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2 juillet 2014 3 02 /07 /juillet /2014 17:45

 

Holocausto Brasiliero

 

 Non, ce ne sont pas des survivants d’Auschwitz ni des rescapés, après la seconde guerre mondiale, de l’hôpital psychiatrique de Clermont-de-l’Oise, mais quelques survivants des 60 000 morts de ce qu’une journaliste a nommé « un holocauste brésilien ».

 

 

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 Une grande enquête dénonce les conditions de vie à Colônia, le plus grand asile psychiatrique du Brésil, où périrent plus de 60 000 personnes, pour la plupart enfermées là sans raison médicale. Les images et l’histoire que vous allez découvrir vous évoqueront certainement les images des camps de la mort nazis.

 Le compte rendu du livre par Books éditions, le seul en France à ce jour et à ma connaissance, d’un ouvrage qui a été pendant six semaines un best-seller au Brésil commence ainsi :

 « “La folie ne tue pas”, lit-on en ouverture du livre d’enquête que vient de publier la journaliste Daniela Arbex. “Du moins pas à Barbacena”, une petite ville de l’État du Minas Gerais, à quelque 300 kilomètres au nord de Rio de Janeiro, où fut inauguré au début du XXe siècle le plus grand asile psychiatrique du pays : Colônia. Les 60 000 personnes qui perdirent la vie dans ce sombre hospice entre 1903 et le début des années 1980 – dont “70 % ne souffraient d’aucune maladie mentale”, écrit Daniela Arbex – succombèrent à la faim, au froid, à la pneumonie, aux électrochocs, au manque de soins ou encore à la torture ». En fait, le génocide (60 000 morts), qui a surtout concerné les noirs et les pauvres, s’est exercé entre 1930 et 1980, soit 1200 morts par an pendant 50 ans. L’établissement comptait, en 1960, 5 000 patients.

  Pour avoir un élément de comparaison, prenons Clermont-de-l’Oise (voir le billet précédent) : en 1940 il y avait 5 153 patients dans cet établissement. Sous le régime de Vichy il y eut 3 536 morts de 1941 à 1944, soit une moyenne annuelle de 884 morts. Si cela avait duré 50 ans, comme à Colônia, et qu’il n’y ai pas eu une diminution dans les admissions, cela aurait conduit à 44 200 morts. À Colônia, entre 1969 et 1980, on comptait en moyenne seize décès par jour. Calculez la moyenne annuelle !

  


 En 2009, la journaliste achevait un entretien avec un psychiatre, Juiz de Fora, quand celui-ci lui montra un livre : Colônia où figurait des photos prises dans les années 60 par le photographe Luiz Alfredo dans l’asile psychiatrique en question. « Dès le début, j’étais sûr de voir un camp de concentration » dit Daniela. Elle décida alors de retracer dans le journal où elle travaillait, Tribuna de Minas, dans une série de reportages intitulée Holocausto Brasileiro, l’histoire, des victimes de l’institution.

 

 « Les patients étaient amenés à Colônia dans des wagons à marchandises. Quand ils arrivaient là, ils avaient la tête rasée, étaient en uniforme et on leur avait confisqué leur identité, pareillement à ce qui s’est passé dans les camps de concentration » explique-t-elle.

 

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Daniela avoue que dans son immersion en un univers aussi lourd, les histoires les plus difficiles à entendre étaient celles des patientes enceintes à qui on arrachait les enfants à leur naissance. « Je venais d’accoucher et allaitait encore quand j’ai commencé les entretiens. À entendre leurs témoignages, je comprends pourquoi elles sont devenus folles ».

 

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 Bébés gardés dans des crèches à l’intérieur de Colônia. Photo Jairo Toledo

 

 Une des raisons pour laquelle Daniela Arbex a écrit son livre, c’est dit-elle le fait que sa génération ne connaissait pas cette Histoire longue de 50 ans. Mais plus largement, « Il s’est avéré que le Brésil n’était pas au courant » ajoute-elle. Une situation pas très différente à celle régnant en France encore aujourd’hui à propos de l’abandon à la mort de 76 000 fous sous le régime de Vichy pendant l’occupation allemande. Au Brésil comme en France, il y avait la volonté d’abandonner ou de se débarrasser des êtres considérés comme socialement inutiles.

  Si pendant des dizaines d’années, à Colônia, des milliers de malades mentaux y furent internés de force, beaucoup le furent sans diagnostic précis. Il s’agissait aussi d’épileptiques, d’alcooliques, de prostituées, de filles enceintes de leurs employeurs, de femmes répudiées par leurs maris, de femmes ayant perdu leur virginité avant le mariage… « Les personnes les plus violentées étaient noires. Dans ma recherche, je n’ai pas compté le nombre de patients blanc ou noir, je ne pouvais avoir ces données, mais la quasi-totalité des victimes de l’holocauste étaient assurément noires. La seule chose qui différenciait les image faites à “Colônia” de celles des camps de concentration Nazis en Allemagne était précisément la couleur » dit Daniela. En France également il s’agissait de « la volonté du gouvernement de Vichy de se débarrasser des fardeaux inutiles » (Rita Thalmann, voir http://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/220813/en-memoire-de-rita-thalmann).

  

 

Si en France, en 1987, le livre de Max Lafont –L’extermination douce – fut une révélation pour beaucoup, il n’atteignit jamais, dans le grand public, le succès de celui de Daniela au Brésil. Cependant, si ce dernier fut là-bas un best-seller, chez nous il ne parvint pas à la notoriété. Rien dans Le Monde, qui se prétend pourtant « journal de référence » et qui a un correspondant permanent au Brésil. Rien dans Libérationou au Figaro. Rien dans L’Humanité. Rien chez les autres non plus.

 Rien encore à France culture où Emmanuel Laurentin tient une excellente émission quotidienne, La fabrique de l’Histoire, où pourtant chaque semaine sont traquées les nouveautés éditoriales et du Net. Silence radio partout.

 

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  On les comprend. Comment parler d’un tel drame historique qui s’est passé de l’autre côté de l’océan tout en continuant à faire silence sur celui ayant eu lieu chez nous sous le régime de Pétain, Laval, Darlan…

 

  Daniela a raison de qualifier d’holocauste, de génocide ce qui s’est passé au Brésil, comme termes de comparaison avec une histoire  pas encore trop éloignée chez nous, en Europe. Dommage qu’elle ignore, dans cette comparaison, le gazage de 50 000 fous et la continuation de cette extermination, de 50 000 à 70 000 autres martyrs, par d’autres moyens en Allemagne sous Hitler. Dommage qu’elle ignore, dans cette comparaison, l’abandon à la mort, en France sous le régime de Vichy, des 76 000 malades mentaux : par la faim, le froid et des maladies qui s’en sont suivi, comme au Brésil. Les comparaisons n’auraient pas été moins judicieuses que celle faites avec la Shoah.

 

(...)

 

ARMAND AJZENBERG

 

 

http://lesanalyseurs.over-blog.org

 

 

 

http://journalcommun.overblog.com/

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