquer ce qu’il appelle l’« analyse interne », qui n’est rien d’autre en fait qu’une insertion bruyante et spectaculaire dans un milieu où il est adulé, mais qu’il ne remet pas vraiment en question. L’analyse institutionnelle fait long feu. Il exprime d’ailleurs de plus en plus de doute à son sujet. On ne peut réduire son action charismatique à ce raidissement intellectuel, que ses disciples cherchent à remettre en selle.

 

Parmi les œuvres que j’ai citées, il faut distinguer deux catégories. Les premières, à savoir L’arpenteur et Les chevaux du diable racontent des interventions faites par Lapassade à l’étranger, dans les années 1970, à la demande d’organismes plus ou moins officiels, qui le payaient. Les trois autres, à savoir Le bordel andalou, Joyeux tropiques et L’autobiographe, sont des sortes d’autobiographies très originales, où l’auteur s’autorise toutes les dérives et les confessions qui lui viennent, souvent à partir de ce qu’il a vécu dans les interventions précédentes.

 

Je vais commencer par parler des écrits de la première catégorie, qui forment pour ainsi dire un soubassement, qui se réfère, on le voit, à sa vie professionnelle.

 

Les deux interventions dont il parle là sont d’une part celle faite à Montréal, au Canada, en 1970 et, d’autre part, celle faite au Brésil, à Belo Horizonte, en 1972. J’évoquerai ses démêlés avec le Living Theater, au Brésil en 1970, à propos du Bordel Andalou, comme il le fait lui-même.

 

Il est important de noter que les deux interventions citées, au Canada et au Brésil, proviennent de commandes. Lapassade, en effet, ne cesse d’affirmer qu’il travaille pour répondre à des demandes, ni plus ni moins. « L’intervention socioanalytique, dit-il dans Les chevaux du diable, dans sa forme maintenant classique, suppose une relation contractuelle entre un « client » et un « consultant » (….) Le  « client » est une organisation sociale qui veut changer, dans certaines limites, ses modes de travail, d’organisation, de communication » (p. 25).

 

Michel Lobrot

http://lesanalyseurs.over-blog.org

 

Partager cet article
Repost0
25 juin 2010 5 25 /06 /juin /2010 13:57

SCIENCES HUMAINES ET FRANC PARLER

 

Revenons à Lapassade.

 

Il nous apparaît clairement que celui-ci qui s’était engagé fortement au début dans ce que Foucault appellera la « pratique du soi », se rallie, dans les années 1970, aux vieilles conceptions de l’action sociale, fondées sur l’imposition et la répression

 

On ne peut trop lui jeter la pierre. Il n’est pas seul à faire cela. Beaucoup de gens de sa génération, y compris Foucault et Bourdieu, tombent dans le piège. Ils suivent d’ailleurs en cela Sigmund Freud, le maître prestigieux.

 

Ce dernier ne s’était pas privé d’attribuer à autrui tout ce qui lui convenait à lui Freud, tout ce qu’autrui devait faire pour se conformer à sa théorie. Rentrant de Paris où il avait contacté Charcot en 1881, il s’était dit qu’il fallait, coûte que coûte, trouver une explication à ce phénomène sur lequel Charcot s’acharnait depuis des années : l’hystérie. Influencé par la morale judaïque, dont Kinsey, dans son fameux rapport, montre les réserves à l’égard de la sexualité, il ne peut rien faire d’autre que de suspecter la dite sexualité, d’en faire le bouc émissaire de tous les maux psychologiques.

 

Malheureusement, une telle hypothèse ne coule pas de source. L’hystérie, bien qu’on l’ait attribué à la femme et à des influences utérines, ne résulte pas, d’après lui, de faiblesses ou de défaillances de la sexualité, mais de déviations, d’excès, d’inversions de cette sexualité (le «pervers polymorphe », l’Œdipe, etc.).

 

Rien ne va dans ce sens, mais tant pis. Il y a justement, à cette époque, toutes les théories de l’automatisme, appelé inconscient, qui font fureur, et qu’on va pouvoir utiliser. Il suffit d’imaginer un mécanisme qui s’enracine dans des processus en rapport avec l’hystérie et qui aboutit aux motivations qui nous font agir et de déclarer que ce mécanisme est entièrement inconscient pour que le tour soit joué.

 

Le processus en rapport avec l’hystérie sera d’abord ce qu’il appelle le refoulement. Donc, on refoule une pulsion, spécialement sexuelle et c’est elle qui va se transformer, d’une manière inconsciente, pour donner finalement la névrose. Malheureusement, il faut admettre, pour cela, que le désir lui-même est refoulé et non pas seulement l’acte, ce qui est impossible. Peu importe !

 

Deuxième temps. La transformation de cette pulsion se fait dans « la formation de compromis », machinerie qui déforme la pulsion et la rend méconnaissable, en dissociant l’affect et la représentation. Excellente idée ! Malheureusement, dans notre expérience la plus courante, une transformation de ce genre, avec un but recherché et des moyens envisagés pour l’obtenir, est nécessairement consciente, réfléchie. Cela ne rentre pas dans le schéma connu des automatismes. Peu importe !

 

Troisième temps, la personne qui agit sait qu’elle agit et cela n’est pas une opinion gratuite sur son acte. Cette conscience fait partie de son acte. Supposez que vous pensiez que vous faites un acte aberrant, vous l’arrêtez. Affirmer, comme le fait Freud que l’action finale est déterminée non par des intentions conscientes mais par un « contenu latent », inconnu par définition, est une impossibilité. Cela va contre tout ce que nous pensons, sentons, expérimentons sur l’acte humain. Peu importe !

 

Le mépris manifesté par Freud à l’égard de la réalité vécue et expérimentée va se retrouver chez ses successeurs, par exemple chez Michel Foucault, qui, jusqu’au cours qu’il fait au collège de France en 1983-84, dont j’ai montré le caractère profondément novateur, va soutenir des positions intenables sur, par exemple, la psychiatrie ou, plus généralement, le pouvoir.

