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Analyse institutionnelle : Théorie et pratique au sein des institutions politiques, éducatives et de recherche. L'implication des individus et des groupes dans la vie politique et sociale.

« L'importance extraordinaire de l'éducation » ou les vertus de la méfiance (10)

4.2 L'article de Baeumler sur Herbart

 

 

Venons-en enfin à cet article de Baeumler sur Herbart. Il a été publié pour la première fois en 1941 dans l'Internationale Zeitschrift für Erziehung (Revue Internationale de l'éducation, repris dans Baeumler:1943, 204-252). Il présente une version douçâtre, mais pas moins conséquente, de la vision du monde national-socialiste. En quoi alors Herbart est-il intéressant pour Baeumler ?


De prime abord pour son concept d'individualité (cf. supra). La première découverte que Baeumler attribue à Herbart et qui l'intéresse dans le cadre de ce nouvel amour pour l'individuel est sa notion de «Nous inséparé» (« das ungeschiedene Wir », cf. ibid.:213) qui se prête bien évidemment à merveille pour la conception a-individuelle de l'individualité existentiale. Deuxièmement, Baeumler remarque que les réflexions de Herbart ne partent pas de son activité d’éducateur qu'il chercherait alors à comprendre. Herbart essaie plutôt d'expliquer ses expériences en appliquant des concepts a priori. Pour cela, il redéploye les apports de Friedrich Schiller (1759-1805)[1], de Johann Gottlieb Fichte (1762-1814) et de Georg Friedrich Wilhelm Hegel (1770-1832). En conséquence, il présenterait le but de l'éducation ainsi : trouver un point de repos, placer les motivations totalement inchangeables en avant (cf. ibid.:219sq). Une autre grande découverte de Herbart qui intéresse Baeumler est la notion d'éducabilité (Bildsamkeit, cf. ibid.:233). C'est ici que nous retrouvons cette individualité entendue comme historicité. Car, bien que Baeumler explique que l'éducabilité trouve sa limite dans le Gemüt (l'âme, le centre de la volonté), il dit que la conception de ce Gemüt détermine l'individualité.  Et il souligne que le Gemüt est autre « chez les Français, les Anglais, les Turcs et les Samojades » (ibid.:224sq).[2] C'est alors bien le caractère national qui détermine l'individu. Baeumler avance réellement très doucement car, ce qu'il entend vraiment par caractère national, c'est le caractère de la race[3] qui correspond au territoire national.[4] Il répète Herbart, disant que ce dernier déracine le concept de la force pour arriver à l'éducabilité : « L'éducation de Herbart intervient à l'intériorité la plus intime du germe en vaccinant l'homme avec des pensées, émotions, pulsions qu'il n'aurait jamais eu sans éducation » (ibid.:226). La pédagogie nationale-socialiste travaille exactement ainsi. Pourquoi Baeumler n'est-il pas parfaitement content ? « La déracination du concept de force, » écrit-il, « amène nécessairement aux hypothèses fausses, lourdes de conséquences. A l'égard de la compétence d'acquérir des représentations et des masses de représentations, Herbart accorde à l'homme une compétence d'accepter des représentations qu'il ne possède pas réellement, car déjà l'acception des représentations est conditionnée par ce qui est inné. » (Ibid.)

 

 

Donc, Herbart est  intellectualiste (ce qui égale, dans le langage baeumlérien, à humaniste), car « partout où on essaie de déduire une force par le manquement de force, nous devons parler d'intellectualisme » (ibid.:277; cf. aussi Baeumler:1920). Il aborde ensuite le concept de l'unité de l'âme et revient encore une fois à l'intellectualisme avant de tirer un bilan intermédiaire : « Sa pédagogie est alors issue d'une représentation tout à fait adéquate de l'homme dans la communauté. » (Ibid.:231) N'oublions pourtant pas que cette communauté est maintenant la communauté historique du peuple (sc. selon le modèle allemand), tandis que, pour Herbart, et c'est ici où la critique de Baeumler frappe, c'est une communauté quelconque, donc un concept sans force. Cependant, c'est justement cette indétermination qui, elle aussi, permet à Baeumler de s'en servir, ce qu'il ne va bien évidemment pas admettre. Un peu plus loin, il développe un concept de Je pour le moins schizoïde avant de constater que le Je n'est pas un point de  départ, mais un résultat. Dans ce contexte, il vient à l’importance extraordinaire de l’éducation : « Ce n'est pas un fait intelligible, mais une création incessante ayant lieu sous les influences du hasard et des circonstances [...] D'où l'importance extraordinaire de l'éducation. » (Ibid.:233) De même, « la volonté correcte n'est pas au départ, mais à la fin. Elle est le résultat d'une éducation correcte. Eduquer, c'est transporter des représentations dans l'homme, de sorte que la volonté correcte en surgit » (ibid.) ; ou bien « transporter un cercle de pensées dans l'âme juvénile, c'est ça, l'effort de l'enseignement » (ibid.:235).


