Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Présentation

  • : Le blog de Benyounès Bellagnech
  • : Analyse institutionnelle : Théorie et pratique au sein des institutions politiques, éducatives et de recherche. L'implication des individus et des groupes dans la vie politique et sociale.
  • Contact

Recherche

7 mars 2012 3 07 /03 /mars /2012 11:32

Un autre aspect de l'apport d'H. Lefebvre au mouvement de l'analyse institutionnelle, c'est qu'il a pris ce mouvement au sérieux. Dès 1968, avant même que René Lourau (dont il dirigeait la recherche) ne soutienne sa thèse, il affirme sa confiance dans le paradigme de l'AI. Dans La vie quotidienne dans le monde moderne (1), il écrit : "La pratique quotidienne se laisse détourner en tant qu'expérience et valoriser en tant que pratique bornée, celle d'une vie individuelle qui tôt ou tard échoue en se résignant. L'opposant ? Le voilà isolé, absorbé, réduit au silence ou récupéré. Pour les uns, il manque d'expérience ; pour les autres, il manque de sagesse. L'oppositionnel reste le non-dit. Le monde de la terreur, des formes et de l'espace "purs", c'est aussi celui du silence, quand les métalangages s'épuisent et qu'ils ont honte d'eux-mêmes. Ainsi, s'esquisse une connaissance (ou si l'on n'hésite pas devant les mots), une science. Cette science découvrirait la situation quotidienne dans son rapport avec les formes et les institutions. Elle dévoilerait ces relations impliquées dans la quotidienneté, mais implicites et voilées au sein du quotidien."

 

À cet endroit de son raisonnement, H. Lefebvre introduit une note très explicite : "Des recherches en ce sens sont menées déjà par Georges Lapassade, René Lourau et les membres des Groupes de Recherche Institutionnelle. L'on peut nommer socio-analyse une telle recherche. Elle suppose une intervention dans la situation existante, la quotidienneté d'un groupe. L'intervention socio-analytique dissocie les aspects de la situation quotidienne, mêlés d'une fausse évidence, en un lieu et un temps. Elle associe des expériences jusque-là extérieures".

 

La suite de cette note concerne les procédures méthodologiques. Pour lui, la socio-analyse "procède ensuite par induction et transduction (2)". Puis, il montre le lien qu'il y a entre cette pratique et la sienne lorsqu'il militait dans l'opposition au stalinisme à l'intérieur même du Parti communiste : "Ainsi l'action oppositionnelle  antistalinienne au sein des partis communistes fut en son temps une remarquable socio-analyse ; une part des découvertes se retrouverait dans la pensée (sociologique en particulier, marxiste en général) des années postérieures." On voit que pour H. Lefebvre, en 1968, la socianalyse peut être une pratique d'"analyse interne" à une institution.

 

Après cette note, il poursuit son raisonnement : "L'homme dans le quotidien aperçoit des transparences là où il y a voile épais, des épaisseurs là où il n'y a que mince apparence. Pour percer cette double illusion, une opération s'impose, quasi chirurgicale. L'exploration des situations quotidiennes suppose une capacité d'intervention, une possibilité de changement (de réorganisation) dans le quotidien, qui ne relèverait pas d*une institution rationalisatrice ou planificatrice. Une telle praxis peut se préparer soit par l'analyse conceptuelle, soit par des expériences "socio-analytiques ". En tant que praxis à l'échelle globale de la société, elle fait partie de la révolution culturelle, fondée sur la fin du terrorisme, ou du moins sur la possibilité d'interventions contre-terroristes." On voit dans ce texte qu'Henri Lefebvre place sur le même plan de l'intervention : à la fois le travail du concept (l'analyse conceptuelle, ce qu'il pratique), et l'expérience socio-analytique (ce que pratiquent les groupes d'analyse institutionnelle).

 

La lecture attentive que Remi Hess a développée ces dernières années de l'oeuvre d'H. Lefebvre (il a réédité neuf livres à l'occasion du centenaire du philosophe !) montre l'appropriation du paradigme institutionnaliste par H.Lefebvre. C'est très marquant dans des ouvrages comme L'irruption de Nanterre au sommet (1968), La survie du capitalisme (1973), De L'Etat (4 vol. 1976-78). Dans tous ces ouvrages, il reprend le vocabulaire de l'Ai; il questionne R. Lourau, G. Lapassade et leurs collaborateurs à la fois sur la théorie et sur la pratique de l'Ai. Il sera présent à la thèse de R. Hess en 1982, aux rencontres de Montsouris de 1984, etc. H. Lefebvre nous apparaît donc comme bien davantage qu'un ''parrain de la mafia institutionnaliste" (3). En fait, H. Lefebvre a cru trouver dans l'Ai une forme possible de l'analyse dialectique. Il écrit en effet, dans une préface de 1969 à la réédition de Logique formelle et logique dialectique : "L'analyse dialectique dévoile, dissocie les contradictions emmêlées dans le nœud de leur unité. Elle permet donc de dévoiler les idéologies comme telles, y compris celles qui se greffent sur la logique et la dialectique. Aujourd'hui, l'analyse dialectique prend entre autres formes celle de l'analyse institutionnelle, qui saisit du dedans et du dehors l'implication des idéologies et des institutions. Ce qui ne va pas sans une critique en acte ; l'analyse implique un analyseur, une diagnose et un diagnostic (4)."

 

Mis en ligne par Benyounès et Bernadette Bellagnech

http://lesanalyseurs.over-blog.org

 

(1) C. Castoriadis insiste beaucoup sur le processus d'autonomisation, comme posture politique.

 

(2) H. Lefebvre, La vie quotidienne dans le monde moderne, Paris, Gallimard, Idées, 1968, p. 345-346.

 

(3) H. Lefebvre a développé ce qu'il entend par transduction, dans Fondements d'une sociologie de la quotidienneté, critique de la vie quotidienne II, Paris, L'arche, 1961, pp. 120 à 122. Dans cet ouvrage, il explore légalement la notion d'implication (p. 126) qui sera reprise par R. Lourau. La notion de transduction (à laquelle R. Lourau consacrera un livre en 1997) se trouve développée par H. Lefebvre dans la préface (1969) à la seconde édition de Logique formelle et logique dialectique.

 

(4) Titre de la préface de R. Lourau à la troisième édition de La somme et le reste, Paris, Méridiens Klinckseck, 1989.

 

(5)  Logique formelle et logique dialectique, préface de la seconde édition, p. XXXIX. Paris, Anthropos, 1969.

Partager cet article
Repost0

commentaires