 

Son idée, très intéressante, est que le pouvoir qu’il appelle de souveraineté se transforme à l’époque classique en pouvoir qu’il appelle « disciplinaire », c'est-à-dire qui ne se contente pas de dominer et d’exploiter mais qui surveille, punit, encadre, jusqu’aux détails.

 

Cela résulte évidemment du fait que le pouvoir entend contraindre toute la société, ce qui l’oblige à un contrôle incessant, indéfini, surmultiplié, comme je l’ai montré. Précisément, s’il fait cela, c’est que la société lui échappe. Si la société lui échappe, s’autonomise, les phénomènes sociaux ne sont plus seulement d’origine centrale, supérieure, mais d’origine populaire à proprement parler, venant de la population, et de la sensibilité nouvelle de celle-ci. Ce n’est pas la conception de Foucault. Il explique tout par l’intervention du pouvoir disciplinaire, du « grand enfermement », comme si la société n’existait pas.

 

Pierre Bourdieu, de la même génération que Foucault et Lapassade, n’échappe pas non plus à cette dérive durkheimienne qui remet en selle de vieux schémas dépassés. Marxiste convaincu, il entend aller plus loin que son maître Marx dans l’établissement de structures mentales figées et aliénées. Il veut montrer que l’aliénation bourgeoise s’empare aussi des réalités culturelles, intellectuelles, scolaires, artistiques, scientifiques qu’on considérait jusque là comme indépendantes, libres de ce type de diversion

 

Démontrer cela n’est pas difficile. Les individus enfoncés dans des idéaux sociaux et politiques dominants et coercitifs recrutent aussi, bien sûr, les valeurs et les pratiques scientifiques artistiques et culturels pour les mettre au service de leurs objectifs. Les « héritiers », la « distinction », la science au service du pouvoir, les aspirations sublimées de certaines classes, tout cela existe. Le seul problème est de savoir si les réalités ainsi réorientées n’ont d’autre sens que de servir à cela ou si elles sont par nature différentes et seulement utilisées, dénaturées, altérées dans d’autres buts.

 

Pierre Bourdieu ne pose même pas le problème, qui mériterait des analyses approfondies. Pour lui, il ne fait aucun doute que la culture est par essence bourgeoise, aliénée. Dès l’instant où elle est véhiculée par des bourgeois, elle est bourgeoise, ce qui est une vision typiquement durkheimienne, qui confine à un véritable racisme social. D’abord, il n’est pas certain qu’elle soit véhiculée uniquement par des bourgeois et surtout elle est et s’est montrée de tout temps contestataire, anticonformiste, révolutionnaire. Cela relève de l’évidence.

 

Ce qui frappe dans toutes ces pensées, comme c’était déjà le cas avec Freud, c’est le mépris pour la vérité empirique, la seule qui échappe au doute et à la contestation. On trouve cela aussi chez Lapassade. Anathématiser l’institution, comme il le fait, n’a aucun sens, car elle est le résultat de forces sociales et culturelles qui la dépassent et dont elle n’est que la projection. Penser qu’il faut dévoiler ses arrière-pensées est inutile, car, le plus souvent, elle affiche clairement ses buts et ses méthodes avec une véritable outrecuidance, avec la certitude d’avoir raison.

 

Il le fait certes en dépoussiérant ces idées, en les rajeunissant à travers la méthode des «analyseurs», en s’appuyant sur Freud, en parlant encore des «groupes», mais il le fait, d’une manière incontestable. Nous verrons par la suite les résultats obtenus.

 

Michel Lobrot

http://lesanalyseurs.over-blog.org

Partager cet article
Repost0
24 juin 2010 4 24 /06 /juin /2010 14:00

L’IMPOSITION

 

 

L’être humain n’est pas confronté qu’à lui-même, à ses réactions face aux autres et à l’impact des autres sur lui. Il est confronté aux autres eux-mêmes, dans leur altérité, si je puis dire, aux autres auxquels il doit nécessairement accéder, qu’il doit toucher d’une manière ou d’une autre, pénétrer, comme il est pénétré lui-même par les autres.

 

Ce n’est pas seulement le problème de l’expansionnisme de l’être humain, lequel lui est consubstantiel, et qui peut se traduire, soit par une volonté de régner, dominer, conquérir, soit par une volonté de partager, communiquer, dialoguer. Cet expansionnisme fait partie de l’humain, qui peut ou non être exprimé.

 

Dans tous ces cas de figure, le problème se pose d’agir sur l’autre, de le modifier et de l’adapter à soi, quelles que soient les motivations qui poussent à le faire

 

La solution par la directivité est celle que l’humanité a utilisée depuis toujours. En quoi consiste-t-elle et sur quelles bases repose-t-elle ?

 

Cette solution consiste à utiliser la peur, soit la peur de tomber dans un état redouté, soit la peur de ne pas obtenir un avantage ou un profit attendu. Il suffit de lier l’acte qu’on veut susciter ou empêcher chez l’autre à un résultat artificiellement associé à cet acte et facteur de peur, pour susciter ou empêcher l’acte en question. La peur de la sanction fait agir ou empêche d’agir. L’enchaînement créé est construit et voulu, mais efficace.

 

Cet instrument merveilleux a été utilisé et réutilisé à tort et à travers par les sociétés et les groupes. Cependant, il présente deux conditions.

 

La première condition est de faire savoir clairement à cet autre qu’on cherche à contraindre ce qu’on veut obtenir de lui, ce qu’on lui reproche, ce qu’il doit changer dans sa conduite. On retombe dans la Parrhêsia. Cette parole de dénonciation et d’accusation n’est pas évidente, pas facile à prononcer. L’humanité a même spécialisé des gens pour le faire. Quand on le fait, on ne parle pas de soi mais de l’autre. On ne s’implique pas, sinon peut-être, au niveau du courage déployé. C’est une parrhêsia qu’on pourrait appeler punitive, par opposition à la parrhêsia compréhensive issue d’une vision non-directive.

