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  • : Le blog de Benyounès Bellagnech
  • : Analyse institutionnelle : Théorie et pratique au sein des institutions politiques, éducatives et de recherche. L'implication des individus et des groupes dans la vie politique et sociale.
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4 octobre 2011 2 04 /10 /octobre /2011 14:43

la spiritualite laïque et l’education

de la pensée de Krishnamurti à la recherche-action

dans une école  de bologne

 

 

Motivations et contexte de la recherche

 

Cette recherche concerne la formulation d’une hypothèse de spiritualité laïque et l’analyse de sa retombée dans le champ de l’éducation.

Son objectif est de vérifier si par le dépassement des spécificités liées aux religions et aux différentes croyances, on peut valoriser, dans une optique laïque, le potentiel humain et ses attitudes spirituelles, aux fins d’une résolution des conflits interculturels dus aux identités religieuses et aux préjugés idéologiques.

La question surgit de l’observation des mouvements profonds à l’œuvre sur l’ensemble de notre planète, de l’émergence croissante de résolution du conflit social dû aux inégalités et aux discriminations qui demeurent à chaque niveau de notre existence collective. La déstabilisation croissante du nombre de pays, l’aggravation des inégalités, amènent de plus en plus de citoyens à rêver d’un âge d’or religieux. Sur ce terrain se développent des intégrismes destructeurs et haineux. La crise que notre époque traverse est avant tout une crise spirituelle.

La laïcité entraîne la lutte contre les discriminations, contre les inégalités sociales et territoriales, c’est une véritable réflexion de fond sur la place des religions et des non-croyants dans la société.

On se trouve actuellement en Occident face à une dichotomie culturelle entre religion comme manifestation de l’esprit et laïcité comme affirmation de l’intellect, cette observation a pris forme engendrant l’idée d’un dépassement de l’opposition dialectique entre les termes spiritualité et laïcité dans une perspective de compréhension et de conciliation des opposés.

Dans la construction d’un sens neuf de la dimension spirituelle de l’homme présupposant de formuler des liaisons et des comparaisons entre les termes spiritualité et laïcité, l’intellect vient aider, par la logique, la conception d’un autre état de l’être, porteur d’intelligence.

L’éducation recouvre dans cette optique, le rôle important de l’éveil de la conscience et représente le milieu où vérifier par quels dispositifs l’idée de spiritualité laïque peut être transmise.

Ces études représentent l’analyse du passage d’une compréhension intérieure à une élaboration intellectuelle et de la recherche théorique à l’expérimentation pratique.

La spiritualité entraîne un travail intérieur de l'être, elle peut être le moyen de se libérer de la religion ou de toute autre forme de pensée, de croyance imposée sous prétexte d'une Vérité.

Plongée dans une démarche de formation tout au long de la vie, mon implication dans le quotidien de la recherche m’a rapprochée du sens d’une éducation intégrale (1) qui reconnait la sphère du sensible et de l’imaginaire à côté de la compréhension intellectuelle.

Faire l’expérience de cette perception nouvelle de l’existence est de l’ordre du vécu, mais transmettre l’expérience requiert une traduction complexe en termes théoriques.

 

La thèse s’articule en trois parties principales qui délimitent trois moments et aspects différents de la thématique abordée.

 

1)       1) 1)    La première partie est éminemment philosophique et développe la question théorique en répondant à l’interrogation : Qu’est ce que c’est la spiritualité laïque ?

C’est un parcours de compréhension transversale, qui puise dans les philosophies orientales ainsi que dans la psychologie transpersonnelle, en passant par les théories de la physique quantique et les expériences de sorties en dehors du corps.

Les références principales sont les écrits du sage anglo-indien Jiddu Krishnamurti dont la pensée m’a nourrie l’esprit pendant une dizaine d’années avant de me rapprocher de la recherche universitaire. D’autres sources en sciences humaines, de l’anthropologie à la psychologie humaniste et transpersonnelle ont contribué à soutenir la formulation de cette nouvelle conception de l’existence et de l’éducation.

