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Analyse institutionnelle : Théorie et pratique au sein des institutions politiques, éducatives et de recherche. L'implication des individus et des groupes dans la vie politique et sociale.

Michel Lobrot : Le groupe face à l'institution (4)

 

 

Quand se réunit le groupe, dont fait partie Georges Lapassade et dont je fais aussi partie dans les années 60 du 20ème siècle, pour concocter une nouvelle pédagogie, d’où sortira l’ « analyse institutionnelle », il y a longtemps qu’existe un mouvement centré sur la pratique sociale aux Etats-Unis, qui s’appelle « psychologie sociale ». Ce mouvement est aux antipodes de la problématique institutionnelle. Il cherche en effet soit à appréhender les forces qui dans l’individu permettent l’accès au groupe, comme le font Kurt Lewin (né en 1890), Gordon Allport (né en 1897), Salomon Asch (né en 1907), David McClelland ( né en 1917), Léon Festinger (né en 1919), soit  à analyser les relations interindividuelles qui sont les premières ébauches du groupe, comme le font  Philippe Zimbardo (né en 1933) et Erving Goffman (né en 1922), soit enfin à étudier les premières formes de groupe comme le fait Kurt Lewin à travers le groupe de sensitivity training ou Eliott Aronson (né en 1932), à travers ses recherches sur les groupes d’adolescents, ou William Schutz (né en 1925).

 

L’ensemble de ces travaux, très avancés dans les années 60, constitue un corpus très impressionnant dont il faut à tout prix tenir compte.

 

C’est dans ce courant que j’inscris d’emblée ma pratique, centrée sur l’autogestion pédagogique, la non-directivité, le rogérisme. De cette pratique sortiront des textes théoriques, comme par exemple Les forces profondes du moi (1982).

 

Georges Lapassade, par contre, suit une voie plus traditionnelle, celle qui étudie les sociétés existantes, dans une perspective dans laquelle le marxisme joue un rôle important et qui débouche sur une action visant à transformer ces sociétés. Il est intéressé par le mouvement des groupes et y participe quelque peu, mais davantage par ce qu’on appelle le « potentiel humain » qui débouche sur des actions corporelles plus ou moins violentes.

 

Il n’y a rien à redire à cela. L’action révolutionnaire fait partie des forces qui veulent changer la société, comme le veut par ailleurs le groupe non-directif. Le malheur est que cette action révolutionnaire est adossée à une psychologie héritée du 19ème siècle, psychologie rigide et d’une seule pièce, de caractère durkheimien, qui voit dans le social un « fait » indépendant du psychologique et fonctionnant pour lui-même. Comme je l’ai déjà dit, cette idée est une erreur. Invoquer, comme le fait Lapassade, une « conscience collective » qui n’aurait rien à voir avec la conscience individuelle et qui fabriquerait ses objets à elle est insoutenable. La conscience, d’après les plus récents travaux sur ce sujet, est avant tout fabricatrice et fabrique en particulier les rapports humains qui sont le ciment des sociétés. On a abandonné l’idée d’une conscience surplombante qui, comme l’œil de Caïn, surveillerait l’action. Cette conscience ne peut pas être collective, au sens où l’entend le marxisme, pour la bonne raison que le moindre changement dans la moindre des sociétés, même parmi les plus collectivistes, est vécu par l’individu et rejeté ou accepté par lui, avec des raisons qui lui sont propres. Il suffit de lire les journaux écrits en camp de concentration pour s’apercevoir que le sujet humain ne perd jamais ses caractéristiques d’être humain, même dans la pire des servitudes. Des millions d’individus qui adhèrent à une croyance collective, cela fait des millions de raisons différentes d’adhérer à cette croyance, qui n’est donc pas si collective.

 

Je me sépare donc dans les années 80 du 20ème siècle, de Lapassade qui continue à critiquer mon action dans ses livres, sous prétexte que les groupes que je mène se font dans un cadre traditionnel. Mais s’il faut à tout prix échapper au cadre traditionnel pour être efficace, alors c’est à la société dans son ensemble qu’il faut échapper. Cela fait penser au sophisme antique qui consistait à dire qu’il est impossible à un abdérien de dire que tous les abdériens sont des menteurs, sous peine d’être obligé de dire qu’ils ne sont pas des menteurs, puisque cette affirmation serait un mensonge, venant d’un abdérien. Les disciples de Lénine qui ont retrouvé dans la société soi-disant nouvelle créée par eux les problèmes de l’ancienne société, en s’en tirant plutôt plus mal pour les résoudre, devrait méditer ce sophisme antique.

 

 

Heureusement Lapassade, avec son génie, ne tarde pas à s’intéresser et même à se passionner pour des choses qui sont exactement le contraire de l’analyse institutionnelle : la transe des rites africains et sud-américains, l’ethnométhodologie, etc. Nous pouvions nous retrouver.   

 

 


Michel Lobrot

httpp://lesanalyseurs.over-blog.org

http://journalcommun.overblog.com/

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