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  • : Le blog de Benyounès Bellagnech
  • : Analyse institutionnelle : Théorie et pratique au sein des institutions politiques, éducatives et de recherche. L'implication des individus et des groupes dans la vie politique et sociale.
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5 décembre 2015 6 05 /12 /décembre /2015 09:22

ou non, directement ou indirectement, voulez-vous être tué ou violenté ? Oui ou non, directement ou indirectement, voulez-vous tuer ou violenter ? » Tous ceux qui répondront non à ces deux questions sont automatiquement embarqués dans une série de conséquences qui doivent modifier leur façon de poser le problème. Mon projet est de préciser deux ou trois seulement de ces conséquences. En attendant, le lecteur de bonne volonté peut s’interroger et répondre.

 

SAUVER LES CORPS

 

Ayant dit un jour que je ne saurais plus admettre, après l’expérience de ces deux dernières années, aucune vérité qui pût me mettre dans l’obligation, directe ou indi- recte, de faire condamner un homme à mort, des esprits que j’estimais quelquefois m’ont fait remarquer que j’étais dans l’utopie, qu’il n’y avait pas de vérité politique qui ne nous amenât un jour à cette extrémité, et qu’il fallait donc courir le risque de cette extrémité ou accepter le monde tel qu’il était.

Cet argument était présenté avec force. Mais je crois d’abord qu’on n’y mettait tant de force que parce que les gens qui le présentaient n’avaient pas d’imagination pour la mort des autres. C’est un travers de notre siècle. De même qu’on s’y aime par téléphone et qu’on travaille non plus sur la matière, mais sur la machine, on y tue et on y est tué aujourd’hui par procuration. La propreté y gagne, mais la connaissance y perd.

Cependant cet argument a une autre force, quoique indirecte : il pose le problème de l’utopie. En somme, les gens comme moi voudraient un monde, non pas où l’on ne se tue plus (nous ne sommes pas si fous !), mais où le meurtre ne soit pas légitimé. Nous sommes ici dans l’utopie et la contradiction en effet. Car nous vivons justement dans un monde où le meurtre est légitimé, et nous devons le changer si nous n’en voulons pas. Mais il semble qu’on ne puisse le changer sans courir la chance du meurtre. Le meurtre nous renvoie donc au meurtre et nous continuerons de vivre dans la terreur, soit que nous l’acceptions avec résignation, soit que nous voulions la supprimer par des moyens qui lui substitueront une autre terreur.

À mon avis, tout le monde devrait réfléchir à cela. Car ce qui me frappe au milieu des polémiques, des menaces et des éclats de la violence, c’est la bonne volonté de tous. Tous, à quelques tricheurs près, de la droite à la gauche, estiment que leur vérité est propre à faire le bonheur des hommes. Et pourtant, la conjonction de ces bonnes volontés aboutit à ce monde infernal où des hommes sont encore tués, menacés, déportés, où la guerre se prépare, et où il est impossible de dire un mot sans être à l’instant insulté ou trahi. Il faut donc en conclure que si des gens comme nous vivent dans la contradiction, ils ne sont pas les seuls, et que ceux qui les accusent d’utopie vivent peut-être dans une utopie différente sans doute, mais plus coûteuse à la fin.

Il faut donc admettre que le refus de légitimer le meurtre nous force à reconsidérer notre notion de l’utopie.  À cet égard, il semble qu’on puisse dire ceci : l’utopie  est ce qui est en contradiction avec la réalité. De ce point de vue, il serait tout à fait utopique de vouloir que personne ne tue plus personne. C’est l’utopie absolue. Mais c’est une utopie à un degré beaucoup plus faible que de demander que le meurtre ne soit plus légitimé. Par ailleurs, les idéologies marxiste et capitaliste, basées toutes deux sur l’idée de progrès, persuadées toutes deux que l’application de leurs prin- cipes doit amener fatalement l’équilibre de la société, sont des utopies d’un degré beaucoup plus fort. En outre, elles sont en train de nous coûter très cher.

On peut en conclure que, pratiquement, le combat qui s’engagera dans les années qui viennent ne s’établira pas entre les forces de l’utopie et celles de la réalité, mais entre des utopies différentes qui cherchent à s’insérer dans le réel et entre lesquelles il ne s’agit plus que de choisir les moins coûteuses. Ma conviction est que nous ne pouvons plus avoir raisonnablement l’espoir de tout sauver, mais que nous pouvons nous proposer au moins de sauver les corps, pour que l’avenir demeure possible.

On voit donc que le fait de refuser la légitimation du meurtre n’est pas plus utopique que les attitudes réalistes d’aujourd’hui. Toute la question est de savoir si ces der- nières coûtent plus ou moins cher. C’est un problème que nous devons régler aussi, et je suis donc excusable de penser qu’on peut être utile en définissant, par rapport à l’utopie, les conditions qui sont nécessaires pour pacifier les esprits et les nations. Cette réflexion, à condition qu’elle se fasse sans peur comme sans prétention, peut aider à créer les conditions d’une pensée juste et d’un accord provisoire entre les hommes qui ne veulent être ni des victimes ni des bourreaux. Bien entendu, il ne s’agit pas, dans les articles qui suivront, de définir une position absolue, mais seu- lement de redresser quelques notions aujourd’hui travesties et d’essayer de poser le problème de l’utopie aussi correctement  que possible. Il s’agit, en somme, de définir les conditions dune pensée politique modeste, c’est-à-dire délivrée de tout messianisme, et débarrassée de la nostalgie du paradis terrestre.

 

LE SOCIALISME MYSTIFIÉ

 

Si l’on admet que l’état de terreur, avoué ou non, où nous vivons depuis dix ans, n’a pas encore cessé, et qu’il fait aujourd’hui la plus grande partie du malaise où se trouvent les esprits et les nations, il faut voir ce qu’on peut opposer à la terreur. Cela pose le problème du socialisme occidental. Car la terreur ne se légitime que si l’on admet le principe : « La fin justifie  les moyens. » Et ce principe ne peut s’admettre que si l’efficacité d’une action est posée en but absolu, comme c’est le cas dans les idéologies nihilistes (tout est permis, ce qui compte c’est de réussir), ou dans les philosophies qui font de l’histoire un absolu (Hegel, puis Marx  : le but étant la société sans classe, tout est bon qui y conduit).

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