Le journal et la contextualisation
Bonjour,
Je me permets cette intrusion dans cette période où vous êtes en pleine préparation des cours à valider. Je tiens juste à rappeler que il ne s'agit que d'une contribution à un débat que nous menons et qui peut se poursuivre par la suite. Mes textes seront mis sur le blog. Le débat pourrait se poursuivre pour celles et eux qui seraient intéressés à le poursuivre.
Le journal est un exercice individuel et subjectif d'écriture. Il permet de décrire au jour le jour les faits et gestes, les sentiments et les idées du diariste. La pratique du journal s'est développée pour atteindre des champs de savoirs telle que la lecture et la recherche, la formation, les métiers divers, bref il peut concerner les différents domines de la vie. Son caractère globalisant ne lui enlève pas son fondement et sa réalisation par une seule personne - ou plusieurs personnes, lorsqu'il s'agit de journal à plusieurs mains et cela existe – toutefois il n'en demeure pas moins qu'il reste un travail qui met en scène l'humain par le biais d'une écriture spontanée.
Le je et le moi reviennent sans cesse dans l'écriture diaristique ce qui est tout à fait normal car le diariste s'affranchit de toutes les barrières instituées et jouit d'une liberté totale, étant donné qu'il écrit d'abord pour lui-même avant de passer à l'étape suivante, pour certains, qui consiste à rendre public ses écrits. Le je et le moi sont en jeu pour décrire sa vie et son petit monde moléculaire. Les conditions de vie des diaristes sont diverses et variés bien qu'elles gardent quelques points communs de nature basiques et humaines tels que le sommeil, la nourriture ou les repas, les déplacements ou les voyages, la vie solitaire ou en groupes familiale ou professionnel ou de loisirs, etc. Ces points communs décrits sommairement reviennent très souvent dans les journaux. Il en découle une certaine routine ou monotonie dans l'espace-temps du diariste. Ce fait est parfois à la limite du supportable pour celui qui écrit le journal, ce qui le pousse à douter de l'intérêt d'écrire le journal. Ce doute pourrait être salvateur lorsqu'il l'aide à s'interroger sur sa pratique du journal et envisager de la développer, mais pour celui qui ne doute pas ou ne se pose pas de question, il sombre dans ce que j'ose appeler le narcissisme exacerbé. La pratique du journal sur le long terme ne permet pas seulement de développer une approche de soi et de son entourage mais elle permet aussi le développement de cette tendance très subjective et parfois dévastatrice des relations sociales, car l'individu dans ce cas, certainement très rare, ne voit le monde et ce qui l'entoure qu'à travers un ego surestimé et donc destructeur de l'autre et de la réalité. Il en découle une incapacité d'être, de vie dans le cadre d'un groupe social de quelque nature que ce soit, car le groupe n'est pas seulement la somme d'individus mais il est aussi un équilibre stable ou non des tendances affectives, agressives, dans les quelles l'individu essaie de trouver place, sa place sans exclure les autres.Le narcissisme que peut développer le diariste, lorsqu'il reste supportable par soi-même et par les autres, reste un objectif à atteindre souhaitable, car il aide la personne à affronter la vie en la vivant et en la décrivant sans chercher à la dominer totalement car on sait, par expérience historique, où cela nous emmène.
Que faire pour éviter la dérive narcissique dominante ? Si le journal reste une technique et un outil efficace de la formation, il peut être considéré comme une arme de dissuasion contre les dérives de toutes sortes. C'est pour cette raison que je souhaite introduire la contextualisation dans le débat sur le journal. Lorsque j'écris au jour le jour, je constate que je me répète en essayant d'être le plus précis possible sur ce que je sens, ce que je vois et ce que j'entends et même parfois sur ce que je lis. Ce travail demande du temps et une concentration sur l'idée ou le sujet. Chemin faisant je me rends compte que ce que j'écris ne rend pas du tout compte du contexte si j'exclue la date du début du journal, mais la date en soi ne donne pas autant d'informations sur la journée, elle reste un signe isolée. Idem pour la lecture, si je ne réponds pas à plusieurs questions sur ma lecture, mon écrit devient sans intérêt car il ne fait que répéter la quatrième de la couverture du livre ou un résumé. Tandis que si je réponds à la question pourquoi je lis ce livre, pourquoi cet auteur et en quoi ce qu'il écrit m'intéresse ou ne m'intéresse pas, dans quelles conditions historique cet ouvrage a été écrit, bref son contexte et le mien, à ce moment là j'aurai réussi à contextualiser mon journal de lecture.
Lorsque je relis mon journal, je constate une grande différence entre un texte contextualisé et le texte qui ne l'est pas. Le premier me fait revire un moment comme un film historique vécu , tandis-que le second me renvoie à peine une petite image de mon pauvre moi qui ne fait que passer par ce jour x. Et si mon journal en entier se limite à mon moi il n'aurait aucun intérêt ni pour moi ni pour la communauté.
La contextualisation de nos écrits au jour le jour demeure un moyen d'élever l'écriture diaristique à un niveau qui rend compte d'une manière globale du moment et de l'histoire que nous traversons.
Benyounès Bellagnech