 

La seconde condition consiste dans le fait que celui qui utilise cette méthode doit croire qu’elle obtient vraiment les résultats escomptés, à savoir 1- supprimer radicalement et longtemps les désirs réprimés chez celui qu’on réprime, 2- réprimer vraiment ce qu’on redoute chez l’autre,

Malheureusement, cette dernière condition est en train de se volatiliser. Elle implique en effet une profonde opacité des mécanismes mis en jeu chez autrui, dont on est en train de se débarrasser. On est en train de voir clair là où régnait jadis l’obscurité.

 

On sait de mieux en mieux mesurer les effets de la contrainte. Ces effets sont de deux ordres : soit de l’ordre de la réaction, soit de l’ordre de la motivation.

1 - Le sujet qui subit la contrainte n’est évidemment pas changé du point de vue des inclinations qui le poussent vers l’acte qu’on réprime chez lui. Non seulement cet acte garde toute sa force mais encore il l’augmente. Il faut donc de toute nécessité, si l’on veut obtenir un effet durable du fait de la répression réactiver, renouveler, répéter celle-ci indéfiniment. Il faut une police puissante et omniprésente, des lois qui ne cessent pas d’être rappelées, une véritable obsession de la punition et de la faute, qui tourne à la pathologie.

2 - D’autre part, les motivations de celui qui agit et qu’on cherche à réprimer sont loin d’être claires. La motivation d’un acte est par nature invisible. Il s’agit d’une pensée ou d’une idée que celui qui agit se fait du but qu’il veut poursuivre, lequel but peut ne jamais être atteint ou être atteint à moitié, ou être atteint en conjonction avec d’autres résultats qui apparaissent faussement comme les buts.

 

Face à cette confusion, l’observateur extérieur s’en remet souvent au résultat. Ce que veut autrui, c’est, croit-on, ce qu’il réalise de fait, ce qu’on voit au terme de son action. Mais ce n’est pas vrai. Il y a souvent une grande distance entre ce qu’on réalise et ce qu’on désire. D’autre part, ce qu’on désire est ce qui est important car c’est cela qu’on va réessayer, remettre en route, réactiver jusqu’à ce qu’on réussisse.

 

L’observateur extérieur a tendance aussi à faire pression d’une manière excessive sur celui qu’il veut déterminer sans considérer les résistances et l’appel de l’autre à la non-directivité. Il pense à tort que la force exercée sur l’autre est le meilleur pronostic de la réussite, puisqu’il n’a pas d’autre critère de jugement.

 

Enfin cet observateur extérieur se sent libre d’interpréter de n’importe quelle façon les conduites de l’autre, s’en remettant seulement à sa propre finesse d’analyse et à son habileté intellectuelle. La psychanalyse a presque officialisé cette attitude, qui est aussi très répandue dans le grand public.

 

Le seul moyen de connaître les motivations de l’autre, c’est de l’écouter et de lui demander de les exprimer. Il n’y pas d’autre moyen. On retombe sur la parrhêsia, non pas sur la dénonciation, mais sur l’expression

 

Cette dernière remarque nous permet de dire que l’activité de dénonciation et de sanction est une vieille méthode d’action sociale, que les sciences humaines sont en train de remettre en question. La parrhêsia punitive est un levier dépassé.

 

Michel Lobrot

http://lesanalyseurs.over-blog.org

 

 

 

Partager cet article
Repost0
23 juin 2010 3 23 /06 /juin /2010 10:29

Vendredi 25 juin 2010

de 11 h 30 à 13 heures

 

 

Zones d'attraction

 

 

reçoit Michel Authier

 philosophe et mathématicien institutionnaliste

Il sera question de la possibilité d'une science alternative, impliquant le collectif, cheminant à travers arbres de connaissance et analyse institutionnelle 

 

 

Zones d’attraction est une émission consacrée aux pensées critiques. Oui, «Zones », car il s’agira, en compagnie d’un ou plusieurs invités, également de chroniques de notre cru, de faire zoner les concepts.

« Attraction » : car nous irons là où notre flânerie nous portera : philosophie, littérature, psychanalyse, pédagogies alternatives, édition indépendante, analyse institutionnelle...


Notre émission se voudra une sorte de laboratoire où laisser la voix et la voie libres aux formes de résistances qui agitent aujourd’hui l’institué, déstabilisent les discours dominants qui se présentent à nous comme vérités.

Espace d’interrogation des pratiques, que celles-ci soient théoriques, sociales ou politiques, et vigilance toujours quant à la congruence entre théories et pratiques. Faire danser ensemble les hétérogènes. Interférences, confrontation, transversalité et ironie en guise de sol. Pour de nouvelles constellations.


Retrouvez l'ensemble de nos émissions en accès libre sur le site


ZONES D'ATTRACTION

Une émission présentée par Charlotte Hess et Valentin Schaepelynck

sur RADIO LIBERTAIRE (89.4)

Le vendredi de 11h30 à 13h (tous les 15 jours).

 

Contact radio:radio@zonesdattraction.org


Ecoute en différé:www.zonesdattraction.org - Rubrique Symphilosophie
www.zonesdattraction.org, rubrique SYMPHILOSOPHIE

Partager cet article
Repost0
22 juin 2010 2 22 /06 /juin /2010 19:06

LE PROBLEME DU FRANC-PARLER (PARRHESIA)

 

 

Ainsi, on voit Lapassade, en l’espace de vingt ans, des années 1960 aux années 1980, glisser progressivement d’une position globalement orientée vers la libération du soi à une position d’accusateur public, préconisant de faire le procès des institutions et de ceux qui les représentent, grâce à la méthode des analyseurs, sous le prétexte, très durkheimien, que les cadres sociaux enserrent les humains, donc les déterminent

 

La méthode de dénonciation préconisée par Lapassade est aussi une parrhêsia, un franc-parler, comme peut apparaître la libération du soi. C’est pourquoi, il importe d’éclaircir le malentendu, de montrer la différence radicale entre les deux positions. Je vais donc, quittant un moment Lapassade, essayer de faire le point sur ce problème.