 

2)           2) La deuxième partie décrit l’action pratique sur le terrain scolaire et rentre dans le cadre de la sociologique qualitative. Ici la théorie interroge le champ de l’éducation pour comprendre si on peut concevoir une éducation à la spiritualité laïque et comment pourrait-elle s’intégrer dans le contexte scolaire. On essaie de relever les problématiques qui déclenchent des tentatives pratiques en ce sens. Sont décrites et élaborées les interventions avec les élèves et les rencontres en recherche-action avec les enseignants, effectuées dans un Institut supérieur professionnel italien.

 

3)           3) La dernière partie de la thèse est dédiée à l’analyse des approches éducatives et des méthodes pédagogiques les plus pertinentes à la réalisation d’une éducation à la spiritualité laïque.

 

 

1          Formulation d’une hypothèse de spiritualite laïque

 

La recherche a tout de suite mis en évidence une analogie entre deux approches à la connaissance : d’un côté la pensée occidentale et la mise en acte d’une approche alternative au doute méthodique cartésien par l’épochè (acte de retrait et de mise en suspens permettant une observation désintéressée du monde) et de l’autre les sagesses orientales et la pensée de Jiddu Krishnamurti centrée sur la perception totale et l’observation pénétrante du réel.

Dans la philosophie occidentale, la phénoménologie fondée par Husserl (2) a permis un renouvellement de la philosophie. En mettant la conscience au cœur de la pensée, en comprenant dans quel sens le sujet dans l'état de veille était posé en relation avec l'objet, elle a fait un pas remarquable en direction d'une très ancienne philosophie, le Vedânta de l'Inde. Il est fascinant de remarquer à quel point les deux démarches viennent se rencontrer en un même lieu.

L’intérêt et l’attention particulière dédiés à Krishnamurti dans cette étude se justifie par sa révolution herméneutique donnée par le bouleversement de toute méthode visant à saisir des vérités. Il propose un parcours qui ne bouge pas d’un mouvement de l’intellect, mais de l’implication totale du sujet. A la base de la philosophie de Krishnamurti, il y a la conviction qu’il faut se libérer de toute autorité parce qu’aucun dogme peut nous aider à exprimer les potentialités de l’esprit.

 

Spiritualité, religion et laïcité : le dépassement des opposés

 

La réflexion de cette première partie s’ouvre sur la spiritualité et la laïcité comme termes porteurs, chacun dans un sens autonome et indépendant, pour enfin dépasser leur apparente opposition par le concept de spiritualité laïque.

Dans l’optique dualiste entre matérialité et spiritualité, la dernière est assimilable à la religion. Mais sa définition n'en suppose pas le même côté organisé, bien qu'il ne l'interdise pas non plus. Cette absence d'organisation, là où elle existe, se révèle peu propice à la propagation de dogmes. La fermeture dans la logique dichotomique entre matérialité et religion de notre culture, produit une approche, intérieure et/ou mystique, bien différenciée d'une approche intellectuelle (raisonnée, rationnelle), morale ou psychologique.

L’entreprise par laquelle la personne tend à unifier son expérience de vie dans l’achèvement et le dépassement de soi-même est une démarche spirituelle qui peut se dérouler dans la foi explicite en Dieu, dans l’appartenance à une religion organisée ou pas. La plupart du temps, toutefois, la vie spirituelle s’organisera autour d’un pôle unificateur : un maître, une théorie, une cause. Ensuite, on analyse le sens du terme laïc. Celui-ci provient du latin laicus et à l’origine du terme grec laikos : du peuple. La laïcité est donc populaire, ce qui donne à cet adjectif la portée de l’accessibilité de l’Homme à la compréhension. La laïcité a, en même temps, une valeur morale par rapport à l’attitude des individus et une valeur éthique qui concerne leur rapport avec la collectivité et les institutions.

Etre laïc c’est refuser de se référer à des prétendues vérités ou valeurs absolues. Cette attitude peut relever d’un refus philosophique de la consistance ontologique de la réalité externe et de la nature humaine, ou plus simplement, d’une acceptation  au-delà de ses propres convictions théologiques ou métaphysiques.

Mais la laïcité, avant d’être un droit, est une question sociale et une affaire de l’esprit.  Elle naît comme idée qui affirme les potentialités de l’esprit humain au-delà de la foi religieuse. L’importance de cette affirmation est due au dépassement de la dualité apparemment inexorable entre athéisme et religion, laïcité scientiste-rationaliste et mystique irrationnelle, et à la proposition d’une autre possibilité pour l’Homme de vivre son existence.

