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Analyse institutionnelle : Théorie et pratique au sein des institutions politiques, éducatives et de recherche. L'implication des individus et des groupes dans la vie politique et sociale.

Georges Lapassade : La Fac ici et maintenant (Extraits d'un journal de route) (12)

La Fac ici et maintenant (Extraits d'un journal de route) (suite) 

 

 

J'arrête là cette petite dérive sur les despotes pour essayer de revenir à mes notes du matin (je me suis levé pour noter mes idées, qui fusaient).

 

 

Ma dernière note était sur « les livres de l'Algérien ». Cet « Algérien » est l'étudiant venu d'Alger, où il était transporteur, et qui travaille maintenant dans une maison d'enfants. On a bien sympathisé, et il me montrait l'autre jour ses nouveaux achats chez les bouquinistes installés dans le hall d'entrée de la fac (on se demande pourquoi on les a fait attendre si longtemps avant de leur donner l'autorisation). L'Algérien (j'oublie son prénom) avait acheté mes Chevaux du diable, en était fier, il avait aussi des livres de psychologie sexuelle dans le genre «bibliothèque de gare », ainsi qu’une sorte de manuel du même genre que les étudiants lisent beaucoup (pas seulement ceux de psycho) et dont l'auteur est je crois Pierre Daco (mais j'ai peut-être trafiqué son nom en souvenir de Pierre Dac).

 

 

Ces livres n'étaient certainement pas conseillés par leurs profs de psycho...

 

 

Or, un peu avant, ce matin toujours, Mme Jacqueline Auclaire, dont j'ai fait connaissance lundi soir, m'avait téléphoné pour me dire que sa voyante était tout à fait disposée à intervenir dans mes cours du jeudi matin, mais pas ce jeudi. Je m'en réjouissais, j'étais très impatient de la rencontrer.

 

 

Pensant aux livres de l'Algérien, à son cartable entrouvert avec les livres dedans, à sa fierté de me les montrer confidentiellement en sollicitant mon approbation, j'ai revu, -par l'effet de ces associations un peu hallucinées qui meublent ma vie ordinaire -, ces petites boutiques (« tendas de umbanda ») de Rio dans lesquelles on peut acheter des statuettes des Orichas, des encens, d'autres accessoires rituels et aussi des ouvrages de magie, de religion populaire et d'occultisme.

 

 

De là, ma rêverie allait aux petits « livres jaunes » du Maroc que, malheureusement, je ne peux pas lire, mais que Boujemaâ L. commente pour moi, l'été, à Essaouira, avec une préférence chez lui pour le «Damniati». Ce sont des livres populaires généralement édités au Liban et qu'on vend dans les souks. Les bouquinistes du hall d'entrée sont par certains aspects les cousins des marchands de la macumba et des vendeurs populaires des souks marocains : ils vendent des ouvrages de psychologie populaire, celle qui se diffuse aussi par la radio, la T.V., la presse du coeur, la « psycho » des gens ordinaires qui lisent leur horoscope le matin et consultent les voyantes.

 

 

Au Brésil, les gens vont confier leurs problèmes aux médiums qui les soignent avec des passes magnétiques comme au bon temps de Mesmer et de Puységur.

 

 

Quand je vais à Constantine, au printemps, les étudiants de psycho me disent que le peuple va chez les marabouts. Eux, ils savent qu'avec tout leur savoir psychologique, après à la fac ils seront chômeurs, mais ils ne se décident pas à chercher pourquoi la psychologie populaire marche. Ils ne comprennent pas le talent magnético-hypnotique des guérisseurs de médinas.

 

 

Il y a chez ces « psychologues » guérisseurs un savoir-faire hérité d'une vieille tradition, et ça marche. Freud l'avait probablement bien compris : c'était sa première inspiration.

 

 

Il y a toute une psychologie populaire, une «psycho pop» qui n'est pas celle des «psycho prof» qu'on enseigne dans les facs.

 

 

Cette psycho pop est bien plus proche des gens, plus, sensible à leurs misères et, souvent, plus efficace. La psycho savante et expérimentale de nos profs n'a jamais aidé personne, même pas les profs eux-mêmes quand ça ne va pas, qu'ils dépriment, qu'ils ont un chagrin d'amour.

 

 

La psychologie clinique est plus proche des gens, plus utile, bien que, pour se faire connaître, elle joue, elle aussi, la Savante.

 

 

(...)

 

 

Georges Lapassade


Mis en ligne par Benyounès et Bernadette Bellagnech

 

 

 

voir : http://journalcommun.overblog.com

 

et : http://lesanalyseurs.over-blog.org

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