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6 octobre 2013 7 06 /10 /octobre /2013 11:40

 

CHRONIQUE POLITIQUEMENT INCORRECTE No 15



À PROPOS DU « MODE DE PRODUCTION ÉTATIQUE »

 



C’est Michel Chauvière qui, cité dans la précédente chronique, faisait référence au « Mode de production étatique ». Il s’agit d’un concept mis en évidence par Henri Lefebvre (« De l’État », tomes 1 à 4, 10/18, 1976-1978) des nouveaux rapports, surgis au sortir de la guerre, entre l’État et l’économique, entre l’État et la société civile. Concept et philosophe aujourd’hui injustement bien oubliés en France.

 



Bien que restant érigé au-dessus de la société civile, l’État tend à gérer le service public d’une nouvelle manière : celui-ci cesse de considérer des droits relatifs à des besoins sociaux, identiques pour tous les citoyens: il considère les coûts particuliers, la vérité des prix, la demande solvable. L’égalité des droits se fissure, devient une fiction. Sous la norme de service public émergent les lois du marché. L’État confie de plus en plus l’exercice d’un tel service public à des organismes privés. Il se réserve un pouvoir de contrôle, par le Plan, par la statistique, souvent à la faveur du financement de certains de ces organismes privés. Cette tendance se développe, à grande échelle, à partir de 1945 mais cela avait commencé en 1943 avec l’arrivée de Laval au pouvoir, ce qui était signe de sa modernité.

 



La généralisation de ce «Mode de production étatique» dès 1945, qui pour Henri Lefebvre concernait aussi bien les pays occidentaux que les pays de l’Est, peut être compris s’agissant de la France à partir de l’exemple de la gestion de cette enfance inadaptée. Pour les organismes privés cela constitue un nouveau marché géré sous contrôle de l’État. C’est ainsi un ministre communiste de la Santé – François Billoux – qui réutilise les outils mis en place par le gouvernement Laval, outils forgés par le Conseil technique de l’enfance inadaptée et en danger moral. Dans le tome 3 (1977) de l’ouvrage cité d’Henri Lefebvre, celui-ci pose la question: « Le PC n’aurait-il pas eu pour vocation de mener à bien le MPE, avec une autre idéologie que le libéralisme, à savoir le marxisme idéologisé ? ». Il répond : « On (les bons militants) n’a aucune peine aujourd’hui à conjurer le spectre de Staline, avec vingt ans de retard. Ce retard a un grand sens : le stalinisme s’est répandu dans le monde moderne : c’est le MPE. La vocation du PCF c’est de réaliser pleinement, sans le nommer, en le désavouant idéologiquement, le MPE, c’est-à-dire l’essentiel du stalinisme. La haine des «communistes» français envers le courant autogestionnaire (dont la problématique ne se dissimule pas) apporte la preuve de cette vocation ». Ce qui a changé depuis, mais avec retard.

 



Les MPE à l’Est et à l’Ouest, s’agissant du service public, se différenciaient : dans les pays « capitalistes » le MPE s’exerçait essentiellement par le « contrôle » des organismes privés auxquels était délégué le service public (ou une partie de celui-ci), dans les pays du «socialisme réellement existant » le MPE s’exerçait directement sur le service public, par le « parti », sans passer par une délégation à des organismes privés. Quand Henri Lefebvre parle d’une autre idéologie que celle du libéralisme animant les communistes français, il fait référence au modèle d’État soviétique… et stalinien. Les temps ont changé : Staline est mort et l’État soviétique a disparu. Reste le MPE.

 



On comprend ainsi comment une organisation mise en place sous Vichy, s’agissant ici de l’enfance inadaptée, a pu continuer après la Libération, et pas seulement du fait des communistes, et devenir la norme. Organisation qui, si la guerre ne s’était pas arrêtée, aurait conduit des milliers d’enfants classés « irrécupérables » et destinés sous Laval aux sections d’anormaux ou de sûreté des hôpitaux psychiatriques à y subir le sort des adultes.

 

Ceci n’est pas un scoop, mais est généralement caché. Pour Jean-Pierre Le Crom, « de nombreux dispositifs nés sous Vichy sont pérennisés après la guerre, tout en étant “décorporatisés”. C’est vrai, par exemple, des comités de sécurité, des services médicaux et sociaux du travail, ou, pour partie, des comités sociaux d’entreprise. En droit du travail seront également validés les textes de Vichy sur le placement (loi du 11 octobre 1940) et l’inspection du travail et de la main-d’œuvre (loi du 31 octobre 1941), l’exigence d’un écrit à peine de nullité du contrat d’apprentissage (loi du 28 octobre 1942) ou partiellement, certains statuts professionnels comme celui des infirmiers et infirmières hospitaliers.

 



À cheval entre le travail et l’enseignement seront encore conservés les centres et organismes de formation professionnelle, d’enseignement technique et d’apprentissage.

 

Mais c’est dans le domaine de la protection sociale que la continuité est sans doute la plus forte. En effet la quasi-totalité des textes pris en matière d’assurances sociales, notamment celui relatif à l’Allocation aux vieux travailleurs salariés qui marque le passage de la capitalisation à la répartition dans les systèmes de retraite, d’allocations familiales et d’accidents du travail sont purement et simplement validés à la Libération de même que ceux relatifs à l’assistance aux vieillards, infirmes et incurables, à l’assistance à l’enfance (loi du 15 avril 1943). Les textes relatifs à la protection de la naissance (loi du 2 septembre 1941), à la protection de la maternité (loi du 13 décembre 1942 qui rend notamment obligatoire le carnet de santé) ou encore à l’hôpital, désormais ouvert à l’ensemble de la population et non plus aux seuls indigents (loi du 21 décembre 1941) ne sont pas non plus remis en cause… » (Jean-Pierre Le Crom, « L’Avenir des lois de Vichy » in « le droit sous Vichy », 2005, pp. 468-469).

 



À la Libération, le Gouvernement Provisoire de la République Française créa un Comité juridique, présidé par René Cassin, chargé de rétablir le droit républicain. Il fit un travail considérable pour trier les lois, décrets, mesures techniques pris sous Vichy et qu’il fallait soit abroger ou valider, ou encore annuler sans pour autant supprimer des mesures d’application antérieures. Les mesures techniques relatives au Conseil technique de l’enfance déficiente et en danger moral furent de ces dernières. On peut lire avec intérêt, à propos du rétablissement de la loi républicaine à la Libération, l’ouvrage d’Antoine Prost et Jay Winter, (Antoine Prost et Jay Winter, « René Cassin », Fayard, 2011, chapitre 7).

 



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RAPPEL : CES INFORMATIONS RÉGULIÈRES SONT DIFFUSÉES ACTUELLEMENT À UN GROUPE DE 900 RELATIONS DE 1ER NIVEAU ET, SI VOUS Y VOYEZ UN INTÉRÊT, À PLUS DE 180 000 AUTRES RELATIONS DE 2ÈME NIVEAU, SI BIEN SÛR CELLES-CI SONT PAR VOUS RELAYÉES.



À SUIVRE…

 

 

Transmis par Armand Ajzenberg

 

 

 

http://lesanalyseurs.over-blog.org

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