Les termes laïcité et spiritualité ne sont donc pas contradictoires. Au regard habitué à lier l’aptitude de l’esprit à se manifester avec la croyance ou la foi, le mot spiritualité ne peut que s’exprimer à coté du mot religieux, mais si on sépare le concept de religion de celui de spiritualité on s’approche d’un autre sens de la manifestation de l’esprit. Un sens qui n’a rien à voir avec la croyance comme obéissance à une doctrine (élaboration de la pensée), mais un sens d’appartenance qui naît de l’amour. Par l’amour, l’esprit se manifeste indépendamment de la foi et de la croyance. Cette spiritualité est laïque parce qu’elle part de l’Homme et de son intériorité et non plus des projections extérieures.

La spiritualité laïque est l’affirmation d’un oxymore, ressortant de l’intégration des deux notions apparemment inconciliables. Dans la rencontre des ces contradictions, on accomplit l’achèvement de la conscience.

L’harmonisation de ces deux termes peut produire une réconciliation intérieure entre les forces toujours en combat notamment dans l’Homme contemporain : d’un côté la pulsion de l’esprit à se livrer, de l’autre les cages des doctrines religieuses qui l’annihilent. La laïcité affranchit la spiritualité des contraintes de la foi, la dégage des impositions morales de l’obéissance acritique aux rituels et lui rend le droit d’exister dans toute sa vérité, dans le sens de ne correspondre qu’à soi même. Spirituel est aujourd’hui un mot qui rassemble à la fois toutes les recherches métaphysiques et toutes les quêtes mystiques.

On poursuit dans ce parcours exploratoire à travers la pensée de ceux qui ont abordé la dimension spirituelle de l’Homme et en ont décrit les expériences, par différentes disciplines : de la philosophie, à la sociologie jusqu’à la psychanalyse et la psychologie humaniste.

Cependant, une vision de la spiritualité comme travail intérieur de l’Homme appartient surtout  aux traditions philosophiques orientales.

Le concept de spiritualité laïque se rapproche de l’idée de «religion de l’humanité» de Sri Aurobindo qui dans le texte L’ Idéal de l’Unité humaine explique que la spiritualité « ne se ramène pas à une haute intellectualité, ni à un idéalisme, ni à quelque penchant éthique du mental (…) mais plutôt comme un éveil à la réalité intérieure. Le problème de fond réside dans la structure de l’ego séparateur et exclusif » (3).

Aurobindo retient que l’ennemi de toute spiritualité est l’égoïsme humain, il est si bien installé que précisément il se sert de la religion établie pour créer la division et l’affrontement. Ce qui constitue la démonstration même du fait que l’esprit a quitté la religion. Le sens réel de la religion est dans le lien qui relie.

Le mot religion peut s’interpréter comme ce qui re-lie, et ce qui lie à nouveau. Ce qui établit un pont ou rétablit une ancienne alliance. Cependant, toute la question est de savoir ce qui est lié et en quoi consiste le lien. Il y a deux possibilités :

a) - Soit voir dans la religion (re-ligare) le lien entre l’homme et l’Être, l’Englobant, la Vie, le Divin (quel que soit le terme qu’on lui donne), en admettant que le spirituel est précisément ce lien intemporel entre le relatif et l’absolu.

b) - Soit voir dans la religion un lien, tissé par une révélation, qui re-lie une communauté de fidèles autour d’une foi commune. Dans ce second cas, il est évident que la religion a un sens éminemment social. Elle n’est en aucun cas séparable d’une organisation chargée de conserver et de promouvoir la doctrine et le credo d’une église.  Cette dernière est une institution qui partage les caractéristiques de toutes les institutions en général : un système hiérarchique et centralisé, une volonté de se maintenir en tant qu’organisation, d'exercer un contrôle et un pouvoir sur ses membres. L’église fait corps avec ses fidèles, ce qui veut dire qu’elle les tient sous sa direction.

Bergson désigne cet aspect sous le terme : religion statique (4). Cependant, il peut aussi exister, au sein d’une religion organisée, une spiritualité dans le sens défini auparavant. Elle se rencontre dans la mystique : le christianisme a eu Maître Eckhart, l’Islam a produit le soufisme et ses courants, l’hindouisme de Ramakrishna ou près de nous Ma Ananda Moyi. Le lien entre une religion organisée et la mystique qui lui est rattachée est très vague. Il est une catégorie imposée de l’extérieur. La mystique n’est pas dogmatique et très souvent les paroles des mystiques, soi-disant orthodoxes, ont des allures hérétiques.

