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  • : Le blog de Benyounès Bellagnech
  • : Analyse institutionnelle : Théorie et pratique au sein des institutions politiques, éducatives et de recherche. L'implication des individus et des groupes dans la vie politique et sociale.
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11 mai 2012 5 11 /05 /mai /2012 16:16

L'inspection, analyseur des clivages idéologiques

 

Lors de ma première année, je devais être inspectée. En Allemagne, surtout en Bavière, c'est le chef d'établissement qui inspecte les nouveaux professeurs. On est inspecté tous les quatre ans, mais je tombais l'année de l'inspection. Quelle forme prend l'inspection chez nous ? L'un des points principaux, c'est que le chef d'établissement survient, sans s'annoncer, 3 fois dans l'année. Il arrive cinq minutes après le début du cours, pour empêcher le professeur de changer sa matière.

 

La première fois, je m'en souviens très bien, il est arrivé à 8 h 45. Je commençais mon second cours. C'était en octobre, quatre semaines après mon début au lycée. Le vendredi d'avant, nous avions eu une excursion des professeurs. Je n'aurais jamais pu penser, que le chef d'établissement surviendrait dans ma classe, après une rencontre aussi agréable, qui nous avait permis de faire connaissance les uns avec les autres. Je dois dire que je n'étais pas bien préparée à cette intervention. Ce que je traitais était un texte de Gotthold E. Lessing "la parabole des trois anneaux" (extrait du drame «Nathan le Sage»). Ce texte constitue un plaidoyer en faveur de la bonne action, que Lessing souhaite voir se substituer à une religiosité passive et sentimentale. C'est un drame célèbre de la littérature allemande.

 

Après mon cours, j'eus un entretien avec le directeur. Il marqua fortement le rapport hiérarchique. Il m'a reproché d'avoir écrit sur le tableau quelque chose sur le siècle des Lumières qui, sans être faux, manquait de contextualisation ! Il est entré dans les détails. C'était insupportable !

 

En février, il a suivi un cours d'histoire, avec des élèves de 16 ans. Je parlais de 1819, époque de la Restauration, en Allemagne. J'ai surtout parlé du Roi qui a suspendu la liberté de la presse. C'était la fin de la liberté d'expression. Même dans les réunions, on ne pouvait plus parler : Maulkorb-le Erlass (Karlsbader Beschlüsse, 1819). Metternich a voulu changer le système qui fonctionnait, depuis la Révolution. En France, aussi, vous avez eu la Restauration, avec ce mouvement de restriction des libertés publiques. On vous change le drapeau tricolore pour le drapeau blanc ! J'ai comparé cette période à la situation que l'on vivait en Allemagne, avec les Berufsverbot : on avait interdit quelque temps avant mon cours à un chauffeur de train de faire son travail, parce qu'il était communiste !

- Ces histoires-là ne sont pas seulement dans les livres d'histoire, mais dans notre actualité !, ai-je affirmé.

 

 

Le chef d'établissement m'a reprochée cette comparaison entre la suppression de la liberté de la presse sous la Restauration, et l'interdiction du Parti communiste, puisque ce parti était, selon lui et la Loi fondamentale (Grundgesetz), anticonstitutionnel. Mon chef d'établissement n'avait pas, de toute évidence, apprécié ce rapprochement ! J'ai essayé de discuter avec lui, mais c'était totalement impossible. Il estimait que mon discours était objectivement une provocation ! Je dois dire que je ne m'en rendais pas compte. Je ne voyais pas bien en quoi ce que je disais ne pouvait pas se dire.

 

 

Je ne souffrais pas trop de ce différend, car du côté des élèves, comme du côté des parents et des collègues, je sentais une réelle reconnaissance de ce que j'essayais de mettre en place dans mes classes. Les uns et les autres m'appréciaient de plus en plus. Ce sentiment n'est pas subjectif. Je puis porter à l'appui de cette affirmation un fait incontestable, un exemple très concret. En cette période de l'année, il y eut des élections au Conseil d'administration du lycée. J'y ai obtenu 70 suffrages des collègues, score tout à fait exceptionnel. Car, il n'y avait que 80 votants. D'ordinaire, les votes étaient plus partagés. Après un an de présence dans ce lycée, c'était un exploit...

 

 

Mais en même temps, j'attendais l'évaluation du proviseur qui était nécessaire pour mon intégration définitive. Il fallait attendre la fin de l'année scolaire pour l'obtenir. Le chef d'établissement m'a convoqué 3 jours après la fin de l'année : j'étais sûre d'avoir une bonne note du fait de mon succès auprès des élèves, des parents et des collègues. En plus, j'étais docteur en sciences de l'éducation. J'étais assez confiante. J'ai été le voir, assez sûre de moi. Or, il m'a donné un 5 (le 7 étant la moins bonne note, et entraînant l'exclusion du métier ; le 6 obligeant à recommencer l'inspection).

 

 

J’ai été détruite par cette évaluation. Je n'avais plus la force que faire quoique ce soit contre cette note ! Après, souvent, j'ai regretté de ne pas avoir protesté. Cette note détermine la progression de carrière : un 5 m’empêchait toute amélioration de ma condition pendant quatre ans. Cela joue sur le salaire.

 

Mis en ligne par Benyounès et Bernadette Bellagnech

http://lesanalyseurs.over-blog.org

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