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Analyse institutionnelle : Théorie et pratique au sein des institutions politiques, éducatives et de recherche. L'implication des individus et des groupes dans la vie politique et sociale.

Georges Lapassade : La Fac ici et maintenant (Extraits d'un journal de route) (8)

La Fac ici et maintenant (Extraits d'un journal de route) (suite) 

 

 

Je reprends maintenant, - si je peux m'y tenir -, la transcription des notes prises lorsque, tout à l'heure, je me préparais pour ce Journal. 

 

 

Je veux tenter de faire passer ici des choses dont on ne parle pas habituellement dans les textes admis comme des produits de « recherches ». Exemples :

 

 

1) Les professeurs passent beaucoup de temps de leur vie professionnelle et personnelle dans des luttes d'influence, des questions de pouvoirs dans les appareils de toutes sortes (présidences d'associations, participations à des commissions, intrigues dans divers milieux, relations cultivées). Ils passent aussi leur temps à accréditer l'idée qu'ils sont des savants, ou des chercheurs et cela passe par beaucoup de stratégies institutionnelles : il faut occuper certains postes dans les appareils de la recherche, etc. Il n'y a peut-être pas beaucoup de bénéfices matériels, les bénéfices sont ailleurs, mais où ? Je ne sais pas comment de tout cela, qui est pourtant essentiel, faire un nouvel objet de «recherche». On sent bien qu'il y a là un point aveugle de la vie des gens et des systèmes. Jusqu'ici, nous avons seulement tourné autour, nous avons flairé la chose longuement, nous l'avons désignée parfois dans des écrits mineurs et marginaux.

 

 

2) La « science sociale » est avant tout un fait d'institution : Durkheim, « libéral » à la fac et maître absolu au Comité consultatif, contrôlait l’institution de la sociologie,ce qui lui permettait d'installer sa propre définition et d'éliminer les autres.

 

 

3) Je ne sais pas exactement pourquoi mes collègues veulent en ce moment obtenir une nouvelle habilitation à diriger un D.E.A. du nouveau régime. Je ne vois pas quel est l'enjeu. On pourrait le comprendre si cela était lié à la carrière, mais ceux qui demandent des D.E.A. sont souvent au sommet. On comprendrait si c'était une obligation attachée au rang, à la fonction de professeur. Mais il ne le semble pas. Je dois donc essayer de comprendre cette fièvre, qui court dans les facs en ce moment, et je dois tenter de la comprendre à partir du fait que ce D.E.A. ne m'intéresse pas personnellement. Mais là encore, c'est un thème dont on ne voit pas comment il pourrait être traité « scientifiquement », comme ils disent, c'est-à-dire sous les oripeaux de la «science». On peut en faire seulement le thème à peine ébauché d'une page de Journal, et ce Journal serait ainsi le lieu où l'on inscrirait en attente des thèmes qu'on devrait pouvoir traiter un jour.

 

 

4) J'ai remarqué que certains de mes collègues n'ont pas vraiment de critères objectifs, malgré leurs discours, pour juger les productions des étudiants. Ils leur accordent le diplôme en fonction d'autres déterminations: la cour, que leur font les étudiants, joue un rôle important.

 

 

5) Cette importance des appréciations subjectives apparaît d'autant mieux que les juges sont convaincus, - ou peut-être font semblant d'être convaincus -, de l'existence d'une « science sociale » avec des règles établies que l'étudiant est censé apprendre (alors qu'il cherche simplement, lui, le diplôme).

 

 

Le système de la « recherche » chez nous, en commençant par le D.E.A. et même un peu avant, est fondé sur l'affirmation qu'il existe un savoir de la société qui serait « scientifique », en rupture avec le « sens commun ». La seule opposition « crédible » à cette conviction est dans les ouvrages de Garfinkel et pas dans les nôtres, malheureusement. De sorte que  je   suis   obligé  de  faire   un   long  détour par l'ethnométhodologie pour m'autoriser, non pas à donner mon Journal pour un document « scientifique », mais à supposer qu'une analyse interne de ma fac pourrait avoir quelque « légitimité » (?) à condition de faire parler les «membres », de prendre leurs discours « au pied de la lettre » et de ne pas prendre mes gloses pour un passage au « savoir ». (...)

 

 

 

Georges Lapassade


Mis en ligne par Benyounès et Bernadette Bellagnech

 

 

 

voir : http://journalcommun.overblog.com

 

et : http://lesanalyseurs.over-blog.org

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