Des maîtres, comme Svami Prajnanpad, se sont approchés par leur conception de la spiritualité et par leur enseignement à une idée de spiritualité laïque comme libération des chaînes de l’identité: « L’ego c’est la voix du passé… rien d’autre que des émotions refoulées insatisfaites. C’est l’émotion insatisfaite qui pleure… l’ego n’est jamais satisfait. L’insatisfaction aussi est le signe distinctif ou le symbole de l’ego» (5).

Dans la spiritualité hindouiste, dans les moments privilégiés de perception du sacré, l’Homme habite son corps subtil, les koshas sont alors suffisamment perméables ou dégagés pour lui permettre de capter une information subtile d'ordre suprapersonnel ou cosmique, appréhendée à partir du niveau d'anandamayakosha. Ceci explique pourquoi, comme affirme Shri P. Rajagopalachari, que les Occidentaux ont le plus souvent perdu le sens du sacré : c'est tout simplement parce qu'ils se rendent compte qu'ils habitent préférentiellement leurs couches les plus denses. Par ce surinvestissement des zones les plus denses de leur organisme bio-psycho-spirituel, les informations subtiles, par exemple celles qui pourraient donner lieu à une expérience numineuse, ne font que leur passer au travers, sans qu'ils soient aptes à les capter et à les reconnaître.

Bergson, dans ce registre, parle de religion dynamique, comme d’une religion différente, désintéressée et dépositaire de la spiritualité religieuse, d'essence mystique. C'est la foi qui soulève les montagnes, l'aspiration à l'absolu. « L'enthousiasme religieux du mystique » écrit Bergson : «  est une matière en ébullition, qui coulera dans le moule d'une doctrine, deviendra cette doctrine en se solidifiant » (6).

Depuis trop longtemps, la spiritualité est restée prisonnière de la religion, mais elle est premièrement un état d'esprit, une ouverture permanente sur les autres et le monde.

Au-delà des différences de contenus et de doctrines, ces enseignements se rejoignent sur un point : l’absence de croyance en un principe divin transcendant.

A ce propos la pensée chinoise qui est traversée par trois courants principaux : le taoïsme, le confucianisme et le bouddhisme, est a-théologique (7) et essentiellement immanente (8).

Cette philosophie est non-dualiste grâce à l’absence des références à la création par un Dieu séparé du monde. La création est un mouvement qui se déroule, où toutes formes sont données par la totalité des énergies. Elle se fonde sur la pratique du non-agir.

Dans cette vision, l’Homme fait partie du monde où il n’y a pas de séparation entre l’énergie cosmique et l’identité du moi.

 

(1) Jiddu  Krishnamurti, De L’éducation, Suisse, Delachaux et Niestlé, 1970.

(2) E. Husserl, Idées directrices pour une phénoménologie, Paris, Gallimard, 1950.

(3) Sri Aurobindo, L’Idéal de l’Unité humaine, La religion de l’Humanité, Paris, Buchet Chastel, 1972.

(4) H. Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion, 58e édition (1932). Paris, Les Presses universitaires de France, 1948, 340 pages. Collection Bibliothèque de philosophie contemporaine. 

(5) Svâmi Prajñânpad, L'art de voir, Lettres à ses disciples, Éditions L'Originel, Paris,  p.55.

(6) H. Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion, 1932, 58e édition. Paris : Les Presses universitaires de France, 1948, 340 pages. Collection Bibliothèque de philosophie contemporaine. , p. 340.

(7) A. Cheng, Histoire de la pensée chinoise, Seuil St Amand, 1997.

(8) P. Filliot, L’Education spirituelle ou l’autre de la pédagogie. Essai d’approche transversale de la relation maître-élève-savoir dans les spiritualités orientales et occidentales : bouddhisme zen, yoga, sagesses chinoises, christianisme, thèse de doctorat Universite Paris 8, département Sciences de l’Education, 2007.

 

Geppina (Guisi) Lumare

http://lesanalyseurs.over-blog.org

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