Baeumler se demande aussi comment Herbart est arrivé à cette conception. Herbart discernerait le côté objectif et le côté subjectif de l'apprentissage. Le côté objectif apprend par expérience avec et par connaissance des choses, tandis que le côté subjectif accède à l'apprentissage par la fréquentation des choses, se laissant affecter par eux dans l'âme, la volonté (Gemüt). Mais Herbart aurait compris que cela ne suffit pas. Il propose alors de pénétrer plus profondément dans l'intériorité, et c'est par cela qu’il définit l'enseignement. Mais il n'y a pas de magie : l'éducateur doit seulement, en obéissant aux lois de l'esprit, agir en conséquence de ces lois, car le chemin vers la volonté (Wille) de l'éduquant se fait exclusivement à travers le mécanisme des représentations (cf. ibid.:236). Donc, « si l'éducateur connaît les besoins de l'esprit en croissance et s'il connaît les moyens pour les satisfaire, il peut s'adonner à de plus hautes attentes» (ibid.). Baeumler se moque de Herbart qui veut arriver à une amélioration de l'humanité par la simple voie de l'éducation. Et pourtant, parlant des idées herbartiennes, il reconnaît « qu'ici, il s'agit d'une fondation des processus de formation grâce à une analyse claire des conditions de l'âme en développement » (ibid). Mais pour Baeumler, il ne s'agit pas de l'esprit humain comme c’est le cas pour Herbart, mais de l'esprit du peuple allemand qui rend apte aux exigences de « notre genre (unserer Gattung) ». Le côté objectif de l‘éducation se construit selon le même modèle, à savoir  la pénétration du Gemüt par un contenu qui vient de l’extérieur : « Eduquer, à travers l'enseignement, signifie que l'influence sur l'âme en croissance s'exerce par une matière, par l'objet de l'enseignement » (ibid.:237). Baeumler souligne que, pour Herbart, l'enseignant et l'élève sont occupés avec un tiers, et, donc, à échelle égale, tandis que partout ailleurs dans l'éducation, l'éduquant est passif et doit suivre l'éducateur.


Et Baeumler conclut sur une note plutôt anecdotique. Comme Herbart a dû se battre contre les théories qui attribuent à l'âme des compétences, il n'avait pas le temps de devenir « le théoricien de la formation harmonieuse de toutes les forces » (ibid.:238sq). Mais il lui accorde : « Devenir homme (Mann), est son problème le plus intime : à travers ce problème, il est devenu l'éducateur de façon existentielle. » (Ibid.:236).



 

[1] Baeumler s'attaque bien évidemment aussi au poète d'une manière spécialement pernicieuse. J'invite les lecteurs de bien vouloir prendre note de ses explicitations de deux drames de Schiller, Iphigenie auf Tauris (1940, repris dans Baeumler: 1943, 252-262) et Wallenstein (1941, repris ibid.:263-275). Imaginons qu'une réhabilitation du philosophe et du pédagogue Baeumler réussisse et qu'ainsi, ces textes seront insérés dans les livres scolaires ... pour la joie des uns, pour l'horreur des autres, en tout cas au détriment des jeunes lecteurs qui ont, déjà du fait des manques d'expériences, peu de résistances. ‒ Soulignons que je ne plaide pas forcément pour l'élimination des écrits baeumleriens du patrimoine de l'humanité, d'autant plus que le concept du patrimoine d'inhumanité existe déjà (cf. les travaux de l'urbaniste Alain Sinou, Paris 8). Cependant, je m'oppose radicalement à tout discours voulant exténuer les risques émanant de ces textes à la fois pour la pensée humaine et pour la construction politique. En conséquence, chaque édition de ces écrits, voire chaque citation, est obligatoirement à accompagner d'une indication permettant de la situer. En ce qui concerne Baeumler, ces indications doivent porter, outre  sur la notion que je traite ici, à savoir le «nouvel amour pour l'individuel», aussi sur les notions de «Weltwende (tournant mondial)», et, bien évidemment, de «Nouvelle vision du monde».


[2] René Descartes (1596-1650) a apparemment déjà explicitement dit que sa philosophie concerne autant les Turcs que les Européens (propos retenus lors d'un colloque dont je ne me souviens plus des circonstances exactes) et Schleiermacher souligne à plusieurs reprises que les distinctions ethniques n'entravent pas l'humanité, mais qu'elles en font partie; cf. par exemple Monologen iii (kga I.12). Il explique que la souffrance  des noirs qui doivent consommer leur vie au service des autres se situe au même niveau que toute autre soumission de l'individu aux forces circonstancielles (cf. ibid.:361).


[3] Et c'est bien cette trame qu'il développe dans son ouvrage sur le Problème de l'irrationalité.


[4] Cette idée est la plus nocive de toute cette entreprise. Elle est aussi partagé par Rosenberg, cf. « Krisis und Neugeburt Europas. (Crise et nouvelle naissance de l'Europe), Volta-Kongress Italien, 14.-20. 11. 1932 »  (repris dans Rosenberg:1935, 296-311) et par Heidegger. Au mois de mai 1933, rapporte Löwith, Heidegger a publié deux appels à l'élection dans la Freiburger Studentenzeitung (Journal des étudiants de Fribourg), le 3 et le 10 mai. « Après avoir parlé pour la première fois de la "dernière grandeur" du Dasein dans son discours inaugural à Fribourg (Qu'est-ce que la métapysique), déterminé comme une dépense "hardie" de lui-même, il utilise maintenant amplement la grandeur héroïque. Cette grandeur ne vaut pas moins pour la mort de Schlageter que pour la résolution d’Hitler d'un coup de surprise et d'une solution hardie qui néglige tout contrat et ses bases de droit. Et ceci n'est pas un abandon de la communauté des peuples européennes, mais "au contraire, cela rend possible une vraie communauté, pour laquelle chaque peuple (selon le modèle allemand) se pose sur lui-même, afin de se poser l'un pour l'autre" » (Löwith:1986,39, citation de Heidegger  de l'appel du 3 mai).

 

 

Leonore Bazinek

http://lesanalyseurs.over-blog.org

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