 

Le problème naît, à mon sens, de la position déséquilibrée dans laquelle se trouve l’être humain pris dans la structure basique de la Directivité / Non-directivité.

 

D’un côté l’être humain, être autonome, possède des sortes de défenses immunitaires, au niveau psychologique, qui lui permettent de refuser l’accès de sa vie personnelle à tous les objets, opinions, attitudes, actions, venant de l’extérieur et qui ne lui conviennent pas. C’est une espèce de défense non-directive, que je qualifie de cette manière, car elle oblige celui qui veut pénétrer dans la vie personnelle de l’individu et l’influencer à passer par ses désirs et ses points de vue, à s’identifier à lui, pour ainsi dire, à être non-directif.

 

Les pressions extérieures visent soit à contraindre, soit à persuader, soit à entraîner.

1 - La contrainte doit avoir une force suffisante pour arriver à son but, c'est-à-dire utiliser des mobiles généraux puissants déclenchant les actes ordonnés, de telle sorte que ces actes ne sont pas touchés dans leur fondement et leur sens par les mobiles qui les déclenchent. Ils restent désirés, voulus, même s’ils sont empêchés. Brehm a même montré que leur force était augmentée du fait de l’opposition qu’ils rencontrent.

2 - La persuasion ne naît pas facilement, comme l’ont montré tous ceux qui l’ont étudiée, soit à travers les arguments proprement dits, soit à travers les caractéristiques de « la source », comme la crédibilité. En fait, il faut qu’elle touche des réactions vitales fondamentales, touchant la vie et la mort, pour arriver à son but, comme le montrent les phénomènes de conversion ou d’affiliation par exemple.

3 - Quant à l’entraînement, il ne se produit que si on fait jouer, là aussi les forces vives de l’individu, ses aspirations au plaisir et à l’extase, ses enthousiasmes, ses passions.

La parole, l’expression jouent un rôle fondamental dans l’adhésion que le sujet donne à une intervention extérieure, comme au refus qu’il oppose. Ses mécanismes vitaux sont en jeu et il a intérêt à faire savoir à celui ou ceux qui veulent l’influencer ce qu’il ressent et quelle est sa position, afin qu’il (ils) continue(nt) ou arrête(nt) leur intervention. La plainte, la revendication, la contestation, l’imploration sont utiles et nécessaires. Il y a de cela dans toute communication. Le point de vue du sujet récepteur est une donnée de base de la communication. La parrhêsia n’est pas gratuite. Elle implique fortement celui qui la met en jeu.

 

Quelles que soient les tendances de celui qui protège sa vie intérieure, que cela lui serve simplement à maintenir son intégrité ou au contraire à se réfugier dans l’isolement ou la distance par rapport à autrui, il a intérêt à l’exprimer, à dire vrai sur lui-même, afin d’éviter le harcèlement et quasiment la persécution venant d’un autrui voulant à tout prix le changer. De plus, il se fait face à lui-même, si l’on peut dire, en affichant ses tendances et ses désirs qu’il peut ainsi réactiver et éventuellement réaliser. La «pratique de soi», dont parle Foucault a toutes ces finalités.

 

 

Michel Lobrot

http://lesanalyseurs.over-blog.org

.

 

Partager cet article
Repost0
21 juin 2010 1 21 /06 /juin /2010 10:03

AUX RACINES DE LA PENSEE

 

 

Socianalyse et potentiel humain de 1975, est un livre important qui va nous permettre d’aller à la source de la pensée lapassadienne.

 

Il se présente plus que les autres livres, qui avaient déjà cette caractéristique, comme une suite d’exposés assez froids, mais où on trouve des analyses de fond très éclairantes. Dans la première partie, Lapassade revient sur les notions qui lui sont chères qui concernent le mouvement des groupes, spécialement sur l’Analyse institutionnelle. Dans la deuxième partie, il passe en revue les méthodes et procédés qui sont mis en avant par le mouvement, nouvellement arrivé en Europe, du «Potentiel humain».

 

On ne voit pas a priori ce que ces deux suites d’exposés ont à voir l’un avec l’autre. Ils ont pourtant beaucoup en commun, comme je vais le montrer.

 

Ils ont en commun d’évacuer ou d’éviter ce qui fait le fond du courant de « l’émergence du sujet », ce qui constitue son apport historique original, à savoir la libération de l’univers mental, du soi, à travers des activités libres, qui sont de nature essentiellement langagière, psychique, relationnelle. Si ce mouvement a un sens, c’est de casser enfin cette cuirasse rationnelle qui nous était imposée depuis toujours en Occident, depuis que la science grecque, unie au christianisme, avait inventé la «raison raisonnante » et toutes les techniques qui vont avec.

 

L’obsession institutionnelle de Lapassade, d’un côté, et l’accent mis sur les pratiques du corps («Potentiel humain »), de l’autre, permettent de passer à côté du message de l’émergence du sujet, de se défendre contre lui. A quoi peut servir un tel message si la scène est ailleurs, s’il ne s’attaque pas au cœur du problème ? A la limite, il détourne l’attention vers des sujets secondaires. Il trahit la cause.   

 

Il peut paraître étonnant que Georges Lapassade, considéré comme un des protagonistes du mouvement de l’« émergence du sujet » (ou « du soi »), présente un tel côté. Il le présente pourtant, tout en restant réellement un protagoniste. Cette contradiction profonde est, à mon sens, au fond de l’aventure lapassadienne. Il n’est d’ailleurs pas étonnant. Le message de l’émergence du sujet est si intense et si bouleversant qu’il peut faire peur, même à ses protagonistes.

 

Mais revenons à l’institution et aux obsessions qu’elle déclenche. Lapassade présente, dès le premier chapitre, l’analyse institutionnelle et nous offre sa vision de l’institution, qui ressemble fort à une révélation.

 

Tous ceux qui parlent de ce concept le définissent comme un acte, ou le résultat de cet acte, consistant à établir un cadre très bien défini, avec des règles et des rites, qui entoure un type d’activité donné. Celui-ci se trouve, dès ce moment, solidement établi, avec une base matérielle, bien protégé contre les interventions extérieures, livré à des pouvoirs qui le dirigent ou s’occupent de lui, avec des objectifs clairs et des moyens d’action précis. Il est bien évident que tout ce système, extrêmement utile, ne concerne pas l’activité elle-même, qui peut exister sans institution ou du moins sans qu’on l’ait officiellement instituée. Un club de poètes, de football, une petite entreprise familiale, une secte religieuse, un mouvement politique existent avant et au-delà de l’institution.

 

Pour Lapassade et surtout Lourau, à sa suite, la vie sociale toute entière est faite, pétrie, constituée d’institutions. L’institution n’est pas un instrument que se donnent les humains pour renforcer leur pouvoir et être plus efficaces, c’est leur lien social, la matière même de leur relation.

 

« Les institutions, dit Lapassade, forment la trame sociale qui relie et traverse les individus, lesquels, par leur praxis, sont mainteneurs de ces institutions, et créateurs, innovateurs d’institutions nouvelles (instituants).(….) Les institutions ne sont pas seulement des objets ou des règles visibles à la surface des rapports sociaux. Elles présentent une face cachée (sic). Celle-ci que l’analyse institutionnelle se propose de mettre à jour, se révèle dans le non-dit. Cette occultation est le produit d’un refoulement. On peut parler ici de refoulement social, qui produit l’inconscient social. Ce qui est censuré, c’est la parole sociale, l’expression de l’aliénation, la volonté de changement. De même qu’il y a un retour du refoulé dans le rêve, ou l’acte manqué, il y a un « retour du refoulé social » dans les crises sociales. (….) La mise en lumière du non-dit, du censuré a été l’oeuvre de ces deux «perçeurs de masques» que furent Marx et Freud (….) L’un et l’autre invitent à une recherche sur le caché à partir d’une mise en questions des institutions occultantes, qu’elles soient de l’ordre de la rationalisation ou de l’idéologie ».

 

Ces textes très étonnants posent au moins un problème de base, qui est le suivant. Pourquoi cette valorisation outrancière de l’institution, identifiée pratiquement avec la société et créatrice d’inconscient, si elle est par ailleurs l’organe privilégié d’aliénation et de mensonge, donc l’organe à combattre, l’ennemi par excellence ? La réponse est malheureusement claire.

 

Cette réponse c’est qu’il n’y a pas d’autre combat. Le combat initié par Marx et Freud, fait de dénonciations, accusations, usage de l’«analyseur», franc-parler (parrhêsia) destructeur et négateur rend caduque, inutile et même nuisible l’autre combat, que mène le mouvement d’émergence du sujet, qui vise à modifier les rapports humains, à se regarder soi-même avant de regarder qui que ce soit, à reconnaître à l’autre le droit d’être ce qu’il est, même si on s’y oppose, à s’affirmer dans sa différence. Les deux attitudes sont antithétiques, incompatibles. D’un côté, il y a le choc frontal où on ne s’interroge pas et où on agit, comme un guerillero, de l’autre la pénétration de l’autre par des voies nouvelles. Lapassade le sait, même s’il est lui-même tenté par l’émergence du sujet, dont il adoptera l’esprit lorsqu’il fera le bilan de son action institutionnelle, comme nous le verrons.

 

C’est peut-être aussi parce qu’il se sent secrètement attiré par l’autre mouvement, qu’il a contribué à faire naître, qu’il se sent obligé de faire cette deuxième partie de son livre où il fait l’apologie de méthodes essentiellement corporelles, que le mouvement d’émergence du sujet finira par intégrer, en lui donnant sa coloration à lui. A l’extrême limite, les « groupes de transe » dont Lapassade va s’occuper avec passion par la suite, portent au paroxysme la polarisation corporelle, puisque la présence mentale y est en principe abolie. Le livre finit là-dessus.

 

Michel Lobrot

http://lesanalyseurs.over-blog.org

Partager cet article
Repost0
20 juin 2010 7 20 /06 /juin /2010 16:47

LES ANNEES 70

 

 

Les années 1970 sont des années charnières pour le mouvement d’émergence du sujet ou de « pratique du soi ». Les groupes centrés là-dessus se multiplient, spécialement à la Faculté de Vincennes (une douzaine d’enseignants dans ce domaine en 1975), des expériences nombreuses ont lieu. Georges Lapassade, quant à lui, peaufine sa conception de l’analyse institutionnelle et écrit sur elle plusieurs livres dont les plus importants sont L’analyseur et l’analyste (1971) et Socianalyse et potentiel humain ( 1975).

 

Le premier de ces livres répète bizarrement ce qui s’était produit avec l’Entrée dans la vie, à savoir que le premier chapitre, centré sur Freud, reste isolé, car il n’est pas suivi par des chapitres le développant ou l’explicitant. Ce chapitre sur Freud ne peut être compris que si on le rattache à des conceptions de Lapassade qui n’apparaîtront que dans le livre suivant.

 

Lapassade insiste presque exclusivement, dans ce premier chapitre, sur la « règle fondamentale » énoncée par Freud au cours de la psychanalyse, enjoignant au client de « tout dire » et de ne rien cacher. La même insistance est portée sur la réaction du client, refusant plus ou moins cette injonction, et confronté alors au reproche fait par Freud d’opposer une « résistance », avec les stratégies utilisées des deux côtés pour vaincre cette résistance ou la renforcer. On voit l’importance de la Parrhêsia dans cette aventure.

 

On comprend le sens de ce chapitre et du titre du livre lui-même quand on voit Lapassade décréter, dans l’ouvrage suivant, que l’énoncé de la règle fondamentale relève de l’« analyste », alors que la résistance du client relève de l’«analyseur». Cette dernière réalité est fondamentale, car elle met en jeu le besoin du client de s’exprimer complètement, en révélant ce qui devrait rester caché.

 

Mais ce travail d’analyseur, consistant à dénoncer l’imposition, est une activité du client, pas de l’analyste. Ce n’est pas ce que pense Lapassade, qui en fait une autre forme d’analyse, l’analyse nouvelle manière qu’il a inventée, « l’analyseur ». Lapassade prend la place du client, se substitue à lui, parle à sa place, ce qui explique son insistance sur le heurt avec l’institution, qui est le point de vue du client.

 

Ceci explique cette affirmation de Lapassade que l’analyseur doit avoir raison de l’analyste, « analyser l’analyste », en l’occurrence le psychanalyste, dont il prend la place et qu’il accuse d’imposer des règles et de contraindre. Au lieu d’attendre que le client fasse ce travail lui-même, il le précède et finalement fait la même chose que le psychanalyste, avec cette différence qu’il prend théoriquement la position de l’opprimé et non de l’oppresseur.

 

L’ «analyseur », c’est l’invention lapassadienne par excellence, dont René Lourau dira qu’«elle permet de révéler la structure de l’institution, de la provoquer, de la forcer à parler ».

 

Tout, chez Lapassade à partir de maintenant, va découler de son obsession institutionnelle et de la vision durkheimienne qui s’y rattache.

 

Les chapitres suivants confirment cette vision. Lapassade passe en revue des expériences d’analyse institutionnelle faites par lui et critique les expériences inspirées par la « dynamique de groupe » où le niveau institutionnel n’est pas touché, d’après lui. Ou bien, au contraire, il fait l’apologie d’expériences où il y a eu par exemple un « bilan institutionnel ».

 

D’une manière systématique, Lapassade va désormais reprocher aux premières de ne pas prendre en charge le cadre même de l’expérience, à savoir tout ce qui relève de l’organisation, de la préparation, du financement, etc., comme si le cadre avait un impact déterminant, comme si les participants à qui on donne la parole sur ce qui est le plus important pour eux ne pouvaient pas s’exprimer aussi là-dessus, comme si le cadre agissait mécaniquement sur les gens, ce qui est une conception typiquement durkheimienne.

 

Aux secondes expériences, il adresse des félicitations car elles permettent théoriquement, dans un immense bouquet final, de faire le procès de l’institution. Cet éloge rejoint l’approbation chaleureuse de Lapassade pour les expériences avec les enfants où on demande à ceux-ci de « construire le programme » ou de faire la critique de leur groupe. Il ne réalise pas, car l’analyse psychologique ne l’intéresse pas, que des enfants peuvent se sentir aussi contraints par des moniteurs qui leur demandent de construire leur programme que par ceux qui le leur imposent.

 

Michel Lobrot

http://lesanalyseurs.over-blog.org

 

 

Partager cet article
Repost0
19 juin 2010 6 19 /06 /juin /2010 14:50

LE PROBLEME DU CHANGEMENT

 

 

Chez Lapassade, cet engagement dans l’action, que je viens d’évoquer, s’est malheureusement accompagné d’inclinations intellectuelles et mentales héritées de son milieu, qui l’amenèrent, dans les années 1970-80, à infléchir son évolution dans un sens très contestable, qui l’amenèrent même à critiquer le mouvement d’«émergence du soi » où il s’était précédemment impliqué. Je vais essayer d’expliquer ce dont il s’agit.

 

Dès l’Entrée dans la vie, Lapassade manifeste des façons de penser qui s’apparentent à Durkheim et qui sont incompatibles avec le mouvement qu’il représente. Par exemple, au chapitre XI, comparant le rôle joué par la famille et par l’école dans la diffusion des attitudes autoritaires, il décrète que l’école instille, davantage que la famille, les attitudes autoritaires et il y voit un pur effet des rôles joués par ces deux instances. « Ce n’est pas – du moins ce n’est pas essentiellement - dit-il, la personnalité de l’adulte éducateur qui explique les attitudes autoritaires caractéristiques de son comportement d’enseignant. Ces attitudes en effet sont fonction des rôles qu’il doit assumer dans une structure».

 

Ce type de raisonnement s’appuie sur l’idée que nous sommes entourés d’un environnement et pris dans des événements, qui ne dépendent pas de nous et qui nous conditionnent. Ceci est une évidence mais qui doit être immédiatement corrigée par les deux remarques suivantes : 1- c’est nous qui fabriquons finalement ces événements qui nous conditionnent, et 2- ces événements ne nous conditionnent qu’en passant par le filtre de nos acceptations et de nos refus, qui dépendent d’autre chose, d’influences plus lointaines et indirectes.

 

Toute la pensée traditionnelle, dans le domaine des déterminations de nos conduites, part du principe que celles-ci dépendent, jusque dans le détail, de faits contingents, de chances ou de malchances, des circonstances de notre histoire

ce que certains (comme Pierre Bourdieu) appellent «  implications », en donnant à ce mot son sens juridique ( « impliqué dans une affaire »).

,

 

Par exemple, Alain Decaux, dans une excellente biographie récente de Victor Hugo, refuse d’admettre ce que celui-ci déclare à plusieurs reprises, à savoir qu’il a eu une enfance heureuse. « Impossible ! », s’écrie le biographe, étant donné les rapports affreux du père et de la mère de Victor. Victor Hugo, dit-il, fabule, reconstruit l’histoire, etc. L’historien, qui se veut mieux placé que le personnage qu’il décrit pour comprendre ses comportements, ne peut admettre ce qu’il faut pourtant bien reconnaître : qu’un enfant peut être heureux, même avec des parents qui se disputent. Il y a d’autres paramètres, souvent plus importants, que le climat familial.

 

Cette propension de Lapassade à adhérer à des schémas durkheimiens explique les positions qu’il prendra par rapport à ceux qui, comme moi, prétendent qu’on peut changer les hommes dans des institutions défaillantes et perverses, puisque ce ne sont pas les institutions qui déterminent les hommes mais des influences spécifiques et ciblées. Lapassade va s’opposer à nous, rompre la collaboration.

 

Cependant, au moment où nous sommes, Lapassade n’en est pas encore à prendre ce genre de position. Il se contente d’infléchir ses recherches et ses préoccupations en se centrant sur les institutions et les organisations, c’est-à-dire sur les groupements humains où le principe durkheimien semble le mieux se réaliser. Dès l’année 1965, il publie Groupes, organisations et institutions, dans lequel il fait une analyse très documentée de ces notions, avec une tendance à la compilation. Ce qu’on pourrait appeler son institutionnalisme se précise. L’idée d’analyse institutionnelle apparaît (chapitre IV).

 

Cette analyse est censée porter sur ce qui nous entoure, qui prend ici un caractère radical puisqu’il s’agit de «l’inconscient du groupe ». « L’institution existe aussi, dit-il, au niveau de l’inconscient du groupe».

 

Freud vient renforcer Durkheim, qui ne parlait pas d’inconscient de groupe mais de «conscience collective ». Cela ne change pas beaucoup. La conscience, qu’on considère maintenant comme liée intimement à l’action individuelle, puisqu’elle détermine directement et automatiquement celle-ci (je fais cet acte parce que je sais qu’il est bon ), ne peut, de ce fait, appartenir à la collectivité, qui sélectionne et construit ses actions à partir des motivations de ses membres. Le savoir de l’acte n’est pas, dans ce cas, une «donnée immédiate de la conscience », mais une construction.

 

Michel Lobrot

http://lesanalyseurs.over-blog.org

 

Partager cet article
Repost0
18 juin 2010 5 18 /06 /juin /2010 10:03

UN NOUVEAU COMBAT

 

 

Ceux qui ont vécu cette époque savent la difficulté qu’il y eut à faire admettre que les institutions devaient changer, accepter la contestation, s’ouvrir au sujet

 

 

Cela allait contre toutes les habitudes acquises, même celles qui régnaient dans les milieux de gauche ou démocratiques. Le principe d’autorité, la hiérarchie, la rigidité étaient valorisés universellement. Il fallut l’explosion de 1968 pour qu’on s’aperçoive que de nouvelles valeurs étaient en train d’émerger. Ceci devait déboucher sur les mouvements alternatifs, la réforme de l’école, des institutions nouvelles.

 

La lutte qu’on était obligé d’entreprendre ne pouvait plus se contenter de discours et de paroles. Il fallait agir. Dans cette action, ce n’était plus seulement la société qui était visée mais l’institution. Il faut entendre par là le lieu même où nous travaillons et où nous vivons, avec ses structures fortes et impératives, avec ses contraintes et ses obligations. La formule qu’on essayait de faire prévaloir s’appelait l’« autogestion ». On ne distinguait pas, à l’époque, une autogestion de type culturel, centrée sur les organismes de formation et de soins, et une autogestion sociale ou politique.

 

Dans ce combat, de nouvelles valeurs émergèrent, qui vinrent compléter ou même parfois remplacer les valeurs déjà en honneur d’émergence du sujet, de « pratique de soi » ou de non-directivité.

 

Ces valeurs, dans leur ensemble, en incluant les valeurs déjà existantes, ont été magnifiquement définies par Michel Foucault, dans son cours au collège de France, comme relevant du concept très ancien de « Parrhêsia » («  Parrhisia », en grec moderne). Foucault montre que ce terme grec, qu’on pourrait traduire par « franc-parler » court dans toute la pensée antique depuis l’époque classique grecque jusqu’à la fin de l’Empire romain, avec des transformations importantes.

 

Le franc-parler, c’est aussi bien celui de la personne qui s’implique, parle de soi, s’« auto-révèle », face à autrui ou à elle-même, que celui de la personne qui ose dénoncer publiquement des opérations douteuses, affirme des positions qui gênent, analyse les erreurs du milieu. La première forme met en jeu une parole impliquée et la seconde une parole accusatrice.

 

Les deux peuvent avoir une légitimité dans la mesure où elles permettent soit de se positionner et de s’affirmer soit de se protéger ou de protéger autrui. Cela suppose cependant qu’on s’occupe de soi-même, c'est-à-dire qu’on soit dans la position que j’appelle non-directive, où le sujet exige qu’on le traite non-directivement, qu’on ne viole pas son intégrité.

 

Tout autre est la situation où l’autre est celui qu’on aide, qu’on conseille ou qu’on fait évoluer. Cette situation, que j’appellerai « intervenante », est de plus en plus répandue dans le monde moderne, avec la pédagogie, la psychothérapie, le conseil, la gouvernance, etc. Elle exige l’écoute, l’attention à l’autre, l’empathie, la compréhension.

 

Elle exclut par contre radicalement les attitudes de franc-parler offensives et offensantes, surtout si celles-ci prennent une allure accusatrice et dénonciatrice. Cette autre forme de franc-parler, caractéristique du dominant, consiste non pas à revendiquer et à se défendre mais à prendre le pouvoir sur l’autre en proclamant ses buts et ses intentions d’une manière arrogante et supérieure. C’est la parrhêsia qu’on pourrait appeler négative, qui ne procède pas d’une reconnaissance du sujet, mais d’une négation de celui-ci.

 

La première position est aussi celle de ceux qui combattent et qui exigent qu’on leur fasse une place au soleil. L’autre leur apparaît comme un obstacle ou un empêchement, qu’il faut écarter, dénoncer. Ils ne s’intéressent pas à lui pour lui-même mais uniquement dans la mesure où il les gêne ou les favorise

 

C’est le cas avec Lapassade. Avant qu’il ne songe à élaborer une méthode d’intervention que je conteste, dont je vais reparler bientôt, il s’engage dans la lutte, prend des coups, se compromet. Les lieux où il intervient résonnent comme des noms de bataille : Antony, Royaumont, la Tunisie, 1968, le Maroc, l’Université de Vincennes, etc. C’est, après l’action au service des méthodes nouvelles du type « dynamique de groupe », le second titre de gloire de Lapassade.

 

La tentation est grande, quand on est engagé dans cette voie, de ne plus voir ni soi-même ni l’autre, mais uniquement l’entreprise et la réussite de cette entreprise, d’oublier les valeurs et de retomber dans une forme de parrhêsia très traditionnelle, qui n’est qu’une forme de pouvoir. La tentation est d’autant plus grande qu’on ne se bat plus pour soi-même mais pour d’autres qui vous font confiance, qui attendent une attitude d’aide et non d’imposition.

 

Lapassade, nous allons le voir n’échappe pas à cette tentation.

 

Michel Lobrot

http://lesanalyseurs.over-blog.org

 

 

.
Partager cet article
Repost0
17 juin 2010 4 17 /06 /juin /2010 14:37

 

LE PRINCIPE D’INACHEVEMENT

 

 

Cette première évolution de Lapassade, que je viens d’examiner aboutit, en 1964, au livre L’entrée dans la vie, qu’il est important de regarder de près pour comprendre son auteur.

 

Dès le début, ce livre pose deux problématiques distinctes, difficiles à concilier.

 

La première, qu’on trouve dans le premier chapitre, pose comme un principe premier et quasiment comme un postulat que l’être humain est un être inachevé, foncièrement non terminé. Pour illustrer cette affirmation étonnante, Lapassade utilise une métaphore, si l’on peut dire, qui est la découverte de la «néoténie» par L. Bolk, entre les deux guerres. Par ce terme, l’auteur hollandais entend ces animaux dont la métamorphose s’arrête en route, à un stade anormal du développement, ce qui les amène à rester, à l’état adulte, dans une forme foncièrement non adulte.

 

Pourtant, Lapassade déclare : «  L’homme achevé, c’est l’homme adulte ». L’homme adulte existe donc, comme chacun sait, et il prétend être achevé. Il faut donc démontrer, pour être tout à fait cohérent, que cet être, apparemment achevé, en réalité ne l’est pas, que cet achèvement est une pure illusion.

 

Une telle démonstration, qu’on attendrait, est à peine esquissée dans le livre. Les deux passages où ce point est abordé est d’une part le chapitre où l’auteur analyse le psychodrame (Chapitre V), qui est une méthode où on cherche à faire émerger d’autres dimensions de l’individu et d’autre part la référence à la philosophie de Heidegger qui pose un inachèvement radical de l’être humain. Il y a aussi le dernier paragraphe du livre, où Lapassade déclare que « aujourd’hui, la stabilité et la maturité sont partout mises en question, en tant que normes ».

 

Cela ne suffit pas à prouver que l’état adulte, au sens d’état mature et achevé, dont tout le monde admet l’existence, y compris Lapassade (nombreuses citations dans le livre), ne correspond pas à la réalité, est une apparence trompeuse. Une telle preuve exigerait qu’on exhibe des méthodes individuelles ou de groupes où on réussit effectivement à révéler d’autres aspects de l’humain – en particulier chez l’adulte - des aspects cachés ou non activés, qui sont foncièrement évolutifs, qui ne peuvent être définis en terme de maturité.

 

Le reste du livre, à partir du chapitre II, est entièrement consacré, soit à décrire les étapes du développement de l’enfant et de l’adolescent, soit à évoquer des méthodes ou des pratiques qui prétendent restaurer l’état adulte ou établir dans un avenir plus ou moins proche cet état idéalisé.

 

Les chapitres consacrés au développement du jeune font une place énorme, presque disproportionnée, aux pratiques d’initiation dans les sociétés primitives. Bien qu’évolutives, ces pratiques ont pour but, d’après Lapassade d’établir l’état adulte. De même notre société, qui est obligée de reconnaître la situation non achevée du jeune fait tout pour qu’il arrive à cet état adulte, qui est la référence constante, la finalité dernière.

 

Lapassade, très attaché au freudisme et au marxisme, est assez embarrassé, quand il examine ces deux courants, car il est obligé de reconnaître leur orientation radicale dans le sens d’un homme terminé, accompli. En particulier, il ne peut s’empêcher d’évoquer ce qui fait le fond du système freudien, à savoir la définition de la névrose comme le « refus d’être adulte » ou la vision de l’enfant comme « pervers polymorphe » oedipien, qu’il s’agit de remettre dans la bonne voie de la maturation. Lapassade a beau faire des efforts pour créditer Freud d’une vision dynamique, quand il évoque sa théorie de la régression et déclare « la régression suppose la permanence de l’enfance dans l’homme », il ne nous convainc pas, puisque précisément cela est vu comme une « régression ». De même, Marx échappe difficilement à l’accusation de poursuivre un objectif statique. Il y a heureusement Trotsky, avec son idée de « révolution permanente », à laquelle Lapassade adhère complètement.

 

Comment expliquer cette anomalie d’un auteur qui pose, d’entrée de jeu, une thèse osée, paradoxale, qui n’est admise à peu près par personne et qui ne s’attache pas, par la suite, à la prouver ou à l’illustrer ?

 

Je ne vois, quant à moi qu’une seule explication. C’est que Lapassade valorisait tellement cette période d’entrée dans la vie – la jeunesse - qu’il ne pouvait rien faire d’autre que d’en parler, de l’évoquer, on pourrait presque dire de la chanter. L’état adulte l’intéressait si peu qu’il ne voulait même pas faire l’effort d’en dévoiler les contradictions, lui qui sera, par la suite, le champion des méthodes de dévoilement, avec le « non-dit », l’« analyseur » et le reste

 

Quand on a connu Lapassade, on sait qu’il était peu intéressé par les démonstrations rationnelles, et qu’il préférait les affirmations péremptoires, les démonstrations vécues, l’action.

 

Son livre, au fond, est une action, presque un happening.

 

Probablement, cela explique la suite, dont je vais parler incessamment, à savoir ce choc que fut, pour Lapassade, la rencontre avec les institutions, où il désirait, avec d’autres, introduire des méthodes nouvelles, précisément ces méthodes que nous voulions ensemble promouvoir, d’émergence du sujet. Cela va l’amener à effectuer un tournant à 180 degrés, à se griser de l’action, et à construire, à partir d’elle, un système relativement fermé, le système institutionnel.

 

Michel Lobrot

Http://lesanalyseurs.over-blog.org

 

Partager cet article
Repost0